Petite navigation tranquille, de nuit, pour couvrir les 90 milles qui nous séparent d’Huku Hiva, où nous arrivons le 14 mai vers 10h, dans une baie magnifique, Taiohae, ancien cratère effondré. Une cinquantaine de voiliers sont déjà au mouillage…



A notre arrivée, il était prévu une réception: Cécilia, la sœur d’une collègue marquisienne, temporairement toulonnaise, d’un ami d’Henry (Ça va? Vous suivez?) devait nous attendre sur le quai. Problème de communication? Personne sur le quai. Pas un collier de fleurs de tiaré à l’horizon… Pourtant Henry nous avait bien préparés à une réception traditionnelle, la fête, des excursions à cheval, des chasses aux cochons et aux chèvres sauvages. Nous, on était chauds!
Bon, c’est pas grave: Cécilia travaille à la mairie, qui est juste à côté. Ah: sauf que c’est l’Ascension, et tout est fermé pour le long week-end…
Henry appelle le numéro qu’on lui avait donné, qui ne répond pas. Mauvais indicatif. Après plusieurs essais, une charmante dame arrive en voiture. C’est Cécilia, qui nous demande qui on est, et qui nous emmène chez elle pour manger. et fêter l’anniversaire de l’un de ses cousins, comme si nous nous connaissions depuis toujours… La communication n’était pas bien passée entre elle et sa sœur.



Le cousin, Maurice, dit « George Tarzan », 62 ans, est le jardinier/fleuriste de la municipalité: incollable sur toute la flore des îles! Nous visitons son jardin, et repartirons avec pamplemousses et mangues

Ici, le mouillage est moins forain qu’à Hiva Oa. La baie est immense, et un bonne cinquantaine de voiliers de toutes nationalités sont à l’ancre, y compris un beau voilier britannique de 78m, avec hydravion sur le pont: sans doute des chômeurs en fin de droit… Deux restaurants sont installés sur le quai, et accueillent les voyageurs. Notre préférence va pour le bistrot d’Henri, pratique pour manger pas trop cher, et se connecter à internet.



Ah, au fait: vous vous demandez peut-être ce que veut dire « Hiamoe Te Oumati ». Mais peut-être aussi que vous vous en fichez… C’est votre affaire. Mais on vous dit quand même: c’est la traduction en marquisien de « Kousk Eol », tout simplement.
La coque de Kousk Eol, au-dessus de la ligne de flottaison, est couverte de petites algues jaune-marron qui se sont développées durant la traversée, malgré la vitesse. Incompatible avec notre standing! André se met donc à l’eau avec une éponge à gratter et attaque les salissures, jusqu’à ce que l’on nous prévienne qu’il y a quand même des requins dans la baie, et que si on était nous, on ne se baignerait pas…

Bon d’accord. D’ailleurs, on ne voit personne sur la petite plage, à part quelques gamins jouant tout près du bord. On ne vient pas aux Marquises pour se baigner, même s’il existe quelques spots de plongée.

Même la pêche est à risque: dans certaines parties de l’île, les poissons ont la ciguatera…
Sinon, probablement que les Marquises ressembleraient trop au paradis. Et ça ferait désordre…
Ici aussi, nous louons une voiture pour la journée et faire le tour de l’île. Une route va de Taiohae la capitale jusqu’à l’aéroport au Nord-Ouest de l’île, en suivant la crête des anciens volcans: environ 1h30 de voiture, pour une quarantaine de kilomètres de bonne chaussée quand même.
De là, une piste est censée longer la côte Nord vers l’Est: nous mettons une bonne heure à en trouver l’embranchement… Pas de panneau indicateur, et le début de la piste n’est vraiment pas engageant! Nous ne verrons d’ailleurs personne pendant presque deux heures de casse-essieu et tasse-vertèbres. Heureusement que nous avons loué un 4 × 4!
Comme à Hiva Oa, la différence est marquée entre le Nord aride et minéral et le Sud très vert.
Vers 13h nous arrivons à Hatiheu, au fond d’une jolie baie: surprise, c’est dimanche et tout est fermé… Même le seul restaurant: il faut dire que les touristes ne se bousculent pas. Heureusement, dans une espèce de salle des fêtes, des Marquisiennes du village ont organisé un loto, avec pique-nique: elles acceptent de nous céder un casse-croûte que nous avalerons sur la pelouse devant la mer.

Pas surprenant que Robert Stevenson et Herman Melville soient venus s’installer ici quelques temps pour profiter de la douceur de l’île et trouver une inspiration à la hauteur du paysage…
Cette petite semaine à Nuku Hiva sera aussi l’occasion de faire quelques réparations, de refaire les pleins d’eau et quelques courses pour la suite.
Et aussi de discuter plus longuement avec les locaux.
Nous sommes invités une deuxième fois chez Cécilia et Philippe, de nouveau avec Maurice et son épouse, mais aussi avec Emmanuel, le père de Cécilia, 70 ans sur Nuku Hiva.
Tout y passe, mais le monde n’est pas prêt d’être reconstruit:
- Les changements sur l’île avec l’arrivée de la « modernité » et des nouveaux besoins qu’elle crée, et le décalage entre jeunes et anciens. Comme dit Maurice: « Les jeunes ne veulent plus travailler la terre! ». Ils préfèrent envoyer des SMS sur leurs smartphones! Mais n’est-ce pas un peu comme en métropole?
- La politique, entre séparatistes, le système Flosse, l’action de Rocard, la gauche et la droite… Emmanuel avoue: « La politique de gauche, elle est déjà en place: on a la sécurité sociale, des subventions, … On n’a pas besoin de ces clivages! ». Mais on sent qu’il n’y a pas encore une unité très forte entre toutes les îles de Polynésie Française.
- L’impact très négatif des essais à Mururoa, toujours dans les esprits, repris à leur compte par les séparatistes: Polynésie-poubelle pour les métros.
- Il reste beaucoup à faire: en particulier, le tourisme est très mal « exploité » aux Marquises, par manque d’infrastructures. Les îles sont très dépendantes des livraisons régulières par cargo.
- Le fait que tout ou presque est subventionné, et l’apparent désintérêt pour le profit des Marquisiens contribue au lent développement.
- L’ambiance dans les îles est particulière: les jeunes, qui doivent aller au moins jusqu’à Papeete pour le lycée, voient vite les différences. Et certains rechignent à revenir au pays…
- Etc, etc.
20 mai: Henry nous quitte pour Papeete, puis la métropole. Quasiment un mois ensembles, entre les Galapagos et les Marquises.
Dans l’après-midi, nous décidons d’aller mouiller dans la baie de Taioa, à un peu plus de 5 milles vers l’Ouest, d’où nous voulons aller voir la cascade de Haipô, dans la vallée de Hakau’i, une des plus haute du monde. Le mouillage est magnifique. Seuls trois autres bateaux seront nos voisins pendant ce court séjour.
Parmi les voiliers, un Américain: « Sail la Vie ». Humour et jeu de mot mêlant anglais et français: ce ne peuvent être que des gens bien! Confirmation en discutant avec eux…
Le lendemain matin, vers 8h nous partons vers la cascade. Nous avons aussi pour mission de dire bonjour à Jean-Pierre, de la part de Cécilia sa tante. Sur le chemin, nous rencontrons Alexandre, qui ne connaît aucun Jean-Pierre vivant ici: comme ils ne sont qu’une dizaine dans les quelques maisons autour, nous pensons avons mal compris notre copine Cécilia…
Tant pis: nous continuons vers la cascade. Le chemin traverse une sorte de jungle arborée et d’anciens sites bâtis par les premiers Marquisiens: la motivation de rencontrer Lara Croft au détour de la piste nous fait avancer. « Hello! Miss Croft, I presume? I am André, from the famous adventurer’s sailboat Kousk Eol. Just call me DD. Can I call you Lara? Do you live with your parents? ». Parce que bien sûr, comme Claude n’a pas oublié son appareil photo cette fois, il traîne un peu derrière… Jamais sur les bons coups, et évidemment pas là pour immortaliser l’instant…
La cascade est atteinte après un peu moins de deux heures de marche. Le site est grandiose: un cirque très étroit entre des falaises de lave de près de 400m de haut. Mais comme la saison des pluies est derrière nous, la chute se limite à un petit filet d’eau… Une vasque permet de se baigner et d’observer les fameuses chevrettes, qui nous montent le long des mollets dès qu’on s’arrête.

Sur le chemin du retour, nous croisons plusieurs touristes comme nous, dont un groupe accompagné d’un guide local: « C’est vous qui cherchez Jean-Pierre? C’est moi: je suis Teiki, le neveu de Cécilia. Alexandre est mon beau-père, mais il ne connaît pas mon prénom français… ».

Nous revoyons donc Alexandre, qui rigole encore du quiproquo. Du coup, il nous charge de fruits (pamplemousses, bananes, caramboles, oranges, citrons) et d’un gigot d’agneau… Et nous invite à manger le soir, de la chèvre sauvage au lait de coco, avec le groupe de touristes que nous avons croisé!
Le concept d’hospitalité a certainement vu le jour ici, aux îles Marquises…
Et vers 18h, nous reprenons l’annexe pour aller manger chez Alexandre: c’est Jean-Pierre/Teiki qui a fait la cuisine. Au menu: chèvre sauvage (chassée plus tôt dans la journée) grillée, chèvre sauvage au lait de coco, arbre à pain, pâtes, riz, bananes, pamplemousse, … Quand nous repartons vers 21h, les estomacs sont pleins! Et des provisions…

Entre temps, Alexandre nous a expliqué que la petite vallée, abandonnée jusqu’à il y a quelques années, reprenait vie grâce à quelques Marquisiens dont les ancêtres vivaient ici, d’où les nombreuses ruines dans la forêt.


22 mai: retour à Taiohae pour les dernières courses avant de repartir vers les autres îles. Et aussi pour dire au revoir à nos nouveaux amis…
Comme le retour sur Taiohae est un peu compliqué, nous avons embauché Juliette, skipper professionnel, pour la manœuvre.

Samedi 23 mai: ça y est, nous levons l’ancre pour Ua Pou, au Sud à environ 25 milles. Une petite étape avant Fatu Hiva puis les Tuamotus.
Mais ceci est une autre histoire…