Jeudi 6 octobre 2016. Six heures trente : après une nuit tranquille à l’ancre, la meilleure depuis deux semaines, appel aux autorités portuaires. Nous devons nous rendre au fond du port, au quai des gardes-côtes pour les formalités.
Le port est dans la ville de Port-Louis, et a l’air très actif. Nous sommes impressionnés par le nombre de bateaux de pêche chinois. Ils sont omniprésents, et trustent le canal 16 de la VHF, au mépris des règles de sécurité de base.
Les formalités accomplies, nous traversons le port pour nous mettre dans la petite marina du Caudan, le waterfront local. La marina nous prévient que nous ne pourrons rester trop longtemps : l’ARC arrive dans une dizaine de jours. Dix-huit bateaux, dont de gros catamarans : ça va être chaud dans la marina. Décidément, nous sommes suivis à la trace.
Une des premières activités est d’aller prendre une douche : les sanitaires sont bien équipés, mais qu’est-ce qu’ils tanguent ! Il faut presque s’appuyer dans la cabine pour ne pas tomber !
Premières impressions de l’île Maurice : on y parle français, aussi bien qu’anglais, et les Mauriciens ont l’air très accueillants. Mais on y roule du mauvais côté… Dommage : presque un sans-faute.
Mais ne perdons pas de temps, il y a tout de même un certain nombre de points à régler :
- le contrôleur du pilote et ses connexions. Ces dernières sont vérifiées encore une fois. Il y a un contrôleur d’occasion sur le Bon Coin. On va creuser cette piste.
- la durite du vérin du pilote : contact pris avec Lecomble & Schmitt, très réactifs. Et avec l’aide de Jacques D, la durite est commandée.
- la capote de la descente dont le tissu est irrémédiablement cuit. Notre séjour à Maurice est trop court pour faire la réparation ici. On nous conseille le Cap : à voir.
- le sondeur, qui continue à ne marcher que par intermittence. Là, j’avoue les limites de mes compétences. Tout semble indiquer un problème de sonde. On utilisera le sondeur Interphase en attendant.
- le ventilateur du compartiment moteur qui a rendu l’âme. On verra à la Réunion.
La marina du quartier de Caudan n’est pas la plus sophistiquée que nous ayons visitée, mais elle est pratique, en plein cœur de la ville. Et les nuits y sont calmes : nous apprécions après ces deux semaines indiennes. Il y a pas mal de passage de voiliers, en provenance de la Réunion ou de Rodrigue.
Vendredi 7 octobre. Les douaniers en civil patrouillent à longueur de journée : nous avons même droit à une petite visite, très informelle, qui se termine autour d’un café dans le carré de Kousk Eol, à parler des résultats de foot et de l’OGC-Nice !’
Brian, le cousin de Mirella – Mauricienne, ex-collègue et amie d’André – nous emmène faire quelques courses en ville et nous fait goûter la cuisine locale chinoise, délicieuse. Nous profitons de lui pour connaître un peu mieux l’île : environ un million deux cent mille habitants, d’origines très variées, Indiens et Chinois pour beaucoup. Les différents cultes sont bien représentés du coup, et semblent cohabiter en paix, même si certain essaie d’être plus présent.
L’industrie du textile, autrefois prospère, est en perte de vitesse, au profit de Madagascar et autres pays d’Asie. Le pays se tourne à fond vers le tourisme pour faire entrer des devises. Port Louis est « la » grande ville de l’île. On y trouve encore quelques restes de l’époque coloniale, mais l’urbanisme moderne a tendance à faire table rase du passé : « On a besoin de place. », « Ça coûte trop cher à entretenir. ».
Nous repartons demain en milieu de journée vers la Réunion : ce devrait être une courte traversée d’environ cent trente milles vers la marina de la Pointe des Galets. Le séjour mauricien aura été de courte durée, mais il faut avancer. Entre temps, nos copains d’Anastasia, Anna et Thomas, sont arrivés de Rodrigue et sont venus se mettre à couple : les places sont comptées dans la marina !
Nous apprenons que plusieurs voiliers vont faire la traversée vers le Cap début novembre, y compris l’ARC : nous pourrons partager les options.
Samedi 8 octobre. Les formalités de départ sont vite expédiées, deux ou trois courses pour avoir quelque chose à grignoter, puis un dernier repas chez le Marseillais du Port. A quatorze heures, après une bonne rincée tropicale, nous sommes prêts et laissons la place à quai à Anastasia.
En sortant du port, nous passons à côté de la Curieuse, bateau des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF) qu’André a connu à Crozet : petite séquence émotion/souvenirs. Le navire part faire une mission à Mayotte pendant un moins, avant de redescendre vers le grand sud.
Puis nous sommes à nouveau en mer, avec un ciel très couvert et peu de vent, qui fait la girouette au gré des grains, humides. La mer est belle, donc le bateau relativement stable, ce qui nous change un peu.
Dix-huit heures trente, le jour tombe… Et dzzziiiiiiii : putain, André avait mis la ligne, et c’est un thon qui vient de se faire prendre. Il n’avait certainement pas compris que c’était l’heure de se coucher, pas de bâfrer. Maurice, on aura finalement eu un poisson à Maurice ! Entre quatre et cinq kilos qu’il va falloir préparer : vivement un bon steak ! Moi je commence à trouver ça un peu snob de prétendre ne manger que du poisson ultra-frais, de la mer à l’assiette, sans intermédiaire. Surtout que là, nous battons un record : moins de vingt minutes entre la sortie de l’eau et le steak dans l’assiette, avec préparation des filets à la frontale sur la plate-forme arrière pour ne pas mettre trop de sang partout. Il faut bien le reconnaître, avec un minimum d’objectivité : dire que nous nous régalons serait tout simplement un euphémisme tellement en dessous de la vérité qu’il friserait la malhonnêteté intellectuelle1.
En attendant, la nuit démarre mal : vent faible et variable, avec grains. Les voiles claquent et secouent le gréement. Il faut se résoudre à mettre le moteur.
Ce n’est que quatre heures plus tard, vers minuit, que les conditions deviennent plus propices : génois et grand-voile se gonflent avec l’alizé, autour de quinze nœuds, qui nous propulse au petit largue sur une mer presque plate. Voici des conditions comme on les aime ! Nous voyons déjà les lumières de la Réunion au loin. Et à six heures, il ne reste plus qu’une quarantaine de milles : pas pire. Le vent montant autour de vingt nœuds, nous prenons un ris dans la grand-voile, tout en restant au-dessus de huit nœuds de vitesse, avec un bateau plus à plat et ayant moins tendance à partir au lof : le pilote apprécie.
Neuf heures : Saint Denis est à trois milles au sud. Comme nous nous approchons de la côte et du Cap Bernard, le vent nous propulse de l’arrière et nous attrapons quelques vents-tueries, comme dirait Sarah, qui poussent brutalement Kousk Eol au lof. Nous sommes sur-toilés, mais nous allons essayer de tenir jusqu’au mouillage ! En se faisant petits en passant la pointe de la Ravine à Malheur…
Une demi-heure après, appel du CROSS sur la VHF : « Kousk Eol, Kousk Eol, du CROSS : répondez ! ». Obéissants, nous répondons. Et le monsieur nous dit que comme il y a une épidémie de fièvre aphteuse à l’île Maurice2, nous n’avons pas le droit de débarquer avant que la DASS n’ait inspecté le bateau…
– Ben oui, mais nous sommes dimanche…
– Ben oui : et alors ? La douane et la DASS vous attendent au port.
Effectivement, à onze heures trente, nous nous amarrons au quai du port ouest de la Pointe des Galets. Deux minutes après, les inspecteurs sont là. Et à midi, tout est réglé. Qui ose encore dire du mal des fonctionnaires ?
La marina du port ouest de la Pointe des Galets n’est des plus pratiques à cause de son éloignement de la ville, dans un quartier industriel… Mais c’est la seule de l’île avec suffisamment de fond pour accueillir Kousk Eol. Elle a l’air très sûre. Et l’accueil est très professionnel et cordial, avec Jérôme et son équipe !
Nous aurons traversé depuis Port Louis en un peu moins de vingt heures, avec des pointes à neuf nœuds : moyenne plus qu’honorable, malgré les ratés du départ. Maintenant, il faut nettoyer et ranger le bateau : nous rentrons tous les deux en métropole faire une pause, et accessoirement vérifier qu’on nous aime toujours… Retour à la Réunion début novembre pour continuer vers le Cap et au-delà. Il est largement temps pour vous, addicts lecteurs, de profiter de ce répit pour envisager de faire avancer le schmilblick un peu plus sérieusement.
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1– « Malhonnêteté intellectuelle » : ça aussi c’est un concept intéressant. Est-ce à dire qu’il pourrait y avoir une malhonnêteté manuelle ? Qu’on pourrait être malhonnête dans un domaine et honnête dans un autre ? Faudra qu’on en cause !
2– Je les entends déjà ricaner les gros malins : non, pas à bord de Kousk Eol. Nous nous désinfectons les muqueuses régulièrement et consciencieusement au ti-punch : très efficace !