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Puerto Williams : le début de la fin du monde ?

Puerto Williams se targue d’être la ville (2200 habitants tout de même!) la plus septentrionale : le début de la fin du monde, quoi… Plus au Sud que sa « rivale » argentine Ushuaïa en moins célèbre, toute deux sur le Canal de Beagle qui fait office de frontière… Et qui n’a pas bénéficié, elle, de la publicité de notre écolo national pontifiant, autant cathodique qu’auto-proclamé.

C’est la seule « ville » de l’île Navarino en Terre de Feu, et le passage obligé pour ceux qui veulent faire le tour du Cap Horn : c’est ici que l’Armada chilienne délivre le permis requis.

Puerto Williams est avant tout une garnison de la marine chilienne : c’était important de montrer ses gros bras face au pays voisin, dans une zone où les frontières ont été longtemps contestées. Les choses se sont calmées depuis. Un traité d’amitié a même été signé avec les anciens « ennemis ». Et Puerto Williams se tourne vers d’autres activités : le business de charter marin et le tourisme font qu’un semblant d’infrastructure d’accueil existe.

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La ville du Sud du Sud…

Tout d’abord, en arrivant par la mer, l’arrêt obligé est le Club Naval de Yates Micalvi, club nautique lui aussi le plus austral. Le Micalvi est un ancien navire, transporteur de la marine chilienne, échoué, qui sert de ponton et de club house. C’est là que se retrouvent les cap-horniers en devenir avec ceux qui ont déjà la boucle en or à l’oreille gauche, pour raconter leurs exploits futurs ou passés. C’est là aussi qu’ils laissent les traces de leur passage, pour les générations à venir : fanions, tags, messages, etc…

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Le Yate Club le plus septentrional!

C’est là surtout qu’on se prend la première bière (évidemment une Austral Calafate) depuis plusieurs jours, au calme et au chaud…

Le business de charters emmenant leurs clients autour du Horn et dans les canaux a l’air de plutôt bien marcher. Beaucoup de Français pratiquent cette activité. Ce sont les mêmes qui critiquent Giorgio et son guide de navigation en Patagonie/Terre de Feu, qui soit disant tue l’esprit d’aventure. C’est sûr que payer son tour du Horn sur un gros voilier avec un skipper connaissant le coin sur le bout des doigts dénote d’un esprit aventurier particulièrement aiguisé… Ce sont toujours les même débats : la montagne aussi n’y échappe pas, avec ses « expéditions » commerciales, ses voies équipées.

Puerto Williams ressemble un peu à un décor de cinéma, pour des films sur les pionniers d’un autre siècle et autres chercheurs d’hypothétiques richesses que la nature sait offrir à qui sait chercher. Petites maisons en bois peint, rues en terre, mais aussi bien sûr trois ou quatre églises évangélistes… Quelques échoppes minuscules pour acheter l’essentiel. De minuscules hôtels avec 4 ou 5 chambres pour les plus grands, et à peu près autant de restaurants avec leur 4 ou 5 tables, tourisme oblige. Rassurez-vous : il n’y a pour l’instant pas de plan pour bâtir un complexe Club Med ici !

Un petit cargo passe régulièrement pour assurer l’approvisionnement du village.

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La première maison de Puerto Williams

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Puerto Williams: la ville, les hôtels, les grands magasins et les restaus…

Pour nous, la plus grande richesse est sans conteste la beauté surprenante du paysage. Montagnes élancées encore partiellement couvertes de neige à la fin de l’été, tombant dans les fameux canaux de Patagonie. Faune extraordinaire, entre ciel et mer : toute la panoplie des albatros/pétrels/puffins nous est offerte, en compétition avec les dauphins/orques/manchots pour le grand prix « la Nature est magnifique! ». Habitants très accueillants et chaleureux : il faut être un peu fou pour venir jusqu’ici, et en général les fous sont bien accueillis autour du monde !

Et évidemment nous n’avons jamais prétendu être totalement sains d ‘esprit…

Puerto Deseado – Puerto Williams

C’est la dernière étape avant l’entrée dans les canaux de Patagonie : un peu moins de 500 milles à courir, mais dans des conditions pas toujours très faciles…

Samedi 15 Février, 21h TU : nous (André, Jacques, Nico, Claude et Sarah, que nous avons récupérée par hasard dans les rues de Puerto Deseado) larguons les amarres qui nous maintenaient à couple du remorqueur Yamana qui nous a accueilli lors de notre court séjour à Puerto Deseado. Nelson, marin à bord du Yamana et natif d’Ushuaïa, ne savait plus comment nous rendre service : remplir nos réservoirs d’eau, accéder à la douche du bord, indication d’endroits sympas pour aller manger, …

Et nous partons avec un sac plein de pattes de centollas: les fameux crabes royaux de Patagonie !

L’équipage avec Nelson le marin du remorqueur de Puerto Deseado

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Centollas et gambas…

Nelson, homme de ressources, à la demande de Nico , nous a expliqué comment pêcher du poisson en Patagonie. Selon lui, la seule méthode valable est la pêche à la bouteille.

« Pêche à la bouteille ? Mais comment tu fais ? »

« Oh, mais rien de plus facile ! Tu t’approche d’un bateau de pêche, et tu donnes une bouteille : les pêcheurs, ils te donnent plein de poissons !  Ça marche à tous les coups ! »

On a pris bonne note…

Igor nous avait déjà avoué pratiquer une variante : « Quand tu vois le fanion d’un casier, et qu’il n’y a personne autour, tu le remontes, tu prends une centolla que tu remplaces par une bouteille, et tu remets le casier… Tout le monde est content. »

Les gribs nous montrent qu’à partir de Mardi les conditions se musclent : vent d’Ouest de 25 à 30 nœuds… Mais nous devrions être tout près du détroit de Le Maire. Il faudra calculer juste et tâcher de ne pas baisser de rythme.

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La météo dans le Sud…

Dimanche 16, 14h TU : petite frayeur, le moteur fait un drôle de bruit et vibre… Débrayage: les vibrations cessent. Ça semble lié à l’embase de l’hélice : la GoPro au bout de la gaffe montre des algues enroulées autour de l’arbre. Petit coup de marche AR avec un peu de régime, puis AV de nouveau : plus de vibrations… Il faut dire que les algues ici sont costaudes : laminaires à longues tiges de plusieurs mètres, assez solides. Et il y en a quelques unes qui se baladent sur l’océan, elles aussi, y a pas de raison.

Nous traversons des petits bancs d’espèce de petites écrevisses rouges : nous décidons qu’elles sont vraiment trop petites pour agrémenter nos repas… Ce n’est certainement pas l’avis des dauphins et autres prédateurs du coin…

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Nourriture pour baleines?

Ah, au fait : c’est l’anniversaire de Nico aujourd’hui. Un petit pomerol n’alourdira plus les fonds de Kousk Eol pour l’occasion ! Quelques grincheux prétendent qu’un petit blanc aurait mieux accompagné les gambas données à Puerto Deseado…

Ça va faire 2 jours que nous sommes partis de Puerto Deseado : il est temps de prendre la météo et remettre à jour les prévisions que nous avions prises avant de partir.

Et, oh horreur, nous constatons que l’accès internet depuis notre téléphone Iridium ne fonctionne plus… Impossible d’accéder aux serveurs météo… Et nous savons que le temps doit se gâter à partir de Mardi soir ! Heureusement, l’Iridium marche toujours en phonie : SMS à Denis et Pierre et coup de fil à Cathy, et nous recevons un résumé du Pierrot. Fortes rafales (>40 nds) mercredi…

Un appel VHF vers un pétrolier, le Recoleta, qui nous double nous donne une météo plus complète. Finalement pas si terrible jusqu’à Mercredi.

Et le 50° S est franchi : les shorts sont rangés depuis un petit moment…

Mardi 18 Février : le Détroit de Magellan est traversé de nuit, avec en prime slalom entre les plateformes pétrolières. Eh oui, même ici.

Au matin nous avons atteint la Grande Île de la Terre de Feu, partagée en deux selon un axe Nord-Sud entre l’Argentine et le Chili.

Mercredi 19 Février : après une nuit musclée (vent d’Ouest 30 à 35 nœuds), le Capo San Diego qui marque l’entrée du détroit de Le Maire est en vue.

Le détroit de Le Maire est un des passages les plus redoutés et redoutables de la région : les courants de marée atteignent 8 nœuds (Kousk Eol va à 6 nœuds au moteur), et lorsque le vent est contraire, des vagues redoutables se lèvent…

Plusieurs orques viennent faire un tour près du bateau ! Nous ne voyons que les dos avec leur aileron immense lorsqu’ils viennent respirer en surface , mais le spectacle est magnifique !

Cathy nous rassure en nous appelant sur l’Iridium (qui ne fonctionne toujours plus en mode « données ») : la météo s’améliore !

Au large du Capo San Diego, ça brasse un peu, effectivement, mais les conditions sont plutôt bonnes ! Et quelques milles plus au Sud se trouve la Bahia Buen Suceso (ça ne s’invente pas!), bon mouillage pour se reposer après la traversée ou pour attendre de bonnes conditions.

Et nous, marins émérites, qui avons déjà vaincu le Cap Sicié, le Cap Corse, le Raz de Sein et l’ Escampo Barrriou, nous passons le Détroit de Le Maire !

Au large vers l’Est nous apercevons l’Île des États : c’est là que se trouve le mythique phare du bout du monde… Pour les frangins, encore une occasion de se la péter : notre arrière grand-père Robert Godefroy était un des meilleurs amis de Jules Verne, qui a fait connaître ce phare dans les bons salons de thé.

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Nouvelle météo, de Michel cette fois : le temps se gâte sérieusement à partir de Jeudi après-midi : il ne faudra pas traîner sur l’eau !

Nous ne ferons donc pas un stop dans la Baie du Bon Succès, stop qui aurait été grandement mérité! Nous préférons filer vers Puerto Williams où l’on peut espérer un meilleur abris…

Bientôt nous arrivons devant l’entrée du Canal de Beagle, qui mène entre autre vers Puerto Williams (ville la plus septentrionale, au Chili) et Ushuaïa (en Argentine). Et par la même occasion, nous franchissons le 55° Sud ! Les nuits sont TRÈS fraîches.

Et entre temps, c’est un pétrel géant qui s’emmêle dans la ligne : c’est décidé, cette fois on la range ! On se contentera de boites de conserve , ou bien on testera la pêche à la bouteille…

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DD et le pétrel…

Notre Québecoise Sarah, navigatrice experte sur le lac Champlain, s’habitue plutôt bien…

« Bonyenne ! Il fa un peu frette ! J’va mettre mon cass’ de pouèl pour mon shift.  Sinon, c’est pas pire, ch’uis bien correc’ ! ». Quand ce n’est pas : « Passe moi la guenille que j’essuie le chaudron ! » au moment de la vaisselle…

Nous, on fait «  Ah, OK ! » et elle est contente…

Jeudi 20 : remontée du Canal de Beagle à la voile, en tirant des bords toute la nuit. Et arrivée à Puerto Williams en fin de matinée. Grandiose ! Comment vous décrire le paysage ? C’est .. Ouah ! Et même… Oh la ! … Et la-bas ? Tu as vu ? Ouf ! … Bon sang… Bref, ces beautés immarcescibles (*) nous laissent pantois…

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Bords dans le Canal de Beagle

Nous nous amarrons à couple d’un autre voilier candidat aux émotions, au Club Naval de Yates Micalvi, le club nautique le plus septentrional…

Jacques avoue : ça valait le coup de ne pas se décourager à Piriapolis ! Notre attente est récompensée.

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L’arrivée à Puerto Williams

(*) : eh oui, encore un gage, suite à une définition à la con de mots croisés…