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Richard’s Bay – 17 – 20 novembre 2016

Comme on vous le disait précédemment, les autorités portuaires nous ont dirigé vers le quai international pour attendre les autorités, à côté de la marina Tuzi Gazi. Tudo bem, sauf qu’en arrivant, nous voyons une bonne dizaine de voiliers arborant le pavillon jaune de quarantaine… Petite discussion avec le voilier sud-africain derrière nous : « Les Blacks font attendre des Blancs. Juste retour des choses : avant c’est nous qui faisions attendre les Noirs… ». Le passif de l’Apartheid n’est visiblement toujours pas complètement digéré.

Le lendemain, pour ne pas avoir à attendre, nous appelons les autorités portuaires qui nous permettent de prendre un taxi pour aller voir les Home Affairs (Immigration) et la douane (SARS : South African Revenue Services) : les formalités sont réglées en moins de deux heures aller-retour (et moins de deux aussi). Avec le sourire. Notre chauffeur de taxi, un Zoulou, devient même l’espace d’un instant notre chauffeur particulier pour une somme dérisoire si l’on devait comparer à nos tarifs nationaux. C’est lui qui nous accompagnera vers les diverses administrations, puis au supermarché pour quelques courses.

La ville de Richard’s Bay est à quelques kilomètres du port. Le paysage est plutôt plat, et pas un immeuble de plus de cinq étages en vue à l’horizon. Il y a de la place pour bâtir et la petite cité est étendue.

Le quai international, lui, a tout de la zone pour indésirables : pas d’eau, pas d’électricité, deux énormes bittes d’amarrage sur un quai deux mètres plus haut sans échelle, le tout enfermé par de hauts grillages… Les plaisanciers ne font visiblement pas partie des priorités, ce qu’on peut comprendre. Et nous ne prévoyons pas de rester…

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Kousk Eol au quai international.

En attendant, il y a quelques restaurants autour de la marina : c’est dans l’un d’eux que nous irons déguster une côte de bœuf sud-africain. Un régal…

La météo nous oblige à attendre la nuit de dimanche à lundi pour avoir une bonne fenêtre pour la descente vers Durban. Une fois là, nous devrons attendre d’avoir au moins trois jours de conditions favorables : East London, premier abris vers le sud, est à deux cent cinquante milles de Durban. Port Elizabeth, le suivant, est à cent vingt-cinq de plus. Et sur les GRIBs, les dépressions se succèdent sans sembler ralentir le rythme… La mauvaise réputation du courant des Aiguilles nourrit notre patience !

Pour quitter Richard’s Bay, il faut une « clearance » de sortie. Pas de problème. Sauf que personne n’est capable de nous expliquer la procédure à suivre. Les autorités portuaires nous disent de contacter la marina. « Oui, mais elle est fermée le week-end. » « Alors, contactez vos collègues sur d’autres voiliers… ». En discutant avec un voilier italien et un autre suédois, il semblerait qu’il faille retourner voir la douane.

Dimanche 20, 13h : nous sommes au bureau de la douane. « Vous devez d’abord passer par l’immigration. » « Oui, mais nous y sommes déjà allés en arrivant à Richard’s Bay… » « Oui mais vous devez y retourner pour avoir leur autorisation de partir, même si le prochain port est en Afrique du Sud. » « Ah bon. »

13h20, bureau de l’immigration : « Où est votre flight plan ? » « Euh, nous sommes sur un voilier. » « Oui mais il vous faut un flight plan. ». Nous ne savions pas que Kousk Eol avait été promu Flying Frenchman… « Allez à la douane et expliquez leur que vous n’avez pas de flight plan. Et dépêchez-vous, car ils ferment à quatorze heures. ».

13h40, bureau de la douane : « Ou est votre flight plan ? » « Ou en récupère-t-on un ? » « A votre marina ou yacht club. » « Oui mais nous ne sommes pas dans une marina. » « Eh bien il faut que vous alliez dans une marina pour récupérer un formulaire. » « Oui mais les bureaux sont fermés le dimanche. » « Eh bien vous partirez lundi. » « Oui mais lundi la météo n’est pas bonne. » « Eh bien vous partirez plus tard. Au revoir Monsieur. »

14h15, de retour sur Kousk Eol, un peu dépités : nous devrons (re)faire les formalités demain… Entre temps, la fenêtre météo s’est refermée : nous resterons un peu plus longtemps que prévu à Richard’s Bay. Notre chauffeur – blanc – de taxi y va de son commentaire subtilement raciste sur la façon dont le pays est gouverné depuis quelque temps. Puis, sans doute pour dérider l’atmosphère, le responsable de la sécurité du port nous demande de bouger le bateau pour libérer la place pour un remorqueur, sur le champ. Nous nous retrouvons donc un peu plus tard à couple d’une épave authentique pour attendre l’ouverture des bureaux demain…

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Inside the Tuzi Gazi marina.

Positivons : nous avons un tuyau d’arrosage et l’eau qui va avec pour une petite heure : remplissage du réservoir arrière1 et nettoyage du pont2

Suite au prochain numéro, disponible sur toute bonne (et moins bonne) connexion internet de par le monde.

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1– Si vous aviez été un peu attentif, vous ne demanderiez pas : « Et celui d’avant, alors ? ». Celui d’avant fuit. C’est la dernière fois qu’on vous le dit !

2– Richard’s Bay est aussi un port charbonnier : le vent du sud en apporte la confirmation en déposant une coquette couche de granules noirâtres et très abrasifs sur le pont.

De la Pointe des Galets à Richard’s Bay– 7-17 novembre 2016

Donc, nous disions : quinze heures le sept novembre, le moteur est mis, ainsi que le cap sur Durban.

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Christian, Jacques, Claude

Le vent est un peu faiblard, mais nous sommes sous voile rapidement. La première nuit sert de prise de repère sur Kousk Eol pour Christian le petit nouveau, Jacques étant un récidiviste. L’alizé se lève petit à petit, et les exercices de réduction de voilure seront même au programme à la frontale, jusqu’à deux ris dans la grand-voile et deux tiers de génois.

Le lendemain, le vent s’est un peu calmé, et c’est sous un ciel un peu chargé que nous progressons, à peu près sur notre route. Pour une fois depuis que Kousk Eol est sur l’océan Indien, la mer est tranquille : entre un mètre et un mètre cinquante de creux. Christian met un point d’honneur à nous démontrer ses talents culinaires : s’ils sont à la hauteur de sa capacité à remplir un chariot de supermarché, la disette ne devrait pas s’inviter à bord…

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Débat animé sur les mérites respectifs de la goyave des îles mascareignes et du camembert au lait entier forcément de Normandie mûri sous le soleil des tropiques1.

Les nuits sont plus tranquilles que lorsque nous n’étions que deux à bord : quarts de trois heures une fois par nuit, avec décalage tous les jours. Une grosse différence à noter par rapport aux nombreuses nuits précédentes : nous sommes maintenant sur une route commerciale, et croiser un cargo ou un pétrolier, voire un pêcheur, n’est plus une exception. La veille requière donc un peu plus de vigilance, de jour comme de nuit.

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Vaut mieux les voir passer de loin.

Ne vous inquiétez pas pour le suspens de la suite du récit : la tranquillité ne va pas durer… Hé hé…

9 novembre 2016. L’alarme de la pompe de cale s’est déclenchée dans la nuit. Il y a effectivement de l’eau dans les fonds… Aurait-on une fuite ? Test rapide : l’eau est douce. Vérification aussi rapide : c’est de nouveau le réservoir avant qui se fait remarquer. Nous ferons la traversée sur celui d’arrière : ce sont les mouches qui vont être contentes2!

Aujourd’hui le soleil est de sortie, et le fait savoir : ça cogne ! La mer est toujours belle et le vent pas trop violent. Comme la route nous met vent arrière, le génois est tangonné.

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Test du chariot de tangon, mais c’était avant l’élection de Trump…

Coup de gueule issu du tréfonds des tripes kouskéoliennes.
Onze heures, SMS de Cathy via l’Iridium : « Trump élu ! Monde entier sur le cul… ». Et même pas un BMS ni un AVURNAV3 pour nous prévenir… Est-ce que ça vaut encore le coup de rentrer ? La météo elle-même semble accuser le coup : le vent tombe encore et les voiles faseyent, certainement d’incompréhension… Tout bien réfléchi, le réservoir avant devait savoir avant nous, et a manifesté sa douleur prématurément. Et ce n’est pas un ti-punch qui pourra faire passer la pilule… Merde, quoi : l’autoproclamée plus grande démocratie du monde, souvent donneuse de leçons. Je comprends mieux le commentaire selon lequel les Américains ont la plus belle démocratie que le dollar a pu acheter. Bien qu’Anglais, le vieux Churchill avait raison en disant que la démocratie était le pire des systèmes politiques, mais que pour l’instant on n’avait rien trouvé de mieux. Bonne chance les mecs : vous allez en avoir besoin. À moins que tout ceci ne soit que la partie visible d’un plan machiavélique dont nous n’avons encore rien vu ? Un président américain, ça trump énormément. Forcément. Le manque d’informations, l’absence de télévision, laisse libre champ à toutes les suppositions.

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La faute à qui s’ils font une tête de trois milles de long ?

Bref : l’équipage est sous le choc. Plus trop envie de rigoler : fin de la récré.

10 novembre. La nuit fait prendre du recul, surtout que le vent a repris et que Kousk Eol file maintenant autour de huit nœuds sous un ciel qui le dispute à l’océan pour la médaille du bleu le plus éclatant. Les USA savent faire rêver : pour preuve l’élection d’Obama. Soyons un peu optimistes : ils ne peuvent pas ne pas réagir… Peut-être que Donald se contentera de coin-coin dans sa mare-piscine ?

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Quart de nuit.

Cette nuit, nous avons croisé une demi-douzaine de cargos, dont un sur une route de collision : interdit de dormir !

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De jour comme de nuit, nous croisons du gros !

Cette nuit aussi, le vent est passé au nord-est, ce qui fait que nous nous retrouvons tribord amure, un bord que nous n’avions plus connu depuis longtemps, à force de contourner les anticyclones de l’hémisphère sud. En plus de passer au nord, le zéphyr montre ses muscles : d’abord un ris dans la grand-voile, puis un tiers de génois enroulé pour finalement prendre un deuxième ris. Et Kousk Eol file toujours gaillardement à plus de huit nœuds.

Ce qui ne semble pas gêner outre mesure un groupe de grands dauphins, qui sans forcer viennent nous narguer à l’étrave. Ils sont rejoints par quelques dauphins de Risso, reconnaissables à leur tête arrondie sans bec : à près de quatre mètres de long, très foncés et couverts de cicatrices, ils sont impressionnants.

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Grands dauphins à l’étrave.

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Selon le guide de grandes croisières de Jimmy Cornell, une sorte de bible pour les transocéaniques, la traversée par le sud de Madagascar entre la Réunion et l’Afrique du Sud est l’une des plus engagés d’un tour du monde4. Se faire prendre par une des nombreuses et régulières dépressions qui remontent du sud-ouest est semble-t-il une expérience qui laisse des souvenirs impérissables : vents jusqu’à cinquante nœuds et mer très dure. Comme souvent, sur les pontons, ce sont ceux qui n’ont jamais fait ce passage qui en parlent le mieux, en affirmant d’un ton docte que ça ne pose aucun problème avec les moyens modernes de prévision météorologique. Sauf que le sud de Madagascar est à cinq jours de la Réunion, et que les prévisions ne sont fiables que sur deux jours, trois si on est béni des dieux. Et qu’on peut compter sur une dépression tous les trois ou quatre jours. Donc, l’Iridium et le NOAA5 sont mis à contribution pour raffiner la tactique de contournement des hauts fonds du sud de Fort Dauphin et leurs vagues traitresses. Mais les GRIBs sous-estiment largement ce genre de phénomène.

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Jacques barre : le Raymond de Kousk Eol.

Tout se passe comme dans les livres : dans l’après-midi, le vent est d’abord de secteur nord-est, puis il tombe, obligeant à mettre le moteur. Et enfin, au bout d’environ une heure, il bascule au sud-ouest en se musclant. Heureusement, de gros nuages noirs devant nous incitent à l’anticipation : un deuxième ris est pris dans la grand-voile. Comme le noir des nuages devient de plus en plus foncé6, le troisième ris est pris : autant le faire avant la nuit. Le vent continue de monter : le génois est roulé pour faire de la place à la trinquette.

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Au près.

Et c’est sous trois quarts de trinquette et trois ris dans la grand-voile que nous ferons quatre-vingts milles à plus de neuf nœuds de moyenne, avec des pointes au-delà de onze nœuds, dans une mer formée qui ne se gène pas pour nous coucher, voire nous inonder copieusement… Relativisons et sachons rester modestes : quand les marins du Vendée Globe, eux, sont à onze nœuds, c’est que leurs voiles sont mal réglées… Et ils vont les chercher, eux, les dépressions. Le carré lui est vite transformé en champ de bataille.

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Le pilote tient le coup depuis sa réparation. Sauf que, au milieu de la nuit, un cri retentit : « Putain de bordel de merde7! L’alarme du pilote s’est déclenchée ! La barre est bloquée et le bateau ne repart pas ! ». Beaucoup d’émoi pour pas grand-chose : un bidon de gas-oil sans aucun doute mal arrimé a profité des coups de boutoir des vagues pour s’essayer au pilotage de Kousk Eol. Le maladroit, invisible dans l’opacité des ténèbres, s’est glissé entre les rayons de la barre, bloquant cette dernière…

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Bidons en attente d’un rangement plus sécurisé.

En plus, il fait froid ! Le vent du sud, c’est pas comme chez nous.

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Le lendemain matin, toujours trois quarts de trinquette, trois ris, et ça ne ralentit pas…

12 novembre. Ce matin, Durban est encore à sept cent soixante-dix milles. Nous sommes cette fois bien dans le canal du Mozambique. Le vent a légèrement baissé (vingt-cinq nœuds tout de même), mais le ciel est toujours bien couvert.

Le lendemain matin, après une nuit relativement tranquille, nous avons droit au spectacle d’une chasse : des thons sautent hors de l’eau en poursuivant leurs proies, juste à côté du bateau, sous l’œil intéressé des puffins. Mais nous n’avons pas de traîne en place…

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Le vent est repassé au nord, et il est prévu une renverse de sud plus tard : une autre dépression qui passe… La mer se creuse et le vent forcit suffisamment pour passer à la trinquette et garder nos trois ris dans la grand-voile. Ce qui n’empêche pas Kousk Eol de filer à plus de six nœuds.

À un petit détail près : pas toujours dans la bonne direction… Les dépressions se succèdent, et orientent les flux d’air. Régulièrement de face, obligeant à tirer des bords dans une mer formée en attendant la bascule lorsque la dépression est passée suffisamment derrière nous, poursuivant sa route au nord-est avant de se combler.

Lundi 14 novembre 2016. Nuit sans vent, ciel couvert et éclairs maousses qui illuminent l’horizon devant nous. Discussion avec Jacques sur les risques pour notre installation électronique : tout débrancher ? Ne rien faire ? Dans ce domaine aussi, on entend tout et son contraire : tranquillement installés dans un cockpit dans une marina, un verre à la main et pour peu qu’il y ait un auditoire, les experts8 exposent leurs théories, souvent antagoniques. Nous déciderons lorsque nous serons moins loin. Finalement, au fil des heures, les gros nuages remontent vers le nord et avec eux la foudre.

Volvo nous joue sa sérénade depuis déjà quelques heures. Christian en profite pour essayer de varier le menu en nous faisant rêver d’un thon ou d’une dorade pour midi. Nous rêvons toujours malgré plusieurs touches…

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Il y en a que le bruit du moteur ne dérange pas trop…

Il reste environ cinq cents milles pour Durban, mais un courant d’environ un nœud dans le nez ne va pas arranger nos affaires : il devrait s’orienter mieux plus près de la côte. La brise a l’air de vouloir s’y mettre : le génois est déroulé et Kousk Eol s’arrache à cinq nœuds. Pas terrible, mais les conditions devraient continuer à s’améliorer dans la journée.

Les GRIBs pris cette nuit montrent une grosse dépression arrivant du sud-ouest pour mercredi : il va falloir surveiller attentivement son évolution. Elle risque de nous compliquer l’arrivée sur Durban.

Onze heures : un nouveau SMS de Cathy. « Très bon anniversaire. Leonard Cohen est décédé. ». Ben ouais, j’ai pris un an de plus. Ça arrive même à des gens très bien.

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Les copains avaient prévu le coup ! Je suis très touché.

Le décès de Leonard Cohen me donne un coup de blues : c’était un de mes chanteurs préférés dans ma (lointaine) jeunesse, le marqueur, ou l’un d’eux pour le moins, d’une époque. En tout cas de mon époque, comme Brel, Brassens, Bashung et d’autres qui étaient un peu plus que de « simples » chanteurs. Je l’avais revu sur scène (grâce à Cathy) il y a quelques années. Et j’avais acheté son dernier CD avant le retour vers la Réunion. Toujours lucide, l’élection de Trump lui aura paru trop insupportable… Je ne vois que cette explication.

En attendant, au risque de me répéter, l’Indien ne faillit pas à sa réputation. Dans cette zone, les dépressions jouent à la queue-leu-leu, et le vent déroule une gamme particulièrement étendue, en force et en direction. La mer connaît elle aussi sa partition : une houle relativement courte de cinq mètres au près dans un zéphyr de vingt-cinq nœuds est gage de rinçages copieux dans les surventes. En conséquence, voici maintenant plusieurs jours que Kousk Eol navigue avec tous ses hublots fermés : suite à la perte du réservoir avant et aux restrictions sur les douches afférentes, même la drosophile locale, qui pourtant en a vu d’autres, a du mal à s’emplir les poumons sans arrière pensée. Le bateau n’est pas plus confortable que durant la première partie de la traversée depuis les Cocos… L’Indien mérite décidément son attribut d’océan capricieux et imprévisible.

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Toujours au près…

Nous surveillons particulièrement les prévisions météo pour l’arrivée à Durban : nous traverserons pour la première fois le redouté courant des Aiguilles. À cette latitude, où le courant est réputé moins fort, notre guide des mouillages nous prévient : par vent de sud-ouest, lors d’une dépression, les vagues peuvent tout de même laisser une impression durable sur le marin lors de l’approche vers le chenal du port. Typical British understatement.

Et justement, un échange radio avec le MBA Liberty, cargo battant pavillon italien, nous confirme de forts vents du nord pour demain. Signe qu’une dépression va prendre le relais.

Mercredi 16 novembre. Durban est à deux cent quatre-vingts milles. Le vent prévu devrait nous pousser au largue à bonne vitesse : ça nous changera un peu des conditions très versatiles. Les moyennes journalières ne sont pas extraordinaires, même si par périodes de quelques heures nous dépassons les huit nœuds : durant d’autres périodes, nous devons mettre le moteur, car le vent est tombé. Nous aurons aussi fait beaucoup de près dans une mer formée. Nous devrions arriver vendredi, juste devant le front de la dépression annoncée. En attendant, nous « bénéficions » toujours d’un courant de un nœud dans le nez. Juste pour se dire que ça se mérite.

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Nous devrions… Les derniers GRIBs nous prédisent trente nœuds, et ce sont bien trente-cinq nœuds établis que nous aurons durant la nuit, hors rafales, avec une mer cassante, vent de travers. Kousk Eol se prend à jouer au sous-marin : régulièrement, une grosse vague submerge le pont, parfois jusqu’à la bôme. Et comme Kousk Eol n’a pas été construit pour être un sous-marin9, l’eau arrive à pénétrer et le taux d’humidité dans le carré dépasserait bien les 100 % si des physiciens qui n’ont certainement jamais fait de voile, du moins dans ces parages, n’avaient décrété que ce n’était pas possible. Il faut éponger régulièrement. Les deux PCs sont vite protégés. Je ne vous fais pas un dessin pour le cockpit : à peine s’est-il vidé qu’une autre lame facétieuse le remplis à nouveau.

De plus le vent doit évidemment tourner au sud vendredi, contre le courant, et plutôt fort. La décision est prise à minuit de se dérouter vers Richard’s Bay, autre port à quatre-vingt-dix milles au nord de Durban, que nous pourrions atteindre avant que la renverse ne devienne problématique.

Jeudi 17, dix heures trente. Richard’s Bay est à trente-deux milles. L’équipage est un peu cassé : la journée précédente a été le bouquet de la traversée, elle-même ponctuée plusieurs fois par jour d’exercices de changement de voiles, roulées puis déroulées, de prises de ris qu’il fallait bien entendu relâcher régulièrement, pour les reprendre un peu plus tard.

Onze heures trente : terre en vue ! Dans la brume, mais la côte au nord de Richard’s Bay se dessine… Le port n’est plus qu’à une vingtaine de milles. Mais il faudra tirer quelques bords.

Seize heures trente : le port est là… Et il y a de la place. Super, car le mauvais temps arrive, comme prévu. Tout le monde à bord est content de s’octroyer une petite pause au calme, après ces dix jours de traversée. Tant pis s’il faudra faire quatre-vingt-dix milles supplémentaires pour passer devant Durban.

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Notre univers tant que la douane n’est pas passée…

A dix-sept heures trente, nous sommes amarrés au quai international, où une dizaine de voiliers attendent depuis deux ou trois jours que les autorités passent… On verra ça demain, et on vous racontera peut-être.

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1– Il semblerait, au dire de spécialistes, que l’une va nettement mieux que l’autre dans la préparation du rhum arrangé.

2– Ne vous préoccupez pas de savoir ce que nous boirons pour économiser l’eau : la situation est sous contrôle !

3– BMS : Bulletin Météorologique Spécial, annonçant un coup de vent. AVURNAV : AVis URgent aux NAVigateurs.

4– Un tour du monde comme le nôtre, bien entendu : pour les engagés du Vendée Globe, c’est une autre histoire… Eux vont dans l’autre sens, le plus au sud possible pour justement se faire pousser par les grosses dépressions, vous savez, celles qui sont la cause des quarantièmes rugissants et des cinquantièmes hurlants.

5– Rappelez-vous : le NOAA est l’agence américaine qui met à disposition, gratuitement, les prévisions météo du monde entier issues de leur modèle de prédiction, le GFS, sous forme de GRIBs que l’on récupère sur leur serveur via le téléphone Iridium. Mais le modèle GFS a du mal dès que l’on se rapproche des côtes, et tend souvent à sous-estimer les prédictions.

6– En mer, on évalue les nuances de noir, pas celles de gris… Trop forts !

7– Expression cocassement espiègle dont l’origine s’est perdue dans la nuit des temps, très utilisées par les skippers en situation de trop plein émotionnel, et éprouvant le besoin irrépressible d’exprimer leur joie de vivre.

8– Non je ne fais pas la gueule ! Et je ne suis pas grincheux ! Mais il faut bien reconnaître que les gens qui disent ne sont pas toujours ceux qui savent. Et vice-versa. Pas seulement autour de la voile.

9– Imaginez un sous-marin avec un périscope de vingt mètres équipé d’une voile…