Îles Loyauté : Lifou – 23-28 juillet 2016

23 juillet. Départ de Tadine à quatre heures du matin comme prévu pour avaler la cinquantaine de milles avant Lifou et arriver de jour. L’objectif est de mouiller devant Doueoulou sur la côte ouest, mais le vent plutôt faiblard fera que nous nous dirigerons vers Luengoni, à l’est et donc vent de travers au lieu d’un grand largue mollasson. Nous avons repéré un mouillage qui a l’air fort sympathique sur un guide que nous a passé Sylvain, de Thétis.

Le guide, on ne peut plus compendieux, indique une passe très difficile à n’entreprendre que dans de bonnes conditions : elles semblent réunies (beau temps, vent et houle faibles), donc nous décidons de tenter. Les explications sont succinctes, mais grâce à la bonne visibilité nous franchissons l’étroit seuil sans problème, un à la barre et l’autre à l’avant avec des lunettes polarisantes.

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La passe, entre le caillou et le platier…

Une fois la passe franchie, et un petit slalom entre les patates, très visible sur le fond de sable, nous arrivons à un superbe mouillage dans quatre à cinq mètres d’eau, à moins de deux cents mètres d’une belle plage.

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Au mouillage devant Luengoni.

L’eau est claire, mais le ressac la rend un peu opaline. Les coraux à l’intérieur du lagon sont assez abîmés, mais il y a beaucoup de poissons, des seiches, des raies…

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Dimanche 25 juillet. La météo ayant décidé que les bonnes conditions avaient assez duré (annonce de houle plus forte), nous décidons de lever le camp vers Wé avant de se faire piéger dans le mouillage : quinze milles vers le nord, au moteur pour cause de vent déficient, pour une arrivée dans une minuscule marina, la seule des îles. Où nous serons le troisième voilier de passage depuis le début de l’année.

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Eglise de We.

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La case coutumière.

Bien que dans Wé, la capitale des Îles Loyauté, nous avons encore une fois l’impression d’un village/tribu sans urbanisation planifiée : pas de centre, les habitations sont dispersées, de même que les bâtiments officiels. Pas de restaurant ouvert pour cette première soirée en ville : nous mangerons à bord. Les pâtes au pistou de MarieJo, c’est pas mal non plus.

L’île étant très étendue, nous louons à nouveau une voiture pour nous faire une idée. Le tour démarre par la visite de la chefferie du secteur nord, à Hnatalo. L’église est bâtie à côté de la demeure du grand chef.

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La maison du chef.

Un peu plus loin se trouve la case traditionnelle où ont lieu les réunions nécessitant une décision du grand chef et touchant tout l ‘ensemble des tribus du nord : remarquable travail pour faire la structure et la toiture.

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La grand case coutumière.
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L’intérieur de la case.

La route nous mène ensuite à la chefferie de Chepenehe, au nord de la baie de Santal. La baie, quinze kilomètres de large au nord-ouest de Maré, est remarquable. Le bois de santal fut une richesse de l’île, avant d’être complètement pillé. Un navire de croisière est au mouillage et décharge sa nombreuse cargaison de touristes. Du coup, près du petit débarcadère, toutes sortes de petits commerces se sont installés. Et nous ne serons pas seuls pour monter sur le promontoire qui domine la baie, et sur lequel a été bâtie la petite chapelle de Notre Dame de Lourdes.

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Toutes les cases coutumières ont leur entrée encadrée de deux totems : les gardiens de la case. Il doit donc y avoir des sculpteurs sur ces îles, non ? Vous suivez le raisonnement ? Effectivement, en traversant la tribu de Jozip, un panneau indique que l’on peut entrer voir des sculptures sur bois. Exactement ce que nous cherchons. Donc on entre dans un vague enclos où l’on entend du bruit venant d’une espèce de grange : nous en faisons le tour en appelant, sans succès. Pour finalement tomber sur le sculpteur, qui commence à nous engueuler parce que nous n’avions pas fait le tour dans le bon sens, et nous plante sans plus un mot… Autant dire que nous ne restons pas ! C’est bien une des rares fois où nous sommes aussi mal accueillis.

C’est comme ça. Entre temps, le soleil se prépare à passer une bonne nuit de plus : pas blasés, nous décidons d’admirer son coucher encore une fois, avant d’aller faire de même sur Kousk Eol.

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Pour changer, le repas se fera au resto d’un de rares hôtels de l’île, le Drehu Village Hotel, au bord de la plage donnant sur la baie de Chateaubriand.

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La plage devant l’hôtel.

Grosse discussion sur le programme des jours suivants. Le temps devrait se dégrader et passer à la pluie : bon moment pour naviguer ! Mais où ? Plus au nord, avec la perspective d’un très long bord de près, peu confortable, pour rentrer ? Ou nous diriger tout de suite vers le lagon sud de la Nouvelle-Calédonie pour profiter de ce que le vent passe au nord temporairement ? C’est la deuxième option qui est retenue. Donc nous passerons cette dernière journée à refaire un tour sur l’île avec la voiture que nous avons gardée.

Et cette fois nous tombons sur l’atelier d’un sculpteur souriant, avec qui nous passerons un long moment à discuter des symboles sur les totems entre clans de la mer et clans de la terre, de la vie, des coutumes (c’est aussi un chef de tribu), des variétés de bois et de leurs propriétés, du fait que les enfants quittent l’île pour leurs études et ne rentrent pas toujours, etc. Une intéressante leçon de choses.

L’étape d’après sera Jokin, à l’extrême nord de Maré, réputé pour ses falaises. Et la réputation n’est pas surfaite : un petit escalier permet de descendre jusqu’à la mer où la vue coupe le souffle.

Jokin

Nous apprenons que les cavités dans la falaise servaient de sépulture aux morts, avant l’arrivée des missionnaires, qui eux savaient mieux que les autres, forts de leur dieu évidemment plus puissant. D’ailleurs, l’affichage près de la petite église laisse perplexe…

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Respectez les horaires du quoi ? La traduction anglaise est particulièrement hypocrite…

L’eau sous les falaises est d’une limpidité extraordinaire et donne l’impression de nager dans un aquarium. L’eau de mer, ça creuse, donc nous nous arrêterons dans un petit restaurant dans la campagne pour midi, pour être en forme avant de retourner vers la baie de Santal, cette fois au sud, sur la plage de Peng.

Et là, le spectacle est toujours au niveau : nous y resterons la fin de l’après-midi jusqu’au coucher de soleil une nouvelle fois…

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La plage de Peng.
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Trop dure, la vie de marins sur Kousk Eol…

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Mercredi 27 juillet : c’est aujourd’hui que nous repartons vers le lagon sud. Auparavant, il faut s’occuper de Kousk Eol : quand on l’abandonne comme ça au mouillage ou dans une marina, il a tendance à se laisser aller et les algues en profitent pour se développer sous la coque. Les algues, c’est peut être beau au fond de l’eau, mais rien de tel pour transformer la coque racée d’un lévrier des mers en machin peu ragoutant et impropre à une navigation rapide. Le narguilé, qui n’avait plus servi depuis Papeete il y a plus de trois mois, est ressorti de son sac, ainsi que les grattoirs divers : l’eau de la petite marina circule bien, est très claire et calme. Conditions idéales pour ce genre d’exercice.

J’en entends déjà qui posent la question : « Mais pourquoi donc ne poussez vous pas jusqu’à Ouvéa, la troisième des Îles Loyauté ? Hein ? Dites voir ? Pourquoi ? ». Je comprends bien que cette question vous taraude, mais c’est comme ça. Comme déjà indiqué, notre manque de maîtrise des principes de la relativité fait que nous nous heurtons à une immuabilité du passage du temps, dont l’écoulement inexorablement implacable nous approche chaque jour de la fatidique date de retour en métropole de nos cothurnes préférées. Il se trouve de plus qu’Ouvéa est l’île qui s’approche le plus de ce que nous avons pu admirer aux Tuamotu, question atoll. Tertio autant qu’irrémissiblement, et ce point a aussi déjà été précisé dans ces pages, dans ce genre de voyage, on rate plus d’endroits qu’on n’en découvre ; et pourtant on en voit, des belles choses. Donc, la prochaine fois que vous passe par la tête l’idée de poser une question aussi triviale, essayez le truc de brancher quelques synapses et neurones supplémentaires, s’il vous en reste, pour tenter d’éviter la morgue méprisante du scribouillard de service, qui comme chacun sait, mais surtout Cathy, a réponse à tout. Même quand il n’y a pas de question.

Bref : sur le coup des treize heures, nous larguons les amarres, et cap vers le sud, avec une météo mitigée, jonglant entre les effets d’une grosse dépression sur la mer de Tasman et les velléités de l’anticyclone de pousser à nouveau son alizé.

La passe et le mouillage de Luengoni

On n’est pas des chiens, et on a décidé de partager avec vous l’approche vers ce mouillage dont nous parlons plus haut. Un dessin étant souvent moins abscons qu’un discours, on s’est même fendu d’un crobard :

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Une difficulté est d’identifier l’entrée de la passe, marquée sur sa droite par un caillou émergeant dès la mi-marée, avec un champignon visible près de la plage (le plus à l’est des deux ou trois champignons visibles). Ce champignon donne une bonne approximation d’alignement (au 190°) pour franchir la passe. Ne surtout pas faire l’économie d’une vigie à l’avant, équipée de lunettes polarisantes ! La passe est très étroite (une dizaine de mètres), mais franche et courte, avec une quinzaine de mètres d’eau en dessous, et le platier de part et d’autre bien visible.

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La passe: à droite le rocher émergeant, et à gauche le platier. Près de la plage, les « champignons ».
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Le champignon au sud-est qui donne l’alignement.

Cette passe n’est certainement pas à tenter en cas de vent de secteur nord, ou de houle trop forte. Le mouillage peut devenir un piège : bien écouter la météo (VHF canal 67) pour ressortir avant que les conditions ne se dégradent, afin de ne pas rester piégé !

Sinon, le mouillage est magnifique, tranquille, sur fond de sable à environ cinq mètres, garantie d’une bonne tenue.

Îles Loyauté : Maré – 19-23 juillet 2016

L’Ile des Pins a été une escale que nous n’oublierons pas tout de suite. Mais nous ne jouons pas dans la même cour qu’Albert1 : pour nous, l’élasticité du temps est assez limitée, et il faut bouger si nous voulons continuer à en mettre plein les yeux à MarieJo et Cathy avant leur retour vers la métropole.

Mardi 19 juillet, nous levons l’ancre en fin d’après-midi, pour nous diriger vers la passe N’Dju au sud de l’île. Mais caramba, la marée est montante et le courant de plus de deux nœuds dans le nez. La décision est vite prise de ne pas se battre contre les flots : nous contournerons l’île par l’ouest pour prendre la passe de la Sarcelle au nord, où nous devrions arriver à la renverse. La nuit tombe vite, mais la lune est pleine et illumine la mer. À peine la passe franchie que nous prenons les vagues par le travers : la traversée vers Maré, la plus au sud des Iles Loyauté, environ quatre-vingt milles, ne sera pas très confortable pour dormir.

Au matin, nous arrivons au foc dans la baie de Pédé2, au sud de la pointe Kotekot3, où nous mettons l’ancre, seuls dans un très joli mouillage. Le réveil est un peu bruyant : toux et raclage de gorge, le vent frais a laissé quelques traces.

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Mouillage de Pédé…

Mais il en faut plus pour ôter l’envie de nager avec les poissons dans les coraux : les fonds sont superbes, et les poissons versicolores.

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Notre guide indique un aquarium naturel à trois kilomètres. Et hop ! C’est un effondrement dans le socle de corail fossile, qui communique avec la mer par des canaux souterrains : l’eau est hyaline4 et les poissons peu farouches.

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Un peu plus loin sur la côte se trouve la tombe de Yeweine Yeweine, compagnon de route de Jean-Marie Tjibaou et assassiné avec lui par un extrémiste qui trouvait qu’ils n’allaient pas assez loin dans l’action pour l’indépendance.

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Tout ça nous a un peu éloigné du mouillage, et le soleil tape bien… Pour rentrer, nous nous essayons à faire le pouce, selon l’expression locale : ça marche ! Une petite voiture s’arrête et nous entasse pour nous ramener à notre point de départ : les kanaks ont décidément le sens de l’hospitalité !

L’avitaillement en frais ayant fait long feu, il est temps de s’approcher d’un marché ou d’une épicerie. Quoi de mieux que la capitale de l’île, Tadine, à seulement cinq ou six milles ? Chtit coup de génois et nous filons à presque six nœuds vers le petit port où nous nous retrouvons seuls à nouveau. Et pour une capitale, c’est une capitale : la mairie, un marché (ouvert deux jours par semaine), un snack (dont on n’a pas bien compris les horaires d’ouverture), une gendarmerie, une banque, une poste et LE supermarché de l’île, je veux évidemment parler du magasin « Trop Tard ». Un nom pareil, ça ne s’invente pas…

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« Le » supermarché…
Drapeau
Même les cabas sont aux couleurs du drapeau indépendantiste.

Le drapeau régional agréé tardant à sortir, les Kanaks, plus rapides, ont proposé le leur, pas trop apprécié des Caldoches.

Depuis que nous sommes sur les îles autour de la Grande Terre, nous avons du mal à reconnaître les propos parfois négatifs concernant les Kanaks. Nous n’avons rencontré pour l’instant que des gens très accueillants et affables, prêts à rendre service ou à donner des renseignements. Il est vrai que sur ces îles, l’absence de Caldoches et de problème de ré-attribution de terres élimine certainement une cause de tension.

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Vendredi est un jour animé : deux mariages à la mairie, et il y a marché où nous faisons quelques provisions, avant de partir avec la voiture que nous réussissons à louer par l’intermédiaire d’une employée de la mairie. Nous nous dirigeons vers le nord, et le village de Ro. Surprise : il y a un mariage dans le temple protestant. Et re-surprise, c’est un des deux couples vus à la mairie de Tadine, rentré dans sa tribu pour la cérémonie religieuse. Dehors, tout le monde s’affaire pour préparer la fête. Hospitalité kanake : bien vite, nous sommes invités à participer…

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La mariée.
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Les offrandes: cochon et igname cuits de façon traditionnelle..
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Invitées de dernière minute, d’une tribu lointaine.

Sylvio, un Kanak de la famille qui a fait ses études à Grenoble s’occupe de nous, s’assure que nous avons assez de porc cuit dans la feuille de bananier, de manioc, légume traditionnel pour les grandes occasions, de vin… La discussion va bon train sur des sujets variés : le poids des coutumes kanakes, les relations avec les Caldoches, les différences entre les îles (où il n’y a pas de Caldoches) et la grande terre, le référendum sur l’indépendance,… Un bon nombre de sujets y passe.

Du coup, au lieu des quinze minutes prévues, nous passerons plus de deux heures sans nous ennuyer. Mais du coup aussi, nous finissons notre tour en voiture un peu rapidement : la nuit tombe à 17h30 ici.

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Yeweine Yeweine et le centre qui lui est dédié.

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Sur le chemin du retour, nous prenons en stop un vieil homme qui lui aussi fait le pouce : c’est le chef coutumier de la tribu que nous traversons, qui attend depuis quelques plombes et des poussières la venue d’une navette improbable. La conversation s’engage : il a une formation d’architecte, a besoin de faire quelques courses au magasin de la tribu d’à côté, et nous invite chez lui…

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Case coutumière.

Le lendemain, nous voulons retourner vers le sud : notre expérience de la levée de pouce nous rend optimistes. Sauf que l’on est samedi, et qu’il n’y a pas beaucoup de passage… Mais au bout de quelque temps, une Peugeot 308 avec déjà deux personnes s’arrête : pas de problème pour nous emmener, à quatre sur la banquette arrière. Le chauffeur et son passager reviennent d’un match de foot contre une équipe de la Grande Terre, et l ‘équipe locale a gagné : heureusement qu’il n’y a pas trop de contrôle d’alcoolémie le long de la route ! Sympas, ils nous déposent sur la plage admirable de Cengeite : longue bande de sable fin devant une mer translucide, et personne…

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Mais ce n’est pas tout de s’en mettre plein les yeux : il faut bien rentrer. Cette fois, nous ne sommes pas sûrs d’avoir autant de chance qu’à l’aller : le premier véhicule ne ralentit même pas, et le deuxième nous dit qu’il s’arrête dans moins d’un kilomètre. Mais surprise, le troisième est la 308 de nos copains qui rentrent chez eux dans le nord, un peu moins alcoolisés et contents de nous ramener à notre bateau.

En arrivant à Tadine, nous repérons une espèce de petit marché local : le marché est terminé, mais des brochettes sont en train de cuire sur un feu de bois. Pas d’hésitation, ce sera notre goûter ; pas pire avant de retourner à bord.

A côté, sport national pour les femmes, une partie de bingo est en cours : ça ne rigole pas ! Ici on joue pour de l’argent…

Bingo

Et là, ce sont les tortues qui tournent autour de Kousk Eol pour notre dernier soir à Maré : nous partons vers Lifou demain à quatre heures, de nouveau pour essayer d’arriver de jour.

 

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1
– Vous savez bien, celui qui a dit qu’on pouvait allonger ou raccourcir le temps en allant plus ou moins vite.

2– Ce n’est pas moi qui invente les noms de lieux. Et non, vous n’aurez pas droit cette fois à un de ces jeux de mots vaseux qui contribuent à l’élévation de ce blog. Trop facile.

3– Là non plus, n’insistez pas.

4– Ça fait plus riche que translucide, non ?

Baie de Prony et Ile des Pins – 12-19 juillet 2016

La première étape après Nouméa sera la baie de Prony, où les baleines viennent se reproduire. Rappelez-vous : admirer ces monstres est sur la liste de Cathy et MarieJo. La baie est à une trentaine de milles à l’est, pas loin de la passe Havannah que nous avions emprunté en arrivant du Vanuatu. Mais nous n’arriverons pas jusqu’à la baie : le vent n’est pas de la partie, et nous nous arrêtons dans la baie Ouie1 pour la nuit.

Le lendemain, Prony n’est plus qu’à une douzaine de milles. Et nous voyons effectivement des souffles au loin dans le fond de la baie. Mais pas de chance aujourd’hui : c’est tout ce que nous verrons des baleines cette fois…

Nous mouillons dans la petite Baie à Toto, au fond de la Bonne Anse, à l’est de la baie de Prony. Et histoire de ne pas rester sur un échec, nous débarquons avec l’annexe pour monter sur la crête et tenter d’apercevoir le sud du lagon et l’Île des Pins. Tenter, car la végétation se la joue jungle impénétrable, et après une bonne heure à crapahuter en zigzagant entre les buissons, les arbustes, les racines, la majeure partie de l’équipage de Kousk Eol décide que finalement, le cockpit du bateau offre un confort et un point de vue sur la baie tout à fait acceptables.

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Kousk Eol dans la baie à Toto.
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La baie de Prony au loin.
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Deux aventurières rencontrées au gré de nos balades…

Après une nuit calme, nous levons l’ancre pour le sud et l’Île des Pins, à quarante milles. Oui, mais avec le vent dans le nez : nous ferons finalement presque le double avant d’arriver dans la baie de Kuto, sur la côte sud-ouest, en début de soirée. Entre temps, une bonite se sera fait prendre et finira dans nous assiettes.

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Viande fraîche pour ce soir!

Une demi-douzaine de voiliers semble nous attendre dans le fond de la baie.

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Le mouillage dans la baie de Kuto.
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Le repas n’est pas loin…

Le lendemain, un énorme bateau de croisière ancré plus au large débarque sa cargaison de touristes par navettes successives, pour le bonheur des marchants de souvenirs.

Du coup, une activité inhabituelle règne sur le village. Les plages, dont le sable est très fin et blanc, sont squattées. Des vans proposent des tours de l’île. Nous avons repéré un restaurant donnant sur la plage : DD l’addict à l’espresso ristreto décide d’aller tester. Le café est bon et la vue sur la baie est agréable : nous reviendrons !

Les rochers en forme de champignons nous rappellent les structure vues aux Fidji : socle corallien poussé vers le haut par la pression tectonique, et grignoté lentement par la mer par le bas.

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Les « champignons » de l’île des Pins.

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On vous passera cette fois le chapitre sur les plages idylliques où il fait bon se baigner au milieu des poissons multicolores et peu farouches, sans voisin avec qui partager ce bout de paradis. Par pure humanité.

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La plage, bordée de pins colonnaires majestueux.

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Un chapitre de l’histoire de l’Île des Pins est un peu glauque : vers la fin du dix-neuvième siècle, il fallait trouver un remplacement au bagne de Cayenne, dont l’île du Diable devenait invivable, même pour des conscrits. Et il avait été décidé d’accélérer la colonisation de la Nouvelle-Calédonie: il fallait de la main d’oeuvre, pas trop onéreuse si possible. Ça tombait bien:  la mise au pas de la Commune apportait son lot de prisonniers politiques. C’est ce bout de paradis qui fut choisit pour les « accueillir ». Les premiers bagnards construisirent un pénitencier et les logements de l’administration. Ces derniers sont toujours en partie occupés.

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La gendarmerie.

Le bagne, ou du moins ce qu’il en reste, n’est qu’à deux ou trois kilomètres : ce sera le but de notre première exploration de l’île. Il n’en subsiste que des ruines : il n’y a apparemment aucune volonté de perpétuer le souvenir peu glorieux de cette époque. La sérénité et la beauté de l’île ne devaient certainement pas arriver à rendre les cellules étriquées et les cachots sombres plus avenants.

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Le cimetière des déportés, un peu plus loin, est poignant : restauré, les tombes sont sobres et anonymes à part deux d’entre elles qui ont gardé les pierres d’origine. Nous découvrons que des Kabyles faisaient partie du lot : des prisonniers faits lors de la révolte contre le colonisateur en 1871.

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L’objectif de notre deuxième balade sera le pic N’Ga, point culminant de l’île. Pas moins. Deux mille six cents décimètres d’altitude. Un briefing préparatoire se tient devant un café : notre grosse expérience des expéditions himalayennes nous fera décider pour la voie normale et des sandalettes plutôt que nos claquettes usuelles, en une cordée de quatre sans corde, technique alpine légère oblige. Comme nous n’aurons pas de sherpas, nous prendrons une bouteille d’eau pour quatre : la durée de l’ascension est tout de même prévue pour quarante-cinq minutes. Sachons mettre toutes les chances de notre côté.

La montée démarre en sous bois, dans ce qui ressemble à un exubérant jardin tropical. Une guérite protégée par son totem abrite une boite servant à récupérer le pécule demandé pour l’accès par la tribu sur laquelle se trouve le sommet.

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Totems à l’entrée du parc.

 

Puis le chemin se dégage et la vue devient grandiose sur les baies et le lagon qui entourent l’île.

Vue sur le lagon.

Nous apercevons même Kousk Eol au loin dans la baie de Kuto.

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La baie de Kuto.

Comme il n’y a pas de névés cette année, nous progressons rapidement et le sommet est gaillardement atteint. La vue sur cent quatre-vingts degrés est encore plus majestueuse. L’île est couverte de pins : serait-ce l’origine de son nom ? Il faut que nous enquêtions…

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Petits poissons : photo prise depuis la surface.

De retour, pour continuer notre exploration, nous prenons un taxi pour Vao, la capitale, à six kilomètres. Toujours cette impression qu’il n’y a pas vraiment de village tant les habitations sont dispersées sans ordre apparent. Les Kanaks parlent d’ailleurs de tribus plutôt que de villages. Vao a sa chefferie comme il se doit, qui abrite le grand chef des tribus du district.

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La chefferie de Vao.

Près du lagon, un mausolée à la gloire des premiers évangélisateurs est protégé par les totems coutumiers : on ne sait jamais…

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Plus au centre, une curieuse église…

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Et puis l’heure de rentrer arrive : vu que nous n’avons pas de téléphone pour appeler l’un des deux taxis de l’île, il faut se taper les six kilomètres de retour à pied, sous le cagnard. Comme nous sommes courageux (c.f. l’ascension du pic), et surtout que nous n’avons pas le choix, nous y allons gaillardement. En levant le pouce. Et comme nous sommes sur les îles, ça marche : un pick-up nous prend dans sa benne et nous dépose devant l’annexe sur la plage. Les Kanaks sont un peuple merveilleux !

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Quand petit banian deviendra grand…

Le lendemain, afin d’éliminer certains aléas, nous louons une voiture pour faire le tour de l’île, qui est vaste. Au programme, la visite de la grotte où s’est réfugiée la Reine Hortense qui s’opposait à la déportation des Kanaks pour laisser la place aux bagnards. La base calcaire de l’île, composée de fossiles des coraux qui se sont développés sur les restes du volcan originel, et repoussée vers le haut par la pression, est trouée comme un gruyère. La visite débute par la traversée d’un intéressant jardin montrant les pantes endémiques de l’île, et débouchant sur l’entrée majestueuse de la grotte.

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Fougère arborescente.

Nous passerons un long moment à discuter avec le représentant de la tribu gardant le site. Un certain nombre de sujets y passe : relation entre Kanaks et Caldoches, faune et flore des îles, poids des traditions, clans de la mer et de la terre, etc. Une bonne leçon d’histoire et de géographie pour les ignorants que nous sommes.

Plus loin, à côté d’un hôtel de luxe évidemment, un bassin surnommé aquarium naturel, atteint après vingt minutes de marche le long d’un cous d’eau. Effectivement, l’eau est d’une limpidité parfaite et le cadre admirable.

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La prochaine étape sera l’île de Maré à environ quatre-vingt-dix milles au nord, la première des îles Loyauté où nous nous arrêterons.

 

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1
– C’est celui qui dit qu’on mouille pour un oui ou pour un non sur ce rafiot qui y est.