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Une journée à bord de Kousk Eol

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Comme cela fait un petit moment que vous naviguez avec nous, au moins virtuellement, il nous a semblé opportun de vous exposer plus en détail à quoi ressemble notre voilier, dans quel univers nous évoluons tous les jours depuis notre départ.

Le bateau

On vous l’a déjà dit : Kousk Eol est un Centurion 45 s des chantiers Wauquiez, réputés pour leurs bateaux solides et rapides. Il n’y a pas tant de chantiers construisant des voiliers pour des programmes « Blue water1 » en France. C’était une des raisons de notre choix.

Kousk Eol fait presque quatorze mètres de long, pour un peu plus de quatre mètres à l’embelle2. Le haut du mât culmine à vingt mètres au-dessus de l’eau : bien assez haut quand il s’agit d’y grimper !

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Sa quille en plomb de quatre tonnes plonge à deux mètres cinquante.

Il comporte trois cabines : une à l’avant, spacieuse mais pouvant être inconfortable lorsque la mer secoue un peu fort, et deux à l’arrière, plus petites mais où il est plus facile de se caler. Le carré est volumineux et lumineux. Sa banquette tient parfois lieu de couchette d’appoint.

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Carré par jour d’affluence.

La grande table à carte, dans le carré, sert souvent d’extension à ce dernier, avec ses deux sièges se faisant vis-à-vis. Le coin cuisine est juste à tribord en descendant du cockpit : pratique pour se débarrasser des épluchures ! Deux cabinets de toilette complètent le confort à bord. Les batteries, trois de cent soixante ampères-heure pour les servitudes et une de quatre-vingts pour le moteur, sont sous le plancher, au pied de la descente.

Tous les instruments nécessaires à la navigation sont regroupés autour de la table à carte : ordinateur de navigation avec cartographie électronique, VHF fixe et portable, téléphone Iridium, indicateur de charge des batteries, baromètre, écho-sondeur, radar, tableau électrique…

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Table à cartes et instruments.

Les différents capteurs (vitesse du bateau et direction, vitesse du vent et direction, profondeur, position…) sont connectés à l’ordinateur, pour donner une vue d’ensemble, synthétique, de l’environnement de navigation, sans avoir à sortir. L’ordinateur de navigation ne sert qu’à cet effet : son rôle est critique et il est hors de question de faire une erreur en installant un « mauvais » programme, ou en effaçant malencontreusement un fichier. C’est un ordinateur de type tablette : le clavier est, pour la fonction de ce PC, inutile et prend de la place. Il n’est jamais connecté à Internet pour éviter des mises à jour non contrôlées ou la contamination par des virus : nous n’avons pas nécessairement besoin de la dernière version des logiciels, mais d’un environnement qui fait ce qu’on lui demande, sans faillir. Nous nous méfions particulièrement des équipiers qui nous soutiennent : « Oui mais moi je m’y connais bien en PCs ! ».

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L’ordinateur de navigation.

C’est pour cela que sur la table à carte se trouve aussi l’ordinateur à tout faire : regarder un film, ranger les photos, rédiger le blog, préparer des emails, accéder à Internet lors des escales…

Il est parfois un peu compliqué de gérer les recharges des batteries des différents équipements électroniques emportés à bord (téléphones, appareils photo, tablettes…). La règle est : seulement de jour quand le soleil éclaire bien les panneaux !

La cuisine est composée d’un réchaud à deux feux et d’un four, sur cardans, d’un conservateur, d’un évier double avec eau douce et eau de mer, et de placards pour la vaisselle et les produits courants (condiments, café, thé, sucre, paquets de pâtes entamés…). Le petit frigo sous le plan de travail est utilisé comme rangement : en effet, le froid a tendance à s’échapper lorsque la porte est ouverte, sollicitant plus que de raison les batteries pour maintenir une basse température. Le conservateur, bac isolé à ouverture sur le dessus, ne pose pas ce problème.

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Le coin cuisine.

Différents équipets permettent de stocker la nourriture. Deux emplacements sous le plancher sont réservés aux boissons diverses. Kousk Eol est même pourvu d’un dessalinisateur pouvant produire une cinquantaine de litres par heure, permettant ainsi d’être quasi autonome en eau douce.

À l’extérieur, le cockpit est le lieu de vie pour peu que le soleil ne cogne pas trop fort, ou que les grains se fassent discrets. La banquette sous le vent est la plus prisée : avec un coussin, on arrive à se caler confortablement à la gîte. Le poste de barre est très agréable, avec une barre à roue immense, très douce et précise.

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Un portique, que nous avions installé avant de partir, supporte les panneaux solaires et l’éolienne, et accessoirement, procure de l’ombre au barreur quand le soleil est au zénith. Il sécurise aussi certaines opérations essentielles.

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Tu ferais mieux de tenir la barre!

Le cockpit est équipé de huit winchs3: six pour les écoutes et deux pour les drisses et bosses de ris, dont un électrique, très pratique quand il faut monter en tête de mât. Abondance ne nuit pas : l’ancien propriétaire avait les moyens. Et du goût : les winchs sont des Andersen, tout en inox, inusables : la Rolls en a matière.

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Le cockpit.

Quand ils ne sont pas utilisés, le spi et le Code D sont rangés dans la soute à voile, juste à l’arrière de la baille à mouillage où se trouvent l’ancre principale ainsi qu’une ancre de secours en alu (la Fortress), avec la chaîne et le câblot. La soute à voile assure aussi un rôle de crash-box : en cas de choc frontal, la cloison de la soute est étanche et protège le reste du bateau des entrées d’eau. Les deux voiles d’avant courantes sont le génois et la trinquette, montés toutes les deux sur enrouleur. La grand-voile est équipée de trois bandes de ris, dont les bosses sont rapportées au cockpit. L’annexe est dégonflée, roulée et sécurisée sur le roof, devant la descente, endroit où elle gêne le moins quand elle n’est pas à l’eau. Son moteur est fixé sur le balcon arrière. Les jerrycans de gas-oil (environ cent litres) et d’essence pour le moteur de l’annexe (vingt-cinq litres) sont rangés sous le siège du barreur. En Patagonie, nous avions des jerrycans supplémentaires amarrés le long des filières tribord.

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Le pont vers l’avant, et l’annexe.

Quatre grands coffres finissent d’équiper le cockpit : sous les banquettes, à bâbord celui des affaires pouvant être humides (bouts, équipement de plongée, de nettoyage, réserves d’eau douce…), à tribord le reste (taud, chaussures, réserve de bouteilles de gaz…). Et à l’arrière, sur bâbord se trouvent les bouteilles de gaz en utilisation, sur tribord les amarres et les pare-battages.

Pour les manœuvres de port ou de mouillage, ou encore en cas d’anémie du vent, Kousk Eol peut être propulsé par un moteur diesel Volvo de cinquante-cinq chevaux, avec hélice repliable pour limiter la traînée.

Vous vous y retrouvez ? Mais maintenant, comment nous organisons nous dans cet espace ?

La vie à bord

Nous occupons évidemment chacun une cabine, seul lieu réellement privatif sur Kousk Eol, où chacun de nous a le privilège de pouvoir peaufiner le chaos qu’il préfère.

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Cabine arrière.
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Cabine avant.
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Coin toilettes.

La journée type débute par un café ou un thé vers six heures et demie, avec le lever du jour4 : c’est la fin du dernier quart de nuit. Les occupations passent ensuite de la lecture aux mots croisés, ou à une petite sieste suivie du visionnage d’un film, voire à une séance rêverie dehors à l’abri du taud. À effectuer les dernières petites réparations. À nettoyer le pont des poissons-volants échoués durant la nuit (voire des calmars plus au sud). À régler la ligne de pêche. À préparer le repas. À faire la vaisselle. À effectuer les manœuvres indispensables pour garder ou améliorer la vitesse ou le cap du voilier. À trouver ce qui tape régulièrement dans le gréement ou pourquoi de temps en temps la pompe de cale se déclenche. À vérifier la progression sur la carte de l’ordinateur de navigation. À se demander quand on va se décider à manger la boite de confit de canard. À guetter le rayon vert. Et aussi bien sûr à écrire ce blog.

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Lever de soleil sur la mer de Timor.

De jour, la surveillance du bateau et du cap se fait naturellement quand nous ne sommes que tous les deux à bord, sans désigner formellement un responsable. Dans un voyage comme celui-ci, on ne passe pas sont temps à peaufiner les réglages du canot comme en régate, même si l’on surveille la vitesse, et s’il y a régulièrement des moments forts. Dans les alizés par exemple, une fois sur la bonne route, Kousk Eol peut filer avec le même réglage pendant plusieurs jours, à peu de choses près. Une certaine aptitude à la contemplation et une vie intérieure riche ne peuvent en aucun cas nuire…

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Ah les zorizonzinfinis!

Parmi les instants clef incontournables de ce nycthémère halophile en perpétuel renouvellement, qui fleure bon les embruns chargés du sel subtilement iodé arraché à l’infinitude des océans immensurables5: le repas de midi et l’apéro du soir. Nous essayons de maintenir un vrai repas, à peu près équilibré, en milieu de journée, qui est aussi un moment où nous nous retrouvons à faire la même activité ensembles. C’est aussi un peu le but de l’apéro, au coucher du soleil, pour un petit bilan informel sur la journée écoulée. Les règles sont strictes : une binouze, ou un verre de vin, ou un whisky ou un ti-punch. Un seul. Si, si. Avec, bien sûr, des petites merdes à grignoter. C’est un moment de convivialité important. Et le seul moment de la journée où nous nous autorisons une boisson alcoolisée. Cet apéro n’est pas systématique : si les conditions sont trop dures, nous reportons au jour d’après. Ou au suivant…

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A la votre!

Pour le déjeuner, les plats des premiers jours après une escale sont composés autour du frais que nous avons pu trouver, viande et légumes. Aujourd’hui pour midi, par exemple, nous aurons une entrecôte de bœuf australien accompagnée de ses brocolis sur lit d’oignons déglacés. Non mais ! Puis on passe progressivement aux pâtes et conserves, agrémentées du poisson immanquablement pêché. Œufs, patates, chou, oignons durent suffisamment longtemps pour rehausser en général un peu nos recettes au long de nos traversées.

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Ben non, finalement aujourd’hui c’est courgettes et œufs au plat.

Après l’apéro et éventuellement quelque chose de plus consistant à ingurgiter, il faut se préparer pour la nuit. A deux, nous établissons deux quarts de cinq heures chacun, de vingt et une heures à deux heures, et de deux à sept heures. La veille est semi-active : nous ne sommes en général pas sur des routes maritimes, donc le trafic est quasi-inexistant, et de toutes les façons les épaves éventuelles sont invisibles de nuit. Nous faisons beaucoup plus attention près des côtes : les petits bateaux de pêcheurs ne respectent pas toujours la signalisation. Depuis que nous naviguons sur Kousk Eol, nous avons appris à réagir à tout changement de façon instinctive, même assoupis : la moindre perturbation (direction du vent, état de la mer) nous réveille sur le champ. Et donc les quarts se passent à somnoler, lire, boire une boisson chaude, vérifier sur l’ordinateur que nous sommes toujours sur la bonne route, vérifier qu’il n’y a pas un feu sur l’eau ou une cible AIS sur l’ordinateur, compter les étoiles filantes, essayer de reconnaître les constellations polluées par des myriades d’étoiles supplémentaires invisibles chez nous pour cause de ciel moins clair…

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Équipier prêt à intervenir.

Évidemment, pour me contredire, cette nuit nous traversons un semblant de rail maritime entre l’Australie et l’Indonésie : le trafic est soutenu, et un ou deux cargos sont même sur des routes de collision avec Kousk Eol. Dans ce cas, même si votre manuel affirme qu’un voilier est privilégié par rapport à un bateau à moteur, et même si vous émettez votre position via l’AIS, vous avez peu de chance de faire dévier ces monstres de plus de deux cent cinquante mètres de long. Tout au plus aurez vous droit à un appel par la VHF: « Kousk Eol, Kousk Eol, what is your intention? ». Ben t’éviter, qu’est-ce que tu crois ? Les quarts se déroulent alors l’œil ouvert sur l’horizon et l’écran du PC de navigation, pour anticiper les manœuvres.

Mais qui le barre, ce voilier ? Là, il faut bien l’avouer, c’est le pilote automatique qui assure le gros du travail. Complètement durant les quarts de nuit, et partiellement durant la journée, selon que les conditions sont jugées intéressantes pour avoir du plaisir à reprendre la barre, ou que les batteries ont vraiment besoin d’être rechargées, par les panneaux solaires ou l’éolienne.

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Pour tchatcher, ça tchatche. Mais pour barrer…

De nuit, nous essayons d’effectuer les manœuvres, lorsqu’il y en a, seul, pour laisser l’autre dormir : prise de ris, virement de bord, empannage… Kousk Eol est physique, mais relativement facile à manœuvrer en sécurité, depuis le cockpit.

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La descente et de chaque côté, les taquets du piano permettant de manœuvrer depuis le cockpit.

Voilà. Dorénavant, Kousk Eol n’a quasiment plus de secrets pour vous. Vous savez tout ou presque. Bien sûr, nous aurions pu nous étendre encore plus sur ce sujet. Mais après tout, rappelez-vous le dicton : il vaut mieux tout savoir qu’en savoir trop. Vous pourrez désormais parcourir d’un œil encore plus critique le ramassis de fadaises qui sont l’essence même de ce blog.

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1
– Les Anglo-saxons entre autre différencient strictement les bateaux capables de naviguer n’importe où autour du monde (Blue water) de ceux à utiliser pour des programmes moins ambitieux (Croisière ou course-croisière).

2– L’embelle est la partie la plus large du bateau, où se trouve le maitre-bau.

3– Oui, oui : je sais.

4– Nous ajustons l’heure du bord chaque fois que nous franchissons quinze degrés sur un parallèle : 360/24=15 degrés par heure. À l’arrivée dans un port, nous nous mettons évidemment à l’heure légale locale. Sinon, la référence est l’heure GMT (UTC).

5– Cas flagrant et intéressant de poussée de lyrisme pélagique, décelable par son côté abscons, constatée chez certains êtres un peu fragiles, en général au bout de plusieurs jours sans voir la terre ferme. Il n’y a pas de remède connu : les symptômes tendent à disparaître spontanément dès que le sujet recommence à côtoyer des individus sains.

Étude scientifique : les lunettes anti-mal de mer

Fidèles à eux même, les frangins qui se la pètent continuent à partager avec vous leur insondable connaissance des choses de la vie. Cette fois, nous aborderons deux sujets complémentaires et d’une importance capitale pour tout marin en devenir. À savoir : primo, comment combattre ce fléau qu’est le mal de mer, capable de transformer le Popeye le plus fringant en loque amorphe et moribonde, et deuzio, quelle méthode scientifique adopter pour garantir la fiabilité des résultats pour une approche thérapeutique donnée visant à ranger au rayon des souvenirs ces écœurements nautiques.

À cet effet, nous avons décidé, arbitrairement et aussi parce que l’un de nos coéquipiers en a fait l’acquisition, de tester pour vous les lunettes anti-mal de mer.

Nous profiterons de cette occasion pour vous faire admirer la lumineuse beauté émanent de la rigueur d’une démarche scientifique bien construite, et pour partager avec vous la grande satisfaction intellectuelle qui en découle. En toute modestie.

Les lunettes

Les lunettes anti-mal de mer sont une extraordinaire invention (aux dires même de leur inventeur et de sa troupe de vendeurs, dont l’objectivité ne saurait en aucun cas être mise en cause). Le principe ayant conduit au développement de ce merveilleux appareil est simple. Il part du constat que les causes amenant le nauséeux à demander qu’on veuille bien l’achever sans attendre sont dues au fait que ses yeux ont perdu tout repère stable, par exemple l’horizon. Le cerveau1, rarement confronté à ce genre de situation, essaie tant bien que mal de compenser, mais fréquemment déclare forfait, semant une pagaille pas possible dans le reste de l’organisme. D’où l’idée de recréer cet horizon manquant en équipant lesdits bésicles d’ersatz de niveaux à eau, toujours horizontaux par principe, et à portée de l’œil puisque installés dans les binocles. Recréant ainsi l’illusion d’un horizon stable et visible quel que soit l’état de la mer. Ça, c’est la théorie et le pitch commercial.

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Défilé de mode sur Kousk Eol ; de belles lunettes, ça vous change un homme ! 

Le but que nous nous sommes assignés ici est de valider l’efficacité de ce saint-crépin, de façon définitive autant qu’incontestable.

La démarche

Les lunettes de ce test ont été acquises sur la base de l’argumentaire bien rodé du vendeur par un sujet sensible au léger roulis de Kousk Eol, et donc a priori perméable à l’exposé commercial. Pour garantir un résultat indiscutable relatif à la réalité de leur efficacité annoncée, nous adoptons une approche statistique basée sur la loi des grands nombres, en n’hésitant pas à expérimenter ces lorgnons sur pas moins que 25 % de la population du bord, composée du DD, de William, de Philippe, et de Claude. Pas les rares et mesquins pourcents des instituts de sondage : on a les moyens, ou pas.

Le 25 % sélectionné s’équipe donc et se met en condition d’étude.

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25 % prêt pour les tests.

Le protocole élaboré sera de procéder à des tests dans des conditions variées : au ponton dans la marina ainsi qu’au vent arrière dans une houle formée. Un troisième test sera d’équiper de lunettes de soleil standard le sujet et de noter les différences.

L’expérimentation

Cas n°1 : le cobaye équipé des fameuses lunettes est dans le cockpit de Kousk Eol, lui-même amarré dans la marina. État du sujet notoirement stable, malgré les quolibets taquins des autres membres de l’équipage. Aucun symptôme de mal de mer.

Cas n°2 : cette fois, Kousk Eol file vent arrière, génois tangonné, dans une belle houle de deux à trois mètres. Chacun sait qu’à cette allure, le plus fier des lévriers des mers peut faire pâlir de jalousie les montagnes russes les plus ondulantes. Nous notons qu’au bout de peu de temps, le sujet, dûment gréé des pince-nez miraculeux, commence à pâlir lui aussi, puis à exprimer des envies d’aller se coucher. Avec un seau, allez savoir pourquoi. Nous ne le verrons pas au repas suivant.

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Cas n°3 : les fameuses lunettes sont remplacées par de simples lunettes de soleil. Aucun changement chez le cobaye-patient : ni aggravation (une réelle gageure dans son cas), ni amélioration de l’état.

Cas n°4 : il nous a paru opportun de tester les lunettes sur les 75 % restants de la population du bord, réputés non sujets au mal de mer. Aucun changement notable chez ces individus n’est à noter, sinon peut-être une certaine sensation de ridicule.

Conclusion

Après compilations des mesures effectuées et lissage pour gommer les possibles déviations dues à des grandeurs trop éloignées de l’écart-type, les résultats obtenus permettent d’affirmer les conclusions suivantes :

  • Les lunettes anti-mal de mer sont d’une inefficacité redoutable et garantie sur 25 % d’une population type.
  • Les lunettes anti-mal de mer ne donnent pas le mal de mer à un sujet notoirement rétif à la gerbe marine.
  • Les lunettes de soleil, polarisantes ou non, auront le même effet que les lunettes anti-mal de mer, mais protégeront mieux du soleil.
  • Les lunettes anti-mal de mer ont tout de même le mérite de créer une atmosphère de bonne humeur dans le cockpit, par les moqueries qu’elles suscitent.

CQFD, tout simplement.

Exercice pratique de validation des acquis

Sur la photo ci-dessous se trouvent deux sujets : un sain (au moins de corps) et un nauséeux. Sauriez vous les identifier et expliquer les raisons de votre choix ?

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Indice : le candidat à la régurgitation océane porte des chaussettes et émet de petits gémissements.

Ceux qui auront trouvé la bonne réponse se verront offrir un abonnement de six mois à ce blog, facultatif. Les autres bénéficieront d’un abonnement de deux ans, obligatoire. Ceux qui n’auront pas voulu s’abaisser à perdre un peu plus de leur précieux temps à ce jeu débile pourront jouir de notre admiration indéfectible2.

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1
– Pour ceux qui ont l’avantage d’en posséder un en état de fonctionner, bien sûr.

2– Mais quand même teintée d’un brin d’hypocrisie.

Un peu de technique – Cap, vitesse : un B.A. BA à l’usage des néophytes.

Plusieurs lectrices et quelques lecteurs1 nous ont dit ne pas comprendre certains mots, voire certaines parties de ce blog traitant de problèmes spécifiques à la voile. Désireux comme d’habitude de contenter nos abonné(e)s, ainsi que rendre moins insondables les abysses de leur méconnaissance des choses de la marine à voile, nous tenterons aujourd’hui d’apporter quelques compléments explicatifs autour de deux paramètres essentiels à la navigation sur un bateau, à savoir son cap et sa vitesse. Les navigateurs débrouillés peuvent sans peine faire l ‘économie de ce chapitre qui se cantonne à des notions de base.

Cap

Le cap, c’est la direction suivie par le navire. Comme il est plutôt rare de rencontrer des panneaux indicateurs en pleine mer, le marin un peu débrouillé cherchera cette direction sur une carte et la traduira au moyen d’un rapporteur en degrés par rapport au nord. Vous suivez ?

Puis, à la barre, il orientera son bateau dans cette direction avec l’aide du compas magnétique. Le compas, c’est une boussole. Mais « compas », ça fait plus connaisseur que « boussole », alors sur un bateau on dit « compas ». Élémentaire, non ?

Sauf que, le compas, il indique le nord magnétique. Puisqu’il est magnétique. Et même si le nord magnétique est proche du nord géographique, vrai, celui qui fait foi sur les cartes, la différence entre les deux2 peut conduire à des erreurs si une correction n’est pas appliquée. Pour compliquer les choses, la terre n’étant pas une sphère homogène, la direction de son champ magnétique varie selon les endroits où l’on se trouve : il nous est arrivé de naviguer dans des zones où la déclinaison atteignait pratiquement vingt degrés. Et se tromper de vingt degrés sur sa route peut être catastrophique. D’où l’importance de corriger cette différence : toutes les cartes marines indiquent la valeur de la déclinaison pour une région.

C’est là que la technologie vient en aide au marin. Le GPS3, vous connaissez ? C’est ce bidule que vous avez dans votre smartphone ou dans votre tablette qui vous permet de trouver votre chemin. Tous les bateaux sont équipés de GPS. Et ça fait quoi, un GPS ? Comme son nom l’indique, la fonction de base est d’indiquer sa position sur le sphéroïde terrestre, la vraie position géographique, grâce à un réseau de satellites dont la position est parfaitement connue. Donc pas de correction à apporter : le point GPS est utilisable directement4. Et comme le GPS reçoit à intervalles réguliers les informations permettant de déterminer la position, il est facile de tracer sa route, et donc d’en déduire son cap.

Conclusion : le GPS permet d’indiquer un cap, déduit de la direction entre deux positions successives. Magique, non ?

Sauf que, comme la direction est calculée d’après des positions successives, l’indication de cap fournie par un GPS n’est pas instantanée, comme avec un compas. Il faut attendre la position suivante, puis en dériver la direction avant d’afficher cette dernière.

Et, corollaire, si le bateau ne bouge pas, le GPS ne pourra pas indiquer de direction.

En général les instruments ou logiciels intégrant un GPS parlent de COG pour cette direction : Course Over Ground5.

Vitesse

Une fois que l’on sait où diriger son bateau, il est intéressant de savoir à quelle vitesse ce dernier vogue : pour prédire son heure d’arrivée, pour estimer l’impact d’un réglage des voiles sur cette vitesse, etc.

Sur un bateau, la vitesse est donnée par un instrument comportant une petite turbine se trouvant sous la coque, et entraînée par l’eau qui s’écoule le long de cette dernière. La vitesse de rotation de la turbine est traduite en vitesse, de façon très similaire à un compteur de vélo qui traduit les tours de roue en vitesse.

Oui, mais quelle vitesse, sur un bateau ? On n’est pas sur le goudron : la mer, elle est en constant mouvement. À cause du vent, des marées, des courants… Donc la vitesse indiquée n’est que la vitesse par rapport à l’eau, pas par rapport à la terre. Et comme pour le compas, il faut corriger cette valeur à l’aide de tables indiquant les courants, quand on les a… Sur un bateau, cette vitesse est souvent appelée STW : Speed Through Water.

N’y aurait-il pas plus simple, des fois ? Et là, tel un Zorro des temps modernes, GPS accoure à la rescousse, à nouveau. Si vous avez déchiffré les tentatives d’explications confuses dans le paragraphe ci-dessus, vous savez que le GPS donne une position sur le globe à intervalles réguliers. Et on obtient quoi, si on divise la distance entre deux points par cet intervalle de temps ? Eh oui, la vitesse entre ces deux points. Et ça c’est une vitesse qu’elle est vraie, car mesurée par rapport à la terre, qui, hors séisme notable, est réputée stable. Les instruments ou les logiciels intégrant un GPS parent de SOG : Speed Over Ground.

Et en comparant STW et SOG, on peut en déduire vitesse et direction des courants, ce qui permet d’anticiper les dérives potentielles. En entrant dans une passe, si on a une STW de six nœuds et une SOG de moins de un nœud, c’est peut-être que la marée descend et il faudra alors attendre la renverse. Il nous est arrivé d’entrer dans certaines passes à six nœuds (STW) et de nous retrouver à pratiquement quatorze nœuds en vitesse réelle (SOG) ! Ceux qui ont pratiqué le Raz de Sein pour entrer ou sortir du grand lagon d’Iroise savent de quoi on parle ici.

Comme pour le cap, il faut que le bateau bouge afin que le GPS puisse donner une indication de vitesse. Et de nouveau, cette vitesse n’est pas instantanée car calculée.

CapVitesse

Le GPS que nous utilisons tous est américain, et très contrôlé par l’armée des USA. C’est une des raisons pour lesquelles les Russes ont leur système, et que l’Europe a un projet de GPS européen. C’est une des rares applications utilisant les résultats de la théorie de la relativité d’Albert6, à cause de la distance des satellites. Ces derniers sont en orbite géostationnaire, à plus de trente mille kilomètres : les ondes électromagnétiques (comme la lumière) mettent un dixième de seconde pour faire le trajet, ce qui est loin d’être négligeable, et imposent des corrections sur les positions à calculer.

Et si le GPS tombe en panne ? Des GPS, on en a généralement plusieurs sur un voilier : celui qui a été installé avec les instruments de navigation, celui de la tablette (ou du smartphone) qu’on n’aura pas oublié d’emporter7, souvent un GPS supplémentaire avec connexion USB pouvant être branché sur l’ordinateur de bord.

Au fait, on faisait comment avant le GPS ? Ben on utilisait un instrument de torture appelé sextant, et une horloge précise donnant le temps universel8. Le sextant permet de mesurer la hauteur d’un astre au-dessus de l’horizon, le soleil en général. En regardant l’heure au moment de son point de passage le plus haut dans le ciel (le zénith), on en déduit sa longitude (position sur un méridien). Et en mesurant l’angle par rapport à l’horizon, on en déduit la latitude (position sur un parallèle). Moyennant quelques correctifs (hauteur du sextant par rapport à la surface de l’eau et donc de l’horizon, date – parce que la hauteur du soleil à une heure donnée dépend du jour de l’année-, rayon du soleil – car on vise le bord de ce dernier et non son centre-, etc.), on obtient les coordonnées de sa position.

Sextant

Sextant
Navigateur essayant vainement de capter les satellites avec un ancêtre du GPS.

Rappelez vous aussi : une minute d’angle sur un méridien représente un mille nautique (mille huit cent cinquante-deux mètres9). Donc une erreur de mesure de une minute faussera la mesure d’un mille. Et une minute d’angle, ce n’est pas beaucoup surtout quand on essaie de viser l’horizon et le bord du soleil sur un bateau qui bouge et un sextant qu’il faut tenir à deux mains… Je ne vous raconte même pas quand le ciel est couvert, ou de nuit.

Vous comprendrez aisément pourquoi le sextant est tombé, malheureusement, en désuétude parmi la plupart des navigateurs modernes, peut-être plus pressés et passant souvent moins de temps à la table à carte.

_______________
1.  Les lecteurs semblent avoir plus de mal que nos lectrices à admettre leur ignorance sur certains sujets. À moins que nous n’ayons que des experts comme lecteurs ? Qui sait…

2. On parle de déclinaison du compas.

3. Global Positioning System.

4. Pourvu que les cartes utilisent la bonne représentation géodésique, le fameux WGS-84. On en parlera peut-être un jour.

5. Eh oui, depuis qu’on a pris la pâtée à Trafalgar, les descendants de Nelson ont beau jeu de nous imposer leur idiome insulaire.

6. Dont il existe des photos le montrant à la barre d’un voilier, quand il n’était pas à perturber notre bon sens en prétendant que plus on allait vite et plus on rajeunissait tout en ayant moins de chemin à parcourir. En tout cas, un truc comme ça.

7. La fonction GPS d’une tablette ou d’un smartphone est indépendante du réseau téléphonique : seul le réseau des satellites GPS est nécessaire, et il est toujours disponible. Certaines applications de routage nécessitent l’accès au réseau téléphonique pour charger la portion de carte nécessaire en temps réel. Les cartes utilisées en mer sont préchargées pour assurer l’indépendance par rapport au réseau téléphonique.

8. Qu’on assimilera ici à l’heure au méridien de Greenwich.

9. La Terre fait quarante mille kilomètres de circonférence, soit 360° pour le tour complet. Ou encore 360*60=21600 minutes. Donc, une minute sur un méridien fait : 40000/21600=1,852 km. On prend la mesure sur un méridien, car au contraire des parallèles qui rapetissent quand on s’approche des pôles, tous les méridiens ont la même longueur.