1er septembre. Le départ du ponton est émouvant : Philippe, ce n’est qu’un au-revoir !


Puis nous nous dirigeons vers l ‘écluse à la vitesse réglementaire, deux nœuds.



Dernier stop à la pompe pour refaire les pleins de gas-oil, et cette fois nous y allons. Bien évidemment, nous sortons à marée basse : cinquante centimètres sous la quille… Ça motive pour suivre les alignements ! Prochaine étape : Christmas Island, ou les Îles Coco, ou alors Maurice… Vous pouvez en profiter pour éteindre votre ordinateur pendant quelque temps.
Ça y est, nous sommes à nouveau sur l’eau, à deux cette fois, et pour un bon bout de chemin… Quatre mille cinq cents milles jusqu’à Maurice, et mille cinq cents pour Christmas.

Grand beau pour quitter Darwin, avec un petit vent du nord et pas de vagues. Nous entamerons cette longue traversée par la mer de Timor. Mais ce nouveau départ n’est pas si simple. Une dépression au sud de Darwin perturbe les flux et c’est avec un vent de nord faiblissant que nous commençons. Et en deux heures, nous passons du génois au Code D, puis de nouveau au génois, pour enfin mettre le moteur…

Nous devrions récupérer les airs de sud-est plus tard. En attendant, le vent passe carrément à l’ouest, lui aussi. En plein dans le nez : on est parti pour faire du près, pas vraiment sur la route de surcroît. Mais tant que la VMG1 reste positive… Nous écopons même de quelques grains à grosses gouttes durant la nuit. On vous l’avait déjà dit : naviguer sur Kousk Eol, ça vous forge un caractère…
À notre sud, le golfe Joseph Bonaparte : il est aussi venu tirer des bords dans le coin, lui ?
La journée s’annonce tranquille, troublée uniquement par l’alarme du pilote indiquant un changement de direction du vent. Oh, léger, le changement : un coup ce sont dix degrés plus au sud, le coup d’après dix degrés plus au nord. Et globalement, nous continuons sur une route nord-ouest au lieu de filer plein ouest. Mais les fichiers GRIB essaient de nous rassurer : demain, le vent devrait passer progressivement au sud puis au sud-est.

Encore une nuit très tranquille. L’absence de lune fait ressortir des milliers d’étoiles que d’habitude nous ne voyons pas à cause de la pollution. Je dirais bien que le spectacle est féerique, même si je sais, au même titre que le Père Noël n’existe pas2, que les fées ont tendance à s’attribuer indûment un certain nombre de phénomènes particulièrement merveilleux.
Par exemple l’exhibition de dauphins venant tourner autour de Kousk Eol et « allumant » le plancton phosphorescent qui illumine leurs trajectoires la nuit. Ou encore cet impressionnant serpent rayé, à nouveau. Il n’y a pas à dire : la nature est belle, et sans vouloir tomber dans la grandiloquence de certain ex-animateur d’émissions télévisuelles naturalistes donneur de leçons, ce serait pas mal de faire des efforts pour la préserver.
Samedi 3 septembre, seize heures. Plus de deux jours de près, avec un vent autour de dix nœuds et une mer plate : conditions presque idéales. Sauf que nous sommes à quarante degrés de la route directe. Mais enfin, comme l’a prévu la météo, le vent s’oriente progressivement au sud, nous permettant de rectifier notre cap. Nous devrions passer en dessous de l’île de Pulau Roti3 (Sud de Timor) après-demain matin si les conditions se maintiennent.
Évidemment, le vent ne tient pas et au milieu de la nuit il faut mettre le moteur. Juste comme nous passons à côté des plates-formes pétrolières du coin : pourra-t-on y faire le plein ?
Lundi 5 septembre. Après une journée tranquille avec beaucoup de moteur, le vent semble se souvenir qu’il est temps qu’il s’y mette un peu. Nous tentons le Code D pendant vingt minutes, puis le spi, pour repasser au génois tangonné durant la nuit. Ce matin, nous ressortons le spi, pratiquement plein vent arrière. Ashmore Reef n’est plus qu’à une soixantaine de milles au sud : nous avons décidé de ne pas nous y arrêter et de filer sur l’île Christmas, en contournant le sud de Timor. Encore un peu plus de mille milles, mine de rien : une bonne semaine si le vent ne nous lâche pas.

Un avion des douanes australiennes nous survole à basse altitude, mais nous ne semblons pas les intéresser. En fait si : dix minutes après, un appel sur le canal 16 de l’Australian Border Force nous demande d’où nous venons et où nous allons, et si nous sommes bien enregistrés à Toulon ! Puis, après un « Have a safe journey. », le calme retombe…
Nous franchissons le passage entre Pulau Roti et Asmore Reef en fin d’après-midi : cette fois, nous sommes bien dans l’océan Indien. Le poissonnier du coin en profite pour écouler sa marchandise avant que le soir ne tombe : un petit thon d’environ cinq kilos se laisse piéger par le rapala4 qui traîne à l’arrière. Juste après un fou brun à bec bleu qui lui s’était entortillé autour du fil de la ligne et qu’on a pu dégager avant qu’il ne se noie. Les oiseaux sont des cons5.



Mardi 6 septembre. Ne nous réjouissons pas trop vite, mais il semble que le vent soit maintenant établi, plein est autour de douze nœuds. Pour aller plein ouest, ce sera donc du vent arrière, génois tangonné. Mais pour l’instant, la mer ne roule pas trop.
Un problème délicat pourtant : vous vous rappelez les panneaux solaires qui servent à recharger les batteries ? Ils sont sur un portique. Et le portique, il est à l’arrière du bateau. Et quand on va vers l’ouest, à partir du début de l’après-midi, le soleil est sur l’avant, et donc le portique à l’ombre des voiles, surtout quand celles-ci sont en ciseau. Et qui dit ombre dit pas de photons qui doivent arracher des électrons aux panneaux. Du coup, on a du mal à garder les batteries bien chargées, ce qui oblige à débrancher le conservateur. Ça ira mieux quand nous repiquerons vers le sud, mais jusqu’à Christmas, il va falloir jongler.

En tout cas, on avance : nous retrouvons des moyennes journalières autour de sept nœuds, avec des pointes à huit ou neuf. Cette nuit, un beau poisson-volant est entré par un hublot et est venu échouer directement sur la gazinière ! On n’a pas dû bien lui expliquer que son engeance ne sera jamais au menu de gourmets comme nous : bien trop d’arêtes !
Jeudi 8 septembre. Cette fois, ça souffle bien : entre vingt et vingt-cinq nœuds. Au vent arrière, donc ça roule aussi dans une espèce de houle croisée de deux à trois mètres. Mais la moyenne s’améliore : nous devrions arriver à Christmas dans moins de quatre jours : il est temps d’envoyer le fameux email aux douanes, celui qui est censé faire éviter l’amende de trois mille dollars. Durant la nuit, il a fallu ouvrir l’œil sérieusement : l’AIS y allait de bon cœur, montrant des cibles de cargos et autres pétroliers coupant, les inconscients téméraires, notre route. Voici bien longtemps que nous n’avions pas croisé une vraie voie maritime.

Vendredi 9 : cent quatre-vingt-treize mille durant les dernières vingt-quatre heures ! Kousk Eol nous rappelle ce dont il est capable, pour peu que nous lui offrions des conditions propices.
Aujourd’hui est un grand jour : la cuisine est transformée en boulangerie. Nous essayons pour la première fois de faire du pain à bord. Il faut un début à tout, et à force d’entendre dire que c’est facile, nous nous y mettons. Surtout que le pain à bord ne dure pas longtemps : au bout d’une semaine, le pain de mie en sachet est recouvert d’une fine couche verdâtre devant laquelle nos gènes de bouffeurs de baguettes font un blocage. Et il faut bien que nous savourions dignement ce prometteur camembert de Tasmanie. Non ?
Entre temps, le vent est passé pour de bon au sud-est, et la tendance est confirmée pour les jours qui viennent. Nous dé-tangonons donc le génois et passons à un « vrai » grand largue, allure plus tranquille que le vent arrière.
Dimanche 11 septembre. Évidemment, vous n’y avez pas cru. Nous non plus : l’alizé, décidément, aime bien l’est-sud-est, obligeant à nouveau une allure de vent arrière si nous ne voulons pas trop allonger la route. Donc on re-tangone. Et donc, aussi, on re-roule dans la houle ma poule : les boules… Mais nous continuons à bien avancer.
La nuit, pourtant, ne sera pas de tout repos. D’abord, la ferrure qui lie l’écoute de grand-voile à l’extrémité de la bôme casse net à deux heures du matin… Défaut de conception de notre bôme brésilienne, mais tout de même, une pièce inox de cinq millimètres d’épaisseur brisée sans bavure… Il faut dire que depuis le Brésil, l’espar est soumis à des efforts importants. Et depuis le sud du Chili, les alizés étant plutôt de sud-est, nous avons surtout navigué bâbord amure. Infligeant de fortes contraintes pratiquement toujours du même bord : la bôme mesure six mètres, et dans une houle un peu dure, les à-coups sont terribles. Même si nous tentons de les limiter en installant une retenue.
Une réparation provisoire est vite mise en place : une estrope en Dynéma®6 autour de la bôme avec une manille pour l’écoute. On fera plus définitif à Christmas, que nous devrions atteindre ce soir.
Comme nous étions partis à mal dormir cette nuit, le vent en profite pour monter progressivement, jusqu’à trente nœuds, poussant Kousk Eol au lof dès qu’une vague sort de la moyenne. Le pilote a de plus en plus de difficultés, et finit par décrocher : il faut prendre un deuxième ris, et se mettre au grand largue en attendant une accalmie, prévue par les GRIBs.
Accalmie qui arrive et permet de reprendre une navigation plus raisonnable. Et autour de midi, Christmas n’est plus qu’à une cinquantaine de milles.
Et enfin, vers dix-sept heures, nous apercevons l’île dans le lointain… Nous devrons trouver le mouillage de nuit : pas terrible, car ce qui sert de port est réputé mal éclairé. Petit appel à la VHF pour contacter l’Australian Border Force : autorisation d’aller au mouillage en faisant attention. Et à vingt heures, nous sommes tranquillement amarrés à une bouée, dans Flying Fish Cove, avec interdiction d’aller à terre tant que les douanes ne nous auront pas appelés, demain matin.



Mais ceci est une autre histoire, qu’on vous racontera un jour…
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1– Ah, on ne se rappelle plus la Velocity Made Good ? Ben alors ? En gros, ça veut dire que même si on n’est pas sur la route directe, on se rapproche quand même de la destination. Le fameux compromis cap-vitesse. Recherchez « VMG » dans le blog pour l’article explicatif.
2– C’est du moins ce dont je me suis laissé convaincre il y a bien longtemps, au pied d’un sapin. Renseignez-vous.
3– Hier, c’était poulet rôti à bord. Mais vous me connaissez : j’ai horreur des jeux de mots triviaux.
4– Diabolique invention finlandaise à base d’hameçons laissant croire à l’innocent prédateur pélagique qu’il est en train de chasser un succulent petit poisson. Alors qu’en fait, le prédateur suprême, tout en haut de la chaîne alimentaire, sur le bateau, lui, est déjà à aiguiser son couteau pour préparer des sushis… Loi de la jungle, quand tu nous tiens !
5– Voir à ce sujet l’ouvrage de Chaval, facteur de dessins satiriques.
6– Si vous êtes sage, et si vous le demandez poliment, je vous apprendrai à faire une estrope en Dynéma.
Heureux de vous savoir arrivés à votre nouvelle escale ! Philippe suit de très, très prêt….. Alors, ce camembert de Tasmanie ?…..Aussi savoureux que « le Rustique » ???…
Bon repos, gros bisous de nous 2 et à la prochaine !!!!
Temps très humide sur Wallis, sommes allés aux îlots samedi et dimanche !
Nous sentons le souffle de Philippe dans notre cou à chaque manœuvre, mais surtout quand André attaque le whisky!
Les fromages australiens ne sont pas si mauvais que ça: en tout cas, nous sommes bien contents d’en avoir!
Bises à tous les deux!