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La traversée vue par Henry

Selon la coutume maintenant bien établie à bord, place est laissée sur ce blog aux équipiers de passage qui veulent laisser une trace ou partager leur expérience. C’est donc au tour d’Henry de publier ses notes.

Et donc:

Voici le rapport synthétique du médecin de bord en titre, concernant l’état de santé physique et mental de nos chefs de bord.

Je dénote un bon moral de l’équipage adonné aux plaisirs de naviguer en compagnie et sous le soleil exactement. Les maîtres à bord participent à toutes les taches de vie commune sans distinction de grade et d’autorité. Toutes activités nouvelles déclenchent enthousiasme voire euphorie si c’est associé à des perspectives sportives ou culinaires.

Le parler est franc non dénué de chaleur et de bonne humeur. Une anecdote, une blague agrémentent les échanges cordiaux et conviviaux.
La tonalité du discours n’est pas triviale comme j’avais pu le remarquer lors de mon passage précédent au Brésil. Je pourrai sans doute l’expliquer par les déconvenues provoquées par les incidents mécaniques du voilier et plus précisément par le l’ambiance animée par les brésiliens et brésiliennes…

J+8 depuis les Galapagos,la moitié du parcours aux Marquises est achevée. Les éléments marins étant favorables il règne une certaine euphorie à bord. Une satisfaction s’installe et la communication est aisée. Bref ça baigne sous le soleil des tropiques.
Nous approchons des 2000 milles et déjà nous commençons à évoquer notre atterrissage. Nuku Hiva ou Hiva Oa? Je calcule avec André et Claude le temps qui me restera une fois arrivé à bon port. Le débat est courtois, nous exprimons nos points de vue et il semble que pour l’instant c’est NUKU Hiva qui retient notre attention. Nous sommes attendus par nos amis marquisiens. La réception devrait être de coutume chaleureuse et bienveillante.

Claude voué aux bacchanales selon son égérie n’a pas encore signé avec Korsakoff, confusément! Ce qu’il a su institué c’est notre salade de fruit d’après midi, entre 15 et 1- heures locales. Nous lui en sommes reconnaissants.
André adepte des bains dionysiaques en quête d’un Graal marin plonge son regard azuréen sur la faune ailée et maritime. Son sens marin allié à la pratique des régates procure au bateau mesure et rapidité.
Leur alliance fraternelle et collégiale donne consistance à leur projet tour du mondiste à la voile, complémentant leurs énergies et leur savoir.
Rien ne distingue vraiment les tâches à bord des uns des autres, tous les trois nous nous y attelons sans rechigner. Claude passerait un peu plus de temps en cuisine et sur le blog, mais sensiblement .
La communication s’établit d’une manière équitable sans focalisation sur un binôme plutôt qu’un autre. Nous partageons des expériences différentes et variées ce qui alimente journellement nos échanges, nos blagues et notre humour.
Les jours s’égrainent et les milles défilent à bonne allure et ce n’est pas pour nous déplaire. Nous projetons notre arrivée et André mise sur 17 jours, des Galapagos à Nuku Hiva, et c’est un pari que je partage.
Ceci devrait me laisser quelques jours sur place avant mon retour en métropole le mercredi 20 mai, via Papeete à Tahiti, Los Angeles, Miami, Quito, Panama, Paris et Marseille.
La santé du bord est parfaite et c’est finalement le médecin qui présente quelques symptômes dus en particuliers à ses fragiles chevilles non habituées à barrer en permanence gîté. Mais un peu d’attention et ARTOTEC, inflammatoire de notre pharmacie domestique et vogue la galère.
Le compte à rebours a commencé et les visages s’illuminent. On suppute une arrivée à HIVA OA dans les trois jours ce qui revient à dire que mardi matin 12 mai au plus tard nous atterrissons. Le deal avec les « deux frères » qui comme au Sicié (Toulon) ont la même mer/mère,c’était NUKU HIVA si nous dépassions les 17 jours et HIVA OA si nos prévisions étaient en dessous ou égales à cette échéance devenue mythique. Parole parole, c’est un roc! Brel et Gauguin auront donc droit à notre recueillement, ça c’est sur…

Traversée Galapagos-Marquises: 3e semaine (10-11 Mai 2015)

Semaine, semaine… De deux jours probablement, si nous continuons à ce train.

Dimanche 10 mai. Encore une nuit assez tranquille, vent arrière génois tangoné. Un peu roulante, certes, la houle ne facilite pas l’endormissement entre les quarts!
Au petit matin, Hiva Oa n’est plus qu’à 220 milles.

Et toujours ni voile à l’horizon, ni cible AIS sur notre traceur…

Lundi 11 mai. Belle nuit de nouveau, avec un vent d’Est mollissant un peu (12-15 nœuds tout de même).
Au petit-déj, ça se tire la bourre entre André et Henry: « Alors, on se le met, ce spi? Qu’on montre aux Marquisiens qu’on n’est pas des tafioles! ».
8h: le spi est mis et nous déhale entre 7 et 8 nœuds vers Hiva Oa, à une quarantaine de milles.

Et toujours ni voile à l’horizon, ni cible AIS sur notre traceur…

9h30: Hiva Oa, à une vingtaine de milles, est aperçue, sous les nuages! Encore trente milles avant le mouillage dans la Baie des Traîtres: ça ne s’invente pas! L’histoire doit être chargée dans le coin…

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Hiva Oa au loin…

En attendant, les haut-parleurs du cockpit jouent l’intégrale de Jacques Brel. Et le GSM recommence à donner signe de vie: il semble qu’on arrive vers la civilisation!
Même la VHF s ‘en mêle: appel sur le 16 du sémaphore d’Hiva Oa, qui ont vu notre émission AIS, pour nous souhaiter la bienvenue! Ça c’est sympa! On ira leur rendre visite.

14h30: nous mouillons dans la petite baie Tahauku, port principal de l’île, où nous retrouvons une petite dizaine de voiliers de tous pays.

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Le mouillage à Hiva Oa

Et en guise de conclusion…

Nous aurons décidément fait une belle traversée: rapide, pas toujours très confortable, mais dans de bonnes conditions en général. 16 jours pour 3000 milles, à presque 8 nœuds de moyenne, Kousk Eol s’est bien comporté!

Parmi les faits marquants de cette traversée:

– Une recherche culinaire incessante, en équipe, de mets emplissant, en plus de nos estomacs, les objectifs d’équilibre diététiques (Henry y veillait!) et de surprises gastronomiques. C’est ainsi que nous avons pu déguster une paella de spaghettis/petits pois/moules de Patagonie, un riz cantonais vite orienté vers une tortilla hispanisante par souci de ne pas perdre des pommes de terre, des haricots verts accompagnés de leurs bananes plantain, des purées d’avocats/tomates/oignons/piments, etc. On ne manquera pas de souligner aussi la coutume, fort appréciée, qui s’installa au fil des jours de consommer une salade de fruits sur le coup des 15h (plutôt qu’un dessert au déjeuner de milieu de journée).

– Une absence remarquée de voiles ou autres cibles AIS… Les différents voiliers partis des Galapagos ont certainement pris une autre route: on leur demandera lorsque nous les rencontrerons dans un mouillage.

– Très peu de mammifères marins: juste de rares fois un groupe de dauphins. Aussi deux baleines à 200 m, fugitivement. Et bien sûr les trois mammifères halophiles du bord…Par contre, des centaines et des centaines de poissons-volants.

– Des alizés bien présents. Entre 15 et 20 nœuds de vent pratiquement tout le temps, parfois un peu au-dessus, s’orientant progressivement de Sud-Est à Est au fil des jours, avec quelques grains peu violents. Ce qui nous a permis une route quasi-directe. Seul bémol: le vent arrière, génois tangoné, même s’il tient bien sur ce bateau, est générateur de roulis, pas toujours du dernier confort. Putain de houle!

– Des échanges riches et sans fin entre André et Henry sur leurs expériences respectives, sur les différents bateaux sur lesquels ils ont navigué, sur leurs régates, leurs traversées, leurs trucs de réglage de voile, de tactiques, etc.

– Des moyennes soutenues. 200 milles/24h sur plusieurs jours de suite, nous ne pensions pas cela possible. Et sans faire forcer Kousk Eol… Le pilote n’a jamais fait défaut, mais consommait plus que ce à quoi nous étions habitués, imposant de barrer durant la journée pour recharger les batteries.

_ La vitesse sans doute: quelques prises avec la canne à pêche, dont une dorade remontée à bord. Sinon, plusieurs leurres perdus… A ce train, seuls les gros devaient pouvoir mordre! Point positif (pour les Finlandais): le nombre de pertes de Rapalas a dû obliger à augmenter les cadences de production!

– Et, de façon un peu plus anecdotique, nous aurons fait 16 jours de bâbord amure contre seulement une heure de tribord amure sur ces 3000 milles… Nous avons testé le concept de « Dahu de la mer »…

Traversée Galapagos-Marquises: 2e semaine (2-9 Mai 2015)

On démarre plutôt bien cette deuxième semaine: un peu plus de 196 milles la veille… Le challenge est maintenant d’établir un nouveau record pour Kousk Eol: vous croyiez que le tour du monde était une croisière, vous?

Un constat d’échec, malgré tout, concernant la vanité de nos activités halieutiques: pas une seule touche en une semaine… Pour nous rassurer, nous mettons ça sur le compte de la vitesse trop élevée de Kousk Eol: au dessus de 8 nœuds, il faudrait une dorade costaude pour accrocher le leurre! On se rassure comme on peut! En attendant, nous continuons à effrayer les exocets qui s’envolent par dizaines à l’étrave.

Notre tablette-PC de navigation fait des siennes: blocages, fonctionnement erratique de la souris, … On soupçonne les effets de l’eau de mer qui entre lors de moments d’inattention par le capot du carré. Capot du reste très mal placé, juste au niveau de la table à carte.
Nous passons donc sur le PC de secours, un petit PC standard que nous avions pré-équipé avec les mêmes logiciels que la tablette.
On verra en arrivant aux Marquises pour un bilan plus définitif.

Ce matin, deux baleines sautent hors de l’eau à environ 400m sous le vent de Kousk Eol: premiers signes de vie, hormis les poissons-volants et quelques rares oiseaux.

Depuis notre départ, il fait beau. Parfois un peu nuageux, avec quelques très rares grains peu actifs. Mais globalement beau, et chaud! L’ombre est rare, et nous avons la peau plutôt halitueuse (Cadeau. Gratuit.)… Quinze nœuds de vent, soutenus, n’arrivent que difficilement à nous rafraîchir, mais nous poussent au petit largue, aidé par un courant qui frise le nœud (Un peu d’attention, s’il vous plaît!) dans la bonne direction.

Et dans la soirée nous prenons une dorade de course et bouclons encore une fois 200 milles en 24h… Ceviche à l’apéro pour fêter ça!

3 mai, 9h30: la mi-parcours (1500 milles) n’est plus qu’à une cinquantaine de milles! En 8 jours: ça pulse! Les grains deviennent progressivement plus actifs: il n’est plus rare de voir le vent monter à 25 ou 30 nœuds quand ils nous passent au-dessus.
16h: ça y est, nous franchissons les 1500 milles, en 8j et 2h! Et aujourd’hui, nous ferons un peu plus de 208 milles…
Par-dessus le marché, Toulon est champion d’Europe de rugby (pour ceux que ça branche…).
Célébrations dans la dignité: petit pomerol de derrière les varangues accompagné d’un cassoulet. Pas de soucis: à trois sur le bateau, nous avons chacun notre cabine!

Team
« THE » team
ToulonAGagne
On va commencer à savoir que Toulon a gagné…

4 mai: aujourd’hui, il fera gris toute la journée. Mauvais temps pour les panneaux solaire! Et la nuit, nous passerons de grain en grain, avec les sautes de vent associées: jusqu’à 30 nœuds. Rien de méchant, mais nous prenons tout de même 2 ris dans la grand-voile, et roulons un peu le génois pour que le pilote puisse faire son boulot sans trop d’interventions, gage de plus de tranquillité pendant les quarts.

Comme nous sommes au largue, l’allure est relativement tranquille. La journée suivante verra le beau temps revenir, mais sans faiblesse du vent, toujours autour de vingt nœuds. Et les vagues, un peu désordonnées, requièrent de l’attention: trois mètre en moyenne, avec une de temps en temps qui se fait remarquer. Kousk Eol se fait ainsi coucher par une déferlante qu’on n’attendait pas… Et le thé qui se préparait dans la cambuse se trouve répandu un peu partout!

6 mai: au petit matin, nous franchissons les 2000 milles depuis Santa Cruz, en onze jours. Nous devrions ralentir sur la fin: les GRIBs nous annoncent un vent un peu plus faible, autour de 10 nœuds, et venant plus de l’arrière, nous obligeant probablement à tirer des bords de largue.

La coque s’est recouverte d’une jolie couche jaune-vert caca d’oie du plus bel effet sur toutes les parties mouillées au-dessus de la ligne de flottaison. Et nous avions frotté à fond avant de quitter Puerto Ayora… Cette partie au-moins de l’Océan Pacifique doit décidément être très riche en vie animale ou végétale: les contrôles fait aux Galapagos nous apparaissent un peu illusoires, avec tout ce que doit charrier le courant de Humboldt que nous avons suivi de puis un certain ombre de milles!
Nous n’avons jamais connu une telle situation en Atlantique.
Bof: ce sera l’occasion d’un petit carénage dans les eaux des Marquises.

Et toujours pas de voile à l’horizon, ni de cible AIS sur l’écran du PC… Personne ne répond à la VHF. Nous avons l’impression d’avoir cette immense étendue d’eau pour nous seuls.

7 mai: grand beau, mais le vent s’est orienté carrément à l’Est, à 20 nœuds de moyenne. Soit on fait du largue, relativement stable, mais on n’est plus sur la route, soit on tangonne le génois et roule ma poule au vent arrière. C’est cette option qui est retenue: les vagues demandent une attention très soutenue pour ne partir ni au lof ni à l’abattée…

Signe que nous avançons bien: nous ne parlons plus d’arriver « aux Marquises », mais bâtissons des plans, pour mouiller soit à Hiva Oa, si nous arrivons avant le 11, soit à Nuku Hiva d’où Henry reprendra son avion le 20, et où nous attend en principe un comité d’accueil local…
Nous nous relayons à la barre, plein Ouest, route directe vers l’arrivée, à maintenant moins de 800 milles.
Re-Boris…

Depuis que nous sommes partis, le baromètre est plutôt stable, mais montre malgré tout une oscillation de 2 mb d’amplitude pour une période de 12 heures, autour d’environ 1012 mb pour la latitude où nous nous naviguons (entre 2° et 8° S).

La navigation vent arrière dans la houle se confirme inconfortable: le bateau roule d’un bord sur l’autre et il devient difficile de se dormir! Mais nous avançons sur le bon cap, et le pilote fait bien son boulot.

Encore une anomalie dans le branchement électrique: nous découvrons que le dessalinisateur est branché sur la batterie de démarrage du moteur, et non sur les batteries de service… Sur un voilier, la règle est de ne brancher que le démarreur sur la batterie moteur: le moteur est un élément de sécurité et ne peut se permettre d’avoir sa batterie à plat parce qu’utilisée à d’autres tâches. Un autre truc à corriger!

Samedi 9 mai: cette nuit, Kousk Eol est descendu sous les 400 milles restants avant Hiva Oa. Le vent est un peu tombé, mais reste tout de même autour de 15 nœuds. Honte suprême: au lieu des 200 milles/24h auxquels nous pensions nous être durablement abonnés, nous redescendons à 190 milles… Notre estimation est de mouiller lundi soir ou mardi matin.

Ce soir nous en serons à la fin de notre deuxième semaine sur l’eau. Toujours tout seuls sur le vaste océan (musique de circonstance sur la hi-fi du bord)…