Durban – East London, 25-27 novembre 2016

Nous remontons l’ancre un peu avant vingt heures, quasiment en même temps que Sea Rover et cette fois sans filet à requins. La sortie du port se fait sans encombre : pas besoin de nous expliquer longuement qu’il faut bien laisser la place aux énormes masses sombres qui entrent et sortent ! Durban est définitivement un grand port très actif.

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Le port de Durban la nuit.

Une fois dehors, cap au sud, avec un peu de vent dans le nez, et des vagues tout à fait raisonables : jusque-là, la météo a tout juste. Un peu plus loin devant nous, un autre voilier : Comfortably Numb, battant pavillon sud-africain. La nuit se passera au moteur, en attendant que le vent commence à tourner au sud-est.

Bons élèves, nous faisons comme recommandé dans les guides : nous suivons l’isobathe des deux cents mètres, à moins de dix milles de la côte. C’est là que le courant des Aiguilles est censé être le plus fort. Pour l’instant il ne nous ébouriffe pas…

Samedi 26, 10h30 : Christian a décidé de mettre fin au rêve… Une bonite a fini par se laisser convaincre par la cour effrénée de son rapala, et nous aurons des filets pour midi : à la tahitienne et en steak. Quand on aime, on ne compte pas. Voici bien longtemps que nous n’avions pas mangé du poisson extra-frais : ça changera un peu des saucisses… Sinon, nous sommes toujours au moteur, vent faible dans le nez. Mais il semble que le courant commence à sortir de sa léthargie : nous accélérons progressivement et avons déjà pris un nœud depuis une ou deux heures.

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La journée passe tranquillement : vent plutôt faiblard, beaucoup de moteur. Le hic est que la météo a concocté un petit programme pour les retardataires à East London : dépression et brise de sud assez forte prévues lundi… Nous avons pris une marge, mais il ne faut pas trop traîner tout de même ! Surtout que le courant n’est pas (encore) à la hauteur des histoires qu’on nous a racontées pour nous pousser rapidement vers le sud.

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Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas!

Nous ferons même un essai de Code D en fin de journée : nous gagnons un demi nœud, mais la brise devant souffler plus sérieusement cette nuit, nous repassons sous génois au soleil couchant.

Dimanche 27, 7h30. Le vent s’est effectivement levé : vingt à vingt-cinq nœuds du nord-est, donc vent arrière vers East London. La mer en profite pour se creuser : les vagues atteignent maintenant trois bons mètres. Comme elles viennent elles aussi de l’arrière, Kousk Eol roule les mécaniques. Les tentatives de départ au lof deviennent trop fréquentes : le troisième ris est pris, et la vitesse s’en ressent à peine. Entre temps, le courant s’est enfin renforcé : nous filons maintenant entre neuf et dix nœuds. Il nous reste encore un peu plus de cinquante milles avant l’arrivée.

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En regardant la crête bien blanche des vagues, nous ne pouvons nous empêcher d’imaginer la situation en cas de vent contraire… Il faut dire qu’avec leurs histoires d’équipiers, voire de bateaux, perdus en régate dans les « vagues anormales », les membres du Royal Natal Yacht Club ont réussi à faire monter le niveau de stress. Petit bémol : ces accidents datent d’une époque où la météo n’était pas aussi fiable qu’aujourd’hui. Avec l’AIS, nous voyons que nous sommes une bonne demi-douzaine de voiliers à avoir quitté Durban vendredi soir. Il n’y a pas tous les jours de bons créneaux, alors tout le monde se précipite sur le premier acceptable. Les potins sur les quais disent que cette année est un peu particulière : les dépressions se succédant à un rythme plus court que ce qu’indiquent les statistiques.

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10h40 : le vent est maintenant bien établi à trente nœuds de nord-nord-est. Un dernier empannage nous met sur la route directe, grand largue, à vingt-cinq milles d’East London. La mer est blanche d’écume sous un ciel éclatant. Les vagues continuent à faire les fières, et à prendre de la hauteur. Comme sur les GRIBs. Quant à nous, nous affinons notre maîtrise des options « Rodéo » de Kousk Eol, déjà testées avec André lors de la traversée depuis les Cocos.

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Le vent continue à escalader l’échelle de Beaufort : plus de quarante nœuds dans les rafales. Les pointes de Kousk Eol frisant les douze nœuds ne sont pas rares, avec une moyenne à plus de plus de neuf nœuds. Les vagues, elles, s’assagissent très légèrement alors que les fonds remontent.

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À moins d’un mille au nord, le Golden Dragon battant pavillon australien, sous voile d’avant seule : nous comprenons à la VHF qu’une dizaine de voiliers sont partis de Durban. Les places au mouillage vont être chaudes… Appel au Port Control qui confirme : nous devrons mouiller sur ancre dans la Buffalo River. J’avais oublié de vous dire : East London est le seul port d’Afrique du Sud dans un estuaire de rivière.

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Golden Dragon de l’ARC au loin.

L’entrée du port est très ouverte au nord : la houle entre bien et impose une vigilance particulière pour ne pas partir en crabe. A quatorze heures quinze, nous voici à l’ancre devant le Buffalo River Yacht Club. Et nous ne sommes pas seuls…

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L’entrée du port.
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Le mouillage dans la Buffalo River.

L’absence de monotonie semble être la caractéristique des navigations véliques depuis que nous avons quitté la Réunion : en quelques jours, tous les cadrants de la boussole y passent côté vent, ainsi que l’éventail des degrés Beaufort, de force un à force huit. Et la mer suit la cadence, bien sûr. Aucun répit.

Nous sommes probablement ici pour quelques jours, re-météo oblige : le prochain créneau ne sera pas avant mardi vingt-neuf. Comme d’habitude, ceux qui ont pris l’abonnement à ce blog avec l’option (non incluse automatiquement) « Afrique du Sud » pourront lire l’épisode suivant de ce palpitant récit, dans un numéro en principe à venir dans un futur qui ne saurait être trop lointain.

23-25 novembre 2016 – Durban

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Notre intention n’est pas de rester très longtemps à Durban. Juste le temps d’avoir cette fameuse lucarne entre deux dépressions. Cette fois, ce sera un peu plus compliqué que pour venir ici depuis Richard’s Bay : le prochain abri est East London, à deux cent cinquante milles au sud, voire Port Elizabeth cent vingt-cinq milles plus loin. Deux vraies journées favorables, avec du vent de secteur nord seront nécessaires. Si nous pouvons en avoir une troisième, nous tenterons Port Elizabeth.

Au dire des navigateurs du coin, cette portion est la plus difficile, et peut être la plus dangereuse sur la route vers Cape Town : c’est là que le courant des Aiguilles (Agulhas Current en souvenir des premiers navigateurs portugais) est le plus fort. C’est là aussi que les vagues sont les plus fortes lorsque le vent est contraire (Des vagues de dix-huit mètres sont mesurées de temps en temps : la terreur des petits voiliers). Heureusement, les prévisions météo actuelles sont fiables, au moins sur deux à trois jours.

La nuit à l’ancre a été tranquille : après avoir remouillé deux fois, car le fond ne tenait pas, le bateau n’a plus bougé. Et si le vent était fort, il n’y avait pas de vagues dans le port… Donc, bonne nuit de récupération : ne vous fiez pas à la tête des deux endormis ci-dessous.

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Mais pourquoi ils font cette tête?

Dans la matinée, comme prévu, la dépression arrive et le vent passe brutalement au sud, à plus de vingt-cinq nœuds : ce qui explique un peu l’expression anglaise « to swing at anchor. ».

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Dans la brume du mouillage dans le port de Durban.

Entre temps, nous avons fait les formalités d’arrivée : de nouveau l’immigration et la douane, où nous retrouvons Max, marin professionnel italien convoyant pour un propriétaire lui aussi Italien un catamaran de cinquante pieds, Champagne, vers Saint Domingue. Nous nous étions amarrés à Richard’s Bay ensembles le long du sinistre quai international. Eux ont dû faire demi-tour parce que partis trop tôt : trois heures dans un sens, et huit heures dans l’autre… Nous discutons aussi plus longuement avec Mike et Devola : quatorze jours de traversée depuis la Réunion, avec vingt-quatre heures à faire des ronds dans l’eau pour attendre que la dépression passe au sud de Madagascar.

Pour en revenir égoïstement à nos petites affaires, il faudra reprendre le parcours administratif du départ demain, avec, devinez quoi, un flight plan tout neuf…

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Puis nous pouvons enfin retourner à bord pour un déjeuner léger avant de faire un tour en ville. Le vent monte soudainement : rafales plus de trente-cinq nœuds et l’ancre dérape. Le Flying Frenchman ne sent plus ses ailes et dérive vers un banc de vase : tout le monde sur le pont, fissa ! L’ancre évidemment s’est accrochée à des câbles, juste pour mettre un peu de piment dans la manœuvre. Manœuvre qui malgré tout se déroule sereinement entre équipiers aguerris qui se comprennent sans parler : « Bordel, vous vous bougez le cul, devant ! » « Fais pas chier : ta putain d’ancre est coincée ! » « Si vous merdez encore, on va s ‘échouer1! » « On voudrait t’y voir, toi, à démêler les boucles de câble du filet anti-requins2 accrochés à l’ancre ! ». Finalement, après cette courte récréation ludique, nous sortons de la zone de mouillage autorisée, trop étriquée : quarante mètres de chaîne sont filés dans sept mètres d’eau et cette fois ça semble tenir. Nous allons peut-être pouvoir continuer à grignoter nos ailes de poulet3.

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C’est un ibis, pas un poulet : il a eu chaud quand même, non ?

Vendredi 25 décembre. Nuit sans problème, avec une éolienne qui charge à fond… Ce matin, la récompense est un vrai south african breakfast4 au club house, suivi d’une visite à la marina pour récupérer le formulaire de flight plan : on est devenu des pros !

La fenêtre météo pour ce soir vers East London semble se maintenir : nous partirons dans la soirée, une fois le circuit Port Control-Immigration-Customs-Port Control terminé.

16h : les formalités sont bouclées et le hublot météo toujours d’actualité. Le départ se fera à vingt heures. L’Afrique du Sud est décidément un pays qui fait voler en éclat les schémas simplistes, voire caricaturaux, qu’on a trop souvent dans nos têtes d’occidentaux : à un feu rouge, un mendiant tend la main pour quelques pièces. On voit ça partout malheureusement. Sauf que c’est la première fois que je vois un mendiant blanc en Afrique… Mais ceci se passe dans la nation arc-en-ciel : il faut revoir ses pseudo-classiques de descendants de coloniaux évidemment trop confusément formatés. L’Afrique du Sud est un pays fascinant.

19h45 : petit coup de VHF à Port Control, et nous avons l’autorisation de partir, en même temps que Sea Rover. Port Control nous recommande de sortir du port comme des cochons5 car il y a du trafic…

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1– Vous avez l’habitude dorénavant du langage délicatement fleuri du marin de base, d’autant plus imagé que l’excès d’émotion se fait sentir.

2– Il y a pas mal de filets anti-requins dans les parages. Celui-ci avait coulé…

3– Ben qu’est-ce que vous croyez ? Qu’on mange du caviar tous les jours ?

4– Les Sud-Africains n’ont pas forcément gardé les meilleures coutumes de leurs anciens colonisateurs : les œufs, OK ; mais les fayots à la sauce tomate sucrée, même au petit-déj’, c’est un peu dur.

5– Il semblerait que mon anglais sud-africain soit légèrement défaillant : mes collègues m’assurent qu’en fait on nous demande de « navigate with caution »…