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Article scientifique : la physalie

Le chemin est, une fois de plus, long pour vous amener, lectrices, lecteurs, avec nous vers certain sommet de la connaissance essentielle. Ayant depuis longtemps pris conscience de cette grave lacune cognitive, et toujours investis de notre mission éducatrice, nous, les deux frangins, vous livrons ici, encore une fois, un aperçu édulcoré et vulgarisateur de notre colossale érudition.

Le sujet du jour sera la physalie, communément appelée « vessie des mers » par des esprits bornés pour lesquels le mot « poésie » fait vaguement référence à un concept inutile et donc superflu. Quelques marins plus mer-à-mer sont même allés jusqu’à les baptiser galère ou galiote portugaise, poussant la moquerie jusqu’à dire que c’était à cause de la ressemblance.

Nous ne vous apprendrons rien en rappelant que la physalie, cousine des méduses, fait partie des siphonophores, embranchement des cnidaires cela va sans dire. Nous vous parlerons peut-être une fois des siphonnés, mais ce n’est pas le sujet du jour. L’aspect le plus frappant de la vessie des mers est sa ressemblance avec une vessie, comme vous vous en doutiez probablement. Les savants insistent toutefois pour la nommer pneumatophore1, juste pour montrer qu’ils ont fait grec troisième langue morte à la maternelle, eux. Juste derrière le latin et le français.

La physalie est un animal pélagique : sa vessie gonflée d’air (et éventuellement d’un peu de CO2) faisant office de voile, elle se laisse entraîner par la moindre risée d’alizé, au gré des flots sur les océans forcément vastes, donc en principe assez loin des plages et autres lieux fleurant bon la crème solaire périmée. Et ce n’est pas plus mal : la physalie est dotée de très longs filaments urticants qu’elle laisse délicatement traîner derrière elle pour attraper et paralyser ses proies. Si vous ne supportez pas l’inflammation de la bête méduse de nos côtes, évitez soigneusement la physalie et son urtication, que dis-je : son ulcération, qui est violente, à couper le souffle, voire létale. La physalitoxine est un poison dangereux !

Drôle de vie que celle de la physalie, quand on y songe2: elle naît quelque part sur l’océan, se gonfle la vessie, et la prenant pour une lanterne de navire, vogue au moindre souffle, quasiment vent arrière vers l’horizon. Avec comme seule certitude de ne jamais revenir sur son lieu de départ.

Comment reconnaître la physalie ?

La physalie étant un animal pélagique comme nous l’avons vu, le meilleur lieu d’observation sera quelque part sur la mer. Le pont de Kousk Eol, par exemple, compte parmi les meilleurs spots. Mais les places y sont chères. Très chères…

Comme elle est gonflée à l’instar une baudruche, elle flotte à la surface de l’eau. Celle dont nous voudrions parler ici, habituée des eaux chaudes tropicales, est de couleur rose transparent tirant sur un mauve délicat.

Passons donc maintenant à l’observation proprement dite.

  1. L’observateur aperçoit soudain, au bout de quelques heures sous un soleil de plomb, un corps rose, avec une trompe et deux grandes oreilles. Ceci n’est en aucun cas à confondre avec la physalie. Seul un nombre abusif de ti punchs ensoleillés, voire une concentration hors norme en jus de canne à sucre fermenté de ces derniers, peut expliquer l’apparition d’un tel phénomène.
  2. L’observateur, après une cure de désintoxication en règle, repère une forme oblongue, rose, flottant avec grâce sur l’eau. Ah ! Cela se précise ! Quand, tout à coup, la présence à proximité d’un chiard hurlant « Papa, mon ballon, il s’en va vers le large-eu ! » nous obligera à décevoir encore une fois notre observateur amateur. Et donc à lui payer un autre ti punch comme lot de consolation.
  3. Foin d’un suspens par trop intolérable. La vraie physalie, la voici :
    Photos de physalies prises depuis le pont de Kousk Eol, à deux cents milles au nord de la Guyane, vent de force huit et mer très agitée, photographe accroché aux filières par les deux mains et les dents.

La ressemblance avec une empanada sud-américaine tartinée de sauce pimentée est flagrante. L’empanada, néanmoins, est loin de montrer les mêmes aptitudes à la navigation hauturière. Ce qui permet d’éviter les confusions gênantes.

L’essentiel est dit. Il n’a jamais été question avec nous de prétention vaniteuse à l’exhaustivité, que nous laissons dédaigneusement aux tartineurs de culture. Vous en savez maintenant largement assez pour rabaisser irrémissiblement le caquet de Mme Gontran-Dupont (Marie-Justine-Hortense de son prénom, mais surnommée Mme Je-Sais-Tout dans le voisinage), chez la capillicultrice, la tête dans le séchoir à bigoudis.

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1– Il ne faut pas, surtout pas bien sûr, prendre les pneumatophores pour des candélabres. Au grand jamais.

2– Ceux qui ne songent pas peuvent passer leur chemin.

Vulgarisation scientifique : comment différencier un pingouin d’un manchot ?

Voici bien longtemps que les experts de Kousk Eol n’avaient plus partagé leur immense savoir avec le commun des lecteurs de ce blog. Il devenait donc urgent de reprendre notre mission de prosélytisme scientifique. L’objectif du jour sera de faire de vous des spécialistes, pas moins, des pingouins et des manchots, proximité des colonies de manchots du Cap de Bonne Espérance oblige. Rien de moins.

  • D’abord l’évidence notoire : les manchots sont des sphéniscidés, alors que les pingouins sont des alcidés.
  • Comme les ours, les pingouins ne sont présents que dans l’hémisphère nord1. En conséquence, pour ne pas se marcher sur les pieds, comme la nature est bien faite, les manchots s’abstiendront de remonter vers le septentrion au-delà de l’équateur.
  • Bien sûr, il faut toujours qu’il y ait des petits malins. Les îles Galapagos étant sur l’équateur, il doit bien se trouver parmi les manchots des Galapagos quelques emmerdeurs franchissant la ligne juste pour se faire remarquer.
  • Pour occuper les zoologistes, la nature a bien fait les choses : des manchots, il y en a un paquet… Pour ne vous en citer que quelques-uns, au cours de sa circumnavigation, Kousk Eol a par exemple rencontré ceux de Humboldt, de Magellan, du Cap, et des Galapagos.
  • Pressentant que les zoologistes allaient être fort occupés devant la grande variété des manchots, la nature, subtile, a en conséquence limité le nombre de pingouins à un individu unique : le pingouin torda. Il faut admettre qu’elle a bien été aidée dans cette tâche par l’homme qui s’est chargé d’éliminer un potentiel concurrent, à savoir le grand pingouin, ou pinguinus impennis, durant le dix-neuvième siècle2.

  • Pour compenser, les pingouins ont des cousins alcidés très proches, comme le macareux et le guillemot, que l’on peut aller admirer dans la réserve des Sept Îles.
  • Les pingouins volent3 et nagent, alors que les manchots nagent. On prétend qu’ils marchent aussi, mais d’une manière tellement risible que nous n’en parlerons pas pour ne pas les froisser. Quoique… Regardez le manchot empereur : il a beau se parer de couleurs magnifiques qui ressortent particulièrement bien sur la glace de l’Antarctique, il reste fondamentalement ridicule à se dandiner maladroitement. Et ce malgré les efforts louables de réhabilitations de certains cinéastes.
  • Les Anglais appellent les manchots « penguins », et les pingouins « au». Encore une preuve qu’on peut compter sur les Anglais pour semer la zizanie et compliquer davantage une situation qui est pourtant loin d’être simple.
  • Le manchot ne pépie pas : il brait. Éventuellement, il jabote. Alors que la mésange, c’est bien connu, zinzinule4.
  • Si quelqu’un vous traite de pingouin, ce n’est pas nécessairement un compliment…

Voila. Si vous avez lu cet article avec toute l’attention requise, vous maîtrisez dorénavant tous les éléments permettant de rédiger une thèse exhaustive sur le sujet. Sinon, vous pouvez toujours aller frimer chez le poissonnier.

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1
– Allez donc voir l’étymologie du mot « arctique ».

2– C’est très probablement suite à cet exploit que l’homme a été promu au rang d’homo sapiens.

3– Depuis quelques années seulement : le grand pingouin ne pouvait voler. Comme nous le disions, il a été supprimé de la surface de la terre pour ne pas compliquer la situation.

4– S’il n’y avait pas tant d’esprits mal tournés lisant ce blog, nous aurions pu rajouter que l’alouette turlutte…

Quels nœuds pour partir faire le tour du monde ?

Tout le monde le sait, pour être à l’aise en voile, il faut s’y connaître en nœuds.

Mais des nœuds, il y en a pléthore : si vous voulez vous en convaincre, allez donc faire un tour dans un de ces bars qui font partie du décor de toute marina qui se respecte, un de ceux où l’on trouve plus de cirés et de bottes que sur les voiliers qui naviguent. C’est en général là qu’on trouve les loups de mer les plus diserts, intarissables sur les exploits qu’ils sont sur le point de réaliser, capables de philosopher des heures sur l’importance de dominer tous les aspects du matelotage et en particulier des nœuds, surtout ceux dont personne n’a jamais entendu parler. Donc, la vraie question est : « Fichtre, diable, mais comment vais-je donc parvenir à séparer le bon grain de l’ivraie1? Quels nœuds faut-il absolument savoir réaliser sans se tromper ? ». Malgré ce que vous pouvez entendre parfois, seul un petit nombre est vraiment nécessaire, mais il faut absolument dominer le sujet : quel nœud pour quelle application, et il est impératif de savoir le réaliser vite et sans se tromper ! Le but de cet article est de faire toute la lumière sur cet aspect, en toute modestie.

Dans toute école de voile2 qui se respecte, on vous apprendra entre cinq et sept nœuds. C’est peu, mais largement suffisant, et ça ne vous laisse aucune excuse pour ne pas les maîtriser. Sur Kousk Eol, on n’en utilise pas plus : ça nous regarde. La notion de base, clef de la réussite, à parfaitement intégrer est qu’un nœud marin est esthétique : s’il n’est pas beau, c’est qu’il a mal été réalisé.

Passons maintenant en revue ces quelques nœuds, dont la liste n’engage que nous :

  • Tout d’abord, l’un des plus faciles, le nœud en huit, comme nœud d’arrêt pour les écoutes de foc ou de grand-voile. Jamais pour les bras de spi ! S’il y a urgence pour larguer le spi, il ne faut surtout pas que les bras restent bloqués !
huit
Nœud en huit.
autrearret
Alternative au nœud en huit.
  • Le nœud de taquet, pour amarrer son canot vite et bien. Ne pas oublier le tour mort, qui permet de bloquer rapidement le bateau, même si la tension est forte, avant de finir le nœud.
taquet
Nœud de taquet.
taquetcaca
Nœud de taquet caca. A refaire!
  • Le tour mort et le nœud de cabestan, les fameuses demi-clefs, véritable nœud à tout faire : pour fixer les défenses, pour s’amarrer à un barreau amarre tendue… Rappelez-vous : toujours tourner les demi-clefs dans le même sens !
cabestan
Cabestan de base.
toursmortscabestan
Avec un tour mort.
caca
Quelle horreur! Vous me copierez cent fois: dans le même sens, les boucles!
  • Le nœud de chaise, chaque fois que l’on a besoin d’une boucle que l’on pourra défaire même si elle a été mise sous forte tension.
chaise
Nœud de chaise.

Et voilà. C’est la base, qui permet de se sortir de quatre-vingt-dix pour cent des situations.

Pour ceux qui en redemandent, deux autres nœuds ont une utilité certaine :

  • Le nœud étrangleur, pour fixer une manille rapide ou un mousqueton au bout d’une drisse ou d’un bras de spi, lorsqu’on ne peut faire une épissure. Ce nœud, au contraire des autres présentés ici, ne peut être défait une fois qu’il a été mis sous tension. Et il offre une meilleure résistance à la rupture que le nœud de chaise.
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Nœud étrangleur.
  • Le nœud de prussik ou son concurrent le nœud de machard lorsqu’on a besoin d’une assurance coulissante sur un bout (par exemple lorsque l’on se fait hisser en haut du mât). Ces nœuds sont aussi très utiles pour s’amarrer sur un bout sous tension. L’assurance ou l’amarre se passe dans la boucle. Le nœud bloque dès que la boucle est sous tension. On fait coulisser en relâchant la tension, la main posée sur le nœud.
prussik
Prussik.
machard
Machard.

Et pour les accros, l’arrivée de textiles modernes comme le Dynema® ou équivalent (cordage sans âme, comme le rédacteur de cet article) permet de faire des boucles, et donc des estropes, très solides, en toute facilité. Par exemple pour fixer des poulies de renvoi (bras de spi, frein de bôme…).

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Estropes.

Sur Kousk Eol, on aime bien : le frein de bôme, les bosses de ris et les poulies d ‘écoute de grand-voile sont repris sur des estropes en Dynema pour éviter de percer des trous dans la bôme pour par exemple mettre des pontets inox, et de la fragiliser. Un trou mal placé peut être l’amorce d’une rupture, et l’inox ne fait pas bon ménage avec l’alu.

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Estropes pour les ris et l’écoute de grand-voile.
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Poulie de renvoi de bras/écoute de spi.

Mais comment les fait-on, ces estropes ? Le principe, très simple et décrit dans tout manuel de matelotage, est de croiser les deux extrémités alternativement par le travers de la trame du textile, pour obtenir facilement une boucle autobloquante. L’extrémité excédentaire est simplement enfilée à l’intérieur de la trame à l’aide d’une aiguille.

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Etape 1.
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Etape 2.
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Etape 3.
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Etape 4.
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Première extrémité réalisée. Il faut faire la même chose pour la deuxième.

Sans être un expert en topologie, on constatera qu’il est impossible de faire une boucle circulaire autobloquante : il faut empêcher les deux extrémités de glisser avec un point de couture. Trop compliqué : sur Kous Eol, on n’utilise que des estropes à deux boucles, qui s’adaptent à quasiment toutes les situations.

Je ne reviendrai pas sur les couilles des Glénans, ou couilles de loup, sujet déjà largement débattu sur ce blog. Ni sur le nœud de pendu qui a perdu de son intérêt avec les gréements modernes sans grande vergue. Ni sur le nœud au mouchoir : j’ai oublié à quoi il servait. Ni sur le neuneu et autre tête de nœud, interdits de séjour à bord de Kousk Eol.

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1
– « Bon grain » et « ivraie » ne sont pas des noms de nœuds, non ! Il faut sortir un peu.

2– Salut Julien, Aurélien, Pierre, Hans et les autres de MCV, certainement une des meilleures et plus sérieuses écoles de croisières en France !