Lundi 13 juin 2016. Donc, nous disions : nous appareillons vers treize heures pour une traversée de cent trente milles vers Levuka, l’ancienne capitale des Fidji sur l’île d’Ovalau, à côté de Viti Levu sur laquelle se trouve Suva, la capitale actuelle. Nous laissons derrière nous les Îles à Explorer (Exploring Isles) et Vanua Balavu, dans l’archipel Lau, un mouillage que nous ne sommes pas prêts d’oublier, tant il est différent de ce que l’on a pu connaître jusqu’à présent. Presque aussi beau que le mouillage derrière Costaeres, c’est tout dire.
Bref, ce n’est pas le tout. Il fait beau, la mer est calme, mais le vent n’est pas violent : après une heure de moteur, la traversée démarre avec le Code D, qui n’avait pas servi depuis quelque temps.
Au fait, on ne vous avait pas tout dit : nous étions sournoisement repartis faire une incursion dans la moitié ouest du globe : Vanua Balavu est sur le méridien 179°W… Mais rassurez-vous, on repart vers l’est, et on devrait re-franchir les 180° dans la nuit, au milieu de la mer de Koro.
Le vent remonte avec la nuit, environ quinze nœuds de sud-est : Kousk Eol file à huit nœuds sur une mer plate pour une fois. Le grand confort. Et le ciel est étoilé, pratiquement sans nuage. Du coup les quarts sont paisibles. Et au matin, nous apercevons Ovalau à une vingtaine de milles devant nous : cette traversée restera dans la catégorie « Traversées cool ».
La passe devant Levuka est large : heureusement, car les balises du chenal ont dû être emportées par le dernier ouragan… Ici aussi, c’est le clocher d’une église qui sert de balise d’alignement, et lui a tenu !
D’ailleurs, un petit cargo à moitié coulé est renversé contre le quai d’accueil du port de commerce : encore un méfait du dernier cyclone.
Nous sommes seuls dans la petite baie : pas de voiliers, mais pas non plus de bateaux de commerce. Nous débarquons avec l’annexe. Comme à Savusavu, la ville est traversée en un quart d’heure. À part une usine à poisson, il ne semble pas y avoir d’activités débordantes. En fait, nous découvrirons que les maisons d’habitation sont plutôt construites sur les hauteurs. La population a bien changé depuis que nous sommes aux Fidji : les Mélanésiens ont remplacé les Samoans, même si l’on rencontre des Indiens, immigrés plus récents.
Nous passons devant la plaque rappelant que les Fidji ont fait partie de l’empire britannique, avant d’acquérir leur indépendance en 1970.
Sur un promontoire, un imposant monument commémoratif blanc, pour honorer les Fidjiens partis se faire massacrer en Europe pour défendre les valeurs occidentales pendant la Grande Guerre, qui n’aura jamais mieux mérité son qualificatif de « mondiale »…
Juste à côté, un hôtel un peu désuet : Le Royal Hotel. C’est le premier hôtel construit aux Fidji à la fin du dix-neuvième.
Ce soir, nous allons au restaurant : nous avons repéré le Whale‘s Tale, qui nous semble approprié. L’accueil est chaleureux. Le restaurant est tenu par deux Fidjiennes qui assurent service et cuisine, avec un grand sourire et une bonne chère.
Un couple d’Australiens retraités vivant à Levuka, John et Marylise, sont les autres clients. Ils tiennent un bed and breakfast et nous racontent la vie ici. Le cyclone Winston revient plusieurs fois dans la conversation. C’est le premier sur Levuka depuis plus de trente ans : si les Fidji n’ont pas été épargnées toutes ces années, l’ancienne capitale était considérée comme un havre protégé, bâtie dans le fond d’un ancien cratère. Jusqu’à Winston, ouragan de catégorie cinq, la plus haute. Personne n’y a cru jusqu’à ce que la catastrophe s’abatte sur la petite ville. C’est bien lui qui a coulé le petit cargo le long du quai, ainsi qu’un autre sur la côte un peu plus loin. Les commerces sur la rue principale ont tous été envahis par l’eau qui est montée de plusieurs mètres. Sympa. Le meilleur dessert du restaurant est la crêpe à la banane, mais le cyclone a ravagé tous les bananiers de l’île, ainsi que tous les papayers. Donc pas de crêpe à la banane : on aura à la place une excellente crêpe à l’ananas, importé de Suva, la capitale.
Très peu de voiliers s’arrêtent ici. Tout le monde nous a vu arriver, et comme il n’y a aucun autre bateau dans la petite baie nous sommes un peu l’attraction : « Oh you are from the sailing vessel ! ». Vessel ? Kousk Eol vient d’avoir de la promotion.
Mercredi 15 juin. Pour nous faire une idée de la « ville », nous empruntons un chemin montant jusqu’à une cascade d’où l’eau est captée pour les habitants, sur les flancs de l’ancien cratère. Nous nous offrons même le luxe d’une baignade dans l’eau douce. Tout le long du chemin, nous sommes hélés par des « Bula ! ». Les villageois sont au travail pour réparer les dégâts de l’ouragan : murs abattus, toits envolés, poteaux électriques arrachés, arbres déracinnés… Tout est monté à dos d’homme depuis le bas : aucun engin ne peut arriver sur les hauteurs, où se trouve la majorité des maisons.
La vue depuis les hauteurs est magnifique sur la baie et les îles plus lointaines.
Si nous arrivons à prendre les GRIBs, donc si nous arrivons à nous connecter à internet, nous partirons ce soir un peu plus vers le Sud. En attendant, à midi, nous retournons voire nos copines du Whale’s Tale…
Le nom du restaurant viendrait du fait qu’il y avait beaucoup de baleines devant la ville jusqu’à il y a quelques années, qui arrivaient du sud pour mettre bas. Elles sont beaucoup plus rares maintenant. La panse remplie, nous retournons au Royal Hotel pour tenter une connexion avec la toile mondiale. Ce ne sera possible qu’avec un des ordinateurs de l’hôtel, donc juste une petite session de Skype et pas de mise à jour du blog. Nous prendrons les GRIBs via Iridium : pas de vent pour les prochains deux jours…
Nous partirons dans la nuit vers le sud et le grand récif de l’Astrolabe, à soixante-dix milles, pour viser une arrivée dans la matinée, au moteur.