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Traversée Pointe à Pitre-Toulon Mai-Juin 2021 : Barcelone-Toulon

Vendredi 25 juin 2021

Ça me navre un peu qu’il y ait encore des lecteurs trouvant un quelconque intérêt aux inepties accumulées sur ce blog. Mais bon… Après tout, il y a bien des téléspectateurs pour CNews…

Bref. Il est temps pour nous de repartir vers la destination finale de cette traversée démarrée le 12 mai à Pointe-à-Pitre…

Nous venons de passer deux jours à Barcelone, à la fois pour y déposer Richard qui reprenait le train pour Grenoble, et pour nous reposer un peu.

Barcelone est une ville extraordinaire sur bien des plans. C’est une cité très vivante, bien sûr avec les ramblas, mais aussi autour du quartier du port, entièrement rénové. L’architecture y est débridée, et pas seulement à cause de Gaudi. On ne compte pas les terrasses où s’arrêter pour une bière et des tapas. Bref, c’est une excellente étape.

Nous en profitons quand même pour bricoler un peu ; un voilier qui navigue s’use, et a besoin de soins réguliers… Nous vérifions les chariots de grand-voile ; rien n’a bougé depuis la réparation à Gibraltar ! Entre temps, le cardan de la cuisinière a décidé que lui aussi avait besoin d’un peu d’attention : un des axes avait rompu, et le deuxième, par pure jalousie, menaçait de faire pareil…

A 7h40, nous larguons les amarres du Porto Olimpic pour Toulon. La météo nous promet pétole pour la première partie du trajet, et ne se trompe pas : nous brûlons donc un peu de nos réserves de résidu organique fossile.

Bye bye Barcelone.

Mais sur le coup des onze heures, une petite brise, en partie thermique grâce à la proximité des côtes et un soleil radieux, permet de dérouler le génois. Et entendre l’eau bruire le long de la coque de Kousk Eol, dans vingt centimètres de vagues, à peine gîté et à plus de sept nœuds, est un plaisir dont on ne peut jamais se lasser…

La journée s’écoule tranquillement. En début de soirée, cri de Gianni et Bernard, depuis le cockpit : « Des baleines ! Des baleines ! ». En fait, un couple de globicéphales vient reprendre son souffle juste à l’arrière de Kousk Eol : ce sont vraiment de très gros dauphins…

Spécial A-S

Les dérapages verbeux du scribouillard de service qui ne rate jamais l’occasion de se la péter amènent parfois des commentaires plus ou moins critiques de la part de certaines lectrices1 quant à l’utilisation de vocables que l’on qualifie trop rapidement de désuets, voire pédants.

Pour ma défense, sans tomber dans un autocatégorème suspect, permettez-moi une prosopopée pour la liberté d’expression du coryphée du bord. Mes galimatias souvent abscons, mes lyriques hypotyposes, sont en général jaculatoires, de pures luthomictions, éventuellement un reflet de mon opsimathie.

Je pense humblement vous avoir convaincues par cet exposé suffisamment clair et limpide pour éviter une quelconque épanorthose. Non ?

Samedi 26

La nuit elle aussi est tranquille. Il faut bien faire un empannage, car le vent passe plus à l’ouest, ce qui nous ramène un peu mieux sur notre route. Mais bon, ça, on maîtrise.

Puis le matin, le vent vient carrément de face, en mollissant : vive Volvo à nouveau !

Nous ne sommes pas sûrs d’avoir une place à Toulon : la capitainerie nous a prévenus que le port était plein… On va tenter quand même. Comme solution de secours, nous pourrons toujours aller à Saint Mandrier, de l’autre côté de la rade, où le capitaine de port, une vieille connaissance, a promis de nous dépanner.

En attendant, Bernard, toujours sur sa promesse de sushis et autres sashimis, compte les leurres avalés et emportés par des poissons récalcitrants à l’idée de finir accomodés de wasabi…

Comme on ne peut compter sur lui pour se remplir la panse, il faut improviser à la cuisine. C’est une association italo-française qui s’y colle : « Si on faisait un risotto ? » « Pourquoi pas, mais avec du riz basmati importé du Pakistan2 ? Et des courgettes ? Et un œuf mollet sur le dessus ? » « Alors, par pur respect pour la la culture italienne, on va l’appeler Ersatz de Risotto à la Kousk Eol. ». Torchée qu’ils l’ont, la poêle, les morfales !

Ce samedi est un des premiers week-ends de sortie pour beaucoup de bateaux : le canal 16 de la VHF n’a pas beaucoup de repos. Et les PAN PAN3 s’enchaînent.

Puis sur le coup des 17 heures, le GSM se réveille à une quinzaine de milles de la côte, et un SMS nous apprend que finalement nous avons une place à la Vielle Darse… Alléluia4 !

Il est environ 20 heures, nous voici amarrés à la Vieille Darse. Bon d’accord, après presque 12 heures de moteur. Mais à la fois contents d’être arrivés et tristes que ce soit terminé.

La fine équipe.

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1 De certains lecteurs aussi, mais ayant une répulsion certaine pour l’écriture inclusive, il me fallait faire un choix.

2 Je rappelle incidemment pour les nombreux inculturés qui se seraient perdus devant ces inepties que le riz basmati (parfumé) vient de la région du Penjab en Inde, pas du Pakistan, ex très gros producteur jusqu’à une directive récente lui interdisant l’appellation… Et que le risotto se prépare avec du riso arborio per riosotto, en toute simplicité.

3 Appel au secours pour des problèmes ne mettant pas en danger des personnes : en général des pannes de carburant…

4 Ben alors, qu’est ce qu’il me prend, à moi ?

Traversée Pointe à Pitre-Toulon Mai-Juin 2021 : Gibraltar-Barcelone

Jeudi 17 juin 2021

Donc nous disions : nous sommes arrivés à Gibraltar dans la matinée, après un peu moins de sept jours depuis Ponta Delgada. Kousk Eol est amarré ponton 12, place 36 vers 11h00. L’équipage (Bernard, Jacques et Claude) ne perd pas trop de temps à aller se faire beau dans les douches : le plan est d’aller à Gibraltar, d’aller boire une bière et manger un fish’n’chips, qui comme chacun sait est une spécialité culinaire incontournable britannique.

La frontière est passée encore plus facilement qu’une lettre à la poste : côté britannique comme côté espagnol, à peine un vague coup d’œil est jeté à nos passeports. Et personne ne nous demande quoi que ce soit concernant la covid 19…

La première étape est de passer chez un shipchandler en espérant dénicher de quoi réparer les chariots de grand-voile. Espoir vite déçu, mais nous nous y attendions un peu… On re-bricolera quelque chose en attendant de trouver mieux.

Puis nous remontons Main Street, avec ses boutiques de plus en plus désuètes, avant d’arriver à l’Angry Friar, pub haut lieu du poisson-frites. Ça nous arrange de manger comme les Britanniques, un peu tôt : Richard doit arriver dans la soirée.

20h45 : Richard est à bord. Demain, nous récupérerons Gianni dans l’après-midi.

Le vendredi est consacré aux diverses réparations et nettoyage du bateau. Les chariots sont effectivement réparés le mieux possible, avec de nouvelles rondelles, en inversant la position de certains. Il suffit que cela tienne jusqu’à Toulon.

Réparation du lazy-jack.

Gianni arrive vers 14h30, et nous allons tous faire les course avant notre départ le lendemain matin. En récompense, nous nous faisons un asador, un restaurant de viande, le soir : viande excellente dans une ambiance un peu bruyante…

Samedi 19

Petit déjeuner, dernière douche et on part, après avoir réglé nos dettes à la capitainerie : 31 € la nuit pour Kousk Eol , c’est moins de moitié moins cher qu’à Toulon !

10h30 : ça y est, nous sommes partis. La météo nous promet un vent soutenu (20 à 30 nœuds d’ouest) qui devrait nous permettre d’avancer rapidement, au moins jusqu’au Cabo de Gata, après Almeria, et juste avant la remontée vers Barcelone.

Juste pour vous donner une idée du trafic autour du détroit…
La pointe sud du Rocher et la tour Victoria.

Et effectivement, ça pulse : Kousk Eol se permet des pointes à plus de 13 nœuds, malgré deux ris dans la grand-voile et le génois un peu roulé, au largue. Puis le vent continue de forcir, de concert avec la mer. Bientôt, il faut se résoudre à prendre le troisième ris, et à rouler un peu plus le génois : nous continuons malgré tout à dépasser les 12 nœuds… Le Cabo de Gata est atteint vers 10h le lendemain : environ 170 milles en ligne directe depuis notre départ, en un peu moins de 24h, alors que nous avons tiré des bords de largue ! Nous aurons fait sept empannages cette nuit ! Tous maîtrisés de main de maître.

Et c’est monté à plus de 13 nœuds…

Le vent ne mollit pas dans la remontée vers Cartagène et le Cabo de Palos. Et la mer s’est à peine assagie : au largue, nous nous faisons, doux euphémisme, un peu ballotter… Il ne faudrait pas que cela dure trop longtemps ! Mais bon, il fait grand beau.

Cinq mâles dans un canot

Je suis sûr que vous vous êtes posé la question : « Mais comment ils font, cinq mecs, pour se partager l’univers assurément restreint d’un voilier ? ». Même si celui-ci est Kousk Eol. Pour les longues traversées, nous privilégions une certaine forme de confort : que chacun ait sa couchette et sa cabine. Bon, d’accord ; à quatre, il y en a tout de même un qui dort dans le carré.

A cinq, la solution la plus naturelle est de partager la cabine avant, la plus grande. Pour assurer une certaine intimité, une toile anti-roulis a été expérimentée lors de la traversée vers les Antilles. L’intérêt évident d’être plus nombreux lors des traversées est la durée des quarts : à cinq, un quart de deux heures fait largement l’affaire, et est passé relativement vite.

Par contre, l’activité « nourriture » devient un peu plus compliquée, à commencer par l’approvisionnement. « Moi j’aime bien ça : on en prend ? » « Heu, tu es sûr ? Bof, bon, si tu veux, mais pas trop… » « Ah vous avez pris ça ? Quelle drôle d’idée ! C’est dégueulasse ! ». Mais entre marins gentlemen et de bonne éducation, l’art du compromis est complètement maîtrisé : « Dès qu’il a le dos tourné, son truc de merde, je te le balance par dessus bord vite fait ! ».

Une tendance assez naturelle, au bout de quelques jours de confinement à bord, est que l’intérieur se transforme magiquement et assez rapidement en terrier de chacaux humides1. Argument imparable : les manœuvres sont plus importantes qu’une quelconque entreprise de rangement !

Finalement, ça a l’air presque rangé, non?

D’accord. Mais alors, est-on obligé de pisser autour de la cuvette des WC ? Ou de ne pas rincer complètement celle-ci ? Je pose la question… « Ouais, mais tu as déjà essayé quand ça roule de 30° sur chaque bord ? ».

Nos femmes nous disent de pisser assis… Mais c’est vachement dur !

Et l’odeur, alors ? Ben quand tout le monde est à la même enseigne côté usage parcimonieux de l’eau douce, ressource vitale et limitée à bord, on ne remarque plus. Enfin : presque plus… Heureusement qu’il y a les lingettes pour bébés !

Lundi 21

Le vent a rendu l’âme progressivement, et la mer, par solidarité, montre un encéphalogramme résolument plat : enfin on ne se fait plus secouer dans tous les sens. La nuit se termine naturellement au moteur.

Quart de nuit, cool.

La journée est magnifique : grand soleil et pas un nuage, mer d’un bleu hyalin fendue par un Kousk Eol toujours d’accord pour tracer un coruscant et éphémère sillage. Nous jonglons entre moteur et vent.

La position du barreur couché.

Vous vous en doutiez, ça ne dure pas. Les quinze nœuds des GRIB se transforment en trente nœuds, au près. De nuit, le confort ressenti n’est pas terrible, surtout qu’il y a un peu de mer, et que régulièrement, une vague joueuse passe par-dessus le pont.

Ça gite juste un peu…

« Claude, regarde, si on abat un peu, on arrive facilement à Ibiza. », plaide Gianni.

« Non Gianni, il faut qu’on arrive à Barcelone le plus rapidement possible pour le train de Richard. ».

« Oui mais c’est dommage de ne pas s ‘arrêter à Ibiza. »

« Non Gianni ! »

« Parce que tu sais, à Ibiza… »

« NON, Gianni ! »

Trois heures après, le vent a à peine faibli.

« Claude, regarde, on pourrait abattre et aller à Majorque. Je connais un bon resto avec une serv… un serveur calabrais très sympa… »

« NON, GIANNI ! »

« Mierda, je me suis encore fait avoir par les publicités mensongères, avec cette croisière sur Kousk Eol… »

Comme pour couronner cet échange, un bruit étrange monte du carré, et ce n’est pas une vague qui s’écrase contre la coque. Une rapide inspection désigne le coupable : c’est l’axe de rotation de la cuisinière qui s’est usé et a cassé… On réparera au jour.

Ce qui est fait, avec maestria. En attendant, le vent ne mollit pas, et oblige à tirer des bords qui ne nous rapprochent que très lentement de notre destination. Ça faisait longtemps que nous n’avions pas fait autant de près. Du coup , l’espoir d’être ammarrés avant minuit n’est plus d’actualité. Au mieux, nous devrions arriver en début de matinée. Mais ça risque d’être juste pour le train de Richard.

Mercredi 23

Eh ben non : ce qu’il y a de rassurant avec la voile, c’est qu’on s’affranchit complètement des activités de notre vie quotidienne réglées comme des horloges. À 4h45, nous arrivons au sud de la ville . La lune s’est couchée depuis longtemps et le ciel est noir. Les lumières de Barcelone ne peuvent se rater. Caché derrière un gros nuage très sombre, on a l’impression qu’il y en a un qui n’arrête pas de prendre des photos de Kousk Eol au flash…

Et vous savez quoi ? La voile est descendue toute seule. Miracle !

Et à 6h00 nous sommes amarrés au quai d’accueil de la marina d’Ibiza, heu non : de Barcelone… Sous un magnifique arc-en-ciel sur 180°.

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1 Un chacal humide, des chacaux humides, c’est pas compliqué, quand même ! Rien de très surprenant pour de soi-disant loups de mer. Vous ne serez pas sans remarquer que je ne fais aucune référence ici à une quelconque bauge de sangliers.

Gibraltar-Toulon – 19 juin-1 juillet 2017

À partir de Gibraltar, où nous nous étions arrêtés il y a quatre ans, nous refaisons maintenant dans l’autre sens la route que nous avions suivie au départ de notre périple, jusqu’à Toulon. Impression curieuse de repasser par toutes ces étapes…

La première sera Benalmadena, qui s’enorgueillit d’être (ou d’avoir été) élue meilleure marina du monde. Nous ne discuterons pas des critères ayant guidé ce choix, ni de la sélection du jury… Un long bord près de la côte, avec un vent adonnant au fur et à mesure de notre avancée, nous permet d’avaler rapidement et confortablement la petite soixantaine de milles pour la marina. Comme la saison sur la Costa del Sol ne bat pas encore son plein, l’ambiance y est relativement calme : c’était nettement plus agité et bruyant lors de notre départ. Nous ne nous en plaindrons pas.

20 juin. La journée est consacrée aux nettoyages en tout genre : bateau, linge, équipage… Et aussi à compléter l’approvisionnement pour la fin du voyage. Claude arrive en début de soirée pour faire le cinquième avec André, Raphaël, Nicolas et Antoine. Quatre Cornet à bord, c’est sûr que le niveau va atteindre des sommets… Et non, bande de mécréants médisants, je ne parle pas ici de celui de la mauvaise foi ! Quoique…

En attendant, la soirée commence bien ; nous sommes invités à bord de Dream Weaver par Dominique et Vincent. Ils ont fait à peu près la même route que nous depuis la Réunion. C’est encore une occasion de raconter nos souvenirs communs, et de prendre des nouvelles des autres voiliers croisés.

21 juin. Lever à neuf heures passées… Un certain relâchement se serait-il sournoisement installé à bord de Kousk Eol ? Un rappel un peu bruyant du DD remet les pendules à l’heure. Le café est vite avalé, les dernières douches et courses faites, les réservoirs d’eau remplis, et Kousk Eol largue les amarres de cet endroit dont le côté proclamé idyllique ne nous a pas complètement convaincu. Nous mettons le cap vers les Baléares où nous prévoyons un ou deux mouillages avant le retour à Toulon prévu le 1er juillet.

Parce qu’il faut vous dire qu’un pot est prévu pour notre arrivée, censé être une surprise. Mais il fallait bien indiquer une date aux copains et aux proches qui veulent nous accueillir, et aux organisateurs dudit pot. Donc, au temps pour la surprise.

En attendant, le temps a décidé de se mettre au très beau depuis quelques jours. La chaleur n’a pas raté le rendez-vous. Le seul qui se fasse un peu prier est Éole, qui saborde allègrement, avec la complicité d’une houle chahuteuse, notre tentative de Code D. Tant pis : c’est encore une fois Volvo qui assure…

Équipier s’entrainant à réparer les voiles.

Un beau rorqual nous croise à moins de cinquante mètres, majestueux. Puis ce sont les appels à la VHF qui demandent des nouvelles de trois bateaux de migrants depuis l’Afrique du Nord toute proche, et qui ont disparu des écrans radar…

Deux heures plus tard : « Pan pan, pan pan, pan pan ! » sur le canal 16. Une opération de sauvetage est en cours et l’alerte terminée. Nous n’en saurons pas plus.

19h : le vent est toujours aux abonnés absents… La houle s’est calmée. Et soudain, des ailerons noirs par le tribord : tout un groupe de globicéphales nous regardent passer, nonchalamment.

Puis quelques minutes plus tard, ce sont des centaines de petits dauphins en pleine chasse : ça bondit tout autour de nous. Pas le temps de venir jouer à l’étrave cette fois ! C’est comme ça à bord de Kousk Eol : spectacle grandiose au moment de l’apéro…

Jeudi 22 juin. La nuit a été tranquille, toujours au moteur sur une mer relativement plate. L’air est très humide : la condensation sur la grand-voile tombe goutte à goutte sur le malheureux de quart. La présence de nombreux bateaux impose une veille active, mais comme nous sommes cinq, les quarts ne sont que de deux heures chacun et passent relativement vite.

Ben ici aussi, il ne faudra pas trop s’endormir pendant les quarts….

Nico est à bord, et ça se remarque : crêpes au petit-déjeuner ! Avec Raph et Tonio en plus, le côté gastronomique revêt une importance dont le reste de l’équipage ne se plaint pas…

En attendant, la Méditerranée peaufine sa réputation de mer changeante et capricieuse. Tous ceux qui ont franchi l’équateur vous raconteront avec force détails et trémolos dans la voix l’expérience parfois angoissante de la traversée du Pot au Noir, avec ses sautes de vent, ses orages, son côté imprévisible. La Méditerranée peut être une bonne école de préparation à cette expérience… Pétole un jour, coup de vent le lendemain, ciel dégagé le soir, nuages noirs et chargés le matin. Avec une météo qui fait de son mieux pour prédire le plus justement possible la suite des événements. Il n’est que de regarder le nombre de BMS1 chaque année, très largement supérieur à celui de l’Atlantique où la météo est plus prévisible, pour s’en convaincre. La trilogie cirrus-stratus-cumulus ne fonctionne pas très bien ici… Après tout, le Mistral est un vent catabatique, tout comme les williwaws patagons, à une autre échelle.

Attendez une seconde : Nico nous interpelle depuis le cockpit, tout excité. Un banc de thons est en chasse, et des individus balèzes exécutent, à l’aise, des bonds impressionnants hors de l’eau. Nous espérons qu’aucun d’entre eux n’aura l’idée de mordre à nos leurres, ou nous pourrons dire adieu à nos lignes et nos cannes ! Dans cette partie de la Méditerranée au moins, la faune semble très riche. Nous admirerons même une petite tortue.

Petit voilier passant au large, dans le calme de la nuit tombante.

Ce n’est pas avec le temps qu’il fait qu’on s’agite beaucoup avec les manœuvres de voile. Du coup, le scrabble est sorti et les neurones pas encore grillés par le soleil sont réactivés. Et évidemment, au moment le plus palpitant de la partie, « Dzzzziiiiiiii ! ! ! » fait le frein du moulinet, qui ne jouait même pas. Nico, Raph et André se précipitent à l’arrière : un magnifique thon de plus de quinze kilos est promptement sorti de l’eau, qui va largement contribuer à agrémenter les menus du bord, déjà très élaborés, pour au moins les trois prochains jours… Sushis, steaks et curry à la mode de Kousk Eol, recettes tenues secrètes pour ne pas en rajouter sur l’aspect déjà fortement lacrymogène auprès des lecteurs de ce blog normalement condamnés à suivre les déboires de TPMP2 sur la 8. Tentez seulement d’imaginer la discussion tendue entre André et Raph sur la taille optimale pour les sushis : trois ou bien trois millimètres et demi d ‘épaisseur ? Quatre ou plutôt cinq centimètres de côté ? Ou bien ? Le ton monte… « Bon sang, mais tu vois bien que ça fait plus d’un centimètre d’épaisseur ! T’en as mangé où, la dernière fois, des sushis ? » « Oh, si ça ne te plaît pas, je retourne finir ma bière ! » « Putain, mais on peut rien te dire ! Tu me demandes, je t’explique. » « Oh, Nico, viens me remplacer ! Je sens que je vais m’énerver ! ». Nous, ceux qui ne sont pas directement impliqués pour l’instant, nous évitons courageusement de nous en mêler en espérant que les conséquences sur les sushis ne seront pas désastreuses…

Ils s’avéreront excellents…

Coucher de soleil à Formentera.

Vendredi 23 juin. Encore une nuit très tranquille, au moteur. Kousk Eol allume le plancton dans son sillage. À l’heure du café, une discussion animée s’engage sur l’opportunité de créer une catégorie supplémentaire pour enrichir la taxinomie des équipiers, liée, aux dires d’André, à la phase qu’on qualifiera de gazeuse3 au moment du réveil de la partie « Jeunes » de l’équipage. Ladite partie contestant l’objectivité de cette analyse, nous en resterons aux sangliers-blaireaux-amis pour l’instant.

Vers neuf heures, le vent décide de se réveiller un peu, créant une agitation soudaine pour hisser le Code D : tout le monde est content d’arrêter le moteur après presque vingt-quatre heures de fonctionnement pratiquement sans discontinuer. Kousk Eol file à plus de six nœuds sur une mer plate. Formentera, la plus au sud des Baléares, approche : encore une cinquantaine de milles. On devrait y être en fin de journée.

Puis vers onze heures, le vent forcit un peu en passant plus au sud : il est temps de passer au spi ! La vitesse monte à huit nœuds, avec des pointes au-delà de neuf nœuds, toujours sur une mer sans vagues. Grand confort !

Et c’est un peu en avance sur la prévision que nous mouillons devant la plage ouest de Formentera. L’ambiance fait penser aux îles de Lérins question fréquentation : quantité et étalage de luxe pas toujours du meilleur goût… Et les échanges sur le canal 16 font peser quelques doutes sur le comportement marin et le respect de l’étiquette de certains occupants de ces yachts clinquants : « (Petite voix flûtée) Fuck you ! Fuck you ! » « Please shut up and leave chanel 16 free for emergency ! » « Fuck you ! Fuck you ! » « Your call is being triangulated and you will be found and fined ! » « Fuck you ! Fuck you ! » et ainsi de suite, virant au carrément graveleux, pendant plus d’une heure… Je ne vais pas en rajouter avec les canots à moteur qui slaloment entre les bateaux à l’ancre à pleine vitesse. Mais bon, nous n’avons pas prévu de rester, et le mouillage est bien protégé et l’eau cristalline.

Quand enfin la majorité des bateaux (les blaireaux ?) s’en va en début de soirée, Formentera retrouve son charme et fait presque penser à un atoll d’une mer un peu plus lointaine. Surtout que nous bénéficions ce soir d’un coucher de soleil somptueux. Finalement, il semble que nous ayons eu beaucoup de chance il y a quatre ans, où le mouillage était presque désert…

Samedi 24 juin. C’est bien parti pour une de ces journées de glande totale qui font le charme des grandes navigations. De toutes les navigations, en fait. Il y a bien quelques contraintes incontournables, comme trouver des oignons, mais nous devrions survivre… Les excellentes rillettes de thon frais pour le ti punch d’hier soir ont été fatales au stock restant !

Petit coup d’annexe vers la Savina, la capitale, cernés de tout côté par les bateaux à moteur faisant la course pour entrer dans le port : on y parle beaucoup plus anglais, français et italien qu’espagnol… Le WIFI ne marche pas, mais il y a des oignons ! Ce n’est pas aujourd’hui que le restaurant de Kousk Eol va perdre une étoile.

Heureusement, l’Iridium, lui, fonctionne. Pas vite, mais il ne nous lâche pas : les GRIBs prévoient un fort mistral à partir de vendredi soir. Il faudra quitter les Baléares jeudi de bonne heure pour les derniers deux cents milles. En attendant, nous changeons de mouillage pour la nuit : il y a décidément trop de monde ici…

Un peu plus au nord, nous jetons l’ancre à côté du sailing yacht A, plus grand yacht privé à voile (cent quarante-trois mètres de long, mâts culminant à cent mètres au-dessus de l’eau.) appartenant à un milliardaire russe et dessiné par Philippe Stark. Drôle d’engin aux hublots à l’épreuve des bombes et poste de vision sous-marine… Jugez par vous-même.

Le « A »: les mâts culminent tout de même à cent mètres…

Nous, plus modestement, on aime bien Kousk Eol.

Dimanche 25 juin, 7h30. Il est temps pour nous de bouger : l’objectif est Minorque, à environ cent cinquante milles au nord. Le temps est toujours au très beau, mais le vent ne se fait pas trop violence pour gonfler comme il se devrait nos voiles. De Minorque, nous serons bien placés pour saisir la meilleur fenêtre météo pour Toulon.

Mais comme nous sommes sur Kousk Eol, les plans sont revus régulièrement, et la décision est prise de s’arrêter sur la côte nord-ouest de Majorque, dans le petit port de Sóller, où nous arrivons vers vingt-trois heures, après une belle navigation au près sur une mer relativement plate. L’avant-port est très encombré, et nous nous y reprenons par trois fois pour trouver le bon endroit où mouiller notre ancre sans risque de toucher un voilier voisin : le vent tournoie dans la petite baie, et les bateaux bougent de façon un peu anarchique.

Lundi 26 juin. La météo confirme un fort mistral à partir de la nuit de vendredi à samedi. Nous devrions traverser jeudi dans la matinée pour arriver avant le coup de vent.

Mouillage devant Sóller.

Mais chaque chose en son temps : le programme d’aujourd’hui est de visiter Sóller, la petite baie et son port ainsi que la ville, à quatre kilomètres. En débarquant avec l’annexe, nous avons le plaisir de rencontrer Méridienne, un autre Centurion 45 s, lui aussi basé à Toulon, et avec l’équipage duquel, Françoise et Elie, nous avons des échanges depuis longtemps : ils sont en route vers les Antilles, puis la côte est des États Unis.

La baie de Sóller est un mélange d’ancien et de plus moderne, mais pour une fois architecturalement un peu respectueux du site.

Rues dans Sóller.

Un antique tram avec des wagons tout en bois verni relie le port à la ville : nous irons à pied tant que le soleil ne tape pas trop, puis nous rentrerons avec.

Le tram.

Et à treize heures (nous sommes en Espagne après tout) nous mangeons dans l’auberge de la famille Nadal, l’enfant du coin.

Mardi 27 juin. Décollage à six heures trente pour ne pas arriver trop tard à Minorque, avec un peu moins de quatre-vingts milles à faire aujourd’hui. La côte nord-ouest de Majorque est magnifique, avec ses falaises majestueuses tombant dans la mer, et s’ouvrant de temps en temps sur des criques qui font penser à la Corse.

Vers la cala de la Calobra.

Eole profite lui aussi du beau temps et du paysage : c’est encore une journée à brûler du combustible fossile… Eh ben non : à peine passé le cap Formentor au nord de Majorque qu’un vent de sud-est prend le relais. Presque vingt nœuds : nous passons vite à un ris dans la grand-voile et à la trinquette, mais Kousk Eol s’entête à filer à presque neuf nœuds sur une mer relativement peu agitée, droit vers la côte nord de Minorque.

« C’est pas à cette vitesse qu’on va attraper quelque chose à la ligne ! » maugrée Raphaël. Et ça ne rate pas : cinq minutes plus tard, « Dzzzziiiiii ! ! ! ! » once again. C’est quoi ce truc qui mord un machin en plastique coloré au bout d’un fil alors qu’on file à neuf nœuds ? Il faudra presque une heure de quasi-combat, voiles affalées, moteur pour anticiper les réactions de l’OPNI4 avant de pouvoir lui donner un nom. Ce ne sera finalement qu’un banal thon de presque quarante kilos, promesse de plat unique pour les quatre ou cinq prochains jours… Trop cons, ces poissons. Et vous croyez qu’on s’amuse, à bord, vous ? Heureusement, l’arrivée à Toulon est prévue dans trois jours !

Bref, il paraît que c’est bon pour la santé, et que plus frais, tu meurs, et autres salades marketing du même acabit. On la fermera et on dira qu’on se régale : rappelez-vous, Toulon c’est dans trois jours.

On se remet finalement en route, pour arriver un peu plus d’une heure plus tard, vers dix-huit heures, dans la Bahia de Fornells, une espèce de fjord au nord de Minorque. Entre vingt et vingt-cinq nœuds de vent : le préposé aux bouées d’amarrage, sur son zodiac, est passablement énervé par un voilier qui rate pour la troisième fois sa prise de mouillage et du coup nous houspille un peu parce qu’on prétendait se débrouiller tout seuls. Il n’en faut pas plus au DD pour remettre les gaz : nous passerons la nuit sur ancre, un peu plus au fond du fjord. Comme il est prévu plus de trente nœuds de vent, les cinquante mètres de chaîne et une vingtaine de mètre de câblot sont dévidés : dans huit mètres de fond, ça devrait coller.

Manœuvre à peine terminée, nous découvrons que notre thon, c’est pas un bête germon, mais un thon rouge authentique… Je retire tout ce que j’ai dit plus haut ! Les morfales du bord salivent à qui mieux mieux. Sashimi à volonté pour le dîner ! Et comme Raph et Tonio sont allés distribuer l’excédent autour de nous, nous avons assuré notre réputation dans le mouillage ! Peut-être un truc à partager avec nos politiques ?

Mercredi 28 juin. Le vent s’est bien calmé durant la nuit, et c’est de nouveau sous un soleil éclatant que nous prenons notre café matinal. Ce matin, l’activité sera centrée sur la maintenance avant l’Arrivé avec un grand A : réparation du lazy-jack qui n’a pas supporté l’affalage rapide de la grand-voile hier pour cause de thon, vérification les niveaux d’huile et d’eau du moteur, petite couture à refaire sur la capote, vis à changer sur le couvercle des w-c, plein de gas-oil pour la traversée vers Toulon, etc.

Comme nous avons bien travaillé, nous partons visiter la bourgade de Fornells, toute blanche et non sans charme.

Fornells depuis les hauteurs, et le mouillage en arrière plan.

Plein de courage, nous allons même jusqu’à la baie suivante où semble se trouver un autre village.

Fornells.

Le cimetière.

Déception : le village est en fait un immense condominium, avec gazon verdoyant au milieu de l’aridité ambiante, où toute entrée est interdite. Nous faisons vite demi-tour vers le bateau…

Jeudi 29 juin 2017. C’est aujourd’hui que nous entamons notre dernière traversée, celle qui va fermer la boucle… Un temps variable nous attend pour les deux cents ultimes milles, avec du mistral prévu pour samedi matin. Un vent d’est-nord-est nous emporte vers le nord à environ huit nœuds.

Sur les coups de quinze heures, oh quelle surprise, un autre thon s’est laissé attraper. Ils ont un coup de déprime, en ce moment, les thons méditerranéens ? Moi, maintenant, personnellement, j’essaierai bien une côte de thon charolais. Juste pour voir si je me souviens encore du goût.

Le gros grain noir qui nous fonçait dessus, impressionné, s’est entre temps dégonflé, et ce n’est plus qu’un vent tout aussi perturbé qui déhale Kousk Eol. Nous devons jongler avec les différentes combinaisons de voiles : un ris dans la grand-voile, puis on roule un peu de génois, pour finalement dérouler la trinquette, et prendre un deuxième ris, rouler un peu de trinquette, puis la re-dérouler, et même relâcher un ris… Les quarts de cette dernière nuit furent sportifs !

Petit problème : la marge que nous avions prise au départ de Minorque est toujours intacte : nous allons arriver un jour trop tôt à Toulon ! Géhenne et excommunication !

Mais comme la météo vient d’annoncer un avis de grand frais (BMS no 284 au trente juin : nous sommes bien revenus en Méditerranée) pour la nuit prochaine, nous n’allons pas faire la fine bouche. Quoique… Il reste du thon à finir… Mais aussi une dernière boite de confit de canard… Déjà hier soir, notre très grande lâcheté nous a fait voter pour des nouilles chinoises.

Et enfin, il fallait bien que ça arrive : Toulon est en vue. Petit moment d’émotion… Les messages sur le canal 16 sont de nouveau en français. Et à quinze heures, nous nous amarrons dans le port de Saint Mandrier : il restera deux milles et demi, la rade à traverser, pour rejoindre le ponton visiteurs de la Darse Vieille demain pour la « surprise ». Pas sûr qu’on mette le code D…

Samedi 1er juillet 2017. C’est aujourd’hui. Ce matin est le début de la fin de notre grand voyage. Pour les « jeunes », Raph, Nico et Tonio, c’est le retour à la maison après leur première grande traversée : un peu plus de quatre mille cinq cents milles, excusez du peu !

Pour les deux antédiluviens, André et Claude, c’est l’aboutissement de la concrétisation5 d’un rêve un peu fou. Il leur faudra peut-être un peu plus de temps pour complètement réaliser.

Mais bon, pour l’instant il n’est que neuf heures : encore un peu plus d’une heure avant de larguer les amarres pour Toulon et la dernière demi-heure de traversée de la rade. Nico s’active pour préparer sushis et sashimis pour le pot d’arrivée. Le reste de l’équipage fait un semblant de rangement pour rendre Kousk Eol présentable pour la foule qui sera forcément à l’arrivée. Un grand pavois est même bricolé en hâte. Surtout que c’est la Saint Pierre, fête des pêcheurs, aujourd’hui : comme à notre départ il y a quatre ans…

10h40 : nous quittons notre place à St Mandrier. Dehors, le vent souffle à vingt-cinq nœuds, avec des rafales à trente-cinq. VHF à la capitainerie : nous nous mettrons au quai d’avitaillement en attendant d’avoir une place sur le quai d’accueil.

11h20 : nous passons la jetée de la Darse Vieille, et c’est un concert de cornes de brume et de cris qui nous accueille. Ils sont au moins cinquante à nous attendre ! Arrivée et retrouvailles émouvantes. Cette fois, le tour est fini… On vous mettra quelques photos dès qu’on en aura récupéré !

Kousk Eol et son grand pavois à l’arrivée.

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1- Bulletin Météorologique Spécial : alibi incontestable pour rester au bistrot du port ce jour.

2– Télévision Poubelle Médiatiquement Pénible : émission qui brandit fièrement le flambeau de la culture francophone.

3– Pour ne pas choquer plus que nécessaire nos lecteurs ou lectrices.

4– Objet Plongeant Non Identifié.

5– Ouais, ça fait redondant. Et alors ?