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La VMG pour les nuls

Bon : on vous l’a déjà dit, les frangins y font rien qu’à se la péter… Cet article, comme les précédents, fera date dans l’épanouissement culturel de la masse inculte des lecteurs de ce blog extraordinaire (en toute modestie objective).

Cette fois, il s’agit de la VMG. Pourquoi la VMG ? Il nous serait facile de répondre : « parce que ! ». Mais il nous a semblé que cela pourrait laisser certains de nos lecteurs sur leur faim de savoir. Les lectrices, vous ne recommencez pas à la ramener : le masculin ici n’est pas utilisé pour vous oublier. On l’a déjà dit et on ne le répétera plus …

En effet, nous avons eu plusieurs fois la question : « Mais pourquoi donc ne vous déplacez vous pas en ligne droite, même quand le vent semble favorable ? Hein ? ».

Eh bien voici : même si le vent permet théoriquement d’aller en ligne droite entre deux étapes, surtout aux allures proches du près ou du vent arrière, d’autres facteurs font que ces allures ne sont pas les meilleures.

Remonter au vent alors que la mer est formée implique d’escalader les vagues pratiquement de face, et de retomber souvent lourdement derrière : c’est ce qu’on appelle « planter des pieux ». Le bateau n’avance pas, et souffre de ces chocs répétitifs (l’équipage aussi!).

Aux allures portantes, proches du vent arrière, le bateau aura tendance à rouler d’un bord sur l’autre sous l’effet des vagues soulevant l’arrière du bateau à bâbord ou à tribord, dégonflant la grand voile puis la regonflant en faisant claquer le gréement : là aussi, le bateau n’aime pas…

Il suffit souvent de s’écarter de l’axe du vent (abattre un peu lorsqu’on est au près, ou lofer au portant) pour améliorer la situation: non seulement le bateau fatigue moins, mais en général il avance plus vite, et compense souvent l’augmentation de distance à parcourir.

La VMG, c’est ça : trouver l’allure qui permettra d’avancer le plus vite possible, pas forcément en pointant directement sur le point d’arrivée. C’est une notion de régate, mais qui trouve aussi son intérêt en croisière, où il faut à la fois avancer vite, et préserver son bateau. Trop fort ces marins, non ?

Ah au fait, VMG ça veut dire Velocity Made Good : depuis Tabarly, il n’y a jamais eu autant de mots anglais dans le vocabulaire marin français… On a aussi le droit de parler de compromis cap/vitesse, mais il semble que cela fasse un peu ringard.

Bilan de la traversée Praia-Salvador

Cette traversée est la première « vraie » traversée pour Kousk Eol. Si nous avons pu le tester pendant 3 ans avant le grand départ, par toutes conditions, de la pétole à la tempête (60 nds de vent), les plus longues « traversées » représentaient en général moins de deux jours de navigation.

Kousk Eol a confirmé ses qualités de fin coursier : peut-être pas aussi confortable qu’un bateau dit « de grand voyage », mais là où les voyageurs rencontrés aux différentes escales nous disaient être contents lorsqu’ils faisaient des moyennes de 120 milles par 24 heures, nous faisons régulièrement entre 160 et presque 200 milles, sans maltraiter le bateau. L’agilité est aussi un critère important, pour éviter une dépression, rejoindre plus vite un mouillage, etc.

Le Centurion 45s est un très bon bateau, solide et marin, passant bien la vague. Nous n’hésitons pas à réduire dès que le vent monte : le bateau gîte moins, et la vitesse ne s’en ressent pratiquement pas. Et le matériel souffre moins.

Notre installation électrique répond à nos attentes : tous les soirs (sauf une journée de calme sous ciel couvert, où nous avons dû mettre le moteur pendant moins de 2 heures), les batteries sont chargées, et comme l’alizé est puissant ici, l’éolienne continue à travailler la plupart des nuits.

Iridium n’a pas flanché, et nous avons récupéré nos gribs lorsque nous en avions besoin.

Nos 500 litres d’eau couvrent plus que nos besoins : nous n’utiliserons qu’un réservoir et un tiers du 2e. Le dessalinisateur n’a pas été mis à contribution pour l’instant.

Quant au fuel, nous aurons consommé moins de 10 litres de mouillage à mouillage sur cette traversée !

Il y a néanmoins plusieurs points que nous devons améliorer :

  • Le carré manque cruellement de mains courantes et les planchers sont glissants : faire les acrobates pendant 15 jours nous convainc d’y remédier !
  • À la gîte, l’eau ne s’évacue pas bien sur les capots AR et pénètre dans les fonds : lorsqu’on est sur le même bord pendant une semaine ou plus , par mer formée ou voire sous des grains tropicaux, c’est un certain nombre de litres qui a trouvé le chemin des fonds de la coque !
  • L’interconnexion des équipements de navigation via le bus SeaTalk a montré des signes de faiblesse récurrents, la source des problèmes étant de mauvaises connexions et une mauvaise isolation à l’eau (de mer principalement). Nous avons fini par déconnecter une partie des instruments pour ne garder que l’unité de contrôle du pilote, et ainsi avoir un pilote fiable. Du coup, il a fallu ressortir le GPS USB pour qu’OpenCPN puisse continuer son travail.
  • Le boulon qui tient la barre sur son axe se défait régulièrement : il faudra mettre un contre-boulon et peut-être mettre de la colle-frein.
  • La table du carré supporte mal de servir de cale pour les équipiers en perte d’équilibre, et menace de vivre sa vie en totale indépendance avec son pied…
  • Les joints des capots de pont ne remplissent plus leur rôle, et l’eau s’infiltre dans le carré et la cabine avant. Idem pour le joint au passage du mat à travers le roof.
  • Plus quelques autres petits problèmes…

Bref, on devrait avoir à s’occuper un peu à Salvador !

Article de culture générale et technique: GRIBs et prédiction météorologique

Toujours dans l’espoir, même infinitésimal, de voir évoluer positivement la compréhension de la chose marine parmi nos fidèles lecteurs, l’équipage de Kousk Eol vous propose son 2e article de culture générale : comment savoir le temps qu’il fera demain et au-delà, alors qu’on n’a même pas la télé ?

Et la réponse est ? Je vous le donne en mille : les fichiers GRIB ! Ces fichiers magiques couvrent une zone géographique choisie et contiennent, sous forme codée, les informations sur le temps pour une période donnée : direction et force du vent, hauteur des vagues, quantité de pluie, température, …

Pour continuer dans la magie, ces fichiers peuvent afficher leurs informations en sur-impression de nos cartes électroniques de navigation, permettant (ça, c’est la théorie) d’adapter sa route pour profiter des conditions les plus favorables (le plus souvent, des moins défavorables).

Mais comment donc récupérer ces fichiers, me direz-vous, alors qu’il y a encore moins de Freebox (ou équivalent) que de télé à bord de Kous Eol ? Eh oui, les frangins DD et le Glaude, qui ont facilement tendance à se la péter quand ils le peuvent, ont ici joué plutôt cheap… Là, on entre dans le domaine de la magie noire : on utilise Iridium, bien sûr !

Iridium, c’est une technologie d’enfer, avec son propre réseau de satellites (un peu comme le GPS), qui permet de communiquer à partir de n’importe quel point du globe vers n’importe quel autre point du globe, en utilisant un bête téléphone portable .

Et c’est là que le bât blesse, que la belle histoire s’abîme… Parce que le téléphone, il n’a rien à voir avec votre smartphone. Il est gros, il a un tout petit écran noir et blanc, un interface utilisateur et une ergonomie à chier propres à pousser à bout l’ange le plus compréhensif, une fonction transfert de données limitée à quelques kilo-octets par seconde (si votre Freebox, ou équivalent, vous offrait 1 giga-octet par seconde, c’est à dire un million de fois plus rapide, vous changeriez de fournisseur illico), et les communications coûtent cher. Mais c’est quasiment le seul lien pratique avec le reste du monde dit civilisé. Donc sur Kousk Eol on a un Iridium.

Si vous avez bien suivi jusque là, vous en aurez aisément déduit que la taille du fichier GRIB à récupérer est un paramètre d’une importance cruciale . Si le fichier est trop gros, il coûtera cher, mettra une éternité à être transféré sur l’ordinateur du bord, et donc la transmission aura très certainement l’opportunité d’être interrompue (par exemple parce qu’un gros nuage à grain cachera le satellite…), nécessitant une retransmission, donc d’autres coûts et une augmentation du niveau d’énervement du skipper.

Donc il vaut mieux un petit fichier. Oui, mais alors, contiendra-t-il suffisamment d’information pour permettre de mettre sur pied la stratégie d’enfer qui garantira une arrivée à Salvador avant la fermeture du dernier bistrot ?

Et c’est là que ça devient intéressant… Que les discussions passionnées s’engagent… Étendue de la zone, point d’observation tous les degrés ? Les demi-degrés ? Prévisions sur 3 jours ? Sur 5 Jours ? Bref, on s’est mis d’accord une fois pour toutes après étude objective de tous les arguments avancés : pour le milieu de l’océan, ce sera une prévision sur 3 jours avec point toutes les 12 heures, maillage au degré, zone plus ou moins carrée de 8 à 10 degrés de côtés. Soit moins de 8 Ko à transférer. Soit environ 2 minutes de transfert tout compris…

L’image ci-dessous montre la formation du cyclone sur le Cap Vert : on comprend mieux pourquoi nous avons dû nous dérouter vers le sud-est avant de rencontrer des vent (et des mers!) plus favorables pour nous pousser vers le sud-ouest.

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Fichier GRIB montrant la formation de Umberto, et pourquoi nous étions poussés vers l’Afrique…

Le vent a forci les 2 jours suivants et la mer n’a pas aidé à avoir une navigation sereine…