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23-25 novembre 2016 – Durban

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Notre intention n’est pas de rester très longtemps à Durban. Juste le temps d’avoir cette fameuse lucarne entre deux dépressions. Cette fois, ce sera un peu plus compliqué que pour venir ici depuis Richard’s Bay : le prochain abri est East London, à deux cent cinquante milles au sud, voire Port Elizabeth cent vingt-cinq milles plus loin. Deux vraies journées favorables, avec du vent de secteur nord seront nécessaires. Si nous pouvons en avoir une troisième, nous tenterons Port Elizabeth.

Au dire des navigateurs du coin, cette portion est la plus difficile, et peut être la plus dangereuse sur la route vers Cape Town : c’est là que le courant des Aiguilles (Agulhas Current en souvenir des premiers navigateurs portugais) est le plus fort. C’est là aussi que les vagues sont les plus fortes lorsque le vent est contraire (Des vagues de dix-huit mètres sont mesurées de temps en temps : la terreur des petits voiliers). Heureusement, les prévisions météo actuelles sont fiables, au moins sur deux à trois jours.

La nuit à l’ancre a été tranquille : après avoir remouillé deux fois, car le fond ne tenait pas, le bateau n’a plus bougé. Et si le vent était fort, il n’y avait pas de vagues dans le port… Donc, bonne nuit de récupération : ne vous fiez pas à la tête des deux endormis ci-dessous.

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Mais pourquoi ils font cette tête?

Dans la matinée, comme prévu, la dépression arrive et le vent passe brutalement au sud, à plus de vingt-cinq nœuds : ce qui explique un peu l’expression anglaise « to swing at anchor. ».

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Dans la brume du mouillage dans le port de Durban.

Entre temps, nous avons fait les formalités d’arrivée : de nouveau l’immigration et la douane, où nous retrouvons Max, marin professionnel italien convoyant pour un propriétaire lui aussi Italien un catamaran de cinquante pieds, Champagne, vers Saint Domingue. Nous nous étions amarrés à Richard’s Bay ensembles le long du sinistre quai international. Eux ont dû faire demi-tour parce que partis trop tôt : trois heures dans un sens, et huit heures dans l’autre… Nous discutons aussi plus longuement avec Mike et Devola : quatorze jours de traversée depuis la Réunion, avec vingt-quatre heures à faire des ronds dans l’eau pour attendre que la dépression passe au sud de Madagascar.

Pour en revenir égoïstement à nos petites affaires, il faudra reprendre le parcours administratif du départ demain, avec, devinez quoi, un flight plan tout neuf…

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Puis nous pouvons enfin retourner à bord pour un déjeuner léger avant de faire un tour en ville. Le vent monte soudainement : rafales plus de trente-cinq nœuds et l’ancre dérape. Le Flying Frenchman ne sent plus ses ailes et dérive vers un banc de vase : tout le monde sur le pont, fissa ! L’ancre évidemment s’est accrochée à des câbles, juste pour mettre un peu de piment dans la manœuvre. Manœuvre qui malgré tout se déroule sereinement entre équipiers aguerris qui se comprennent sans parler : « Bordel, vous vous bougez le cul, devant ! » « Fais pas chier : ta putain d’ancre est coincée ! » « Si vous merdez encore, on va s ‘échouer1! » « On voudrait t’y voir, toi, à démêler les boucles de câble du filet anti-requins2 accrochés à l’ancre ! ». Finalement, après cette courte récréation ludique, nous sortons de la zone de mouillage autorisée, trop étriquée : quarante mètres de chaîne sont filés dans sept mètres d’eau et cette fois ça semble tenir. Nous allons peut-être pouvoir continuer à grignoter nos ailes de poulet3.

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C’est un ibis, pas un poulet : il a eu chaud quand même, non ?

Vendredi 25 décembre. Nuit sans problème, avec une éolienne qui charge à fond… Ce matin, la récompense est un vrai south african breakfast4 au club house, suivi d’une visite à la marina pour récupérer le formulaire de flight plan : on est devenu des pros !

La fenêtre météo pour ce soir vers East London semble se maintenir : nous partirons dans la soirée, une fois le circuit Port Control-Immigration-Customs-Port Control terminé.

16h : les formalités sont bouclées et le hublot météo toujours d’actualité. Le départ se fera à vingt heures. L’Afrique du Sud est décidément un pays qui fait voler en éclat les schémas simplistes, voire caricaturaux, qu’on a trop souvent dans nos têtes d’occidentaux : à un feu rouge, un mendiant tend la main pour quelques pièces. On voit ça partout malheureusement. Sauf que c’est la première fois que je vois un mendiant blanc en Afrique… Mais ceci se passe dans la nation arc-en-ciel : il faut revoir ses pseudo-classiques de descendants de coloniaux évidemment trop confusément formatés. L’Afrique du Sud est un pays fascinant.

19h45 : petit coup de VHF à Port Control, et nous avons l’autorisation de partir, en même temps que Sea Rover. Port Control nous recommande de sortir du port comme des cochons5 car il y a du trafic…

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1– Vous avez l’habitude dorénavant du langage délicatement fleuri du marin de base, d’autant plus imagé que l’excès d’émotion se fait sentir.

2– Il y a pas mal de filets anti-requins dans les parages. Celui-ci avait coulé…

3– Ben qu’est-ce que vous croyez ? Qu’on mange du caviar tous les jours ?

4– Les Sud-Africains n’ont pas forcément gardé les meilleures coutumes de leurs anciens colonisateurs : les œufs, OK ; mais les fayots à la sauce tomate sucrée, même au petit-déj’, c’est un peu dur.

5– Il semblerait que mon anglais sud-africain soit légèrement défaillant : mes collègues m’assurent qu’en fait on nous demande de « navigate with caution »…

22-23 novembre 2016 : de Richard’s Bay à Durban

Donc nous partons le mardi 22 vers vingt et une heures trente, un peu avant la fin de la dépression, pour allonger notre fameuse fenêtre. D’ailleurs le temps est maussade, et nous avons même droit à de la pluie. Nous avons environ quatre-vingt-dix milles à parcourir, et la météo nous annonce de bonnes conditions jusqu’à jeudi en milieu de journée : ce devrait être plus que suffisant.

La mer n’est pas trop agitée : une longue houle d’est essaie de gommer les vagues créées par le vent de la dépression. Ce n’est pas toujours très confortable, mais Kousk Eol avance bien. Nous ferons des pointes à plus de onze nœuds avec seulement une quinzaine de nœuds de vent : le courant des Aiguilles est bien là.

Comme prévu par la météo, le vent, d’abord d’est, s’oriente progressivement au nord-est, obligeant à tangonner le génois.

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A huit heures mercredi 23, nous avons déjà fait une soixantaine de milles. Nous sommes apparemment le seul voilier à avoir quitté Richard’s Bay cette nuit. Et nous ne voyons que peu de cargos sur l’AIS.

Avant de partir, nous nous sommes procurés le très pratique « South African Nautical Almanac ». Ce guide décrit tous les ports de l’Afrique du Sud, les formalités et où les faire. Ah si nous l’avions eu plus tôt ! Le Flight Plan n’aurait plus eu aucun secret pour nous…

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De plus, nous y trouvons les informations qui manquent sur les cartes, comme la profondeur disponible, le nom des quais où nous serons probablement dirigés par les autorités portuaires, les zones météo, etc. De plus, ce guide est gratuit et mis à jour régulièrement.

Onze heures: Durban est à moins de quinze milles. Il faut slalomer entre les cargos au mouillage, attendant d’entrer dans le port. Durban est le plus gros port de commerce d’Afrique.

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Y a pas de doute, c’est du gros…

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Deux heures après, nous sommes devant le chenal, mais le signal de contrôle du trafic maritime est rouge clignotant. Vite le guide des ports: rouge clignotant, le port est fermé… Hein? Appel VHF à Durban Harbour Radio sur le 16: il faut appeler Durban Port Control sur le 9. Ces derniers nous donnent l’autorisation d’entrer, mais vite parce qu’un porte-conteneurs fait la course avec nous. Puis dernier appel à la marina sur le 12: plus de place au ponton, il faut se mettre à l’ancre. Et gonfler l’annexe pour descendre à terre. Et il pleut.

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Nous retrouvons au mouillage Mike et Devala sur Sea Rover, qui étaient à côté de nous à la Réunion. Et aussi Michel sur son voilier Gaston que nous avions rencontré au Vanuatu. Lui a mis dix-neuf jours pour venir de la Réunion, avec son tourmentin, car la drisse de génois avait cassé. Conditions pénibles aussi, du calme plat au gros temps.

Mardi 22 novembre 2016 – Richard’s Bay : suite et fin ?

Fini les animaux dits sauvages… Si tout va bien, nous devrions mettre les voiles dans la nuit vers Durban. Pour l’instant, le vent souffle très fort du sud, mais la dépression est censée partir vers l’est dans la journée et le vent de secteur nord reprendre le dessus. Nous reprendrons des GRIBs dans l’après-midi.

Mais d’abord, le parcours du combattant : flight plan remplis, il faut maintenant obtenir tous les tampons pour être en règle.

La première étape sera le Zululand Yacht Club, qui fait office de « Port control », suivie de l’immigration qui vérifie nos passeports, puis la douane qui s’assure que nous ne laissons pas de dettes et que Kousk Eol est bien déclaré, puis enfin la police qui nous demande si nous ne transportons pas d’armes et nous souhaite un bon voyage. Dernière étape : retourner au bureau de la marina de Tuzi Gazi, où se trouve Kousk Eol, qui envoie par email une copie du flight plan aux autorités portuaires.

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Le « flight plan » avec ses tampons.

Nous revoyons nos copains suédois, qui sont arrivés eux par le canal du Mozambique, et partagent avec nous les derniers potins du port. Ça commence évidemment par la météo : les dépressions se suivent sans s’essouffler, tous les trois jours. Alors qu’en temps « normal », il y a au moins trois jours entre dépressions. Combien de temps va-t-on devoir attendre à Durban, sachant qu’il nous faut presque trois jours pour l’étape suivante, East London, sans abri entre les deux ports ? Un voilier néo-zélandais est arrivé dans la nuit, avec de la casse suite à un coup de vent et de grosses vagues au sud de Madagascar. Tiens, tiens… Sur le catamaran amarré en face, le skipper a eu le bras cassé lorsque son bateau s’est fait chahuter par une déferlante qu’il jugeait de six mètres, au même endroit. Et un Écossais arrivé cette nuit nous raconte que, de nouveau au sud de Madagascar, les conditions étaient tellement dures qu’il a voulu se mettre à l’abri sur la côte vers Fort Dauphin : très mauvaise idée. Il a cru perdre son bateau plusieurs fois dans les déferlantes. Et son visage, très marqué, témoignait encore de la dureté de cette traversée, plusieurs jours après.

15h : les autorités portuaires nous confirment par VHF que notre flight plan est bien arrivé… Nous avons le droit de partir. Entre temps, le vent tombe, mais la pluie le remplace.

Pourquoi est on si nerveux pour la météo ? Rappelez-vous : le sud-est de l’Afrique du Sud est balayé par un courant venant du nord, le fameux courant des Aiguilles. Vous savez tous que quand le vent remonte contre un courant, de belles vagues peuvent être créées. Ici se trouve le domaine des vagues dites scélérates : des monstres de plus de dix-huit mètres (mesurés), quasi verticaux, qui vous plient un bateau comme Sarkozy un journaliste qui ne lui pose pas la bonne question.

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Ce qu’on veut éviter…
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Ce qu’on recherche…

La fameuse fenêtre météo est la durée pendant laquelle on peut bénéficier de vents favorables, dans notre cas du secteur nord. Pour Durban, une grosse journée suffit. De Durban à East London, deux cent cinquante milles, il faudra trois jours pour avoir une bonne marge.

21h35 : après une dégustation de bœuf local au restaurant du coin, nous larguons les amarres vers Durban.