Depuis que vous perdez votre temps sur ce blog, vous n’avez certainement pas été sans remarquer, si vous avez été capables d’un minimum d’attention, qu’il y était parfois évoqué deux types de bateaux à voile : les monocoques et les catamarans. Il existe bien sûr d’autres types de bateaux à voile : trimarans, planches et autres praos. Mais ils frisent l’anecdotique dans le contexte de cet article. Le cas des navires à moteur ne sera quant à lui pas évoqué : ce blog se doit de garder une certaine tenue, à la fois éthique et morale, et il n’est pas sûr que les écrivaillons qui pondent les banalités qui en sont le fondement aient la force d’âme d’éviter des dérapages atrabilaires pour peu que ce sujet soit abordé. Vous suivez ?
Notre contribution à l’élévation du niveau culturel marin moyen de notre audience, aujourd’hui, est d’apporter un éclairage autour de la question qui nous est souvent posée : « Pourquoi avez-vous fait le choix d’un monocoque ? ».
Pour rendre les raisons de ce choix aussi limpides que les eaux d’un lagon fidjien, nous vous proposons de nous concentrer donc sur les monocoques et les catamarans, les catégories les plus représentées parmi les bateaux de voyage.
Nous en aborderons l’analyse en identifiant de la façon la plus objective et la plus impartiale1 qui soit les mérites des monocoques et les défauts des catamarans.
Le monocoque est plus polyvalent : il passe mieux dans une mer formée, et remonte mieux au près. Deux situations pour le moins inconfortables, voire dangereuses, sur un catamaran.
Le monocoque trouvera plus facilement une place dans une marina. Essayez d’amarrer un terrain de tennis dans une petite marina un jour d’affluence (par exemple au mois d’août dans le port de Bonifacio).
Si un monocoque se fait coucher par une vague, il se redresse tout seul, lui.
Le monocoque tiendra mieux sur son ancre par grand vent, offrant moins de fardage.
Le monocoque revient moins cher à l’achat et à l’entretien.
Le catamaran bouge moins au mouillage. Mais du coup, on ne bénéficie plus de l’espiègle tangage qui vous endort si bien le soir.
Par contre, le monocoque sera plus confortable en mer, tapant moins violemment dans les vagues.
Le catamaran offre plus de place une fois au mouillage. Certains ressemblent même à de petits appartements. Mais si vous vouliez rester dans votre appartement, pourquoi partir en bateau ?
Le catamaran a un tirant d’eau plus faible permettant par exemple de beacher2. La belle affaire : vous beachez souvent ? C’est si fatigant que ça de gonfler son annexe, feignasse ?
Le catamaran a un moteur dans chaque coque (à part Kâ3), ce qui lui permet de tourner sur place pour se mettre le long d’un catway. Mais comme on a vu plus haut qu’il n’y a jamais de place pour les catamarans dans les ports, où est l’intérêt ?
Le catamaran a deux coques, donc deux fois plus d’emmerdes.
Etc.
En gros, vous l’aurez compris de vous-même : le catamaran peut à la rigueur apporter un peu plus de confort dans certains mouillages, éventuellement, mais le monocoque sera le plus sûr pour voyager loin. Point. Vous avez besoin d’un dessin ou bien on passe à autre chose ?
1– Les écrivaillons fauteurs de ces lignes ne font pas toujours la différence entre objectivité et mauvaise foi abyssale. Les amis qui navigueraient sur autre chose qu’un monocoque sont priés de sauter ce chapitre et d’attendre sereinement la prochaine publication. On vous aime malgré tout et on vous pardonne vos égarements.
2– De « to beach » : possibilité d’aller jusqu’à la plage avec son yacht, ma chèèère.
3– Kâ est le Kâtamaran, le navire avec lequel Kâptain Jack Kâbote. Rien à voir avec un vulgaire catamaran. Il est hors-Kâtégorie, Kârrément seul de son type. Il ne peut en aucun Kâ entrer dans cette analyse.
Donc, Irène est une vieille connaissance, du temps où nous usions nos maillots de bain sur dériveurs : vous imaginez le nombre d’années…
Irène est la sœur de Dominique Caparros, grand copain de Bernard, un autre frangin, qui se la pète grave lui aussi, comme nous allons vous le montrer (Bernard, tu n’es pas obligé de lire la suite !).
Les dériveurs devenant vite trop limités, Dominique, Irène et Bernard se lancent dans la construction d’un voilier un peu plus grand, Paradoxe, un Sing Sing sur plan Joubert, après avoir hésité devant celle d’un Fireball (pour les connaisseurs).
Arrive Jacques Fauroux, alors jeune architecte naval, qui propose à Dominique de lui dessiner un plan de mini-tonner (6 m). Il sera construit dans le garage de nos parents. Le bateau marchera plutôt bien, ce qui fera mieux passer son nom, Bid1, auprès de Jacques…
Pas rancunier, ce dernier propose de dessiner cette fois un plan de quarter-tonner2: ce sera Bullit. Le prototype sera construit en bois moulé. Sitôt à l’eau, Bullit et son équipage (Dominique, Jacques, Irène et Bernard) commencent à écumer les régates des environs, avec succès.
À tel point qu’un moule est fabriqué à partir de la coque du proto, pour tirer une petite série. Le premier sera de nouveau nommé Bullit. Et c’est reparti :
On vous épargne toutes les régates locales qui ont permis au gang de se faire la main.
Championnats de Méditerranée 1979 à San Remo : Bullit premier. Troisième : Bouffaréou, un sistership de Bullit, avec André à bord.
Championnats du monde, toujours à San Remo en 1979 : Bullit premier devant plus de soixante bateaux. Bel exploit, car si le bateau était bien dessiné et construit, et l’équipage affûté, les moyens étaient eux limités. Et Bullit était le voilier le moins cher de toute la flotte. Par exemple, c’est un cric de voiture placé sous le mât qui servait de raidisseur de pataras/haubans/étais. Les voiles d’avant étaient sur mousquetons alors que tous les autres coureurs avaient déjà des étais à gorge. Et le reste à l’avenant.
Championnats du monde à Aukland l’année suivante en 1980 : Bullit premier. Chez les Kiwis, excusez du peu. Beaux joueurs, la jauge sera modifiée par la suite pour tempérer les ardeurs de ces Frenchies impudents…
Bullit en pleine action…Frime maximale… Notez l’enchaînement des dates: la journaliste devait être très émue…
Jacques est devenu l’architecte/régatier que l’on connaît. Dominique a monté un chantier naval spécialisé dans les petites séries et la restauration de bateaux anciens. Bernard est devenu kiné à Antibes pour continuer à régater. Il prépare même un bateau pour la Mini Transat : tout fier, il emmène sa copine de l’époque faire du rase-cailloux en rade de Cannes. Il rase tellement qu’il accroche sa quille, qui décide sur le champ, avec un extrême détachement, de prendre son autonomie par rapport au voilier. Ce dernier, pour manifester son profond désaccord, se retourne illico. Avec la copine.
Résultat de la sortie : plus de quille. Ni de copine… Ni de Mini Transat. Bernard s’est mis sérieusement au rugby peu de temps après : allez savoir s’il y a une quelconque relation.
Irène est restée elle aussi dans le monde de la voile, très impliquée dans le chantier Outremer. Et habite maintenant à Tahiti.
André et Claude, moins malins, avaient quitté la côte soit disant pour continuer leurs études (André, lui, est tout de même retourné habiter à proximité de la mer)…
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1. BID pour Bernard-Irène-Dominique, son équipage.
2. Type de voilier à jauge comme le mini-tonner, de huit à neuf mètres, et quatre équipiers.
Nous sommes loin d’être les experts des atolls des Tuamotu, mais comme nous allions leur rendre visite, et qu’on entendait toutes sortes d’histoires sur la difficulté d’emprunter les passes permettant d’entrer dans les lagons, il a bien fallu se documenter… Et tester!
Généralités
Petit rappel géographique: l’archipel des Tuamotu fait partie de la Polynésie Française, s’étend sur environ 1800 km par 600 km, et comprend 77 atolls, entre 14° et 24° Sud, à l’Est de Tahiti. C’est la plus grosse concentration d’atolls au monde.
Les atolls sont formés par la barrière de corail qui s’est développé autour d’îles volcaniques, qui elles se sont progressivement enfoncées, ne laissant alors plus que la barrière et une mer intérieure, le lagon, plus ou moins étendue. L’atoll le plus grand, Rangiroa, mesure 80 km sur 32 km (plus grand que le lagon du Léman), et plus de 2000 personnes y habitent. Quatre ou cinq atolls sont habités en permanence, d’autres seulement au moment du ramassage du coprah. La plupart sont déserts.
Les Îles de la Société (dont Tahiti) et les Îles Gambier sont toutes des atolls avec l’île centrale toujours émergée. Au contraire, aucune des Marquises, plus récentes, n’a développé d’atoll.
Les atolls des Tuamotu, comme beaucoup d’autres atolls, ne dépassent pas beaucoup au-dessus du niveau de la mer. Quelques mètres très souvent, ce qui fait qu’on ne les voit qu’au dernier moment en arrivant du large: les Tuamotu étaient d’ailleurs connues comme les Îles Dangereuses avant l’arrivée du GPS. Et de nombreux bateaux en ont fait l’amère expérience en allant se briser sur la côte.
L’extérieur de la barrière
La partie de la barrière de corail donnant sur le large plonge vers le fond, très rapidement à plus de mille mètres, vers le plateau supportant l’archipel. Ce sont les fameux « tombants ». C’est là que se développe le nouveau corail qui forme l’atoll. De ce fait, il est en général impossible de trouver un mouillage à l’extérieur de l’atoll: la côte descend trop vite, et est très exposée.
L’intérieur forme le lagon, une mer peu profonde (quelques dizaines de mètres). La formation de coraux se limite à quelques bancs et pinacles ou « patates » qui parsèment les fonds, et affleurent parfois la surface.
L’accès au lagon se fait par des passes, plus ou moins larges et profondes. A cause du courant dans celles-ci, les coraux ne s’y développent pas.
La partie émergée de l’atoll n’est pas continue, mais formée d’îlots, les motus, où poussent les cocotiers et quelques autres rares plantes.
Motu
Les cocotiers ont été introduits par les premiers missionnaires, au 19e siècle.
On ne vous refait pas le coup des motus qui laissent bouche cousue? Non.
Entre les motus, en plus des passes, de nombreux canaux, les hoas, irriguent l’atoll.
Hoa
Même si le marnage est faible (moins d’un mètre), la surface que représentent ces mers intérieures est telle que les volumes d’eau en mouvement provoquent un courant dans ces passes qui peut être redoutable: huit ou dix nœuds ne sont pas rares! A mi-marée, certaines passes rendraient jaloux les rapides de nos rivières de montagne!
Un autre hoa
Phénomène intéressant, il n’y a pas symétrie entre marée descendante et marée montante dans les atolls: le courant de jusant est en général beaucoup plus violent que le courant de flot. On peut constater des différences du simple au double, voire au quadruple (par exemple 3-4 nœuds entrant pour 10-12 nœuds sortant). En effet, sous l’effet du vent, l’eau est continuellement poussée vers l’intérieur du lagon, via les hoas, créant le phénomène d’ « ensachage » (« Bagging » en anglais), et s’ajoute au courant de marée descendante dans les passes.
Selon l’orientation des passes, un mascaret peut se former, ainsi que des vagues très dures dès que le courant s’oppose au vent ou à la houle, rendant les passes dangereuses aux bateaux.
Navigation dans les passes
Donc, on est bien d’accord, les passes ne s’empruntent pas n’importe quand, ni n’importe comment…
Pour limiter l’effet des courants, il faut se présenter devant la passe au moment de l’étale, qui est plus ou moins courte selon la configuration de l’atoll, et bénéficier une marée montante pour entrer, descendante pour sortir. Évidemment.
Les marées sont de type semi-diurne: deux cycles par jour, se décalant d’environ 45 minutes d’un jour sur l’autre.
Et rappelez-vous que plus le lagon est étendu et la passe étroite, et plus le courant sera fort! Et toujours plus fort en sortant qu’en entrant.
A bord de Kousk Eol, nous avons trois sources d’information pour les marées:
– les cartes Navionics sur une tablette, qui comprennent une table intégrée;
– le logiciel (gratuit) « Marées dans le monde »;
– une table téléchargeable gratuitement depuis le site du NOAA (le même qui fournit les GRIBs), au format PDF.
Ensuite, il faut observer… Puis y aller, et faire confiance à son moteur!
Il n’y a en général pas d’obstacles dans les passes: le courant est trop fort pour que le corail puisse se développer. Les passes sont généralement bien cartographiées, avec les dangers fixes bien indiqués. Dans les atolls habités, les passes sont même balisées.
La passe de Tahanea
La principale difficulté pour la navigation sera de se présenter au bon moment.
Pour sortir du lagon, c’est en général simple: on attend au mouillage le moment propice.
Pour entrer, il aura fallu calculer son heure d’arrivée en fonction de sa navigation, quitte à ralentir pour se présenter dans les meilleures conditions.
Il faudra se rappeler que le courant contre le vent, et la houle qui en résulte, peut lever de redoutables vagues. C’est souvent le cas à marée descendante, dans les passes orientées selon les vents dominants (par exemple au sud ou sud-est pendant la période des alizés), où une barrière infranchissable peut se former à l’entée de la passe.
Et comme toujours, il faudra savoir renoncer et éventuellement choisir un autre objectif si ces conditions paraissent trop risquées.
Navigation dans les lagons
Une fois la passe franchie, et le lagon atteint, la houle a disparu: le mouillage n’est plus très loin!
Pourtant, ce n’est pas encore le moment de relâcher l’attention…
Les lagons ne sont pas très profonds en général, et on navigue souvent dans 15 à 25 mètres, avec un fond de sable… Et les fameuses patates, ces pinacles de corail. Les cayes, aux Antilles.
L’eau des lagons est très pure: les fonds se voient donc très bien. Et les couleurs semblent irréelles, du vert clair -quand le fond n’est pas loin- au bleu intense -quand il y a plus de profondeur-: toutes les nuances sont disponibles. Pourvu qu’il y ait du soleil, et qu’il ne soit pas de face. Conditions importantes pour éviter ces patates, plus ou moins hautes, et indétectables au sondeur classique, car isolées et verticales.
Rien de tel que de bons yeux, et éventuellement des lunettes polarisantes. Et que leur propriétaire se trouve à l’avant, comme vigie! On apprend vite à identifier les différences de couleur. Bleu intense: il y a de l’eau sous la quille. Bleu plus pâle, allant sur le vert: les fonds remontent. Quand ça vire au marron-jaune, danger! Le corail n’est plus loin de la surface…
Un récif affleurant, dans le chenal
La recommandation de base est de ne naviguer à l’intérieur des lagons qu’entre 9h et 15h par jour de soleil. Une règle (ou une loi?) veut qu’il soit interdit de naviguer de nuit, même dans les zones bien cartographiées ou balisées. Les cartes préviennent: les sondes indiquées ne sont pas des garanties à 100%, et toutes les patates ne sont pas indiquées.
Autre danger: les fermes à huître perlière: il y en a un peu partout, même dans certains chenaux intérieurs. Elles ne sont pas toutes répertoriées, et pas toujours bien visibles… En général, on ne voit que quelques bouées sphériques noires ou rouges, au ras de l’eau.
Parce que, la spécialité des Tuamotu, c’est la perle noire. Et c’est bien parce que c’est vous, on n’en parlera pas à vos femmes/maîtresses/amies/cousines bretonnes/secrétaires/…
Mouillage dans les lagons
Les fonds de sable garantissent une bonne accroche de l’ancre. Le risque principal est d’enrouler sa chaîne autour des petites patates inévitables qui tapissent souvent le fond, en cas de saute de vent. Un orin sur l’ancre peut aider, mais n’est pas forcément toujours suffisant. Heureusement, l’eau est chaude pour plonger! En général, on s’en sort sans se mouiller en suivant au moteur, doucement, le trajet de la chaîne et en la remontant au fur et à mesure.
Mouillage avec ses patates
Nous avons même vu des bateaux s’amarrer sur une patate en enroulant une aussière autour.
Évidemment, il faut penser à l’évitage et s’assurer qu’il n’y a pas un récif ou des patates affleurant dans le rayon de la chaîne!
Selon la taille du lagon et la direction du vent, le fetch peut être suffisant pour former des vagues plus ou moins dures: il faudra tenir compte de la météo pour trouver un mouillage abrité, par exemple sous le vent d’un motu.
Donc pour résumer: naviguer dans les atolls est un immense plaisir. Quelques règles finalement simples à suivre, et quel bonheur!
Sinon, ce serait trop facile: il paraîtrait que le paradis, ça se mérite. Encore un truc de judéo-chrétien…