Pour une taxinomie de l’équipier: amis, sangliers et blaireaux

Avant-propos

Depuis que cet article a été publié, je reçois pas mal de réactions, beaucoup positives mais certaines négatives, m’incitant à donner quelques explications (supplémentaires):

– cet article a été écrit il y a plus de 3 ans, pour un autre blog, sur un autre bateau. Les lecteurs de l’époque m’avaient dit avoir bien ri…

– c’était le résultat d’une discussion (sans doute un peu arrosée) avec un copain marin professionnel, dont la voile est le métier, qui racontait son expérience, surtout des clients payants qui se considèrent comme les rois parce que justement, ils ont payé.

– pour lever tout doute, nous n’avons emmené que des amis sur Kousk Eol. Toujours, et uniquement. Et les amis sont les amis.

– et il me semblait que le ton de cet article allait assez bien avec l’esprit un peu foutraque de ce blog. Et c’est toujours une solution de facilité de faire de la récupération (d’articles ici).

Voila. Je suis désolé que mon sens de l’humour un peu particulier, je vous l’accorde, puisse heurter. Et je compte sur votre indulgence et vos commentaires pour ajuster le tir lorsqu’il semble que ceci deviennent nécessaire.

Claude

PS: le sanglier qui a cassé la poignée de la cocotte (entre autre) est l’auteur de l’article.

Re-PS: ne compter pas profiter de cette situation pour vous faire rembourser votre abonnement!

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Où l’équipage de Kousk Eol montre encore une fois sa volonté de transmettre son impressionnante expérience aux équipages de toutes les mers.

Sur n’importe quel voilier, sauf si le skipper met un point d’honneur à naviguer en solitaire, vous trouverez en général un ou plusieurs équipiers, vaquant avec plus ou moins de bonheur aux tâches que lui aura dévolues le maître du bord.

Un observateur attentif de la vie sur un voilier, avec un minimum d’objectivité, notera rapidement qu’il n’y a pas deux équipiers sortant du même moule. Comme il n’est pas toujours facile de débarquer les indésirables, il est de la plus grande importance pour le skipper sérieux de bien choisir son bord afin de ne pas transformer celui-ci en enfer.

Dans le but de simplifier cette tâche, et faciliter la compréhension, nous proposons ici d’identifier et classer les équipiers-types. Pour ce faire, nous limiterons volontairement les catégories à trois: les blaireaux, les sangliers et les amis, taxinomie proposée par l’ami Jacques V, dit Captain Jack, grand spécialiste en éthologie voileuse, et s’appuyant sur une observation fine des comportements menée depuis de nombreuses années.

Il nous semblait de plus que seulement deux catégories aurait été un peu réducteur: les connards d’un côté, et ceux qui classent les gens en deux catégories de l’autre… Vous voyez le genre?

Donc, pour en revenir au sujet qui nous préoccupe:

  • Le blaireau se caractérise surtout par l’inadéquation entre ce qu’il pense savoir (et qu’en général il clame haut et fort) et ce qu’il sait faire réellement. Le blaireau aura souvent tendance à expliquer au skipper comment il doit barrer son bateau, régler ses voiles, faire la manœuvre de port, et que lui, il ne s’y prendrait pas comme ça. Le blaireau a tout compulsé, consulté, lui. Il sait. De plus, il a déjà tout fait et est allé partout, mieux que les autres. Le lecteur un tant soit peu perspicace aura perçu la légère trace de manque de respect éprouvé par le skipper à l’égard cette engeance. Il est à remarquer qu’on trouve aussi des blaireaux sur les pistes de ski. Ou dans toute activité où la grande gueule pense pouvoir s’exprimer sans conteste. Un autre trait marquant du blaireau est de régulièrement se considérer comme prioritaire par rapport aux autres équipiers, surtout quand il n’y a plus de chocolat ou de bière pour tout le monde… Le blaireau ne proposera jamais de payer à boire, et encore moins le restaurant, en fin de croisière, même après deux ou trois semaines à bord. Non. Tout au plus proposera-t-il de partager la note: après tout, qui a eu de la chance de l’avoir comme équipier?
    Le blaireau ne survit pas à la durée: il ne se passe en général que peu de temps avant que son imposture ne soit devenue flagrante. On ne l’acceptera à bord, éventuellement, que s’il a payé cher sa place et s’il ne descend pas le premier jour la réserve de rhum.
    Ça y est? Vous reconnaissez un de vos proches?

  • Le sanglier est d’une autre nature. En général, le statut de sanglier est attribué au bout de quelques jours, même si quelques spécimens précoces se trouvent élus dès les premières heures à bord . Le sanglier a la particularité de pouvoir être suivi à la trace, visuelle ou olfactive (le « ou » n’étant, ici, nullement exclusif) : WC mal vidangés, miettes ou liquides renversés autour de sa place durant les repas, de préférence sur le tissu des banquettes, douches non nettoyées, traces de semelles sur le pont, odeurs suspectes, etc. Le sanglier aura aussi souvent tendance à casser tout ce que le skipper pensait incassable jusque-là sur le bateau: commande du guindeau, porte du four, poignée de la cocotte Même si un blaireau peut aussi avoir du sang de sanglier (discuter des mystères des croisements que Dame Nature s’autorise n’est pas le propos de ce blog), seul le sanglier peut parfois bénéficier d’une certaine forme d’affection, donc de clémence, de la part du skipper. Le blaireau, jamais.

  • Les amis, eux, sont les amis. Point.

Mesdames, ne vous réjouissez pas trop vite : le fait d’utiliser le masculin ici ne veut en rien dire qu’il n’y a pas de blaireaux (ou sanglier) femmes. Ah que non ! D’abord, c’est quoi, le féminin de blaireau?

Quant au classement de membres d’équipage faisant partie de la famille, la très grande lâcheté et le manque d’objectivité de l’équipe de rédaction interdisent tout commentaire ou opinion trop définitif…

Traversée Galapagos-Marquises: 3e semaine (10-11 Mai 2015)

Semaine, semaine… De deux jours probablement, si nous continuons à ce train.

Dimanche 10 mai. Encore une nuit assez tranquille, vent arrière génois tangoné. Un peu roulante, certes, la houle ne facilite pas l’endormissement entre les quarts!
Au petit matin, Hiva Oa n’est plus qu’à 220 milles.

Et toujours ni voile à l’horizon, ni cible AIS sur notre traceur…

Lundi 11 mai. Belle nuit de nouveau, avec un vent d’Est mollissant un peu (12-15 nœuds tout de même).
Au petit-déj, ça se tire la bourre entre André et Henry: « Alors, on se le met, ce spi? Qu’on montre aux Marquisiens qu’on n’est pas des tafioles! ».
8h: le spi est mis et nous déhale entre 7 et 8 nœuds vers Hiva Oa, à une quarantaine de milles.

Et toujours ni voile à l’horizon, ni cible AIS sur notre traceur…

9h30: Hiva Oa, à une vingtaine de milles, est aperçue, sous les nuages! Encore trente milles avant le mouillage dans la Baie des Traîtres: ça ne s’invente pas! L’histoire doit être chargée dans le coin…

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Hiva Oa au loin…

En attendant, les haut-parleurs du cockpit jouent l’intégrale de Jacques Brel. Et le GSM recommence à donner signe de vie: il semble qu’on arrive vers la civilisation!
Même la VHF s ‘en mêle: appel sur le 16 du sémaphore d’Hiva Oa, qui ont vu notre émission AIS, pour nous souhaiter la bienvenue! Ça c’est sympa! On ira leur rendre visite.

14h30: nous mouillons dans la petite baie Tahauku, port principal de l’île, où nous retrouvons une petite dizaine de voiliers de tous pays.

HivaOa2
Le mouillage à Hiva Oa

Et en guise de conclusion…

Nous aurons décidément fait une belle traversée: rapide, pas toujours très confortable, mais dans de bonnes conditions en général. 16 jours pour 3000 milles, à presque 8 nœuds de moyenne, Kousk Eol s’est bien comporté!

Parmi les faits marquants de cette traversée:

– Une recherche culinaire incessante, en équipe, de mets emplissant, en plus de nos estomacs, les objectifs d’équilibre diététiques (Henry y veillait!) et de surprises gastronomiques. C’est ainsi que nous avons pu déguster une paella de spaghettis/petits pois/moules de Patagonie, un riz cantonais vite orienté vers une tortilla hispanisante par souci de ne pas perdre des pommes de terre, des haricots verts accompagnés de leurs bananes plantain, des purées d’avocats/tomates/oignons/piments, etc. On ne manquera pas de souligner aussi la coutume, fort appréciée, qui s’installa au fil des jours de consommer une salade de fruits sur le coup des 15h (plutôt qu’un dessert au déjeuner de milieu de journée).

– Une absence remarquée de voiles ou autres cibles AIS… Les différents voiliers partis des Galapagos ont certainement pris une autre route: on leur demandera lorsque nous les rencontrerons dans un mouillage.

– Très peu de mammifères marins: juste de rares fois un groupe de dauphins. Aussi deux baleines à 200 m, fugitivement. Et bien sûr les trois mammifères halophiles du bord…Par contre, des centaines et des centaines de poissons-volants.

– Des alizés bien présents. Entre 15 et 20 nœuds de vent pratiquement tout le temps, parfois un peu au-dessus, s’orientant progressivement de Sud-Est à Est au fil des jours, avec quelques grains peu violents. Ce qui nous a permis une route quasi-directe. Seul bémol: le vent arrière, génois tangoné, même s’il tient bien sur ce bateau, est générateur de roulis, pas toujours du dernier confort. Putain de houle!

– Des échanges riches et sans fin entre André et Henry sur leurs expériences respectives, sur les différents bateaux sur lesquels ils ont navigué, sur leurs régates, leurs traversées, leurs trucs de réglage de voile, de tactiques, etc.

– Des moyennes soutenues. 200 milles/24h sur plusieurs jours de suite, nous ne pensions pas cela possible. Et sans faire forcer Kousk Eol… Le pilote n’a jamais fait défaut, mais consommait plus que ce à quoi nous étions habitués, imposant de barrer durant la journée pour recharger les batteries.

_ La vitesse sans doute: quelques prises avec la canne à pêche, dont une dorade remontée à bord. Sinon, plusieurs leurres perdus… A ce train, seuls les gros devaient pouvoir mordre! Point positif (pour les Finlandais): le nombre de pertes de Rapalas a dû obliger à augmenter les cadences de production!

– Et, de façon un peu plus anecdotique, nous aurons fait 16 jours de bâbord amure contre seulement une heure de tribord amure sur ces 3000 milles… Nous avons testé le concept de « Dahu de la mer »…

Le spi et le psy

Ce billet aurait aussi bien pu s’intituler « Croisière avec mon psy ». On vous l’a déjà dit: notre copain Henry, en plus d’être un voileux expérimenté, est aussi médecin psychiatre. Donc docteur es-bobos du corps et de l’âme. Personne n’est parfait…

Et j’entends d’ici les questions que vous vous posez: comment navigue-t-on avec un psychiatre? Je suppose qu’une réponse du style « En réglant bien les voiles, pardi! » ne vous satisfera même pas à moitié… Quoique…

Notre psy-psy joue à touche spi-spi

Ça, c’est pour évacuer le côté navigation: Henry, notre spécialiste des maux et de l’esprit, aime la voile. Lui qui a l’expérience d’embarquement sur des voiliers célèbres et prestigieux avec des marins de légende, qui a passé le Cap Horn sur Pen Duick 6 -excusez du peu- ne peut que constater l’éblouissante tenue de Kousk Eol et de son équipage…
Le challenge des 200 milles/24h lui tient à cœur: son passé de régatier confronté à celui du DD dans le domaine ne pousse pas à baisser les bras… Henry n’est jamais le dernier pour mettre le Code D ou le spi, et tenter de faire monter la moyenne à 10 nœuds. Nous sommes parfois conduits à refréner ses ardeurs!
Avec André, nous avons tout de même un petit doute: challenge des 200 milles/24h, ou absence de sa doudou Lilou à l’ombre du cocotier sur son atoll toulonnais, qu’un avion doit permettre à Henry de rejoindre le 20?
Nous faisons bien entendu semblant de le croire pour ne pas le contrarier…

Mais, hein, la senteur vanillée de la vahiné sous le vanillier: qui va nier? Toi? Va, niais: nie! Quelle avanie, comme dirai Bobby, grand spécialiste des mots et de l’esprit, lui aussi…

Un psychiatre à bord

Creusons donc ensemble le sujet.

Il y a d’abord le côté médecin. Nous passons donc tous les jours en revue les maladies et traumatismes qui pourraient être susceptibles de nous tomber dessus. Et ça va de la prostate qui se coince à la fracture ouverte en passant par toutes formes d’ennuis gastriques. Un bon film d’horreur donnerait moins de cauchemars!
Quand il nous demande si nous avons bien dormi et si nous allons bien, chaque matin, nous ne pouvons nous empêcher de chercher le sous-entendu: est-ce un début d’exploration de diagnostic pour une maladie dont nous ignorions tout jusque-là, ou simplement une formule de politesse?
Bref, nous nous demandons si petit à petit nos penchants paranoïaques ne seraient pas en train de prendre le dessus…

GarsPsyEtDD
Gars-Psy le Magnifique, avec le DD

Et c’est là que le côté psy d’Henry intervient (voir note en bas de page)…

Henry nous avait déjà montré de quoi il était capable lors de la toute petite virée autour de Salvador, en attendant la fin des réparations: nous n’osions plus prendre le tangon à deux mains et hésitions avant d’enfiler l’embouchure d’une rivière…
Henry a promis de se pencher sur la situation désespérée du fou à pattes bleues de Kousk Eol, sans toutefois laisser beaucoup d’espoirs quant à une conclusion heureuse de ce cas difficile.

Pendant que notre ami d’aventure, psychiatre autant que Cap Hornier hexapenduickien, bataillait avec le Code D, nous avons pu jeter un coup d’œil sur ses notes:

« Les deux frères ont l’air bien engagés sur leur projet de tour du monde: c’est tout de même très curieux cette envie de tourner en rond, pour eux qui pourtant montrent qu’ils savent aller de l’avant…
Peut-être un retour à la mer/mère? Serait-ce une nouvelle forme de régression? Ou serait-ce une manière de se confronter adulte au duel mère et père archaïques dans un ring marin où modestement nous nous satisfaisons de leur match nul, tant que nous restons en vie? »

On va peut-être se faire un ti-punch un peu spécial, ce soir, tout compte fait…

 

Note au lecteur:
Il va de soit que, selon la formule de circonstance, si les noms n’ont pas été changés, ce serait pure galéjade de penser que ce qui est écrit ici pourrait être attribué à un équipier de Kousk Eol. Encore une fois, seul le rédacteur de ces lignes peut éventuellement être tenu responsable de ces détournements de la réalité vraie. Mais cette dernière existe-t-elle vraiment? Tiens: on va poser la question à Henry…