Samedi 18 juin 2016, 16h. Nous remontons l’ancre et disons au revoir à nos nouveaux copains québécois : nous traversons du récif de l’Astrolabe vers Nandi, sur la côte ouest de la grande île de Viti Levu, pour faire les formalités de sortie des Fidji. La prochaine étape sera le Vanuatu, et Nandi nous rapproche un peu.

Le vent est repassé au sud-est, avec une quinzaine de nœuds : plutôt une bonne configuration pour nous qui partons vers l’ouest, pour une petite traversée d’une centaine de milles, surtout que la mer est quasi plate. Et nous profiterons d’une belle lune gibbeuse dans un ciel clair pour la nuit.
Vous vous en doutiez ? Les conditions n’ont pas tenu. Nous avons dû passer au vent arrière parce que les îles imposent certaines portions de la route, et la brise s’est levée, jusqu’à vingt-cinq nœuds et même trente sous de beaux grains. Tant pis pour la lune. Nous ferons la deuxième partie de nuit sous grand-voile arisée seule, un peu pour être plus tranquille, et un peu pour essayer de ralentir Kousk Eol et ne pas arriver dans la passe avant le soleil. Mais comme la mer s’y est mise elle aussi, nous roulons un tantinet. Et le pilote ne chôme pas pour rattraper les écarts : les batteries accusent le coup et montrent au matin un niveau de charge nettement plus bas que d’habitude.

Au matin, vers sept heures, nous nous présentons devant la passe Navula, en même temps qu’un cargo qui lui sort. La VHF crache sur le canal 16 : « Sailing vessel, sailing vessel : what is your intention ? ». Comme on est bien élevé sur Kousk Eol, on répond qu’on veut bien partager le chenal et qu’on restera sagement sur tribord. « OK sailing vessel : port to port ! And have a nice week-end. ». Cette fois au moins nous ne serons pas assimilés à des WAFIs.

La magie des passes des lagons opère encore une fois : à peine passées, la mer devient plate, et du coup les manœuvres pour affaler les voiles et ranger tous les bouts de ficelle1 se trouvent grandement facilitées. Plus qu’une quinzaine de milles et nous devrions trouver une place dans la toute nouvelle marina de Port Denarau, à côté de Nandi.

Nos deux cartes électroniques indiquent des hauts fonds à l’emplacement de la marina, qui n’est pas indiquée (elle a été réalisée en 2015)… Une brochure touristique offre un peu plus de détails : va pour la brochure, qui nous amène à un bon chenal bien balisé, et de là à la marina. Petit coup de VHF, cette fois sur le canal 14 : nous aurons une place, ce n’est pas une blague, au quai des super-yachts. Il semble que le coin soit le St Tropez des Fidji, un St Tropez mâtiné de Port Camargue : construit au milieu de nulle part, sur d’anciens marécages. Beaucoup de pavillons de complaisance ou presque de l’ex-empire britannique, et des Australiens et Néo Zélandais. D’ailleurs au ponton, notre voisin nous demande pourquoi on est venu en annexe, et où on a mouillé notre yacht : tu te rends compte, Kousk Eol ?

Vous connaissez notre pudique modestie : nous ne devrions pas rester trop longtemps au milieu de ce gratin2, où nous avons quand même du mal à nous reconnaître. Surtout que la marina nous demande deux mille dollars fidjiens ($1000 US) pour s’occuper des papiers, qui eux ne coûtent rien à la sortie… C’est sympa, le retour dans la société.
Entre temps, Atlantic, notre voisine à la marina de Taina, est arrivée. Et à côté, un autre magnifique voilier de soixante mètres : Encore, dessiné par Ed Dubois et construit en Nouvelle-Zélande pour un milliardaire australien.

Tout ceci est beaucoup trop beau pour nous : nous ne sommes pas habitués. Nous décidons de mettre les voiles, en fait le moteur, vers Lautoka pour les formalités, à une douzaine de milles. Les dernières courses dans le supermarché de la marina ont été la goutte d’eau qui a mis le feu au lagon : cent cinquante dollars fidjiens pour deux tomates, deux steaks et un bout de fromage… L’eau minérale locale coûte plus cher que le vin d’Australie !
En fait, la marina est aussi un grand centre touristique pour aller visiter les îles et lagons des alentours, à côté d’un aéroport international. Et donc ne débarquent ici que des portefeuilles réputés garnis. De ce fait à ponctionner.
Les Fidji, comme d’autres pays ici, sont appelées à se développer, en particulier pour le tourisme. Mais nous espérons que ceci se fera de façon équilibrée: il serait dommage de trouver ce type de développement dans les atolls et autres îlots magnifiques. Heureusement, le droit coutumier est encore très fort dans ces contrées, et les sages veillent au grain. Déjà, il est interdit de vendre des terres à un étranger dans beaucoup de ces régions.
Lundi 20 juin. Après deux heures d’une navigation tranquille, nous mouillons devant le port de Lautoka vers midi, avec deux autres voiliers: un suédois et un américain.
Lautoka est la deuxième ville des Fidji. C’est aussi un port d’entrée, et c’est d’ici que les agents du gouvernement viennent pour aller à la marina. Ce qui est censé justifier les milles euros. Nous allons au bureau de la douane : une douanière charmante nous reçoit, nous fait remplir tout un tas de papiers puis nous dit : « C’est bon, vous êtes en règle, douane et immigration. ». Mille euros d ‘économisés pour douze milles de navigation…
Petit tour dans la ville : ce n’est pas ce qu’on pourrait qualifier de joyau touristique. C’est une ville où l’on habite et travaille. C’est aussi le deuxième port de commerce des Fidji, où la transformation de la canne à sucre était une grosse industrie. Il y a un grand marché pour se réapprovisionner en frais, mais le choix est limité: tous les stands semblent offrir les mêmes produits. Peut-être n’est-ce pas le bon jour. De nouveau, la population est très mélangée : Mélanésiens et Indiens principalement. Et à tout instant, les « Bula ! » fusent dès que l’on croise quelqu’un.

Les derniers GRIBs montrent du vent pour les prochains deux ou trois jours : nous ne traînons donc pas, et partons le soir même vers Port Résolution sur l’île de Tanna au Vanuatu. Si vous êtes sages, on vous racontera.
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1– Oui. Et alors ?
2– Difficile de se la péter dans ces conditions, non ?
merci pour la carte postale (même si elle donne un peu envie de pleurer ;))
bises