Traversée Pointe à Pitre-Toulon Mai-Juin 2021 : Gibraltar-Barcelone

Jeudi 17 juin 2021

Donc nous disions : nous sommes arrivés à Gibraltar dans la matinée, après un peu moins de sept jours depuis Ponta Delgada. Kousk Eol est amarré ponton 12, place 36 vers 11h00. L’équipage (Bernard, Jacques et Claude) ne perd pas trop de temps à aller se faire beau dans les douches : le plan est d’aller à Gibraltar, d’aller boire une bière et manger un fish’n’chips, qui comme chacun sait est une spécialité culinaire incontournable britannique.

La frontière est passée encore plus facilement qu’une lettre à la poste : côté britannique comme côté espagnol, à peine un vague coup d’œil est jeté à nos passeports. Et personne ne nous demande quoi que ce soit concernant la covid 19…

La première étape est de passer chez un shipchandler en espérant dénicher de quoi réparer les chariots de grand-voile. Espoir vite déçu, mais nous nous y attendions un peu… On re-bricolera quelque chose en attendant de trouver mieux.

Puis nous remontons Main Street, avec ses boutiques de plus en plus désuètes, avant d’arriver à l’Angry Friar, pub haut lieu du poisson-frites. Ça nous arrange de manger comme les Britanniques, un peu tôt : Richard doit arriver dans la soirée.

20h45 : Richard est à bord. Demain, nous récupérerons Gianni dans l’après-midi.

Le vendredi est consacré aux diverses réparations et nettoyage du bateau. Les chariots sont effectivement réparés le mieux possible, avec de nouvelles rondelles, en inversant la position de certains. Il suffit que cela tienne jusqu’à Toulon.

Réparation du lazy-jack.

Gianni arrive vers 14h30, et nous allons tous faire les course avant notre départ le lendemain matin. En récompense, nous nous faisons un asador, un restaurant de viande, le soir : viande excellente dans une ambiance un peu bruyante…

Samedi 19

Petit déjeuner, dernière douche et on part, après avoir réglé nos dettes à la capitainerie : 31 € la nuit pour Kousk Eol , c’est moins de moitié moins cher qu’à Toulon !

10h30 : ça y est, nous sommes partis. La météo nous promet un vent soutenu (20 à 30 nœuds d’ouest) qui devrait nous permettre d’avancer rapidement, au moins jusqu’au Cabo de Gata, après Almeria, et juste avant la remontée vers Barcelone.

Juste pour vous donner une idée du trafic autour du détroit…
La pointe sud du Rocher et la tour Victoria.

Et effectivement, ça pulse : Kousk Eol se permet des pointes à plus de 13 nœuds, malgré deux ris dans la grand-voile et le génois un peu roulé, au largue. Puis le vent continue de forcir, de concert avec la mer. Bientôt, il faut se résoudre à prendre le troisième ris, et à rouler un peu plus le génois : nous continuons malgré tout à dépasser les 12 nœuds… Le Cabo de Gata est atteint vers 10h le lendemain : environ 170 milles en ligne directe depuis notre départ, en un peu moins de 24h, alors que nous avons tiré des bords de largue ! Nous aurons fait sept empannages cette nuit ! Tous maîtrisés de main de maître.

Et c’est monté à plus de 13 nœuds…

Le vent ne mollit pas dans la remontée vers Cartagène et le Cabo de Palos. Et la mer s’est à peine assagie : au largue, nous nous faisons, doux euphémisme, un peu ballotter… Il ne faudrait pas que cela dure trop longtemps ! Mais bon, il fait grand beau.

Cinq mâles dans un canot

Je suis sûr que vous vous êtes posé la question : « Mais comment ils font, cinq mecs, pour se partager l’univers assurément restreint d’un voilier ? ». Même si celui-ci est Kousk Eol. Pour les longues traversées, nous privilégions une certaine forme de confort : que chacun ait sa couchette et sa cabine. Bon, d’accord ; à quatre, il y en a tout de même un qui dort dans le carré.

A cinq, la solution la plus naturelle est de partager la cabine avant, la plus grande. Pour assurer une certaine intimité, une toile anti-roulis a été expérimentée lors de la traversée vers les Antilles. L’intérêt évident d’être plus nombreux lors des traversées est la durée des quarts : à cinq, un quart de deux heures fait largement l’affaire, et est passé relativement vite.

Par contre, l’activité « nourriture » devient un peu plus compliquée, à commencer par l’approvisionnement. « Moi j’aime bien ça : on en prend ? » « Heu, tu es sûr ? Bof, bon, si tu veux, mais pas trop… » « Ah vous avez pris ça ? Quelle drôle d’idée ! C’est dégueulasse ! ». Mais entre marins gentlemen et de bonne éducation, l’art du compromis est complètement maîtrisé : « Dès qu’il a le dos tourné, son truc de merde, je te le balance par dessus bord vite fait ! ».

Une tendance assez naturelle, au bout de quelques jours de confinement à bord, est que l’intérieur se transforme magiquement et assez rapidement en terrier de chacaux humides1. Argument imparable : les manœuvres sont plus importantes qu’une quelconque entreprise de rangement !

Finalement, ça a l’air presque rangé, non?

D’accord. Mais alors, est-on obligé de pisser autour de la cuvette des WC ? Ou de ne pas rincer complètement celle-ci ? Je pose la question… « Ouais, mais tu as déjà essayé quand ça roule de 30° sur chaque bord ? ».

Nos femmes nous disent de pisser assis… Mais c’est vachement dur !

Et l’odeur, alors ? Ben quand tout le monde est à la même enseigne côté usage parcimonieux de l’eau douce, ressource vitale et limitée à bord, on ne remarque plus. Enfin : presque plus… Heureusement qu’il y a les lingettes pour bébés !

Lundi 21

Le vent a rendu l’âme progressivement, et la mer, par solidarité, montre un encéphalogramme résolument plat : enfin on ne se fait plus secouer dans tous les sens. La nuit se termine naturellement au moteur.

Quart de nuit, cool.

La journée est magnifique : grand soleil et pas un nuage, mer d’un bleu hyalin fendue par un Kousk Eol toujours d’accord pour tracer un coruscant et éphémère sillage. Nous jonglons entre moteur et vent.

La position du barreur couché.

Vous vous en doutiez, ça ne dure pas. Les quinze nœuds des GRIB se transforment en trente nœuds, au près. De nuit, le confort ressenti n’est pas terrible, surtout qu’il y a un peu de mer, et que régulièrement, une vague joueuse passe par-dessus le pont.

Ça gite juste un peu…

« Claude, regarde, si on abat un peu, on arrive facilement à Ibiza. », plaide Gianni.

« Non Gianni, il faut qu’on arrive à Barcelone le plus rapidement possible pour le train de Richard. ».

« Oui mais c’est dommage de ne pas s ‘arrêter à Ibiza. »

« Non Gianni ! »

« Parce que tu sais, à Ibiza… »

« NON, Gianni ! »

Trois heures après, le vent a à peine faibli.

« Claude, regarde, on pourrait abattre et aller à Majorque. Je connais un bon resto avec une serv… un serveur calabrais très sympa… »

« NON, GIANNI ! »

« Mierda, je me suis encore fait avoir par les publicités mensongères, avec cette croisière sur Kousk Eol… »

Comme pour couronner cet échange, un bruit étrange monte du carré, et ce n’est pas une vague qui s’écrase contre la coque. Une rapide inspection désigne le coupable : c’est l’axe de rotation de la cuisinière qui s’est usé et a cassé… On réparera au jour.

Ce qui est fait, avec maestria. En attendant, le vent ne mollit pas, et oblige à tirer des bords qui ne nous rapprochent que très lentement de notre destination. Ça faisait longtemps que nous n’avions pas fait autant de près. Du coup , l’espoir d’être ammarrés avant minuit n’est plus d’actualité. Au mieux, nous devrions arriver en début de matinée. Mais ça risque d’être juste pour le train de Richard.

Mercredi 23

Eh ben non : ce qu’il y a de rassurant avec la voile, c’est qu’on s’affranchit complètement des activités de notre vie quotidienne réglées comme des horloges. À 4h45, nous arrivons au sud de la ville . La lune s’est couchée depuis longtemps et le ciel est noir. Les lumières de Barcelone ne peuvent se rater. Caché derrière un gros nuage très sombre, on a l’impression qu’il y en a un qui n’arrête pas de prendre des photos de Kousk Eol au flash…

Et vous savez quoi ? La voile est descendue toute seule. Miracle !

Et à 6h00 nous sommes amarrés au quai d’accueil de la marina d’Ibiza, heu non : de Barcelone… Sous un magnifique arc-en-ciel sur 180°.

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1 Un chacal humide, des chacaux humides, c’est pas compliqué, quand même ! Rien de très surprenant pour de soi-disant loups de mer. Vous ne serez pas sans remarquer que je ne fais aucune référence ici à une quelconque bauge de sangliers.