La première fois que j’ai entendu parler de Wallis (et sa sœur Futuna), c’est en regardant la collection de timbres de mon grand-père quand j’avais une dizaine d’années. Je ne comprenais pas alors qu’on puisse faire des timbres pour des bouts de terre qu’on ne pouvait même pas distinguer sur un planisphère… Du coup, y aller en voilier, c’était inimaginable.
Wallis, comme les îles de la Société, est composée d’une île principale, Uvea, entourée d’un lagon et de sa barrière de corail. L’atoll fait environ treize milles sur huit. Il est à mi-chemin entre Tahiti et les Tuamotu dans sa transformation : une île principale large et basse et un lagon très étendu. La passe principale, Honikulu, est au sud.

Les deux mouillages principaux sont devant Mata Utu, la capitale, sur la côte ouest, et Halalo au sud-ouest, en principe mieux protégé des vents dominants en cette saison. Donc on essaie Halalo : effectivement très protégé, mais aussi très isolé…



La navigation dans le lagon n’est pas difficile mais demande de bien respecter la signalisation, en particulier les balises « essouesse », qui hésitent entre l’est et l’ouest.


Rien ne se passe comme ailleurs à bord de Kousk Eol : c’est pareil lorsque le préposé à la navigation demande au barreur d’abattre pour remonter un peu au vent…


26 mai. Comme nous ne sommes pas à Wallis très longtemps, nous décidons d’aller devant la ville, Mata Utu. Nous mouillons devant la ville : c’est aussi là que se trouvent la gendarmerie et la douane, pour les formalités. Nous sommes seuls au mouillage, et apprendrons qu’une petite dizaine de voiliers passe chaque année : Wallis n’est pas sur la route naturelle des alizés, et il faut faire un détour pour y aller, et accepter d’avoir des vents variables, à cause entre autre de la zone de convergence qui n’est jamais loin.
Le mouillage secoue un peu, étant plus exposé à l’alizé, mais il tient bien, et le « centre-ville » est à portée d’annexe. Les formalités sont vite expédiées et nous faisons notre premier tour dans Mata Utu : pas vraiment de centre, les maisons et les bâtiments officiels et commerciaux donnent l’impression d’être un peu éparpillés.

Sur le front de mer, près du quai de débarquement, une belle cathédrale en pierres sombres de lave se dresse, à côté d’une maison majestueuse : c’est le palais du roi.


Eh oui : Wallis, environ huit mille cinq cents habitants (gabarit identique aux Samoans), fait partie de la république française, mais le droit coutumier est toujours présent et très fort avec une chefferie incontournable. Un roi est élu par une sorte de conseil des sages dont les membres sont issus des « grandes » familles de l’île, ainsi que ses ministres. Le poids de ce gouvernement parallèle est très fort sur l’ordre qui règne ici.
Le roi peut être destitué pour conduite non-conforme par le conseil : c’est ce qui est arrivé au roi précédent qui a régné quarante ans. Mais la famille de ce dernier et son clan n’ont pas accepté cette décision, et depuis 2005, deux rois se disputent : le dissident, supporté par les Royalistes, et le nouveau, élu par les Rénovateurs, scindant l’île en deux parties, le Nord et le Sud. Les tensions ont parfois été très fortes, et des menaces proférées entre les familles des deux camps. La situation semble avoir évolué, un grand nombre de Royalistes se ralliant aux Rénovateurs, et 2016 pourrait être l’année de la normalisation, une fois que la cérémonie du kava1 aura pu se tenir.

Futuna est aussi un royaume coutumier, mais là, les deux rois sont institutionnalisés depuis longtemps, ce qui n’a pas été sans poser des problèmes de préséance lors de la visite de Hollande, où un seul des deux rois est venu accueillir le président. Cette visite éclair semble d’ailleurs avoir laissé un sentiment de frustration chez les Wallisiens : « Pour une fois qu’un président nous rend visite, on n’a même pas le temps de le voir. »…

Durant tout ce temps, la préfecture républicaine locale s’est impliquée a minima, peut-être pour éviter de prendre position dans un contexte mal maîtrisé par des papalagis2.
Nous louons une voiture pour faire un tour d’ Uvea. Notre voiture sera une Zotie chinoise affichant vingt mille kilomètres au compteur : plus une portière ne s’ouvre correctement, et le loueur nous recommande de ne pas essayer d’abaisser les vitres ! Heureusement, la climatisation marche encore. Ces voitures ne sont pas chères, mais il semble que l’on en ait pour son argent. Et les pièces de rechange sont apparemment difficiles à obtenir… Irène nous avait déjà raconté la même histoire avec sa voiture, chinoise elle aussi. Nous ménagerons notre carrosse !

Sur Uvea, il y a deux routes principales, la RT1 et, devinez, la RT2. Courageusement, devant cette complexité, nous décidons de partir sans carte. Première étape : on se dirige vers le sud, en prenant les chemins sur la gauche dès que nous le pouvons, pour admirer le lagon.




Nous arrivons à Halalo, où nous avions mouillé en arrivant. Un quai supporte des cuves de stockage de carburant : il date de la dernière guerre, du temps où les Américains avaient débarqué et installé une base ici pour empêcher les Japonais de bâtir une autre tête de pont dans leur conquête du Pacifique, et ainsi menacer l’Australie et la Nouvelle Zélande. Il faut se souvenir que Wallis, c’était Vichy, jusqu’à ce qu’un émissaire de de Gaulle n’arrive et convainque les autorités de changer de camp. Apparemment, seul le clergé était vraiment pro-Vichy. L’aéroport au nord a été réalisé lui aussi de cette époque.


Un club de plongée tenu par un papalagi s’est installé sur la plage pour faire découvrir les beautés des fonds aux visiteurs. Le propriétaire nous montre une carte détaillée et nous recommande d’aller voir le cratère Lalo Lalo, environ trois cents mètres de diamètre, rempli d’eau douce jusqu’à environ cinquante mètres sous les bords verticaux du cratère.

Les Américains, avant de repartir, y auraient déversé des munitions et du matériel qu’ils ne pouvaient ou ne voulaient pas remporter.
Les Wallisiens sont des sages : la terre leur appartient et ne peut être achetée par un « étranger ». Il n’y a pratiquement aucune infrastructure pour accueillir des touristes. Même le Club Med, qui avait des vues sur ce lagon magnifique et non exploité, s’est fait remercier. Le fait que Wallis ne soit pas sur les routes de navigation contribue aussi à l’isolement. Le côté plus sombre est l’exode des jeunes, qui voient de moins en moins leur avenir sur l’île pour beaucoup. Par exemple, il y a plus de trente mille Wallisiens en Nouvelle-Calédonie (pour huit mille cinq cents sur l’île).
Il n’y a pas de cinéma et encore moins de théâtre, quelques rares restaurants. Pas de musée non plus racontant l’histoire de Wallis : nous nous faisons expliquer qu’ici on n’a pas la culture du vestige comme en Europe. La tradition est orale, pas écrite.
Par contre, comme toujours, il y a un grand nombre d’églises.


Nous continuons notre tour pour finir au SuperU (eh oui) et profiter de la voiture pour faire le plein de nos jerrycans de gas-oil et racheter des bidons d’eau potable.
Nous rencontrons un couple d’expatriés, Philippe et Catherine, lui retraité et elle prof de sport au collège : ils nous invitent à un apéro qui se transforme rapidement en repas. Nous devrions nous revoir pour aller compléter notre visite de l’île.
27 mai. Nous nous déplaçons vers la barrière du lagon pour une plongée dans le Trou de la Tortue, une cavité d’une vingtaine de mètres de profondeur, à la limite de l’atoll. Les poissons sont jolis, mais le corail semble avoir un peu souffert.

Les petits motus ont de magnifiques plages de sable blanc.
Uvea par contre n’a pratiquement pas de plage de sable : nous apprendrons que ce dernier a été surexploité pour la construction, qui a provoqué la disparition des plages que des anciens Wallisiens nous disent avoir connu du temps de leur jeunesse.
Nous rencontrons enfin Tomy, le Wallisien copain de Bernard et qui a joué au rugby avec lui à Antibes. La soirée va passer à se rappeler les souvenirs communs, à essayer d’en savoir un peu plus sur Wallis, et à déguster les plats locaux qui avaient été préparés : salade de perroquet cru au lait de coco, poulpe, taro, arbre à pain.




18 heures : c’est l’épouse de Tomy qui nous emmène à l’aéroport y déposer Maurice, pour qui la croisière se termine ici. Presque un mois ensembles sur Kousk Eol, ça laisse des traces ! Nous verrons si les leçons de pêche auront été assimilées, et si nous serons capables de faire aussi bien.
28 mai : journée tranquille de nettoyage et bricolage. Nous faisons tout de même un petit tour à terre pour essayer, sans succès, de se connecter à Internet. Et nous tombons sur Philippe et Catherine, qui du coup viendront manger ce soir sur Kousk Eol.
Et qui passent nous prendre le lendemain avec leur bateau à moteur pour nager vers le Trou du Diable, pas loin du Tour de la Tortue où nous étions allés : on dirait un tombant à l’intérieur du lagon, qui descend presque verticalement jusqu’à une trentaine de mètres. De nouveau plein de jolis poissons multicolores, et évidemment aucun des appareils photo étanches ne fonctionnent… A la mi-journée, nous nous arrêtons sur l’îlot Nukuhione (je rappelle que le « u » se prononce « ou ») pour pique-niquer, avant d’aller prendre le café en terrasse sur Kousk Eol.





30 mai. Le matin est dédié aux formalités de sortie et aux course, et l’après-midi nous retournons au cratère de Lalo Lalo avec Philippe et Catherine, cette fois pour nous y baigner…
Nous profitons aussi de l’après-midi pour visiter les ruines d’un fort tongien.
Demain, nous partons quittons Wallis. Les prochaines étapes seront Futuna, la « sœur » de Wallis, puis quelques-unes des très nombreuses îles des Fidji, avant celles du Vanuatu, pour arriver à Nouméa vers la fin juin pour réceptionner MarieJo et Cathy. Point, donc, d’amoncellement de coquecigrues pendant quelque temps: nous ne devrions pas avoir accès à la toile mondiale très souvent. Profitez-en pour redonner des couleurs à vos neurones!
PS: certaines des photos (forcément les plus belles) nous ont été données par Philippe et Catherine.
1– Le kava est à la fois une plante sacrée et une boisson utilisée lors des cérémonies : on présente l’arbre au roi avant d’aller le replanter, puis on avale le breuvage.
2– Les papalagis (prononcer : papalanis) sont le nom walisien des Européens vivant sur l’île.