Fernando de Noronha

Donc, nous vous le disions, nous arrivons au mouillage de la Baia de Santo Antonio le onze mars deux mille dix-sept à trois heures trente, sous une lune éclatante qui nous montre le chemin. Nous sommes un peu surpris : nous ne nous attendions pas à voir beaucoup de bateaux. En fait, ce sont des dizaines d’embarcations à moteur qui sont là, mouillées de façon un peu anarchique, les trois-quarts sans feu. Nous nous faufilons entre les bouts d’amarres qui flottent, et descendons finalement notre ancre : nous verrons quand le jour sera là si nous devons bouger.

Le mouillage

Après une courte nuit pour nous, le jour se lève sur le Morro do Pico, point culminant de Fernando de Noronha, amer remarquable que nous avons suivi durant la nuit, sous le clair de lune.

Le Morro de Pico

Il y a un meilleur emplacement plus près de la terre : petit café avalé, nous déplaçons Kousk Eol, pour nous retrouver à côté d’un catamaran français, un couple de vétérinaires de Chartres. Deux autres voiliers sont au mouillage : un Argentin de Puerto Madryn et un catamaran dont nous ne verrons pas le skipper.

L’annexe est gonflée et le petit Suzuki démarre sans trop de problème, toujours capricieux pour tenir un bon régime, obligeant à jongler avec le starter malgré les différentes tentatives de réglage1: il faudra le faire revoir en Martinique. La baie est très ouverte sur le large, et la houle semble prendre un grand plaisir à rouler les bateaux et faire monter l’adrénaline à l’approche du rivage, où les rouleaux qui s’écrasent sont impressionnants. Et ce ne sont pas les tortues rencontrées en chemin qui rassurent. Heureusement, le Porto, semblant de petit port avec sa digue rocheuse, offre une relativement bonne protection : l’annexe est tirée sur le sable de la plage, à la limite de la marée haute.

La plage et le petit port.

Les autorités sont dans un cabanon qui domine le port : police, capitaine du port, marine nationale et immigration. Travailler un samedi ne leur pose pas de problème : ils sont tous en short, t-shirt et casquette à l’envers, et nous les retrouverons sur la plage juste après. Tout se passe dans une bonne ambiance, après moult bom dia, tudo bem et muito obrigado : nous n’avons pas toujours tout compris, mais la clearance est signée, et nos passeports tamponnés pour un départ lundi treize vers la Martinique. Nous nous faisons même offrir le café. C’est la marine, donc des experts, qui nous indique où aller boire une bonne caïpirinha, incontournable dès qu’on est au Brésil !

L’immeuble des autorités.

Nous nous dirigeons à pied vers le « centre-ville », à un kilomètre, après une bonne montée sous le cagnard et le regard goguenard du Morro de Pico, véritable statue moai, vestige du passé volcanique de l’île.

Le tour de la ville est vite expédié : tout semble tourner autour du Bosque Flamboyant, grande place plantée de flamboyants, et de la Igreja dos Remedios. L’île a été occupée par les Portugais, les Anglais, les Hollandais, les Français, avant d’être définitivement annexée par le Brésil. Mais il ne reste que peu de vestiges de ces époques.

La igreja dos Remeidos.
Végétation.

L’après-midi, nous croisons nos voisins sur le catamaran : ils semblent très déçus par l’île, très belle excroissance volcanique, très chère2 et finalement pas si extraordinaire pour peu que l’on ait navigué aux Antilles3, entre autres… Ce qui est la conclusion à laquelle nous commencions doucement à arriver. Les guides de voyage donnent parfois l’impression, surtout pour les endroits peu facilement accessibles, qu’il faut leur accoler systématiquement une réputation de « plus bel endroit du monde4 », où évidemment l’auteur du guide est allé, mais où le vulgum pecus, lui, se contentera de regarder les belles photos faites par les rares privilégiés, et de lire le dithyrambe complètement objectif, il va de soit, les accompagnant5. Quatre-vingts pour cent des touristes sont brésiliens, avec une grande majorité venant de Sao Paulo, ville la plus riche du Brésil : cherchez l’erreur. Les quelque vingt pour cent restant se partagent entre Européens et Américains. L’aéroport est relié à Recife et à Natal, à seulement deux cents milles. L’île dépend de l’état du Pernambouc.

De nouveau, l’île, qui fait environ huit kilomètres sur deux, est tout de même charmante. Le parc en fait presque le tour, à l’exception d’un espace entre le Porto et la « ville », sur la côte nord-est. L’accès à la zone du parc est bien sûr payante. La protection des tortues marines semble être la priorité : tout un programme est mis en place pour éviter le braconnage et sensibiliser les visiteurs. La population de tortues est en croissance depuis presque vingt ans. Malheureusement, nous arrivons juste entre la période de ponte et celle de l’éclosion : circulez, il n’y a rien à voir ! Enfin si : nous en verrons à chacune de nos navettes entre Kousk Eol et la plage en annexe.

Nos voisins nous prêtent le buggy qu’ils ont loué pour faire nos courses et aller au restaurant le soir. Sympa, même si nous tombons en panne d’essence : la jauge est pourtant bloquée sur « Pleno »… Le buggy est très populaire pour se déplacer et la jeunesse dorée du Brésil se pavane en pétaradant, en maillot de bain, dont le tissu semble avoir été économisé pour pouvoir se payer le séjour ici.

Aujourd’hui dimanche, quartier libre. Petits bricolages et bulle sur le bateau pour les uns, plage et internet à terre pour les autres. Ce soir, nous sommes invités à bord de Vétocéan, catamaran de nos voisins Françoise et Francis : nous apportons le poisson et le cuistot.

Lundi 13 mars 2017. Nous partons ce soir vers Fort de France. Il nous reste quelques emplettes à faire : ce n’est pas à Fernando de Noronha qu’il faut s’arrêter pour les courses, qui seront donc vite expédiées. Nous récupérons aussi les derniers GRIBs : nous devrions avoir du vent virant vraiment à l’est, voire à est-nord-est une fois l’équateur franchi. Un espoir de se sortir du vent arrière ?

Un peu après le port, vers l’extrémité nord-est de l’île, un panneau indique « Air France ». Nous nous disons que notre compagnie nationale trouve de biens étranges lieux où installer ses agences… Pas du tout : c’est une villa qui a été construite du temps de l’Aéropostale sur un promontoire, et qui servait de base pour les hydravions Latécoère, leur permettant de faire un stop lors de la traversée entre l’Afrique et l’Amérique du Sud si nécessaire. Puis l’Aéropostale a été absorbée dans la nouvelle compagnie Air France, lors de sa création, d’où le panneau…

La villa est magnifiquement située sur la pointe de Santo Antonio, face à la baie éponyme, surveillée par les ruines du fort lui aussi du même nom et par la petite chapelle de São Pedro dos Pescadores.

Le Morro de Pico au travers des ruines du fort.
Chapelle de São Pedro dos Pescadores.

Entre temps, Iò est arrivé de St Hélène : ils auront mis quatre jours de plus que nous. Nous devrions nous revoir en Martinique ou en Guadeloupe…

18h45 : l’ancre est remontée. Derniers adieux à Iò et à Vétocéan, et nous attaquons les prochains deux mille milles…

Iò.
Vétocéan.

En conclusion, Fernando de Noronha aura été une étape bienvenue sur notre longue route vers la Martinique, où nous avons pu nous reposer et faire un complément de courses6. L’île a du charme, mais ce n’est certainement pas une étape pour laquelle nous nous serions déroutés… Opinion tout à fait personnelle, forcément subjective.

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1– Ben ouais. On ne peut pas être excellent partout. Être bon, c’est déjà assez difficile… En toute modestie, bien sûr !

2– Sans atteindre le niveau des Galapagos, un des sommets de la pompe à fric !

3– Sans parler des îles du Pacifique, bien sûr, mais on avait promis de ne pas la faire trop snob… Ah bon ? Vous n’êtes jamais allé plonger à Vanua Balavu, vous ? Ah bon…

4– J’adore cette expression, archétype de la suffisance : qui peut se targuer de connaître le monde ? Et prétendre en plus au jugement absolu ? Pourquoi ce besoin de toujours vouloir faire un classement, avec des critères sur lesquels évidemment personne ne sera jamais d’accord, avec raison ? Ça plaît, ou ça ne plaît pas. Point. Qui a dit une fois, avec beaucoup de sagesse, que les goûts et les couleurs, ça ne se discutait pas ?

5– Non, ce n’est pas vrai, je ne m’énerve pas ! Je m’interroge juste parfois sur notre société où par exemple les participants à n’importe quelle émission de télé-réalité sont promus d’office aventuriers : ne dénature-t-on pas quelque peu le contenu des mots de notre belle langue à systématiquement abuser du superlatif ? N’y a-t-il pas une espèce de contradiction dans la recherche à tout prix de l’extraordinaire dans un phalanstère qui vise avant tout à la sécurité et au bien-être ? Devenir un héros sans prendre de risque : le pied, non ? L’excitation de skier hors-piste, oui, mais avec une balise sachant que d’autres auront le vrai courage de venir me dégager de l’avalanche que j’ai déclenchée… Je sens que je suis mûr pour une autre caïpirinha, moi !

6– Bon d’accord : et boire une ou deux caïpirinhas. Trois ou quatre ? Tu as compté ? Tu es sûr ?

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