Archives de catégorie : Articles de culture générale

La voile vue par Maurice…

— Allô ? Cécile mon cœur, comment vas-tu ?

-…

— Oui, tout va bien sur Kousk Eol.

-…

— Si ça me plaît ? C’est un truc de ouf, la voile. Tu as une minute ? Je t’explique… D’abord, ça fait que bouger, mais alors bouger dans tous les sens. Donc ce n’est pas confortable. Un truc de malades. Je ne te raconte même pas pour essayer de dormir ou simplement te reposer. Surtout que dès que tu as trouvé une place, à peu près calé, il y a toujours un des deux frangins qui te gueule après : « Pousse-toi Maurice, il faut que je prenne un bout dans le coffre sur lequel tu es assis ! » quand ce n’est pas : « Oh Maurice, ça t’ennuierait de donner un coup de main au winch pour border l’écoute ? ». Sur ma couchette, ce n’est pas mieux : juste en dessous se trouvent les outils dont il y a un besoin urgent systématiquement quinze secondes après que je me sois allongé. Comment ai-je pu ne pas anticiper ? De toute façon, il y a la pompe de cale qui se déclenche toutes les cinq minutes avec son alarme, alors pour dormir… Debout dans le carré, c’est encore pire ! Au milieu tu es devant la table à carte : pas bon. À l’arrière tu bloques l’accès à la cuisinière pour le café des frérots. Devant tu en prends plein la tête parce que ça bouge de façon désordonnée.

J’essaie pourtant de m’intéresser. Par exemple, l’autre jour, je pensais avoir compris comment régler le foc : je tirais avec beaucoup de sérieux sur la ficelle qui retient la voile quand l’autre à la barre (la barre, c’est le truc rond qui sert de volant, en beaucoup plus grand) gueule : « Choque tout Maurice : on vire ! ». Jamais de répit.

Au mouillage, je m’étais dit que là au moins ce serait cool… Tu parles ! À peine l’ancre mouillée, un des frangins se précipite soit sur le guindeau, soit sur le moteur hors-bord, ou encore sur les batteries : « Il faut démonter, ça ne marche pas comme ça devrait ! ». Difficile de rester dans son coin avec son bouquin, tu l’admettras…

Alors dès qu’arrive l’heure du ti-punch, je me prends à espérer qu’ « ils » vont se rappeler quelques notions de comportement civilisé. Ben non : il faut aller préparer à manger. Quand enfin une conversation fait mine de s’installer dans la quiétude d’une soirée naissante, le soleil rougeoyant sur fond de nuages impressionnistes, vaguement au-dessus d’un horizon à faire pâlir la ligne bleue des Vosges, donc, me dis-je, cette fois c’est la bonne : au moins cinq minutes de tranquillité. Raté encore une fois : « Tu te rends compte que ce con (une vague connaissance d’il y a quarante ans) avait frappé la bastaque directement sur le rail de fargue à peine vissé sur la serre-bauquière, au lieu d’être boulonné (Ricanements sournois) ? Alors dès qu’on a enroulé la bouée et commencé à remonter au près, on a bordé la bastaque et le rail s’est arraché, et évidemment le mât a flambé au niveau du point de drisse du génois ! Quel con ce con ! ». À part les deux frangins et Irène, personne ne comprend l’espèce de sabir utilisé à bord… Bande de snobs !

Et tu t’es déjà déplacée sur un voilier ? On se prend les orteils dans la barre cale-pieds du cockpit, on se cogne la tête dans la descente, on se coince les doigts dan les winches…

Ah, attends deux minutes : il faut que j’aille faire la vaisselle.

-…

— Non, ne t’inquiète pas : ils me traitent plutôt bien. Ils me comptent bien les bières, mais dans l’ensemble, ça pourrait être largement pire. Le truc, c’est que ça paraît un peu loin les Fidji, et d’après eux les gribs ne sont pas top : va comprendre… Mais je prends sur moi.

-…

— Non, mais il paraît que c’est une sacrée expérience. Bon, ça s’impatiente, je dois y aller : comme le guindeau ne marche pas, il faut remonter l’ancre à la main… Bisous.

Ouai ! J’arrive !

La saga Bullit : séquence souvenirs

On vous disait qu’on vous raconterait…

Donc, Irène est une vieille connaissance, du temps où nous usions nos maillots de bain sur dériveurs : vous imaginez le nombre d’années…

Irène est la sœur de Dominique Caparros, grand copain de Bernard, un autre frangin, qui se la pète grave lui aussi, comme nous allons vous le montrer (Bernard, tu n’es pas obligé de lire la suite !).

Les dériveurs devenant vite trop limités, Dominique, Irène et Bernard se lancent dans la construction d’un voilier un peu plus grand, Paradoxe, un Sing Sing sur plan Joubert, après avoir hésité devant celle d’un Fireball (pour les connaisseurs).

Arrive Jacques Fauroux, alors jeune architecte naval, qui propose à Dominique de lui dessiner un plan de mini-tonner (6 m). Il sera construit dans le garage de nos parents. Le bateau marchera plutôt bien, ce qui fera mieux passer son nom, Bid1, auprès de Jacques…

Pas rancunier, ce dernier propose de dessiner cette fois un plan de quarter-tonner2: ce sera Bullit. Le prototype sera construit en bois moulé. Sitôt à l’eau, Bullit et son équipage (Dominique, Jacques, Irène et Bernard) commencent à écumer les régates des environs, avec succès.

À tel point qu’un moule est fabriqué à partir de la coque du proto, pour tirer une petite série. Le premier sera de nouveau nommé Bullit. Et c’est reparti :

  • On vous épargne toutes les régates locales qui ont permis au gang de se faire la main.
  • Championnats de Méditerranée 1979 à San Remo : Bullit premier. Troisième : Bouffaréou, un sistership de Bullit, avec André à bord.
  • Championnats du monde, toujours à San Remo en 1979 : Bullit premier devant plus de soixante bateaux. Bel exploit, car si le bateau était bien dessiné et construit, et l’équipage affûté, les moyens étaient eux limités. Et Bullit était le voilier le moins cher de toute la flotte. Par exemple, c’est un cric de voiture placé sous le mât qui servait de raidisseur de pataras/haubans/étais. Les voiles d’avant étaient sur mousquetons alors que tous les autres coureurs avaient déjà des étais à gorge. Et le reste à l’avenant.
  • Championnats du monde à Aukland l’année suivante en 1980 : Bullit premier. Chez les Kiwis, excusez du peu. Beaux joueurs, la jauge sera modifiée par la suite pour tempérer les ardeurs de ces Frenchies impudents…
Bullit02 (904x1280)
Bullit en pleine action…
Bullit01 (1280x672)
Frime maximale… Notez l’enchaînement des dates: la journaliste devait être très émue…

Jacques est devenu l’architecte/régatier que l’on connaît. Dominique a monté un chantier naval spécialisé dans les petites séries et la restauration de bateaux anciens. Bernard est devenu kiné à Antibes pour continuer à régater. Il prépare même un bateau pour la Mini Transat : tout fier, il emmène sa copine de l’époque faire du rase-cailloux en rade de Cannes. Il rase tellement qu’il accroche sa quille, qui décide sur le champ, avec un extrême détachement, de prendre son autonomie par rapport au voilier. Ce dernier, pour manifester son profond désaccord, se retourne illico. Avec la copine.

Résultat de la sortie : plus de quille. Ni de copine… Ni de Mini Transat. Bernard s’est mis sérieusement au rugby peu de temps après : allez savoir s’il y a une quelconque relation.

Irène est restée elle aussi dans le monde de la voile, très impliquée dans le chantier Outremer. Et habite maintenant à Tahiti.

André et Claude, moins malins, avaient quitté la côte soit disant pour continuer leurs études (André, lui, est tout de même retourné habiter à proximité de la mer)…

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1. BID pour Bernard-Irène-Dominique, son équipage.

2. Type de voilier à jauge comme le mini-tonner, de huit à neuf mètres, et quatre équipiers.

Les frangins se la pètent encore une fois: le blog sur papier…

Certains d’entre vous l’attendait: il existe maintenant une version papier du blog… Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour satisfaire ses abonnés!

Il suffit de cliquer ici ou ici (ou ailleurs) pour se procurer ce monument de la littérature navale française, en attendant une disponibilité au Carroufe du coin.

Bonne lecture!

couverture
Carrément à l’ouest

PS: il se peut qu’il y ait des problèmes avec certains navigateurs pour passer la commande. Chrome (pub gratuite) fonctionne bien.