De Nouméa à Port Moresby – 9-18 août 2016

La météo est bonne, les alizés de sud-est bien établis, et l’équipage au complet : nous partons le neuf août pour une traversée de presque mille quatre cents milles vers le nord qui doit nous amener à Port Moresby, capitale de la Papouasie-Nouvelle Guinée.

L’équipage cette fois est composé, en plus des deux terribles, de William, qui a déjà traversé l’Atlantique avec nous, et de Philippe, que nous avons rencontré à Wallis. Philippe fait de la voile depuis longtemps, mais n’a jamais eu l’occasion d’effectuer une « grande » traversée.

Quelques groupies nous aident à larguer les amarres : Sophie, qui compte pratiquement pour deux vu l’état de son ventre (elle doit accoucher vers le vingt), Catherine, l’épouse de Philippe, et Nathalie, l’épouse de Sylvain de Thétis.

CCWG6442 (2) (1280x961)
Parmi la foule en délire, quelques admiratrices inconditionnelles…

Petit passage à la pompe à gas-oil pour profiter de la détaxe à l’exportation. Où le pompiste nous accueille avec un « C’est quoi ce pavillon ? » agressif. Le pavillon en question est le pavillon de Nouvelle-Calédonie que nous avons hissé comme pavillon de courtoisie. Il se trouve que c’est le pavillon adopté par les Kanaks indépendantistes, et que le préposé au remplissage du réservoir est un Caldoche pur et dur1… Ce n’est pas la première fois que nous avons droit à des remarques. Ce qui semble le plus insupportable est que souvent les Néo-zélandais ou les Australiens en visite mettent ce pavillon plutôt que le français comme ils le devraient. Ce geste est loin d’être naïf et dénué d’arrières pensées…

CCWG6446 (1280x960)
Le pavillon de toutes les tensions…

Départ tranquille : pratiquement pas de vent et mer plate dans le lagon. Nous sortirons par la passe de Dumbea juste à l’ouest de Nouméa.

CCWG6445 (1280x960)
Nouméa au fond.

12h30 : la passe est franchie, et le vent monte un peu. Bonnes conditions pour le Code D : nous filons à environ sept nœuds. Puis une heure après, le vent monte progressivement autour de vingt nœuds : il est temps de passer au génois, et même de prendre un ris. Ce qui permet d’expliquer le fonctionnement de Kousk Eol à nos nouveaux équipiers.

Avec la nuit, quelques grains nous survolent, avec leurs sautes de vent. La mer devient un peu désordonnée : l’amarinage de nos marins à peine marris2 est un peu brutal, et l’accrochage de leur cœur mis à rude épreuve ! Le lendemain, nous voyons toujours les côtes de la Nouvelle-Calédonie : on vous avait bien dit que c’était grand (sept cents kilomètres entre les extrémités des lagons nord et sud) !

11 août. L’alizé semble bien établi, autour de vingt nœuds de sud-est, nous poussant au vent arrière, génois tangonné, vers les Port Moresby.

CCWG6447 (1280x960)
Kousk Eol a fière allure…

Le vent arrière est une allure notoirement instable, et le roulis fait plus que simplement bercer… Heureusement, notre pilote automatique fonctionne à merveille et corrige les écarts dus aux vagues folâtres qui sortent de la norme. Mais du coup, les quarts requièrent une attention un peu plus soutenue. Surtout que nous commençons aussi à croiser des cargos.

CCWG6449 (1280x960)
Équipier de quart en position de veille active, dite « de l’otarie ».

Nous profitons de l’occasion qui nous est donnée ici pour illustrer une des nombreuses facettes de l’évolutionnisme3. Vous remarquerez les similitudes avec la photo ci-dessous :

CLAU4002 (2) (1280x961)
DD dans une autre vie, déjà en position de veille active .

Mêmes œil vif, haleine légère et crane dégarni, trois critères qui dénotent sans équivoque des origines communes.

Cette nuit, après le coucher de la demi-lune, nous apercevons plusieurs étoiles filantes. Nous espérons avoir du beau temps pour l’éclipse de soleil du premier septembre, dans l’Océan Indien ! À bord, la vie s’organise. Les nauséeux du départ s’amarinent progressivement : on va pouvoir manger autre chose que des soupes aux nouilles !

Apparemment, il ne faut jamais se réjouir trop tôt : ce qui ressemble à un petit coup de froid grippal s’ajoute aux écœurements océaniques pour rendre patraques trois équipiers, d’ordinaires fringants, sur quatre. Mais tout le monde tient sa place sur Kousk Eol, et le moral est bon. Et pour les petits plats, ça attendra un peu : ce n’est pas le cuistot qui s’en plaindra !

12 août, 10h : « Bzzzziiiii… » fait le moulinet. « Faut ralentir le bateau ! » fait le pêcheur. Au vent arrière, génois tangonné, la manœuvre demande un peu plus de coordination : il faut rouler le génois en choquant progressivement le tangon, puis remonter au vent jusqu’à une vitesse quasi nulle. Je dis bien « quasi » : il faut garder un peu de vitesse pour ne pas se retrouver sur l’autre bord avec les vagues. Courte lutte avec le fretin qui avait dévidé une bonne quantité de fil : « Un ton ! » annonce le connaisseur. En fait, une belle bonite de cinq kilos. « Oh, une bonite ? Pas un mahi-mahi ou un yellow-fin ? Bof… Et si on la rejetait à l’eau en attendant le prochain ? » : Maurice, tu vois le mal que tu as fait ? Ça joue les difficiles : si ce n’est pas une dorade, ou un thon, voire un thazard, on se la joue fine bouche…

Bref : on a pêché une bonite, et on a eu du sushi de bonite toute fraîche pour midi. Et le plat était vide à la fin du repas.

CCWG6451 (1280x960)

Sinon, avec le soleil voilé, un vent relatif trop faible et l’utilisation régulière du pilote ainsi que du frigo, la charge des batteries se retrouve bien basse. Nous devons donc brûler un peu de gas-oil pour faire tourner l’alternateur et remédier au coup de mou électronique. Cette situation ne nous est pas arrivée très souvent…

Dans l’après-midi, première à bord : Kousk Eol se transforme en tripot… Les cartes de tarot sont sorties et les parties s’enchaînent dans le carré, signe infaillible que les maux de mer s’estompent…

CCWG6452 (1280x960)
Kousk Eol transformé en tripot…

La routine des quarts est bien installée : toutes les deux heures et demie, et on décale chaque soir. Les quarts les plus durs sont ceux du milieu. Le dernier est sympa : on profite des étoiles filantes et du lever du soleil, toujours un peu magique, seul avec son café dans le cockpit.

CCWG6456 (1280x960)

Dimanche 14 août : ça y est, nous avons franchi la moitié de la route pour Port Moresby cette nuit. Nuit un peu agitée par les passages de grains et leurs surventes. Cette traversée sera la plus inconfortable que nous ayons connue depuis longtemps : nous roulons bord sur bord, ce qui fait qu’il est impossible de se caler sur sa couchette, et qu’on arrive même à se faire éjecter des bancs du cockpit.

CCWG6457 (1280x960)

CourseAvecGrain
Vous avez dit « noir »?

C’est peut-être la banquette du carré qui est la moins instable, mais pas à l’abri des allées et venues des équipiers venant se faire un café ou regarder si la route ne dévie pas trop sur la carte.

CCWG6453 (1280x960)

Mais Kousk Eol trace sa route, avec des pointes à neuf nœuds dans une mer désordonnée et des vagues de trois mètres.

12h30 : le vent monte régulièrement maintenant à trente nœuds et la mer est plus formée, les vagues plus hautes. Le pilote ne peut plus tenir le vent arrière. À la barre, on a du mal à contrer les départs au lof. Il est temps de détangonner le génois et de prendre le troisième ris, avant d ’empanner pour reprendre une route plus tranquille au largue : le vent arrière nous avait progressivement éloigné de la route directe.

L’allure est un peu plus confortable : de belles vagues nous secouent régulièrement, mais au moins, nous pouvons nous caler sur un bord. Malgré la voilure réduite (trois ris dans la grand-voile et un tiers du génois), nous filons encore entre six et sept nœuds. Et il arrive régulièrement à la bôme de traîner dans l’eau…

CCWG6466 (1280x960)

Les vingt-quatre heures suivantes se ressembleront de ce point de vue : vagues de plus de trois mètres aux crêtes blanches et vent autour des trente nœuds. Voir ces masses d’eau arriver par l’arrière et nous dominer avant que le bateau ne se soulève est impressionnant. Kousk Eol marche bien, mais se fait tout de même bien secouer, et nous avec. Qui a bien pu appeler cet endroit la Mer de Corail ? Nous traversons la route nord-sud des cargos qui font la liaison entre l’Asie et l’Australie, ce qui nous oblige à regarder l’AIS4 de plus près.

CCWG6471 (1280x960)
André, William, Philippe et Claude.

Le vent s’oriente un peu plus à l’est, nous écartant un peu plus aussi de la route directe : il est temps de refaire un empannage. L’équipage est bien rodé maintenant : malgré ce qu’on ne pourrait en aucun cas qualifier de doux zéphyr et une mer en harmonie, la manœuvre est effectuée selon les règles en un rien de temps. Bon d’accord : les ténèbres étaient tombées, et on ne voyait pas grand-chose… De plus le frein de bôme est efficace.

 

Mardi 16 août. Nombreux passages de grains durant la nuit, avec des rafales à quarante nœuds. À l’abri dans le carré sous les rincées, il est rassurant de voir que le pilote fait très bien son boulot. Et comme ça souffle dehors, l’éolienne n’a plus d’excuses pour ne pas charger les batteries et compenser la consommation du pilote.

Rattrapé par mon passé ? Je me prends un exocet dans le cou durant mon quart… J’ignorais ce côté affectueux chez les poissons-volants. Il est un peu groggy lorsque je le rejette à l’eau. Et moi, je sens la marée…

Au matin, nous sommes à trois cents milles de Port Moresby. Les dernières moyennes étaient d’environ cent quatre-vingts milles par vingt-quatre heures. La météo prévoit un vent un peu plus clément sur la fin.

CCWG6468 (1280x960)
Café du matin.

Le vent ne faiblit pas dans la journée : toujours entre vingt-cinq et trente nœuds et une houle creuse. Même si le bateau est à peu près calé sur son bord, régulièrement une série de vagues plus fortes nous secoue bien.

Cette nuit, la lune est quasiment pleine : dans une quinzaine de jours, il y a une éclipse de soleil visible depuis l’océan Indien. Il faudra vérifier si notre route nous permettra de l’admirer : espérons qu’internet à Port Moresby sera à la hauteur !

Comme nous nous préparons au deuxième empannage de la journée (les journées sont harassantes sur Kousk Eol), au clair de lune, un élégant fou brun essaie de se poser sur les panneaux après avoir tenté les barres de flèche, alors que l’éolienne tourne à plein régime. Il a l’air un peu surpris que nous le chassions préventivement… Il repasse quelques instants plus tard pour nous faire apprécier la qualité de son guano dont il asperge généreusement une partie du cockpit et les genoux de Philippe. Aucune reconnaissance.

Mercredi 17 août, sept heures : Port Moresby est à un peu plus de cent quatre-vingts milles. Nous recalons nos montres sur l’heure locale : UTC+10. Nous devrions arriver demain dans la journée si le vent ne baisse pas. Pour l’instant nous sommes toujours avec nos trois ris dans la grand-voile, et un génois à moitié enroulé, ce qui ne nous empêche pas de filer à plus de sept nœuds sous un ciel à grains.

CCWG6479 (2) (1280x869)
Bien vérifier l’horizontalité du plan de travail lorsque vous installez une cuisine.

Le temps ne s’arrange pas, comme le prévoyait la météo. Le ciel est maintenant complètement couvert, et le vent régulièrement au-dessus de trente nœuds, parfois plus de quarante dans les rafales. Les vagues se sont mises au diapason : quatre à cinq mètres, et très impressionnantes en arrivant, bien creuses, sur notre arrière. Nous allons bientôt quitter le Pacifique : je me demande qui a bien pu le baptiser ainsi ?

CCWG6490 (1280x960)

Bon, notre supplique a du être entendue : si le vent et la mer font rien qu’à nous embêter, le soleil réapparaît. Nous pouvons même manger en terrasse.

CCWG6483 (1280x960)
Déjeuner à la cantine de Kousk Eol.

Embellie de courte durée : quelques heures plus tard, le soleil se couvre à nouveau et le vent en profite pour monter en régime. A la nuit tombée, un fou (le même que l’autre jour ?) tourne autour du bateau en cherchant un endroit où se poser, évidemment encore une fois à côté de l’éolienne… Il faudra insister pour qu’il aille voir ailleurs.

Jeudi 18 août, sept heures. La nuit a été encore une fois agitée, et particulièrement humide. Un des chariots de la ralingue de grand-voile s’est désolidarisé d’une des lattes : il faudra vérifier le gréement une fois au port, qui est maintenant à environ trente-cinq milles. En attendant, le café matinal se prend à l’air…

Page jeux du blog
Une fois n’est pas coutume : l’équipe de rédaction, consciente de l’aspect parfois rébarbatif et embrouillé des articles et des efforts à consentir pour suivre péniblement le fil de ce voyage, propose, pour reposer les neurones les plus fragiles, un divertissement. Sur la photo suivante vous reconnaîtrez deux équipiers prenant leur petit déjeuner dans l’air du large. Malgré un environnement prônant une certaine égalité entre individus à bord de Kousk Eol, quelques subtiles différences ont réussi à se glisser dans cette image, entre partenaires de ce couple improbable. Saurez-vous en trouver au moins sept en moins de trente minutes ?

CCWG6491 (1280x960)
Saurez vous trouver les subtiles différences entre ces deux équipiers?

Neuf heures : nous devrions être en face de la passe entrant dans le lagon avant Port Moresby d’ici deux à trois heures. Coup d’œil à la table des marées : pile poil à mi-jusant, donc quand le courant sortant est le plus fort, bien sûr contre la houle qui fait bien quatre mètres. Avec la remontée brutale des fonds, on peut s’attendre à des rouleaux costauds… Nous irons jeter un coup d’œil avant de nous engager, mais nous serons peut-être obligés d’attendre la renverse.

Onze heures : la passe est à un peu plus de trois milles. Le soleil est revenu et il semble que les éléments se calment un peu. Nous avançons quand même toujours à six nœuds sous grand-voile seule avec trois ris. La passe semble épargnée par les gros rouleaux s ‘écrasant sur le récif. Nous avançons doucement. Le courant pousse vers la mer et la passe est large : en cas de difficulté, nous ferons demi-tour. Mais tout va bien, avec « seulement » deux nœuds de courant dans le nez, et à midi nous franchissons le Basilisk Passage.

Passe
La balise de Basilisk Passage.

Soudainement, les vagues ne font plus que cinquante centimètres : elles montrent bien des crêtes blanches pour faire comme les grandes, mais nous ne sommes pas dupes ! La grand-voile est vite affalée et nous continuons sous un tiers de génois vers Port Moresby à trois milles plus au nord. Quelle tranquillité tout d’un coup !

CCWG6493 (1280x960)
Port Moresby au loin.

 

Et à treize heures, nous sommes à l’ancre à l’entrée de la marina, en attendant les officiels : le ponton sera pour plus tard, quand nous aurons l’autorisation de débarquer.

CCWG6496 (1280x960)
La marina du Royal Papua Yacht Club.

Le vent souffle toujours, mais cette fois le bateau ne bouge pas… Ces neuf jours de traversée ont marqué : pas un jour de répit, une semaine sous trois ris, presque cinq jours de vent arrière à se faire rouler bord sur bord. Difficile de dormir profondément.

Mais poupée, c’est pas pour dire et c’est pas du pipeau : les papiers tamponnés, la pimpante poupe des papys sans pompon ni poux pointe5, pompeuse, au ponton papou pas pire : pin pon ! Pas pu m’en empêcher. Pas pu6

___________________________
1
– En l’absence de proposition alternative, ce pavillon commence même à orner les mâts et murs des bâtiments officiels de la République…

2– Maris aussi, mais le sujet n’est pas à l’ordre du jour.

3– Aussi connu sous le vocable de « Darwinisme ». Entre nous, encore heureux que ceux qui savent n’aient pas utilisé le prénom du grand Charles: « Charlatanisme », ça sonne nettement moins bien, moins crédible.

4– Pour ceux qui ont du mal à suivre, ou qui sont un peu dissipés, je rappelle que l’Automated Identification System permet d’émettre et recevoir les informations, principalement sur les navires commerciaux, comme le nom, la taille, la position, la vitesse, le cap. Et donc de déterminer s’il y a risque de collision.

5– La poupe peut pointer, lorsque la prise de quai se fait en marche arrière. Si, si.

6– Mathias : on n’est pas obligé de faire un concours !

Un peu de technique – Cap, vitesse : un B.A. BA à l’usage des néophytes.

Plusieurs lectrices et quelques lecteurs1 nous ont dit ne pas comprendre certains mots, voire certaines parties de ce blog traitant de problèmes spécifiques à la voile. Désireux comme d’habitude de contenter nos abonné(e)s, ainsi que rendre moins insondables les abysses de leur méconnaissance des choses de la marine à voile, nous tenterons aujourd’hui d’apporter quelques compléments explicatifs autour de deux paramètres essentiels à la navigation sur un bateau, à savoir son cap et sa vitesse. Les navigateurs débrouillés peuvent sans peine faire l ‘économie de ce chapitre qui se cantonne à des notions de base.

Cap

Le cap, c’est la direction suivie par le navire. Comme il est plutôt rare de rencontrer des panneaux indicateurs en pleine mer, le marin un peu débrouillé cherchera cette direction sur une carte et la traduira au moyen d’un rapporteur en degrés par rapport au nord. Vous suivez ?

Puis, à la barre, il orientera son bateau dans cette direction avec l’aide du compas magnétique. Le compas, c’est une boussole. Mais « compas », ça fait plus connaisseur que « boussole », alors sur un bateau on dit « compas ». Élémentaire, non ?

Sauf que, le compas, il indique le nord magnétique. Puisqu’il est magnétique. Et même si le nord magnétique est proche du nord géographique, vrai, celui qui fait foi sur les cartes, la différence entre les deux2 peut conduire à des erreurs si une correction n’est pas appliquée. Pour compliquer les choses, la terre n’étant pas une sphère homogène, la direction de son champ magnétique varie selon les endroits où l’on se trouve : il nous est arrivé de naviguer dans des zones où la déclinaison atteignait pratiquement vingt degrés. Et se tromper de vingt degrés sur sa route peut être catastrophique. D’où l’importance de corriger cette différence : toutes les cartes marines indiquent la valeur de la déclinaison pour une région.

C’est là que la technologie vient en aide au marin. Le GPS3, vous connaissez ? C’est ce bidule que vous avez dans votre smartphone ou dans votre tablette qui vous permet de trouver votre chemin. Tous les bateaux sont équipés de GPS. Et ça fait quoi, un GPS ? Comme son nom l’indique, la fonction de base est d’indiquer sa position sur le sphéroïde terrestre, la vraie position géographique, grâce à un réseau de satellites dont la position est parfaitement connue. Donc pas de correction à apporter : le point GPS est utilisable directement4. Et comme le GPS reçoit à intervalles réguliers les informations permettant de déterminer la position, il est facile de tracer sa route, et donc d’en déduire son cap.

Conclusion : le GPS permet d’indiquer un cap, déduit de la direction entre deux positions successives. Magique, non ?

Sauf que, comme la direction est calculée d’après des positions successives, l’indication de cap fournie par un GPS n’est pas instantanée, comme avec un compas. Il faut attendre la position suivante, puis en dériver la direction avant d’afficher cette dernière.

Et, corollaire, si le bateau ne bouge pas, le GPS ne pourra pas indiquer de direction.

En général les instruments ou logiciels intégrant un GPS parlent de COG pour cette direction : Course Over Ground5.

Vitesse

Une fois que l’on sait où diriger son bateau, il est intéressant de savoir à quelle vitesse ce dernier vogue : pour prédire son heure d’arrivée, pour estimer l’impact d’un réglage des voiles sur cette vitesse, etc.

Sur un bateau, la vitesse est donnée par un instrument comportant une petite turbine se trouvant sous la coque, et entraînée par l’eau qui s’écoule le long de cette dernière. La vitesse de rotation de la turbine est traduite en vitesse, de façon très similaire à un compteur de vélo qui traduit les tours de roue en vitesse.

Oui, mais quelle vitesse, sur un bateau ? On n’est pas sur le goudron : la mer, elle est en constant mouvement. À cause du vent, des marées, des courants… Donc la vitesse indiquée n’est que la vitesse par rapport à l’eau, pas par rapport à la terre. Et comme pour le compas, il faut corriger cette valeur à l’aide de tables indiquant les courants, quand on les a… Sur un bateau, cette vitesse est souvent appelée STW : Speed Through Water.

N’y aurait-il pas plus simple, des fois ? Et là, tel un Zorro des temps modernes, GPS accoure à la rescousse, à nouveau. Si vous avez déchiffré les tentatives d’explications confuses dans le paragraphe ci-dessus, vous savez que le GPS donne une position sur le globe à intervalles réguliers. Et on obtient quoi, si on divise la distance entre deux points par cet intervalle de temps ? Eh oui, la vitesse entre ces deux points. Et ça c’est une vitesse qu’elle est vraie, car mesurée par rapport à la terre, qui, hors séisme notable, est réputée stable. Les instruments ou les logiciels intégrant un GPS parent de SOG : Speed Over Ground.

Et en comparant STW et SOG, on peut en déduire vitesse et direction des courants, ce qui permet d’anticiper les dérives potentielles. En entrant dans une passe, si on a une STW de six nœuds et une SOG de moins de un nœud, c’est peut-être que la marée descend et il faudra alors attendre la renverse. Il nous est arrivé d’entrer dans certaines passes à six nœuds (STW) et de nous retrouver à pratiquement quatorze nœuds en vitesse réelle (SOG) ! Ceux qui ont pratiqué le Raz de Sein pour entrer ou sortir du grand lagon d’Iroise savent de quoi on parle ici.

Comme pour le cap, il faut que le bateau bouge afin que le GPS puisse donner une indication de vitesse. Et de nouveau, cette vitesse n’est pas instantanée car calculée.

CapVitesse

Le GPS que nous utilisons tous est américain, et très contrôlé par l’armée des USA. C’est une des raisons pour lesquelles les Russes ont leur système, et que l’Europe a un projet de GPS européen. C’est une des rares applications utilisant les résultats de la théorie de la relativité d’Albert6, à cause de la distance des satellites. Ces derniers sont en orbite géostationnaire, à plus de trente mille kilomètres : les ondes électromagnétiques (comme la lumière) mettent un dixième de seconde pour faire le trajet, ce qui est loin d’être négligeable, et imposent des corrections sur les positions à calculer.

Et si le GPS tombe en panne ? Des GPS, on en a généralement plusieurs sur un voilier : celui qui a été installé avec les instruments de navigation, celui de la tablette (ou du smartphone) qu’on n’aura pas oublié d’emporter7, souvent un GPS supplémentaire avec connexion USB pouvant être branché sur l’ordinateur de bord.

Au fait, on faisait comment avant le GPS ? Ben on utilisait un instrument de torture appelé sextant, et une horloge précise donnant le temps universel8. Le sextant permet de mesurer la hauteur d’un astre au-dessus de l’horizon, le soleil en général. En regardant l’heure au moment de son point de passage le plus haut dans le ciel (le zénith), on en déduit sa longitude (position sur un méridien). Et en mesurant l’angle par rapport à l’horizon, on en déduit la latitude (position sur un parallèle). Moyennant quelques correctifs (hauteur du sextant par rapport à la surface de l’eau et donc de l’horizon, date – parce que la hauteur du soleil à une heure donnée dépend du jour de l’année-, rayon du soleil – car on vise le bord de ce dernier et non son centre-, etc.), on obtient les coordonnées de sa position.

Sextant

Sextant
Navigateur essayant vainement de capter les satellites avec un ancêtre du GPS.

Rappelez vous aussi : une minute d’angle sur un méridien représente un mille nautique (mille huit cent cinquante-deux mètres9). Donc une erreur de mesure de une minute faussera la mesure d’un mille. Et une minute d’angle, ce n’est pas beaucoup surtout quand on essaie de viser l’horizon et le bord du soleil sur un bateau qui bouge et un sextant qu’il faut tenir à deux mains… Je ne vous raconte même pas quand le ciel est couvert, ou de nuit.

Vous comprendrez aisément pourquoi le sextant est tombé, malheureusement, en désuétude parmi la plupart des navigateurs modernes, peut-être plus pressés et passant souvent moins de temps à la table à carte.

_______________
1.  Les lecteurs semblent avoir plus de mal que nos lectrices à admettre leur ignorance sur certains sujets. À moins que nous n’ayons que des experts comme lecteurs ? Qui sait…

2. On parle de déclinaison du compas.

3. Global Positioning System.

4. Pourvu que les cartes utilisent la bonne représentation géodésique, le fameux WGS-84. On en parlera peut-être un jour.

5. Eh oui, depuis qu’on a pris la pâtée à Trafalgar, les descendants de Nelson ont beau jeu de nous imposer leur idiome insulaire.

6. Dont il existe des photos le montrant à la barre d’un voilier, quand il n’était pas à perturber notre bon sens en prétendant que plus on allait vite et plus on rajeunissait tout en ayant moins de chemin à parcourir. En tout cas, un truc comme ça.

7. La fonction GPS d’une tablette ou d’un smartphone est indépendante du réseau téléphonique : seul le réseau des satellites GPS est nécessaire, et il est toujours disponible. Certaines applications de routage nécessitent l’accès au réseau téléphonique pour charger la portion de carte nécessaire en temps réel. Les cartes utilisées en mer sont préchargées pour assurer l’indépendance par rapport au réseau téléphonique.

8. Qu’on assimilera ici à l’heure au méridien de Greenwich.

9. La Terre fait quarante mille kilomètres de circonférence, soit 360° pour le tour complet. Ou encore 360*60=21600 minutes. Donc, une minute sur un méridien fait : 40000/21600=1,852 km. On prend la mesure sur un méridien, car au contraire des parallèles qui rapetissent quand on s’approche des pôles, tous les méridiens ont la même longueur.

Préavis de pause éditoriale

8 août 2016. Demain, après ce long séjour en Nouvelle-Calédonie, nous reprenons la route pour voir les Papous1. La prochaine étape sera Port Moresby à environ 1400 milles au nord de Nouméa.

Donc, petits veinards: pas de publications pour les deux semaines qui viennent. La rédaction prie ses abonnés arguant de la lecture du blog pour ne pas avoir à laver la vaisselle d’aller se faire voir de l’excuser…

___________________
1
– Ah ah! Raté! Le jeu de mots désolant autant qu’extrêmement vaseux « Les papys vont chez les Papous » a déjà été commis. Tout à fait exceptionnellement, le coupable ne sera pas dénoncé en place publique, et pourra continuer à naviguer incognito sur son Sun Odyssey 36i Performance au large de l’Escampobarriou.