Archives de catégorie : Pacifique

Vers les Samoa

Mercredi 18, 21h : le repas avalé, nous quittons notre mouillage au fond de l’estuaire de Pago Pago pour Apia, notre prochaine étape sur l’île d’Upolu, capitale des Samoa. Petite traversée de moins de cent milles : nous devrions arriver en milieu de journée demain.

Le vent est musclé comme il faut : quinze à vingt nœuds, et le premier bord de près pour sortir du chenal nous rappelle que Kousk Eol peut gîter. Dehors, c’est une houle solide qui nous attend : le bateau ne se prive pas de rouler quand nous devons abattre et nous mettre au largue. Mais nous avançons bien, autour de huit nœuds.

Entre les îles, le vent forcit et monte au-delà de vingt nœuds : nous supportons bien notre ris dans la grand-voile, et un génois roulé à moitié, qui n’empêchent pas de faire des pointes à plus de neuf nœuds.

Comme à chaque fois que nous arrivons dans un nouveau pays, il faut respecter l’étiquette et mettre le pavillon national de courtoisie, ainsi que le pavillon jaune indiquant que nous n’avons pas encore effectué les formalités d’entrée.

couleurs
Les couleurs…

Au petit matin, l’île d’Upolu, la plus grande des Samoa est en vue. Apia, la capitale, approche.

samoa2

samoa1
Les Samoa au petit matin.

Mais qui nous a donc piqué notre jeudi ?

Entre temps, sans que personne ne nous prévienne, nous franchissons la ligne de changement de date, et nous prenons brutalement un petit coup de vieux : on était tranquillement jeudi ce matin vers sept heures, et v’la-t-y pas que soudainement, nous nous retrouvons deux secondes après vendredi à sept heures… Pour faire les malins, on est passé brutalement d’UTC-11 à UTC+13. Vlan ! Qui va nous rendre notre jeudi ? Y a pas une loi pour empêcher ces arnaques? Mais que fait la police ?

Bon d’accord : on a fait moins bien que Phileas Fogg sur ce coup, mais on prendra sur nous…

Petit coup de VHF canal 16 avec la capitainerie du port d’Apia, et nous sommes dirigés vers la minuscule marina au fond du port, où nous sommes priés de rester à bord jusqu’à ce que les autorités arrivent.

marinaApia
Dans la marina d’Apia.

Pas grave : on avait justement un thon jaune de six kilos franchement pêché à transformer en carpaccio…

thon1

thon2

thon3
Le petit thon jaune.

18 mai – Pago Pago et l’île de Tutuila

Tutuila est la plus grande île des Samoa américaines (dix-sept milles sur quatre), dont Pago Pago est la capitale. C’est un territoire américain, avec son propre gouverneur élu tous les quatre ans. C’était une base de la marine américaine durant la dernière guerre : l’aérodrome, maintenant civil, en est un des vestiges.

L’île est faite sur le même modèle que les Marquises : volcaniques, très vertes et très montagneuses. Ne vous inquiétez pas : je ne vais pas refaire le couplet sur la nature qui ne sait pas se renouveler.

Pago Pago est à peine un village, mais avec tout de même une dizaine d’églises de confessions diverses. Mais c’est avant tout un port assez actif, de pêche principalement : un grand nombre de ratisseurs des mers font la queue devant d’imposantes conserveries qui contribue largement à l ‘économie de l’île.

Bouee
Ah mais elle est donc là, la verte qu’on a cherché cette nuit?

C’est à couple d’un remorqueur-pilote que nous devons nous amarrer pour faire les formalités d’entrées, avec des fonctionnaires plutôt débonnaires, avant qu’une place ne nous soit assignée.

Tug
A couple du remorqueur.

La confiance étant de mise, tout se passe sur le quai, presque sous la pluie : personne ne monte à bord.

Il ne faut pas rigoler avec les Samoans : ils font tous au moins un mètre quatre-vingts, et même en jupette, ça impressionne. Quoi ? Moi aussi je fais un mètre quatre-vingts ? Oui, mais en hauteur, moi ! De plus, ils sont censés avoir peuplé toute la Polynésie, jusqu’à l’Île de Pâques et Hawaï. Des bons, quoi.

La capitainerie, une fois les formalités accomplies, nous envoie mouiller au fond de l’estuaire : nous y trouvons une bouée libre qui semble bien convenir. Ça évitera d’avoir à utiliser l’ancre sur des fonds incertains. Et nous ne traînons pas pour mettre l’annexe à l’eau pour faire un tour de ville. Surtout que le mouillage n’est pas terrible : dans une eau de couleur douteuse, et sous le vent des conserveries…

Du bateau, nous apercevons un imposant MacDo, mais on sait bien maintenant que ce n’est plus une preuve que l’on est en territoire américain.

MacDo
MacDo samoan.

Vite fait, le tour de ville : il n’y a pas vraiment de centre, et l’habitat est très clairsemé. Comme à Tahiti, les belles maisons sont sur les hauteurs, un peu dans la brume aujourd’hui.

eglise1
Vers le centre de Pago Pago.
maison1
Maisons à Pago Pago.

maison2

artSamoan
Art samoan.

Nous mangeons sous une tonnelle locale à midi : poulet et légumes nous changent un peu du poisson-riz/pâtes de ces derniers jours, même si c’est loin d’être de la cuisine fine. La vie semble un peu moins chère qu’à Tahiti si on peut en juger par les quelques courses que nous faisons.

Nous louons une voiture pour visiter Tutuila. La première impression est confirmée : ça ressemble beaucoup aux Marquises, avec les mêmes sommets très verts et escarpés, une forêt dense, et pas de lagon (quoi qu’ici on puisse voir un embryon de platier). Le versant nord reste très arrosé ici, au contraire des Marquises.

rocher2
Le platier.
foret
La forêt des Samoa.

Comme ailleurs en Polynésie, les évangélistes n’ont pas chômé : il y a un nombre incroyable d’églises, toutes plus imposantes les unes que les autres. J’ai un peu de mal à croire que c’était la priorité en termes d’investissement local (opinion tout à fait personnelle), sans vouloir nier l’importance de la nourriture spirituelle.

eglise2

eglise3

eglise4
Eglises aux Samoa.

Le culte des morts est très présent ici : souvent, les tombes des proches sont placées devant les maisons.

maisonTombes

maisonTombes2
Maisons et leurs tombes.

Le long de la côte sud, on aperçoit des restes de pitons de lave posés sur des embryons de platier, généralement avec leurs cocotiers au sommet.

rocher1

rocher3
Pitons volcaniques.
plage
Plage.

La route qui mène sur le versant nord passe devant les conserveries : l’odeur forte de parfum « Nuoc Mam #1 » ne permet aucun doute. Ces conserveries sont essentielles pour l’économie de l’île et un grand nombre de Samoans y travaille. Puis la route continue par un petit col dominant le port de Pago Pago et son joli estuaire.

estuairePago
Estuaire de Pago Pago.
coteNord2
La côte nord.

La forêt que nous traversons est magnifique : nous comprenons sans difficulté pourquoi elle est qualifiée de « rain forest », avec ses espèces endémiques d’oiseaux et chauve-souris.

foret
La côte nord et sa forêt.

Il ne faut pas oublier que les îles, par ici, ont été formées par l’activité volcanique. Et il peut encore se produire des éruptions, sous-marines, elles-mêmes produisant des tsunamis.

tsunami
En cas d’alerte…

On ne conclura pas que Pago Pago, c’est Nyvapas Nyvapas1 : il y a certainement de très jolies balades à faire, de la plongée dans le parc au nord, mais ce n’est pas la plus attirante des îles que nous ayons visitées jusque-là.

1– On est tout à fait d’accord : c’est nul…

Vers les Samoa américaines

13 mai. Ce ne serait pas un vendredi, des fois ?

Petite vérification de routine des fonds avant de partir. Horreur ! Plein d’eau… Douce ! Une inspection rapide désigne le coupable : c’est le tuyau de la douchette de cockpit qui s’est défait. Nous venons de perdre un quart de réservoir…

ByeSuwarrow
Bye bye Suwarrow…

À peine quitté le magnifique mouillage d’Anchorage Island sur l’atoll de Suwarrow, vers dix heures, et la passe franchie, que les deux lignes ploient en même temps : un beau fusilier (dont personne à bord ne connaît la dénomination scientifique exacte, mais qui fera très bien dans nos assiettes) accroché à chacune. Dans la précipitation, Maurice, notre cynégéticien des mers du Sud, se saisit mal du premier nourrain océanique, qui lui glisse des mains et lui plante le deuxième hameçon du leurre dans le bas de sa jambe… Et dans l’Océan Pacifique, c’est bien connu, on ne pêche pas avec des hameçons de réré.

À partir d’ici, la rédaction suggère fortement au lectorat sensible que l’évocation du sang et de la souffrance atroce mettrait au bord de la pâmoison de sauter les lignes et images qui suivent.

Hamecon2
Bobo, Maurice.
Hamecon1
Il y a quelques raisons…

Sur un voilier, il faut savoir se débrouiller avec les moyens du bord. Sur Kousk Eol, suréquipé, il n’y a pas moins de quatre trois1 deux possibilités : soit déclencher la balise de secours, soit prendre la boite à outils. Après concertation entre les personnes concernées (C’est-à-dire ce couple de sadiques d’André et Claude), l’opération extraction se fera à la pince multiprise et aux tenailles.

Hamecon3
Opération toute en finesse…

Et Maurice, dans tout ça ? Il restera stoïque jusqu’au bout, faisant preuve d’un courage hors norme, n’hésitant pas à partager avec nous la grande richesse de ses connaissances en matière d’injures variées. Avouez tout de même que notre Momo a une façon bien à lui de prendre son pied. Rassurez-vous : le poisson coupable a fini en carpaccio, huile d’olive, jus de citron et épices. La vengeance est un plat qui se mange froid, comme tout le monde le sait.

LeCoupable
Le coupable.

À part ça, notre prochaine étape est Pago Pago, dans les Samoa américaines, à environ quatre cent cinquante milles, toujours à l’ouest. Cette première journée est un peu compliquée : nous sommes toujours légèrement trop au nord par rapport aux alizés, et nous retrouvons dans une zone de grains, synonyme de vent variable en direction et force. Il faudra donc jongler avec les voiles, (génois, puis Code D, puis re-génois, puis spi, puis re-génois pour la nuit, puis de nouveau le Code D) les écoutes, la barre. La première nuit sera particulièrement éprouvante, très éloignée des quarts plutôt cool que nous commencions à considérer comme la norme à bord : rafales à plus de trente nœuds, trombes d’eau…

DevantMer
Sous Code D.

14 mai : aujourd’hui il a fait très beau. Mais très chaud ! Qui a dit qu’on n’était jamais content ? Le vent est plein est, et on va vers l’ouest : avec la houle, impossible de rester vent arrière, donc on tire des bords de grand largue, qui rallongent un peu la route, mais permettent d’avancer plus confortablement et en fatiguant moins le bateau. Le temps s’améliore chaque jour : vents plus stables, nuages plus clairsemés et mer plus tranquille.

LeverSoleil
Banal lever de soleil sur le Pacifique…

La lune a recommencé à éclairer nos nuits. Et toujours personne à l’horizon depuis notre départ de Bora Bora : il nous semble que l’immensité du Pacifique est à nous seuls…

Nous devrions arriver après-demain soir à Pago Pago, si le temps se maintient. Le Code D ne chôme pas : il est à poste depuis hier sans discontinuer et nous tire gaillardement autour de sept nœuds. Sur la carte, nous notons la présence de plusieurs volcans sous-marins, en activité.

16 mai : l’île de Tau, la plus orientale des Samoa américaines, très montagneuse, est en vue à presque trente milles au nord. Encore soixante-dix milles avant l’île de Tutuila, sur laquelle se trouve Pago Pago, seul port d’entrée. Il fait toujours très beau, et le Code D ne chôme pas.

SalonOuOnCause
Dernier salon où l’on cause.

On ne peut en dire de même d ‘Éole : cette feignasse a décidé, tout à fait unilatéralement, que l’horaire syndical était atteint, et qu’on pouvait plier les gaules. L’anémomètre indique un souffreteux cinq nœuds : tout le gréement se met à claquer dans la petite houle. Pas bon. Il est temps de tout affaler et de prendre son mal en patience : nous en profitons pour faire trempette. En dessous de nous, plus de quatre mille mètres de grand bleu : imaginez le Mont Blanc à l’envers. Ça ne vous donnerait pas le vertige, à vous ?

L’essentiel est que ça sente un peu moins le chacal à bord…

Presque trois heures plus tard, le vent reprend un peu, de sud-est cette fois, et c’est au bon plein que nous repartons, génois et grand-voile. Les prévisions sont que l’on devrait arriver de nuit, dans un endroit qu’on ne connaît pas : on fait confiance aux Américains pour avoir balisé convenablement.

DerriereMer
Vers l’avant c’est pareil.

Effectivement, nous sommes à la première bouée verte du chenal vers le port de Pago Pago vers une heure du matin. Appel à la VHF, mais y a person qui répond. Nous nous mettrons

donc à couple d’un bateau de pêcheur en attendant l’ouverture des bureaux.

17 mai, huit heures : le capitaine du port nous demande de venir devant la capitainerie, à couple d’un remorqueur où nous attendent les autorités. Douane, immigration, inspection sanitaire : tout se fait sur le quai, presque sous la pluie, avec des fonctionnaires samoans en jupe traditionnelle noire.

Pago Pago est un gros bourg, avec, devinez, un MacDo. On attend que la pluie cesse et on vous raconte…

Tug
Amarré au tug boat.
Tug2
On est bien à Tutuila…

1– Pour une raison incompréhensible et inconnue de nous, Maurice a catégoriquement refusé que nous prenions la trousse à chirurgie. Et je ne parle même pas de la scie à métaux.