Lundi 29 août. Nous venons de passer la nuit à l’ancre, dans Fannie Bay, juste devant la marina de Cullen Bay, à l’entrée de l’estuaire vers le port de Darwin.
Les autorités sont strictes : interdit d’accoster avant l’inspection et l’autorisation de la douane et des services sanitaires. Nous allons pouvoir tester : même les Australiens rencontrés durant notre périple nous ont recommandé d’éviter l’Australie si nous pouvions à cause du côté tatillon des administrations…

La douane n’est joignable que par téléphone : heureusement, la marina nous aide sur ce coup, et nous obtenons un rendez-vous à dix heures trente au ponton d’accueil. Tout en apprenant que nous n’avions pas le droit accéder à ce ponton la veille, malgré les indications reçues… Encore quelques exercices pratiques à la VHF et notre Australien devrait être suffisant pour survivre…
Huit heures trente : appel de confirmation sur le canal 11, celui de la marina. Nous sommes bien attendus à dix heures trente au ponton par les agents d’Australian Border Force et Bio Hazard. Les premiers sont le nouveau nom des douanes et de l’immigration ici, et les deuxièmes le service sanitaire.
Dix heures trente pétantes, ponton de la marina. La douane est là, avec cinq agents en uniforme noir et un chien renifleur. Ça ne rigole pas. Le bateau est inspecté de fond en comble avec des gants de chirurgien. Tout le bateau y passe : rien n’est laissé de côté. Les équipets, les fonds de cale, l’emplacement du moteur. Les bouteilles de vin sont mises sous scellés jusqu’à notre départ : on nous laisse seulement l’usage des canettes de bière restantes… Puis le chien vient renifler, d’abord le pont et les coffres, puis l’intérieur. Nous n’assisterons pas à l’exercice : on nous prie poliment de descendre à terre durant ce temps.
Ensuite vient le tour de l’inspectrice sanitaire. De nouveau tout est scruté : ce qui nous restait de frais (choux, citrons, patates, œufs, saucisses, oignons, ail…) est mis à la poubelle. Les souvenirs en bois des différentes escales sont inspectés individuellement pour d’éventuelles traces de vers ou termites. Les coquillages ramassés au gré des plages sont vérifiés un par un, et il y en a quelques-uns. Les ouvertures des réservoirs d’eau y passent aussi, pour s’assurer que des moustiques ne puissent venir y pondre. Le pourcentage d’œufs dans le tube de mayonnaise est contrôlé : 6 %. Ouf : la limite est 10 %.
Mais tout se passe bien : on peut enfin retirer le drapeau jaune de quarantaine et aller à terre !
Fini ? Non, pas tout à fait… Il faut encore inspecter la coque et les circuits d’eau de mer du bateau avant de pouvoir entrer dans la marina : refroidissement du moteur, vidange des toilettes. Au cas où de sales bébêtes se seraient planquées, prêtes à infester les eaux locales. Un plongeur se met à l’eau, et la coque est déclarée OK : nous avons eu une bonne idée de gratter en Nouvelle-Calédonie. Puis du produit bactéricide est injecté dans toutes les canalisations, qu’il faut laisser agir pendant dix heures. Dix heures pendant lesquelles Kousk Eol est consigné au ponton d’accueil. Mais nous avons le certificat attestant que Kousk Eol est « Pest free ».
Il est maintenant presque quatorze heures : après trois plombes et demie sous le soleil, nous tenons enfin le bon bout. Nous avons tous nos papiers signés, et la permission d’aller à terre. Nous n’avions jamais eu droit à une telle inspection auparavant ! Les agents sont stricts et professionnels, mais plutôt accueillants, s’essayant même à quelques mots de français. Et chaleureux une fois leur boulot fini.
Nous profitons de l’autorisation de débarquer pour aller faire un tour en ville. Darwin, grosse bourgade provinciale malgré son statut de capitale des Territoires du Nord, a eu de la place pour se développer : larges rues, ville étendue bien que « seulement » cent quarante mille habitants y vivent. Le rythme y semble cool. Pas de bouchons, peu de monde : no stress, mate.
A gauche l’avant-port de la marina, avec le ponton d’accueil et l’écluse. Derrière celle-ci se trouve la marina de Cullen Bay. Et à droite dans le fond, le centre de Darwin.

La ville a l’air plutôt cosmopolite : caucasiens, indiens, asiatiques… Du coup, il y a un large choix de bons restaurants. Les quelques aborigènes que nous apercevons sont tristement les clochards de la cité : drôle de destinée pour les premiers occupants de l’île-continent. Tout le monde n’a apparemment pas été égal durant la colonisation puis le développement du pays.
Le centre est très aéré avec son artère piétonnière agréable, ainsi que ses rues bordées de boutiques et de cafés. L’hiver (en ce moment) est chaud à Darwin. Alors que l’été lui est très chaud, et humide, au dire des habitants. Nous ne nous plaindrons donc pas.
Le crocodile marin, pas rare, est le godzilla du coin : c’est la bestiole qu’on va voir en quatre-quatre pour s’offrir quelques frissons… D’ailleurs, Toyota semble faire un tabac dans la région avec ses voitures tout-terrain.

Mardi 30 août, huit heures, largement plus que les dix heures requises après l’injection du bactéricide. Les portes de l’écluse s’ouvrent : nous pouvons enfin entrer dans la marina de Cullen Bay.

Comme dit le gardien : « Ne faites pas trop de bruit : il y a quelques millions de dollars qui dorment ici… ». En gros, la marina ressemble à un Port Grimaud qui aurait eu les moyens de s ‘étendre : au lieu d’appartements, ce sont de grosses villas qui ont leur ponton privatif. Avec le yacht qui va bien, amarré. Mais, snobisme suprême ?, pas de wifi ici : il faut aller en ville. Le côté maléfique des ondes électromagnétiques doit être incompatible avec la sérénité revendiquée de l’endroit.

Pas grave, nous allons sur le Water Front de Darwin, à quelques kilomètres : un nouveau quartier le long de l’estuaire, plutôt réussi. Et comme nous y arrivons pour les happy hours1, nous nous installons à une terrasse et usons du wifi gratuit. Gratuit ? Pas tant que ça : nous nous apercevrons le lendemain que nous avons droit à un article dans Facebook indiquant que nous sommes passés par ce bistrot. Comme intrusion dans la vie privée, c’est assez réussi !

Mercredi 31 août. Nous quittons Darwin demain vers l’île Maurice. Il faut d’abord passer aux bureaux de l’Australian Border Force pour la « cleareance » de sortie. Nous y avons droit à une leçon sur la législation en Australie : il est impératif de prévenir de son arrivée dans le pays quatre-vingt-seize heures à l’avance. Dans notre cas, comme nous avons décidé au dernier moment, nous avons envoyé un email via Iridium quarante-huit heures avant. Email qui apparemment n’est jamais arrivé. Il a fallu prouver que nous l’avions bien envoyé : la préposée a épluché notre téléphone Iridium, et a bien voulu reconnaître que nous avions effectivement essayé. Mais nous a fermement averti : si vous ne prévenez pas quatre-vingt-seize heures avant de votre arrivée, vous serez redevable d’une amende de trois mille dollars, dont on vous fait grâce pour cette fois…
– Oui mais Madame, nous n’avons que des moyens limités d’accès à internet à bord.
– Messieurs, ceci est votre problème : la loi est la loi.
– Bien Madame. Merci Madame. Bonne journée Madame.
Donc, nous répétons : fonctionnaires sympas, mais intransigeants. Ils font appliquer leurs lois. Si ça ne vous plaît pas, ne venez pas…
Nous faisons encore quelques courses au Woolworth du coin, surtout du frais : rappelez-vous, tout ce qui restait hors longue conservation à bord nous a été confisqué par les services sanitaires.

Nous rentrons en taxi avec nos emplettes, pour nous apercevoir que celui-ci est moins cher que le bus, à trois. Pour finir en beauté, Philippe nous invite à passer cette dernière soirée darwinienne dans un resto de la marina. Formule « All you can eat », mais pas mal du tout dans le genre. C’est bien la première fois qu’on peut reprendre des huîtres (excellentes !) autant qu’on veut ! Avec un petit riesling australien bien frais : il faut ce qu’il faut.
Jeudi 1er septembre. Neuf heures : un dernier café tous les trois à terre, puis il est temps d’y aller. L’écluse est réservée pour dix heures. Nous laissons derrière nous un Philippe un peu ému… Pour nous remercier de notre patience? Le bureau de la marina nous offre de belles casquettes au moment du départ.

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1– Mais alors là, tout à fait par hasard. Complètement. On n’y songeait même pas. Bien sûr, une fois installé, on ne va pas rembarrer la serveuse qui nous propose si gentiment une petite mousse. Vous auriez fait pareil, non ?