Mercredi 14 septembre 2016. Comme prévu, nous partons ce soir vers l’atoll de Cocos/Keeling : un peu plus de cinq cents milles, et les GRIBs annoncent du vent de sud-est soutenu. La traversée devrait être rapide. Nos nouveaux amis de Pentagram, Emma et Andrew, viennent passer le début de soirée avec nous. Ils sortent « du » pub où ils ont apparemment un peu arrosé leur dernière traversée, à l’Anglaise. Puis vers vingt-deux heures, nous larguons notre amarre et laissons Flying Fish Cove derrière nous.
Comme prévu aussi, l’alizé souffle autour de vingt nœuds durant la nuit, montant parfois à trente nœuds sous les grains qui passent. La mer n’est pas trop dure, et pour la première fois depuis longtemps, nous sommes au vent de travers. Donc même si nous nous faisons un peu chahuter, il est cette fois possible de se caler dans sa couchette : presque le nirvana !
Le lendemain, le ciel reste couvert : pas très bon pour les panneaux solaires ! Il va falloir surveiller les batteries qui nous semblent commencer à montrer des signes de faiblesse… En attendant, un paille-en-queue jaune, un peu loin de chez lui, nous tourne autour, cherchant visiblement où se poser. Nous ne devons pas lui convenir car au bout d’un moment il s’éloigne et nous ne le reverrons plus.
« LA » réparation du point d’écoute de la grand-voile.
Vendredi 16 septembre. Nous continuons à bien avancer. Trop : si cela se maintient, il faudra ralentir pour ne pas arriver de nuit. En effet, le mouillage est un peu compliqué sur l’atoll des Cocos. Cette nuit, nous sommes passé près d’un bateau de pêche, sans AIS ni lumières… Il a juste éclairé brièvement en nous voyant. Impossible de voir d’où il venait.
La mer n’est pas mauvaise, mais les vagues un peu désordonnées : avec la vitesse, certaines arrivent à passer par-dessus le pont. Du coup, il faut fermer le capot du cockpit pour éviter de tremper les ordinateurs : ce serait une vraie catastrophe, un PC douché à l’eau salée n’ayant en général plus le comportement qu’on est en droit d’attendre de lui ! Effet collatéral non nécessairement recherché, l’intérieur a tendance à se transformer en sauna par manque d’aération…
Protection hi-tech contre les vagues lorsque la température impose d’ouvrir le capot…
Samedi 17 septembre. Durant la nuit, nous avons eu droit à pas mal de grains, dont certains plutôt actifs. Le vent est passé d’une quinzaine de nœuds dans la soirée à moins de dix, puis à plus de vingt avec des rafales à trente. Cette fois, nous avons dû prendre le troisième ris sur la grand-voile et rouler la moitié du génois.
Le grain s’approche…Et hop! Sous trois ris…
Évidemment, nos savantes prévisions pour arriver de jour dans le lagon des Cocos ont un peu pris l’eau : si nous continuons à ce train, nous devrions être à l’entrée de la passe en deuxième partie de nuit. Nous aurons peut-être à mettre l’ancre provisoirement près de la passe, le chenal vers le mouillage étant un peu compliqué à cause des hauts-fonds.
Onze heures quinze : une jolie déferlante a le culot de passer par-dessus Kousk Eol, par son travers. Heureusement que nous avions fermé les hublots ! Tous ? Eh non : celui au-dessus de la cuisine était resté ouvert : placé sous le vent, nous pensions naïvement que ça le mettait à l’abri. Pas avec une telle vague. Nous nous précipitons sur éponges, serpillières, seau : le mal est rapidement réparé, les boutons de la cuisinière re-graissés et les brûleurs rincés à l’eau douce. La table à carte, elle, a été épargnée.
Trop compliqué de faire de la cuisine dans ces conditions : ça secoue, et il fait trop chaud à l’intérieur à cause des hublots fermés. Ces jours-ci, nous consommons pas mal de salades et autres crudités. Nous verrons plus tard quand le frais aura disparu. La traversée de l’océan Indien démarre fort !
Vingt heures : là c’est certain, à ce rythme, nous allons arriver de nuit. Et on vous rappelle, l’approche du mouillage est réputée délicate. Nous décidons de ralentir Kousk Eol : nous ferlons la grand-voile et avançons sous un tiers de génois et passons de presque huit nœuds à environ quatre.
Dimanche 18 septembre. Vers cinq heures trente, un bateau de la marine australienne nous appelle sur la VHF, nous demandant nos intentions. Décidément, les eaux territoriales sont bien surveillées !
Direction Island au loin, au petit matin.
À six heures trente, avec le lever su soleil, nous entrons par la passe de Port Refuge, et nous dirigeons à vue vers le mouillage de l’île Direction. À sept heures, l’ancre est bien accrochée au fond de sable, et déjà une dizaine de pointes noires tournent autour du bateau !
L’arrivée au mouillage.Les pointes noires autour de Kousk Eol.
Les autorités, contactées par VHF, viendront à bord demain : bon sang mais c’est bien sûr, nous sommes dimanche aujourd’hui ! On avait failli rater la messe… Mais nous avons le droit de débarquer sur Direction Island en attendant. Pas sur les autres îles.
Étiquette marine: le pavillon du pays visité et le pavillon Q de quarantaine*.
A côté de nous, Summerdown, un voilier américain cosmopolite rencontré à Christmas : skipper écossais dont la copine est mexicaine, avec une amie néo-zélandaise.
L’île Direction.
Nous devrions rester aux Cocos trois jours avant de faire la grande traversée vers Rodrigue.
Le drapeau, avec la Crois du Sud, l’île et le paille-en-queue jaune.
Christmas Island, comme son nom l’indique, est l’île où demeure le Père Noël1.
Elle est évidemment couverte de sapins sous lesquels broutent paisiblement des hardes de rennes, au-dessus desquels volettent les paille-en-queue jaunes, eux aussi endémiques.
Le paille-en-queue jaune.
Sinon, c’est une île un peu comme les autres dans le coin : un jour, un volcan s’est énervé et a poussé vers le haut, sur presque cinq mille mètres tout de même, des restes sédimentaires qui culminent maintenant à un peu plus de trois cents mètres au-dessus du niveau de la mer. C’est difficile de donner une mesure précise, la marée faisant varier cette hauteur de deux mètres deux fois par jour.
La capitale de Christmas Island est la Crique des Poissons Volants. Ces derniers étaient jaloux de l’attention que portait le Père Noël aux rennes : après tout, eux aussi savent voler dans les airs, et avec un peu d’entraînement, ils auraient très bien pu tirer des traîneaux. Santa Claus décida donc, pour les calmer, de donner leur nom à sa capitale : Flying Fish Cove. Parce qu’il faut aussi le dire, par pur snobisme, le Père Noël prétend qu’il parle Anglais.
Kousk Eol dans Flying Fish Cove.
Voici : tout est dit.
Je ne pense pas qu’il y ait un quelconque intérêt à parler de l’exploitation du phosphate, principale ressource de l’île, en gros comme de la chiure d’oiseaux fossilisée. Pas très ragoutant, mais il paraît que ça rapporte, et les rennes, il faut bien les entretenir.
Ce qu’on comprend moins bien, c’est l’énorme camp de réfugiés, le plus grand d’Australie, véritable prison pour immigrants illégaux, en provenance d’Afghanistan, d’Irak, du Sri Lanka… D’ailleurs les bateaux de la marine et de la Border Force patrouillent sans cesse.
En ce qui concerne l’usage de l’Anglais, il y a tout de même une vraie raison : il semblerait que Santa ait des comptes à rendre à la Reine d’Angleterre, car l’île est aussi considérée comme territoire extérieur et non-autonome de l’Australie, qui comme chacun sait fait partie de la Richesse Commune2.
Ah, j’allais oublier : il y a aussi plein de gros crabes terrestres rouges qui profitent des congés de fin d’année pour aller à la plage. Tous en même temps : je vous raconte pas la pagaille. Impossible de poser un pied par terre sans en écraser. Que fait Renne Futé ?
Crabe rouge.
Ça vous va ? Je me demande si ce n’est pas ce que j’ai bu tout à l’heure : je me sens tout drôle… Mais c’est vrai que je ne maîtrise pas encore tout à fait l’Australien. Pourtant je suis sûr que ce n’était pas du kava. Sinon, comme d’hab, Wikipedia se fera un plaisir de compléter ou raffiner ces informations.
En attendant, Kousk Eol est au mouillage devant Flying Fish Cove, à côté de l’énorme usine de traitement du phosphate avant embarquement sur des vraquiers.
L’usine de traitement du minerai de phosphate.
Puisque il fallait du monde pour travailler dans les mines, on a fait venir des Australiens et des Anglais, mais aussi des Chinois et des Malais. Et d’autres : population très cosmopolite. Et religions variées elles aussi : bouddhistes, musulmans, chrétiens, sur une île qui fait moins de quinze kilomètres sur vingt.
Clairement deux types d’habitations : HLM…… et appartements pour cadres de la mine.
D’ailleurs, le jour de notre arrivée est un jour férié, une fête malaise3. Comme nous nous excusions auprès du fonctionnaire du contrôle sanitaire pour le faire travailler un jour pareil, il nous a répondu : « Mais pas du tout : ça m’a pris dix minutes, et je serai payé trois heures ! ». D’ailleurs, les formalités d’entrée se sont déroulées comme un charme : moins de vingt minutes en tout, douane, immigration et contrôle sanitaire. Avec le sourire.
Temple bouddhiste.Poste/magasin de souvenirs.Police.Tribunal.Mosquée.
Des centaines de frégates planent au-dessus de nous. Les fous occupent l’espace juste en dessous : sur Christmas, ils se posent sur les arbres pour la nuit. Et nous avons même vu (d’un peu loin) les fameux paille-en-queue jaunes !
Paille-en-queue.
Frégates.Et les deux…Fou à bec bleu qui pleurait pour avoir sa photo dans le blog…
Il y a même une mère qui niche dans le creux d’un arbre au bout du quai.
Madame Paille-en-queue au nid.
Mardi 13 septembre 2016. Demain, nous repartons vers les îles Cocos/Keelings. Il faut repasser à la Border Force pour la clearance de sortie : piece of cake, mate. Et surtout, refaire quelques courses et le plein de gas-oil : pas de taxis sur l’île, donc tout se fait à pied. Et le soleil, pas coopératif du tout, cogne comme si ce n’est pas lui qui paie cette débauche d’énergie.
Rue de la capitale.
Dans l’après-midi, nous faisons une jolie balade vers la crête de l’île. Nous passons tout d’abord près de la demeure des premiers gouverneurs de l’île.
Puis le chemin, raide, s’élève au travers d’une forêt assez dense et exubérante.
Sur le sol, des centaines de crabes rouges nous regardent passer, à peine troublés.
Nous verrons même d’énormes crabes des cocotiers de plus de cinquante centimètres !
La vue depuis le haut sur Flying Fish Cove récompense de l’effort : nous sommes trempés de sueur…
Vue du haut de la falaise.
Mais ce n’est pas le tout : il faut redescendre, et il est déjà dix-sept heures trente : il fera nuit dans peu de temps. Nous tentons le stop : « Show your thumb ! », comme nous avait recommandé quelqu’un. Et ça marche : une minute après, nous sommes dans un pick-up qui nous pose devant la jetée…
On vous aura prévenu!
Mercredi 14. Nous devons partir ce soir vers Cocos/Keelings, pour arriver de jour sur l’atoll, si les calculs sont bons ! Environ cinq cent vingt milles à cent cinquante milles par jour : trois jours et demi. En attendant, nous faisons la connaissance de Emma et Andrew, sur Pentagram, qui sont arrivés de Darwin ce matin : deux Britanniques avec qui nous rebâtissons l’Europe. Ce n’est pas gagné…
Oeuvre d’artistes locaux…
La vérité sur l’avenir des crabes rouges
Partout, il est expliqué que les crabes rouges sont une espèce protégée, probablement en voie de disparition. Il y a plusieurs causes à cette situation. La première est connue : au moment de la migration vers la mer pour se reproduire, les crabes ne respectent pas vraiment la signalisation routière, et en particulier les passages protégés pour piétons :
On vous a prévenu!Celui-ci n’a pas bien écouté…
Il semblerait aussi qu’une fourmi importée d’Afrique dans des cargaisons de bois s’attaque à ce crabe emblématique de l’île.
Mais la vraie raison est toute autre. Les scientifiques bien connus DD de Kousk et Eol le Glaude
ont enquêté pour vous. Et à force de patience et de persévérance, ils ont fini par trouver la vraie cause de la disparition de ces crabes : ils sont accros à la cigarette, tout simplement !
Si au moins ils passaient à la cigarette électronique…
_______________ 1– Je sais : les Finlandais, mal informés, prétendent que le Père Noël réside en Laponie. Mais franchement, vous trouvez ça crédible ? Alors qu’ici il fait chaud toute l’année.
1er septembre. Le départ du ponton est émouvant : Philippe, ce n’est qu’un au-revoir !
L’équipe de choc.Et c’est parti…
Puis nous nous dirigeons vers l ‘écluse à la vitesse réglementaire, deux nœuds.
Vers l’écluse.Dans l’écluse.Et finalement, sortis de l’écluse.
Dernier stop à la pompe pour refaire les pleins de gas-oil, et cette fois nous y allons. Bien évidemment, nous sortons à marée basse : cinquante centimètres sous la quille… Ça motive pour suivre les alignements ! Prochaine étape : Christmas Island, ou les Îles Coco, ou alors Maurice… Vous pouvez en profiter pour éteindre votre ordinateur pendant quelque temps.
Ça y est, nous sommes à nouveau sur l’eau, à deux cette fois, et pour un bon bout de chemin… Quatre mille cinq cents milles jusqu’à Maurice, et mille cinq cents pour Christmas.
Darwin dans le lointain.
Grand beau pour quitter Darwin, avec un petit vent du nord et pas de vagues. Nous entamerons cette longue traversée par la mer de Timor. Mais ce nouveau départ n’est pas si simple. Une dépression au sud de Darwin perturbe les flux et c’est avec un vent de nord faiblissant que nous commençons. Et en deux heures, nous passons du génois au Code D, puis de nouveau au génois, pour enfin mettre le moteur…
Ah le Code D!
Nous devrions récupérer les airs de sud-est plus tard. En attendant, le vent passe carrément à l’ouest, lui aussi. En plein dans le nez : on est parti pour faire du près, pas vraiment sur la route de surcroît. Mais tant que la VMG1 reste positive… Nous écopons même de quelques grains à grosses gouttes durant la nuit. On vous l’avait déjà dit : naviguer sur Kousk Eol, ça vous forge un caractère…
À notre sud, le golfe Joseph Bonaparte : il est aussi venu tirer des bords dans le coin, lui ?
La journée s’annonce tranquille, troublée uniquement par l’alarme du pilote indiquant un changement de direction du vent. Oh, léger, le changement : un coup ce sont dix degrés plus au sud, le coup d’après dix degrés plus au nord. Et globalement, nous continuons sur une route nord-ouest au lieu de filer plein ouest. Mais les fichiers GRIB essaient de nous rassurer : demain, le vent devrait passer progressivement au sud puis au sud-est.
Sur la mer de Timor.
Encore une nuit très tranquille. L’absence de lune fait ressortir des milliers d’étoiles que d’habitude nous ne voyons pas à cause de la pollution. Je dirais bien que le spectacle est féerique, même si je sais, au même titre que le Père Noël n’existe pas2, que les fées ont tendance à s’attribuer indûment un certain nombre de phénomènes particulièrement merveilleux.
Par exemple l’exhibition de dauphins venant tourner autour de Kousk Eol et « allumant » le plancton phosphorescent qui illumine leurs trajectoires la nuit. Ou encore cet impressionnant serpent rayé, à nouveau. Il n’y a pas à dire : la nature est belle, et sans vouloir tomber dans la grandiloquence de certain ex-animateur d’émissions télévisuelles naturalistes donneur de leçons, ce serait pas mal de faire des efforts pour la préserver.
Samedi 3 septembre, seize heures. Plus de deux jours de près, avec un vent autour de dix nœuds et une mer plate : conditions presque idéales. Sauf que nous sommes à quarante degrés de la route directe. Mais enfin, comme l’a prévu la météo, le vent s’oriente progressivement au sud, nous permettant de rectifier notre cap. Nous devrions passer en dessous de l’île de Pulau Roti3 (Sud de Timor) après-demain matin si les conditions se maintiennent.
Évidemment, le vent ne tient pas et au milieu de la nuit il faut mettre le moteur. Juste comme nous passons à côté des plates-formes pétrolières du coin : pourra-t-on y faire le plein ?
Lundi 5 septembre. Après une journée tranquille avec beaucoup de moteur, le vent semble se souvenir qu’il est temps qu’il s’y mette un peu. Nous tentons le Code D pendant vingt minutes, puis le spi, pour repasser au génois tangonné durant la nuit. Ce matin, nous ressortons le spi, pratiquement plein vent arrière. Ashmore Reef n’est plus qu’à une soixantaine de milles au sud : nous avons décidé de ne pas nous y arrêter et de filer sur l’île Christmas, en contournant le sud de Timor. Encore un peu plus de mille milles, mine de rien : une bonne semaine si le vent ne nous lâche pas.
Sous spi.
Un avion des douanes australiennes nous survole à basse altitude, mais nous ne semblons pas les intéresser. En fait si : dix minutes après, un appel sur le canal 16 de l’Australian Border Force nous demande d’où nous venons et où nous allons, et si nous sommes bien enregistrés à Toulon ! Puis, après un « Have a safe journey. », le calme retombe…
Nous franchissons le passage entre Pulau Roti et Asmore Reef en fin d’après-midi : cette fois, nous sommes bien dans l’océan Indien. Le poissonnier du coin en profite pour écouler sa marchandise avant que le soir ne tombe : un petit thon d’environ cinq kilos se laisse piéger par le rapala4 qui traîne à l’arrière. Juste après un fou brun à bec bleu qui lui s’était entortillé autour du fil de la ligne et qu’on a pu dégager avant qu’il ne se noie. Les oiseaux sont des cons5.
Il parait que le fou ne se mange pas…Par contre, le thon…Et il n’y a plus qu’à mettre au frigo avant de déguster…
Mardi 6 septembre. Ne nous réjouissons pas trop vite, mais il semble que le vent soit maintenant établi, plein est autour de douze nœuds. Pour aller plein ouest, ce sera donc du vent arrière, génois tangonné. Mais pour l’instant, la mer ne roule pas trop.
Un problème délicat pourtant : vous vous rappelez les panneaux solaires qui servent à recharger les batteries ? Ils sont sur un portique. Et le portique, il est à l’arrière du bateau. Et quand on va vers l’ouest, à partir du début de l’après-midi, le soleil est sur l’avant, et donc le portique à l’ombre des voiles, surtout quand celles-ci sont en ciseau. Et qui dit ombre dit pas de photons qui doivent arracher des électrons aux panneaux. Du coup, on a du mal à garder les batteries bien chargées, ce qui oblige à débrancher le conservateur. Ça ira mieux quand nous repiquerons vers le sud, mais jusqu’à Christmas, il va falloir jongler.
Voiles en ciseau.
En tout cas, on avance : nous retrouvons des moyennes journalières autour de sept nœuds, avec des pointes à huit ou neuf. Cette nuit, un beau poisson-volant est entré par un hublot et est venu échouer directement sur la gazinière ! On n’a pas dû bien lui expliquer que son engeance ne sera jamais au menu de gourmets comme nous : bien trop d’arêtes !
Jeudi 8 septembre. Cette fois, ça souffle bien : entre vingt et vingt-cinq nœuds. Au vent arrière, donc ça roule aussi dans une espèce de houle croisée de deux à trois mètres. Mais la moyenne s’améliore : nous devrions arriver à Christmas dans moins de quatre jours : il est temps d’envoyer le fameux email aux douanes, celui qui est censé faire éviter l’amende de trois mille dollars. Durant la nuit, il a fallu ouvrir l’œil sérieusement : l’AIS y allait de bon cœur, montrant des cibles de cargos et autres pétroliers coupant, les inconscients téméraires, notre route. Voici bien longtemps que nous n’avions pas croisé une vraie voie maritime.
Et un lever de soleil, un!
Vendredi 9 : cent quatre-vingt-treize mille durant les dernières vingt-quatre heures ! Kousk Eol nous rappelle ce dont il est capable, pour peu que nous lui offrions des conditions propices.
Aujourd’hui est un grand jour : la cuisine est transformée en boulangerie. Nous essayons pour la première fois de faire du pain à bord. Il faut un début à tout, et à force d’entendre dire que c’est facile, nous nous y mettons. Surtout que le pain à bord ne dure pas longtemps : au bout d’une semaine, le pain de mie en sachet est recouvert d’une fine couche verdâtre devant laquelle nos gènes de bouffeurs de baguettes font un blocage. Et il faut bien que nous savourions dignement ce prometteur camembert de Tasmanie. Non ?
Entre temps, le vent est passé pour de bon au sud-est, et la tendance est confirmée pour les jours qui viennent. Nous dé-tangonons donc le génois et passons à un « vrai » grand largue, allure plus tranquille que le vent arrière.
Dimanche 11 septembre. Évidemment, vous n’y avez pas cru. Nous non plus : l’alizé, décidément, aime bien l’est-sud-est, obligeant à nouveau une allure de vent arrière si nous ne voulons pas trop allonger la route. Donc on re-tangone. Et donc, aussi, on re-roule dans la houle ma poule : les boules… Mais nous continuons à bien avancer.
La nuit, pourtant, ne sera pas de tout repos. D’abord, la ferrure qui lie l’écoute de grand-voile à l’extrémité de la bôme casse net à deux heures du matin… Défaut de conception de notre bôme brésilienne, mais tout de même, une pièce inox de cinq millimètres d’épaisseur brisée sans bavure… Il faut dire que depuis le Brésil, l’espar est soumis à des efforts importants. Et depuis le sud du Chili, les alizés étant plutôt de sud-est, nous avons surtout navigué bâbord amure. Infligeant de fortes contraintes pratiquement toujours du même bord : la bôme mesure six mètres, et dans une houle un peu dure, les à-coups sont terribles. Même si nous tentons de les limiter en installant une retenue.
Une réparation provisoire est vite mise en place : une estrope en Dynéma®6 autour de la bôme avec une manille pour l’écoute. On fera plus définitif à Christmas, que nous devrions atteindre ce soir.
Comme nous étions partis à mal dormir cette nuit, le vent en profite pour monter progressivement, jusqu’à trente nœuds, poussant Kousk Eol au lof dès qu’une vague sort de la moyenne. Le pilote a de plus en plus de difficultés, et finit par décrocher : il faut prendre un deuxième ris, et se mettre au grand largue en attendant une accalmie, prévue par les GRIBs.
Accalmie qui arrive et permet de reprendre une navigation plus raisonnable. Et autour de midi, Christmas n’est plus qu’à une cinquantaine de milles.
Et enfin, vers dix-sept heures, nous apercevons l’île dans le lointain… Nous devrons trouver le mouillage de nuit : pas terrible, car ce qui sert de port est réputé mal éclairé. Petit appel à la VHF pour contacter l’Australian Border Force : autorisation d’aller au mouillage en faisant attention. Et à vingt heures, nous sommes tranquillement amarrés à une bouée, dans Flying Fish Cove, avec interdiction d’aller à terre tant que les douanes ne nous auront pas appelés, demain matin.
Flying Fish Cove.L’usine de phosphates, principale ressource de l’île, pour l’instant.Les balistes noires, au moment de la vaisselle du matin.
Mais ceci est une autre histoire, qu’on vous racontera un jour…
___________ 1– Ah, on ne se rappelle plus la Velocity Made Good ? Ben alors ? En gros, ça veut dire que même si on n’est pas sur la route directe, on se rapproche quand même de la destination. Le fameux compromis cap-vitesse. Recherchez « VMG » dans le blog pour l’article explicatif.
2– C’est du moins ce dont je me suis laissé convaincre il y a bien longtemps, au pied d’un sapin. Renseignez-vous.
3– Hier, c’était poulet rôti à bord. Mais vous me connaissez : j’ai horreur des jeux de mots triviaux.
4– Diabolique invention finlandaise à base d’hameçons laissant croire à l’innocent prédateur pélagique qu’il est en train de chasser un succulent petit poisson. Alors qu’en fait, le prédateur suprême, tout en haut de la chaîne alimentaire, sur le bateau, lui, est déjà à aiguiser son couteau pour préparer des sushis… Loi de la jungle, quand tu nous tiens !
5– Voir à ce sujet l’ouvrage de Chaval, facteur de dessins satiriques.
6– Si vous êtes sage, et si vous le demandez poliment, je vous apprendrai à faire une estrope en Dynéma.