Vers le Vanuatu et Tanna


Le Vanuatu est le nom des anciennes Nouvelles-Hébrides franco-britanniques, adopté lors de l’indépendance de ce pays. Méfiez-vous de ce que racontent les historiens : l’indépendance a été obtenue parce que les Français et les Anglais n’ont jamais pu se mettre d’accord sur le côté de la route où faire rouler leurs voitures. Bien entendu, cette situation posait de graves problèmes à la population locale, qui, par un souci d’apaisement digne du roi Salomon, avait bien essayé le milieu, mais avec un succès extrêmement mitigé. C’est donc devenu une république formée de plus de soixante-dix îles s’étendant sur plus de cinq cents milles du Nord au Sud, des îles de Torres à Anatom (à environ deux cents milles au nord-est de Nouméa). La capitale est Port Vila sur l’île d’Efate. Le Français et l’Anglais sont les deux langues officielles. Conciliation ultime : le pays fait partie du Commonwealth, mais on y roule à droite. Cocorico : c’est quand même l’essentiel, non ? Et on s’arrêtera là pour la culture générale : vous n’aviez qu’à être plus attentifs lors des cours de géographie.

Comme pour les Fidji, il va falloir choisir…

Et on a choisi : on ira à Tanna, célèbre pour son volcan en activité, réputé facilement accessible.

Lundi 20 juin 2016. Comme nous vous le disions, nous quittons Levuka dès les formalités de sortie des Fidji remplies, vers dix-huit heures.

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Passage sans regret devant Nandi…

Environ cinq cents milles nous attendent, avec du bon vent prévu pour les deux premiers jours. Et effectivement, dès la passe franchie, entre vingt et vingt-cinq nœuds de sud-est nous propulsent sur une mer houleuse, rendant le bateau un peu rouleur.

Nous ne dormirons pas très bien cette nuit pourtant très belle, avec une pleine lune lumineuse. Le bateau avance bien, deux ris dans la grand-voile et deux tiers de génois tangonné, pratiquement vent arrière.

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Sous voile de nuit.

Nous ferons un peu moins de cent quatre-vingts milles ces premières vingt-quatre heures. Un fou à bec bleu passe l’après midi de mardi à tourner autour de Kousk Eol, vaguement intéressé par le leurre de la ligne : peut-être se dit il que si nous attrapons un poisson, il pourra profiter du festin ? Toujours rien à la tombée de la nuit. Alors notre compagnon ailé décide de se poser, il n’y a pas de raison, sur les panneaux solaires, visiblement pas effrayé par notre présence dans le cockpit. Mais là, catastrophe ! Comme le vent souffle bien, l’éolienne tourne, et le malheureux se prend à l’appontage dans les pales plutôt agressives. Il est éjecté à la mer, groggy, mais réussi à s’envoler au bout d’une minute : nous ne le reverrons plus jamais…

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Le tangon fidjien est presque aussi chaloupé que le tango argentin .

Mercredi 22 juin. Encore une nuit un peu agitée, avec une houle de trois bons mètres, courte, arrivant pas les trois-quarts arrières, au portant. Mais nous avançons toujours bien : nous devrions être à Tanna demain.

Petite visite à nouveau des fonds, et toujours de l’eau. Nous inspectons le bateau de fond en comble, mais ne trouvons pas la fuite… Il faudra mieux regarder quand on sera dans un port.

Le temps change de nouveau : après les jours de grand soleil, les grains reviennent, et avec eux les vents changeants. Il est temps de retirer le tangon. Évidemment, c’est ce moment que choisit le moulinet de la canne à pêche pour siffler : une touche ! Donc il faut ralentir le bateau et travailler le bestiau. Ce qui veut dire tous les deux sur le pont, bien sûr sous la pluie : et vous vous en doutiez, il ne pleuvait pas cinq minutes avant. La pluie s’arrêtera une fois le poisson hors de l’eau, une demi-heure après tout de même. Il faut dire que la bête est imposante : un thon jaune de trente kilos au bas mot !

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« C’est qui ? » « Deux Tartarins de ta race, ahuri ! »

 

Une fois découpé le monstre, le frigo est plein ! Jamais nous ne pourrons tout manger : on fera la distribution au prochain mouillage. Nous nous remettons sur le cap, le vent souffle bien, et… et le génois se casse la figure : la drisse a lâché ! Fâcheux et hautement contrariant… Comme nous sommes plein de ressources, nous mettons la drisse de spi à la place : malheureusement, le point de tire n’étant pas dans l’axe, l’enrouleur ne fonctionne plus. C’est trop dangereux, donc nous affalons : nous finirons avec la grand-voile et la trinquette ou le Code D. Ou le moteur : en effet, le vent faiblit, et de plus, il faut faire marcher le frigo à fond, donc charger les batteries même la nuit.

Nous verrons pour la drisse au mouillage : pourvu qu’elle ne soit pas tombée dans le mat1!

Jeudi 23 juin. Au petit matin, la petite île de Futuna (celle-ci, pas l’autre) est en vue au loin. Encore environ soixante-dix milles avant Port Resolution.

Port Resolution : petit havre trouvé par un voileux de l’époque, le capitaine Cook, et baptisé d’après le nom de son voilier. Beaucoup des noms d’îles, de passages, de récifs viennent de ces époques de découvertes du Pacifique par les Européens, faisant des cartes de véritables livres d’histoire. Les plaisanciers de l’époque n’étaient pas des plaisantins. Un petit reproche quand même : aucun de ces navigateurs n’a laissé de guide touristique derrière lui…

Port Resolution n’est pas un port d’entrée au Vanuatu, mais par dérogation on peut y mouiller pour aller faire les formalités à Lenakel, en voiture de l’autre côté de l’île de Tanna à vingt-cinq kilomètres à vol d’oiseau, car le mouillage de Lenakel n’est pas très protégé.

15h : encore une vingtaine de milles avant le mouillage. Nous voyons le volcan Yasur cracher sa fumée. La question est de savoir si nous arriverons avant la nuit, car aucune des deux cartes que nous avons, ni notre guide des mouillages, ne donnent de détails ou de précisions…

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Yasur vu du large.

Et bien sûr, à dix-huit heures la nuit est tombée, noire foncée, surtout que la lune ce soir prend son temps avant d’apparaître. Il reste cinq mille à parcourir. Nous n’irons pas à Port Resolution ce soir : trop risqué. Nous optons pour la baie de Waisisi, à six milles plus au nord, pour laquelle les cartes sont plus détaillées, et dont l’entrée est réputée plus facile. En attendant, nous profitons du spectacle offert par le volcan dont le cratère illumine les fumées : l’amer est remarquable et visible de loin en mer.

L’approche de la baie est intéressante : pas un seul feu, aucune lumière sur la côte, mis à part Yasur. Il faut faire confiance aux deux jeux de cartes, CM93 et Navionics, sur deux ordinateurs différents avec deux GPS différents ! Et cette fois, les deux cartes se sont mises d’accord : on leur accordera notre crédit, et nous mouillons dans la baie, dans une dizaine de mètres, avec une nuit toujours aussi obscure. Nous verrons demain matin où nous sommes…

Vendredi 24 juin, 6h : nous sommes bien dans la baie de Waisisi. Très ouverte sur le large, elle laisse largement entrer de résidus de houle qui ont fait plus que nous bercer. La côte est abrupte et très boisée. Nous apercevons quelques embarcations au fond, mais personne. Et nous nous décidons à lever l’ancre vers Port Resolution : quand on y voit, ça change tout ! A huit heures et demie nous y sommes. Seul un catamaran nous a précédé : un plan Wharram, certainement un petit frère de Kâ.

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Le catamaran Aluna

A bord, Beat un Suisse allemand et Beatriz une Bolivienne qui naviguent depuis un certain nombre d’années. Une fois l’ancre mouillée, nous constatons que nous avions fait le bon choix hier soir : les deux cartes CM93 et Navionics dernière version sont erronées… Notre position est donnée trois quarts de milles trop au nord-ouest, c’est-à-dire sur la terre ferme !

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Heureusement que nous n’avons pas fait l’approche de nuit!

Et le temps de nous préparer à descendre à terre, un troisième voilier arrive : un dériveur lesté en alu, Gaston, avec Michel à bord, qui avait attendu comme nous les bonnes conditions pour entrer dans la baie.

Autour de nous, des pêcheurs en pirogues à balancier, taillées dans un tronc d’arbre, comme les bois fouillés d’Haïti. Plusieurs s’approchent de Kousk Eol pour nous souhaiter la bienvenue.

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Nous donnons à l’un d’entre eux une grande partie du thon que nous avions pêché, à charge pour lui de partager. Nous faisons un heureux, car ce n’est pas avec leurs pirogues qu’ils peuvent pêcher au large. Ils nous indiquent où débarquer. Il se trouve que l’un des habitants du village de Nipikinamu, qui domine la baie, a eu l’idée de créer un local pour accueillir les voiliers de passage : le Yacht Club de Port Resolution, au moins aussi kitsch que le Micalvi de Puerto Wiliams !

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Le Yacht Club de Port Resolution.
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Les sanitaires après le passage du cyclone…

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La baie de Port Resolution.
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L’entrée de la baie.

Stanley, le gérant, n’est pas là. Merde. Car normalement c’est lui qui se débrouille pour aider pour les formalités d’entrée au Vanuatu. Ben non, pas de soucis : son frère Johnson, lui, est là. C’est le chef du village, et il connaît la procédure : il téléphone pour faire venir un 4×4 pour aller à Lanakel où se trouvent la douane, l’immigration et les services de santé, de l’autre côté de l’île. Et au bout de trois heures, une voiture vient nous prendre. Entre temps, nous avions recontacté Michel pour profiter de la voiture et tenter la visite du volcan sur le chemin du retour. En attendant, nous avons le temps de faire un tour du village, qui a été complètement détruit lors du terrible cyclone de 2105 : toutes les habitations datent de cette époque. Miraculeusement, il n’y a eu aucune victime.

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Elles sont bâties en bois, sur pilotis et avec un toit de feuilles de cocotier, toutes pratiquement sur le même modèle. Des structures plus à même de résister aux cyclones commencent à être construites pour servir de refuge.

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Structure anti-cyclone en construction.

La végétation a beaucoup souffert elle aussi. En particulier, il n’y aura pas de fruits de l’arbre à pain cette année. Heureusement, la terre est très riche et tout repousse incroyablement vite.

Les villageois sont très accueillants, et très discrets. Tout le monde nous dit bonjour, et personne n’essaie de demander quoique ce soit : la classe. Le tour dans Nipikinamu est très agréable et reposant.

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Cimetière familial.
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Le chef Johnson réparant son toit.

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Il n’y a pas d’électricité dans le village. Seuls le dispensaire et le yacht club (qui sert de salle de repas pour les organisations qui viennent aider à la reconstruction) disposent d’un générateur. L’école est équipée de panneaux solaires, mais cela a l’air expérimental. Les habitants doivent payer chaque fois qu’ils veulent recharger leur téléphone, ce qui explique qu’ils nous les apportent sur le bateau. Il n’y a pas non plus d’eau courante, mais quelques points d’eau alimentés par un captage sur les hauteurs environnantes. Les habitants sont pauvres, mais pas miséreux : la nature pourvoit aux besoins de base. Et ils sont d’une très grande dignité.

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Le chef Johnson.
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« Totems » devant la case de Johnson.

Johnson nous explique dans un excellent Français qu’il y a vingt-quatre langues parlées sur l’île de Tanna : lui n’en parle « que » huit en plus du Français et de l’Anglais. Suffisant pour se débrouiller sur la plus grande partie de l’île. Une des langues est le bislama, un créole à base d’anglais principalement : « Gudmoning ! Yu toktok bislama ? Nem blong me Claude. Yu ? Lukim yu bagkegen. ». Facile, non ? Les enfants ont le choix d’aller à l’école française ou à l’anglaise. Les frais de scolarités sont élevés pour le niveau de vie (environ soixante mille vatus par an), et donc avoir des enfants est une décision réfléchie.

La voiture arrive enfin au bout de trois heures, et nous partons vers Lanakel avec Michel et surtout Johnson : une heure et demie de piste justifiant le 4×4, qui passe au pied du volcan.

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Yasur et son panache.
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Yasur.

A Lanakel, nous apprenons que le douanier est reparti à Port Vila, la capitale, et que le préposé aux Dangers Bio (Services de santé) n’est pas là lui non plus. Ça vous aurait posé un problème, à vous ? Ici, pas du tout : c’est le fonctionnaire de l’immigration qui nous prépare tous les papiers, et en moins d’une demi-heure tout est en règle. Nous pourrons même repartir sans avoir à repasser : il nous tamponne même la « clearance » ! Et avec le sourire. Trop cool. On a peut-être des leçons à apprendre.

Pendant ce temps, l’heure a tout de même tournée, et le moment est venu de nous diriger vers l’entrée du parc du volcan Yasur pour y arriver avant la nuit. Nous reprenons la piste dans l’autre sens pour un peu moins d’une heure et arrivons en fin d’après midi. Le ticket d’entrée est de sept mille cinq cents vatus2 (environ soixante-dix euros) : pas donné vu le niveau d’infrastructure, mais il faut bien faire rentrer un peu d ‘argent dans les caisses3. Pour ce prix, nous héritons d’une guide charmante, Marguerite, qui nous accompagnera pendant le tour. Tour qui débute par un quart d’heure de piste amenant au court sentier qui grimpe sur les bords du cratère quelques dizaines de mètres plus haut : une vraie balade pépère.

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Touristes avec leur guide Marguerite.

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Mais alors, quel spectacle ! Nous dominons la sortie de la cheminée de lave, bouillonnante au fond de l’entonnoir, à environ trois cents mètres en dessous. Le chemin longe le bord du cratère, sans barrière : sujets au vertige s’abstenir ! Il y a quelques fois un accident, mais cela ne semble émouvoir personne.

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On approche du cratère!
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Encore un peu…
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Là, ça y est…

Soudain, une énorme explosion et un souffle chaud nous fouette. Les projections de lave montent jusqu’à notre hauteur, illuminant la nuit. Puis une pluie de cendres nous retombe dessus. Impressionnant ? Grandiose, majestueux, imposant : les mots sont faibles pour décrire le spectacle. Et dire que c’est au-dessus de ce machin vivant que nous batifolons. Ça rend un peu plus humble.

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Boum!
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Et re-boum!

Nous restons à contempler le spectacle pendant un long moment avant que Marguerite ne nous propose de redescendre… Le temps ne semble pas s’écouler au même rythme devant ces prouesses de Madame Nature. Puis nous rentrons vers le mouillage : debout dans la benne du 4×4, de nuit sur la piste, ça permet de continuer un peu avec les émotions fortes.

Samedi 25. Aujourd’hui : relâche. On va profiter du bon mouillage pour quelques réparations. Entre autres, la drisse de génois. C’est au tour d’André d’enfiler le harnais et de se faire hisser en haut du mât. Au winch électrique, il ne faut pas non plus exagérer.

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Il fait plus frais, là haut?

Bonne surprise : ce n’est que le mousqueton rapide qui s ‘est ouvert. Et du coup la drisse n’est pas entrée dans le mât. Vous vous demandez probablement pourquoi ces deux pieds nickelés d’amateurs voileux, WAFIs indécrottables, ont mis un mousqueton rapide au lieu d’une bonne vielle manille au point de drisse qui ne doit pas changer très souvent, comme la drisse de spi. « André, Claude, mais pourquoi, vous qui avez accumulé autant d’expérience, avez-vous mis un mousqueton rapide au lieu d’une bonne vieille manille au point de drisse, puisqu’il reste en place la plupart du temps ? Hein ? Dites voir. ». C’est juste que c’était comme ça quand on a acheté le bateau, et qu’on n’a pas pu tout remettre comme nous aurions préféré. C’est tout. Une autre question ? Non ? Il me semblait bien…

Bref, le mousqueton est sécurisé et le génois promptement re-hissé et devrait nous laisser tranquille encore un bon moment.

Les pêcheurs en pirogue viennent nous voir, nous apportent des fruits (papaye, corossol) et du poisson (espèce de très grosses sardines). Et nous demandent de recharger leur téléphone (facile), voire d’essayer de réparer ceux qui sont tombés dans l’eau (impossible), toujours avec le sourire.

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Café avec notre copain Patrick.

Mais ils nous apprennent que nous n’avons pas donné le thon à la bonne personne : le filou est parti sans rien proposer à ses collègues, comme nous le lui avions fait promettre. Les pêcheurs sont philosophes : « Normalement, les gens ici partagent tout. Mais il y a toujours un profiteur dans le groupe : c’est celui sur lequel vous êtes tombés. ». Tant pis, mais dommage. Nous ne le reverrons jamais…

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On commence à ramer tôt sur Tanna…

Et le soir, que fait-on ? Ben on invite les voisins, les copains : Michel, qu’on vous a déjà présenté, et Beat et Beatriz, du Wharam Aluna. Beat est Suisse-allemand et Beatriz Colombienne, donc la soirée sera de nouveau très internationale et polyglotte. Et sympa. La vie sociale dans les mouillages improbables du bout du monde est d’une intensité à peine soutenable. Certainement en signe d’appréciation, Yasur nous offre le tableau de son panache dans le soleil couchant.

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Yasur vu de Port Resolution au couchant.

Dimanche 26. Dans la nuit, nos autres copains de Thétis sont arrivés. Si vous avez suivi les épisodes précédents, vous vous souviendrez que nous avions rencontré Thétis et son équipage (Sylvain, Yanis, Anaïs et Clémence) à Suwarrow. Et il était prévu, avec l’accord de la météo, de se retrouver à Port Resolution avant Nouméa.

Dans la nuit aussi, la pompe de cale s’est à nouveau déclenchée… Nous n’avons toujours pas réussi à localiser cette putain de fuite de merde qui nous fait chier grave4 depuis un moment. Mais on va y arriver : en remontant la fuite, nous l’avons circonscrite à l’arrière tribord. Où il n’y a pas beaucoup de vannes et de passes-coque. Donc on devrait finit par la coincer…

Une piste tout de même : la pompe à eau de mer de l’évier semble fuir…

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La belle plage du village.

Petit aparté culinaro-gastronomique. Vous vous souvenez de notre nouveau copain Patrick, celui qui avait laissé tomber son téléphone à l’eau ? En remerciement pour avoir essayé de le réparer, il nous donne des produits de son jardin : manioc, igname, chou, herbes, mandarines… Et comme on lui demande comment préparer l’igname et le manioc, il nous répond que le mieux était de venir voir faire sa femme Nelly, qui va nous concocter un lap-lap.

Nous nous retrouvons donc chez Patrick, dans le quartier du village où habite toute sa famille. Le lap-lap, comme vous le savez, est un plat de crêpes épaisses de manioc assaisonnées au lait de coco, lui-même parfumé au basilic. Et nous voici à râper le manioc pour la pâte, gratter les noix de coco pour extraire le lait, et préparer le feu.

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Nelly surveillant la râpe du manioc.

Nelly nous montre ensuite comment étaler la pâte de manioc sur des feuilles de bananier empilées en plusieurs couches.

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Puis l’assemblage est posé sur les braises, avec plusieurs pierres chauffées sur le dessus.

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Au bout de presqu’une heure, les galettes sont cuites. Il est temps de les badigeonner du lait de coco parfumé qui a cuit doucement dans son coin, le tout accompagné d’un morceau du fameux thon.

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La marmite pour le lait de coco.

 

Ça cale ! Par contre, ça risque d’être un peu difficile à refaire à bord de Kousk Eol.

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Lap lap prêt à manger!
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Nelly et son fils Louie.

Alors que Patrick parle anglais, Nelly elle parle français : pour se comprendre, ils parlent entre eux la langue de leur tribu. L’accueil est très chaleureux. Ils sont en particulier curieux de savoir si nous avions déjà vu des noirs avant, s’il y en a en France… Impossible de payer notre repas : une invitation est une invitation. Et ils veulent remettre ça demain !

17h. Nous sommes de retour sur Kousk Eol. Pour découvrir qu’un nouveau voilier est à l’ancre : cinq bateaux dans la baie, alors que nous n’étions que deux avant-hier, la surpopulation nous guette ! Il est temps d’envisager de repartir. Bon d’accord, le petit dernier est un Wauquiez, un Pilot Salon 43, joli bateau lui aussi. Et bien sûr, tout ce beau monde se retrouve à bord de Kousk Eol. Le Wauquiez était engagé dans l’ARC5, mais apparemment, l’ambiance ou l’environnement ne leur plaisait pas, et ils ont donc quitté le groupe. « Ils », ce sont un Italien (Massimo, de Toscane, le propriétaire), un Sud-africain et un Allemand (qui tient à préciser : « d’Allemagne de l’Est, de Iéna ! »). Et pour faire bonne mesure nous rejoignent les quatre de Thétis. Le cockpit est quasiment plein, et les discussions vont bon train, sur tous les sujets. Y compris le vote du Brexit… Nous apprenons la nouvelle d’un peu loin, mais nous demandons ce que va devenir l’Europe si tout le monde n’a que pour objectif de se replier sur soi.

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Pirogue à balancier.

Lundi 27. Ce matin est retransmis à l’école du village le match de l’Euro France-Irlande, sur la seule télé disponible et contre la modique somme de cinquante vatus. Les annexes démarrent à 5h55 pour ramasser tous les aficionados de la baie. Sur Kousk Eol, seul la moitié de l’équipage se rend à la cérémonie, l’autre étant un réfractaire incurable de ce genre de sport.

8h : en fait, le match France-Irlande était retransmis à deux heures… A six heures jouaient en fait les Belges contre les Hongrois (ou l’inverse). Synchronisation ? Un douanier arrive en dinghy, et nous demande si nous étions en règle. Bien sûr ! Sauf que le préposé à l’immigration ne nous avait pas donné la bonne clearance. Et donc notre douanier monte à bord et nous délivre notre autorisation de partir autour d’un café. Il nous raconte qu’il est le vice-président de la ligue de football du Vanuatu : ceci explique qu’il soit arrivé juste après la fin du match ! Il nous confirme la mainmise des deux tribus sur le business du volcan : les dents grincent sur Tanna !

La cérémonie du kava. Ce soir, nous sommes invités par Johnson, le chef du village avec qui nous avons tissé des liens, à la cérémonie du kava, très formelle et traditionnelle, dans une espèce de clairière interdite aux femmes6. Le kava est tiré de la racine d’un arbuste. Pour l’explication sur la préparation, les âmes sensibles peuvent sauter les lignes suivantes. Les racines sont mâchées par le fils et le neveu du chef (Oui : mâchées par les petites dents robustes desdits fils et neveu.) et recrachées pour en faire une sorte de pâte, qui est ensuite allongée d’eau puis pressée pour en extraire un jus servi dans une demie noix de coco. Il faut ensuite avaler cul sec, puis exprimer un vœu (durant la cérémonie, on est en communication directe avec les dieux). La saveur est indéfinissable, laissant un arrière-goût amer dans la bouche. L’opération se répète trois fois pour respecter la tradition, dans une atmosphère tranquille où tout le monde parle à voix basse. Johnson nous avait prévenu : le kava de Tanna, c’est le vrai. Pas un succédané inoffensif comme celui de Nouvelle-Calédonie ou des Fidji (Où le kava est préparé moins artisanalement). Tout se passe bien pour les redoutables marins de Kousk Eol, jusqu’au retour à l’annexe, où le sol se met bêtement à tanguer, sans prévenir, avant même d’être sur l’eau… Redoutable !

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La racine mâchée est mise dans un torchon, puis pressée dans une noix de coco.

Mardi 28. Les prévisions météo ne sont pas bonnes pour les prochains jours pour descendre vers la Nouvelle-Calédonie. Vent du sud puis pétole pour demain et jeudi. Amélioration vendredi avec l’alizé du sud-est : nous devrions alors viser directement Nouméa.

À midi, il est prévu d’aller manger avec les équipages de Thétis et de Giampi, l’autre Wauquiez de la baie, chez Leah qui tient un restaurant dans le village : une table unique et les derniers clients sont passés il y a presque deux mois. Au menu : tarot, igname, manioc, bananes cuites, patates douces, chou, poissons de la baie puis papaye en dessert. Que des produits frais : c’est bon même si les recettes sont très basiques.

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Le restaurant de Leah.
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Banquet chez Leah.

Pour changer des bricolages sur le bateau, après le repas, Leah nous demande si nous pouvons jeter un coup d’œil à sa machine à coudre, une antique Singer qui est restée un peu trop longtemps dehors après le cyclone qui a détruit le village.

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Hot Line réparant la Singer.

Ça change de l’électronique et des bus Raymarine !

Entre temps, le vent a tourné, et le bateau s’est couvert d’une fine couche de cendres de Yasur, très abrasive. Rinçage à l’eau de mer, et une heure après, tout est à recommencer.

Giampi doit partir demain. Du coup l’apéro prévu le soir sur Thétis se transforme en dîner, avec le catamaran Outremer arrivé de Nouméa : douze dans le carré, c’est sûr que là, les catamarans marquent un point.

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Soirée sur Thétis.

La petite fête se termine à pratiquement trois heures du matin. Avec déjeuner léger (sans petit-déjeuner) pour les demi-portions de Kousk Eol vers seize heures, car le réveil fut particulièrement tardif…

Et le soir, on remet ça, version tranquille à l’eau minérale : curry de thon avec Thétis. Avec qui nous devrions repartir ensembles vers Nouméa le lendemain : l’alizé de sud-est semble se confirmer sur une grande partie de la traversée, deux cent vingt mille à la louche direction sud-ouest.

Jeudi 30 juin. Nous décidons de partir vers quatorze heures : la météo donne un vent de sud-sud-est virant au sud-est, autour de vingt nœuds. De bons bords de près nous attendent. Nous allons faire nos derniers adieux au village : au chef Johnson, à la cuisinière Leah (dont la machine à coudre remarche !)… Beat et Beatriz nous paient un dernier café, et à quatorze heures, l’ancre est levée et nous quittons Port Resolution avec Thétis.

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1-Pour ceux qui l’ignorent, les drisses et autres « cordes » qui vont en tête de mat passent en général à l’intérieur de celui-ci. Si l’une d’entre elles casse, il y a de fortes chances qu’elle retombe à l’intérieur du mat, où la récupérer n’est pas toujours une partie de plaisir.

2-Le vatu est l’unité monétaire du Vanuatu. Cent vatus équivalent à un peu plus de huit euros.

3-Nous apprendrons par Johnson que la belle histoire de répartition de l’argent collecté pour le bien des habitants n’est pas tout à fait exacte : en fait ce sont deux tribus qui contrôlent l’accès au volcan, qui se trouve sur leur terrain ancestral. Ce sont eux qui empochent les revenus, et rien n’est redistribué. Là où le bât blesse un peu plus, c’est que lorsque Johnson a voulu y emmener, pour les remercier, les volontaires étrangers venus aider à la reconstruction des villages, qui avaient apporté avec eux médicaments, nourriture et vêtements, ces mêmes tribus les ont fait payer au prix fort…

4-Une putain de fuite de merde qui fait chier grave est une fuite mesquine, sournoise, captieuse, qui se dissimule pour tenter de saper le moral de l’équipage.

5-ARC : association qui regroupe des voiliers pour des voyages au long cours, comme la traversée de l’Atlantique ou le tour du monde. Moyennant finances, les participants bénéficient d’une infrastructure logistique (mouillages ou marinas, formalités, météo). Cette année, environ vingt-cinq bateaux sont encore attendus pour le quatorze juillet à Port Resolution.

6-Eh oui, il existe des sociétés plus évoluées que d’autres…

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