L’Ile des Pins a été une escale que nous n’oublierons pas tout de suite. Mais nous ne jouons pas dans la même cour qu’Albert1 : pour nous, l’élasticité du temps est assez limitée, et il faut bouger si nous voulons continuer à en mettre plein les yeux à MarieJo et Cathy avant leur retour vers la métropole.
Mardi 19 juillet, nous levons l’ancre en fin d’après-midi, pour nous diriger vers la passe N’Dju au sud de l’île. Mais caramba, la marée est montante et le courant de plus de deux nœuds dans le nez. La décision est vite prise de ne pas se battre contre les flots : nous contournerons l’île par l’ouest pour prendre la passe de la Sarcelle au nord, où nous devrions arriver à la renverse. La nuit tombe vite, mais la lune est pleine et illumine la mer. À peine la passe franchie que nous prenons les vagues par le travers : la traversée vers Maré, la plus au sud des Iles Loyauté, environ quatre-vingt milles, ne sera pas très confortable pour dormir.
Au matin, nous arrivons au foc dans la baie de Pédé2, au sud de la pointe Kotekot3, où nous mettons l’ancre, seuls dans un très joli mouillage. Le réveil est un peu bruyant : toux et raclage de gorge, le vent frais a laissé quelques traces.

Mais il en faut plus pour ôter l’envie de nager avec les poissons dans les coraux : les fonds sont superbes, et les poissons versicolores.
Notre guide indique un aquarium naturel à trois kilomètres. Et hop ! C’est un effondrement dans le socle de corail fossile, qui communique avec la mer par des canaux souterrains : l’eau est hyaline4 et les poissons peu farouches.
Un peu plus loin sur la côte se trouve la tombe de Yeweine Yeweine, compagnon de route de Jean-Marie Tjibaou et assassiné avec lui par un extrémiste qui trouvait qu’ils n’allaient pas assez loin dans l’action pour l’indépendance.
Tout ça nous a un peu éloigné du mouillage, et le soleil tape bien… Pour rentrer, nous nous essayons à faire le pouce, selon l’expression locale : ça marche ! Une petite voiture s’arrête et nous entasse pour nous ramener à notre point de départ : les kanaks ont décidément le sens de l’hospitalité !
L’avitaillement en frais ayant fait long feu, il est temps de s’approcher d’un marché ou d’une épicerie. Quoi de mieux que la capitale de l’île, Tadine, à seulement cinq ou six milles ? Chtit coup de génois et nous filons à presque six nœuds vers le petit port où nous nous retrouvons seuls à nouveau. Et pour une capitale, c’est une capitale : la mairie, un marché (ouvert deux jours par semaine), un snack (dont on n’a pas bien compris les horaires d’ouverture), une gendarmerie, une banque, une poste et LE supermarché de l’île, je veux évidemment parler du magasin « Trop Tard ». Un nom pareil, ça ne s’invente pas…


Le drapeau régional agréé tardant à sortir, les Kanaks, plus rapides, ont proposé le leur, pas trop apprécié des Caldoches.
Depuis que nous sommes sur les îles autour de la Grande Terre, nous avons du mal à reconnaître les propos parfois négatifs concernant les Kanaks. Nous n’avons rencontré pour l’instant que des gens très accueillants et affables, prêts à rendre service ou à donner des renseignements. Il est vrai que sur ces îles, l’absence de Caldoches et de problème de ré-attribution de terres élimine certainement une cause de tension.
Vendredi est un jour animé : deux mariages à la mairie, et il y a marché où nous faisons quelques provisions, avant de partir avec la voiture que nous réussissons à louer par l’intermédiaire d’une employée de la mairie. Nous nous dirigeons vers le nord, et le village de Ro. Surprise : il y a un mariage dans le temple protestant. Et re-surprise, c’est un des deux couples vus à la mairie de Tadine, rentré dans sa tribu pour la cérémonie religieuse. Dehors, tout le monde s’affaire pour préparer la fête. Hospitalité kanake : bien vite, nous sommes invités à participer…



Sylvio, un Kanak de la famille qui a fait ses études à Grenoble s’occupe de nous, s’assure que nous avons assez de porc cuit dans la feuille de bananier, de manioc, légume traditionnel pour les grandes occasions, de vin… La discussion va bon train sur des sujets variés : le poids des coutumes kanakes, les relations avec les Caldoches, les différences entre les îles (où il n’y a pas de Caldoches) et la grande terre, le référendum sur l’indépendance,… Un bon nombre de sujets y passe.
Du coup, au lieu des quinze minutes prévues, nous passerons plus de deux heures sans nous ennuyer. Mais du coup aussi, nous finissons notre tour en voiture un peu rapidement : la nuit tombe à 17h30 ici.

Sur le chemin du retour, nous prenons en stop un vieil homme qui lui aussi fait le pouce : c’est le chef coutumier de la tribu que nous traversons, qui attend depuis quelques plombes et des poussières la venue d’une navette improbable. La conversation s’engage : il a une formation d’architecte, a besoin de faire quelques courses au magasin de la tribu d’à côté, et nous invite chez lui…

Le lendemain, nous voulons retourner vers le sud : notre expérience de la levée de pouce nous rend optimistes. Sauf que l’on est samedi, et qu’il n’y a pas beaucoup de passage… Mais au bout de quelque temps, une Peugeot 308 avec déjà deux personnes s’arrête : pas de problème pour nous emmener, à quatre sur la banquette arrière. Le chauffeur et son passager reviennent d’un match de foot contre une équipe de la Grande Terre, et l ‘équipe locale a gagné : heureusement qu’il n’y a pas trop de contrôle d’alcoolémie le long de la route ! Sympas, ils nous déposent sur la plage admirable de Cengeite : longue bande de sable fin devant une mer translucide, et personne…
Mais ce n’est pas tout de s’en mettre plein les yeux : il faut bien rentrer. Cette fois, nous ne sommes pas sûrs d’avoir autant de chance qu’à l’aller : le premier véhicule ne ralentit même pas, et le deuxième nous dit qu’il s’arrête dans moins d’un kilomètre. Mais surprise, le troisième est la 308 de nos copains qui rentrent chez eux dans le nord, un peu moins alcoolisés et contents de nous ramener à notre bateau.
En arrivant à Tadine, nous repérons une espèce de petit marché local : le marché est terminé, mais des brochettes sont en train de cuire sur un feu de bois. Pas d’hésitation, ce sera notre goûter ; pas pire avant de retourner à bord.
A côté, sport national pour les femmes, une partie de bingo est en cours : ça ne rigole pas ! Ici on joue pour de l’argent…
Et là, ce sont les tortues qui tournent autour de Kousk Eol pour notre dernier soir à Maré : nous partons vers Lifou demain à quatre heures, de nouveau pour essayer d’arriver de jour.
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1– Vous savez bien, celui qui a dit qu’on pouvait allonger ou raccourcir le temps en allant plus ou moins vite.
2– Ce n’est pas moi qui invente les noms de lieux. Et non, vous n’aurez pas droit cette fois à un de ces jeux de mots vaseux qui contribuent à l’élévation de ce blog. Trop facile.
3– Là non plus, n’insistez pas.
4– Ça fait plus riche que translucide, non ?