ACORES – GIBRALTAR – 10-16 juin 2017

Ce n’est pas faute d’exercer une pression certaine sur lui, mais notre envoyé spécial Tonio s’accroche, tel l’arapède à son bout de granit, à un supposé coup de mou subséquent à une traversée prétendument agitée plus que de raison pour retarder la production d’une prose censée relater de la manière la plus objective possible les exploits du vaillant équipage de Kousk Eol lors de l’expédition depuis les Açores jusqu’à Gibraltar. Vous pouvez reprendre votre souffle.

L’équipe de rédaction, butée comme vous avez déjà pu le constater, ne désespère pas arriver à ses fins, quitte à utiliser le chantage le plus mesquin (« Non, pas de ti punch ce soir : c’est pas bon pour la crampe du clavier ! »).

Quelques jours plus tard, tout arrive… Le travail de sape aura finalement porté ses fruits : le jeune Antoine a écrit ! Nous vous livrons ci-dessous sa production littéraire. Bonne lecture !
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L’arrivée au petit matin au port d’Horta (sur l’île de Faial) fut bienvenue pour tout le monde, malgré la pluie, chacun sentant la fatigue d’une longue traversée de 2600 miles d’une traite, somme toute sans encombre aucune. Nous aurons même été accueillis la veille en s’approchant par plusieurs visites de cétacés : rorquals communs, dauphins et même subrepticement un hypérodon boréal (qui n’est pas une licorne arc-en-ciel). Le deuxième rorqual, peut-être tout aussi curieux que nous, après avoir surgit à 50 m à tribord, viendra nous zieuter de plus près encore à vingt mètres à bâbord après avoir nagé sous le bateau. Impressionnant, même si l’on n’aperçoit que le haut du dos, on en devine la taille (celui-là faisait bien ses vingt-deux mètres). En ce qui concerne les dauphins, nous aurons été gâtés ces derniers 3-4 jours et avons été visités plusieurs fois quotidiennement par différents groupes, allant de 5 à 100 individus, des espèces tachetées d’Atlantique d’abord puis des communs. Leur jeu, toujours, est de surfer sur la vague avant du bateau, tout en jetant quelques coups d’œil à son équipage (et vice-versa). Cela restera toujours un grand plaisir de les observer libres et enjoués dans leur élément.

Ah elles ne se prennent pas toutes seules les photos de dauphins!

Rien de tel qu’un poisson-pilote pour trouver sa route!

L’accueil sur Faial est chaleureux, l’ambiance détendue et agréable, tout le monde se parle et se raconte ses péripéties pour arriver jusqu’à cet archipel perdu dans l’océan. On y croise toutes sortes de navigateurs : touristes d’un jour, aventuriers solitaires, équipages professionnels, amateurs passionnés, pêcheurs locaux, le tout distillé au sein d’une population locale des plus sympathiques. Tous, ou presque, se retrouvent le soir chez Peter, dont nos matelots ne manqueront pas de s’assurer quotidiennement que la fermeture est bien aux alentours de 2h du matin, disons histoire d’être sûr… Chacun donc gardera un souvenir impérissable de cette petite île tout ce qu’il y a de plus accueillant.

Les lumières de Faial au loin…

Nous louons une voiture pour faire le tour de l’île (volcanique, comme toutes les autres des 9 îles des Açores), qui ressemble un peu à une petite Irlande pour ses pâturages vallonnés et verts. Tentative de visite du cratère tout en haut, qui ne se dévoilera pas pour nous ce jour-là, car le brouillard y était bien trop dense. Ce sont plutôt les restaurants qui se révéleront à l’équipage les uns après les autres, et plutôt deux fois qu’une. Tombés en plein période de fête nationale, nous aurons même l’honneur de dîner à côté du président portugais De Sousas venu célébrer la Pentecôte sur l’île. Évidemment personne n’avait prévenu les quatre jeunes (DD au lit) et nous étions donc les seuls pouilleux assis dans ce restaurant où en ce dimanche soir tous les locaux s’étaient mis sur leur trente-et-un pour avoir une photo souvenir avec leur représentant. Nous aurons droit à un salut amical de sa part, car il se fit que nous sortions dans la ruelle tous en même temps, entourés des assistants présidentiels et des « services secrets » portugais qui surveillaient d’un coin de l’œil ces quatre chevelus en short et tongs apparemment pas au courant.

Ravitaillements en tous genres fait, il nous restait un « devoir » en tant que navire de passage à Horta : laisser la fameuse trace du bateau en exécutant une peinture au sol ou sur l’un des quelques espaces restants de béton de la marina. C’est une des premières choses qui m’ont frappé en arrivant, car ne connaissant pas cette tradition, la beauté de cet ensemble de motifs colorés que sont toutes créations laissées par les différents équipages au fil des années, certaines encore visibles et indiquant des dates antérieures aux années 80 ! Nous nous mettons donc collectivement à préparer une reproduction aussi fidèle que possible du logo de Kousk Eol, qui ma foi, fut plutôt réussie. André reconnu même plusieurs peintures de bateaux amis rencontrés lors du tour du monde des frangins, espérons que d’autres un jour nous raconterons avoir vu la nôtre.

La signature de Kousk Eol…
Fiers marins-artistes!

En ce qui concerne l’équipage, nous nous retrouvons temporairement à quatre car Tom nous quitte ici-après avoir pris la sage décision (en fait déjà prise depuis une douzaine de jours) de ne pas pousser plus loin ses limites physiques. Pour lui, ça aura été « Veni, Vidi, Vomi » ! Nous le laissons donc au petit matin sur le quai lors de notre départ, 5 jours de fête après notre arrivée sur l’île de Faial. Compagnon d’une si belle traversée, nous te regretterons mais comprenons. Et la suite te donnera raison.

Nous partons donc en route vers Sao Miguel, presque plus fatigués qu’à notre arrivée pour certains (fallait pas se coucher à 3h la veille d’un départ à 5h !), où nous récupérerons notre cinquième compère pour la traversée Açores-Gibraltar, le grand Nicolas. Nous contournons par le sud l’île de Pico, qui tout du long depuis Horta nous avait offert un magnifique panorama depuis la marina : imaginez-vous une grimpette du niveau 0 jusqu’à 2351 m en ligne droite sur ce sommet volcanique ! Sur mer, la navigation sera relativement aisée malgré quelques interventions du moteur pour nous aider à passer la première pointe où les courants nous seront contraires. Le reste se fera à la grand voile et au génois grâce à un vent constant de sud-ouest. À noter que notre départ fut précipité par une dépression du genre inquiétante qui passait au nord de l’archipel des Açores et qui balançait du 50-60 nœuds en son centre. Profitant des contours de celle-ci, Kousk Eol aura de belles accélérations jusqu’à 30 nœuds histoire, pour l’équipage, de se remettre en forme. Nous arriverons vers 2h du matin à la marina de Punta Delgada où par hasard nous croisons Sirius, avec qui nous apéroteront (vous savez, ceux qui avaient failli nous rentrer dedans au milieu de l’Atlantique ?). Pour faire court : nous visitons rapidement les prémices de la vieille ville, exécutons quelques dernières courses de ravitaillement, récupérons l’ami Nicolas, mangeons le repas le plus mauvais de tout ce tour du monde après avoir fait confiance au mauvais resto et son rabatteur, prenons les dernières vraies douches et derniers apéros à terre avant l’Europe continentale, suivis d’une bonne nuit de sommeil, et partons pour la deuxième étape de notre traversée, car, mien de rien, ce n’est pas encore fait !

Départ tranquille vers la fin de matinée, la première après-midi commence sagement, parfait pour Nico qui prend ses marques auprès du bateau. Nous partons en même temps que plusieurs voiliers de l’ARC, nos routes se longeant pendant 150 miles environ avant qu’eux ne prennent une direction plus au nord que nous, probablement Lisbonne d’après nos estimations de cap. Grand spectacle pour Nico à peine arrivé (et les autres) : un gigantesque rorqual remonte de plongée en faisant jaillir son jet d’eau à 20 m tribord du Kousk Eol, en plein moment de torpeur générale ! Peu de temps après, au fur et à mesure que la mer se lève, les aléas commencent : quarante minutes plus tard, alors que le vent a commencé à se gonfler (20-22 nœuds établis), c’est le hale-bas de bôme qui lâche soudainement ! Le bout trop usé n’aura pas résisté plus longtemps. Réparation expresse de DD au milieu d’une bonne houle. Quelques heures plus tard, alors que nous avons retrouvé tout l’inconfort du monde penché mais l’assurance d’un bateau qui avance, c’est tout d’un coup le pilote qui décroche et fait virer le bateau avec moult fracas… Ça commence bien ! Certains trouveront peut-être tout cela excitant, personnellement je suis plutôt du type « please don’t rock my boat », comme le chantait l’ami Bob.

En voilier, il n’y a pas que la voile…

Les jours suivants, rien de particulier à signaler, à part un temps maussade, des grains de temps à autre, une houle constante et assez énervée due à cette maudite dépression au nord et un vent de nord nord-est d’un bon 20-30 nœuds qui nous fera prendre moult ris et alterner génois et trinquette toutes les 50 minutes. Tom, si tous nous lis, sache que c’est là que nous nous sommes tous mis d’accord sur le fait que tu n’aurais pas apprécié cette deuxième traversée, déjà bien plus tumultueuse en trois jours que les dix-sept jours qui avaient été nécessaires pour l’étape depuis la Guadeloupe. Puis, au troisième jour c’est la rotule de fixation d’une latte de grand voile qui lâche – obligés de réduire la GV pour qu’elle ne s’arrache pas… allez un dernier petit effort Kousk Eol on est bientôt de retour au bercail. Après consultations et réflexions à bord, une réparation maison au marteau fera finalement l’affaire (et tiens encore au jour où je rédige ces lignes).

A nouveau des visites régulières de dauphins, nos fidèles compagnons de route ; parties de scrabble endiablées (ce sport qui se joue à 3 ou 4 et où c’est toujours Nico ou DD qui gagnent !) ; apéros, repas et causettes ; RAS la vie à bord continue comme à ses habitudes. Un petit coup de gueule de l’équipage tout de même contre la mer qui ne nous offre que des bonites à manger (cinq pêchées en six jours, trop c’est trop) alors que nous rêvons de daurades, d’espadons ou de thons.

S’ensuit au quatrième et cinquième jours une alternance de moteur et de voile, toujours un temps plutôt couvert, et relativement peu de vent en général même s’il nous faisait la grâce d’être au portant (de dos). Par contre à l’approche du détroit de Gibraltar, véritable goulot de la Méditerranée, tout s’annonçait contre nous : augmentation par 25 nœuds de vent pleine face – par effet de venturi (engouffrement des vents d’un côté et démultiplication de l’autre) – multiplication du trafic de cargos (déjà ressentie depuis 24h) et arrivée de nuit… On passe à des quarts par deux histoire de pouvoir manœuvrer rapidement si besoin pendant l’approche (on la croit rapide, mais non, qu’est-ce qu’elle est longue cette côte descendante espagnole), DD ne dormant finalement pas de la nuit et chacun l’assistant par tours jusqu’au petit matin. Magnifique lever de soleil, sentiment de retour à notre bon vieux continent, mais les éléments sont en furie : 30 nœuds de vent et grosse houle de face qui vient frapper la coque de trois-quarts ce qui nous empêche littéralement d’avancer et fatigue bien le bateau. Je dis bien “littéralement” : malgré des bords tirés autant que possible suivi du moteur, nous faisons du 1,5 nœuds de vitesse… autant dire que nous avons le temps de profiter du paysage. C’est – après avoir tout envisagé, même d’aller se réfugier à Cadix – finalement en se rapprochant de la côte que nous y trouverons un peu de répit, de quoi avancer lentement mais sûrement. Le franchissement du cap de Tarifa sera plus que sportif, sous un ciel dégagé et le retour de la chaleur qui nous avait quittée aux Açores. Mais, pour le plus grand plaisir de tous – ENFIN – de la voile comme en régate avec des bords tirés non-stop, un équipage sur-motivé, une mer défiante et dans le fond un paysage aride mais sublime. Et un DD au top de sa forme, en tenue fringante (ciré jaune canari collector et chemise bleue à motifs provençaux – voir photo) et bonne humeur malgré sa nuit blanche et nos questions redondantes sur ce qu’on allait faire. DD, chapeau bas ! Incapable de dire combien d’heures ce petit bout de traversée nous aura pris, voyant d’autres bateaux luter autant si pas plus que nous (pauvres catamarans), c’est presque avec regret que nous effectuons notre dernier bord qui nous mènera au-delà de la dernière pointe, puis de la dernière anse, et finalement de la dernière crique de l’Atlantique. Méditerranée, nous voilà !

Pourquoi il faut être attentif lors des quarts vers Gibraltar….

GIBRALTAR – BENALMADENA (MALAGA) – 19-20 juin 2017

C’est sous la menace de Claude, qui nous a maintenant rejoint dans ce paradis perdu – pardon que dis-je : cette terre vierge, ce trésor de pureté, cet îlot de l’innocence (j’y reviendrai) – qu’est la marina de Benalmadena, que je vais terminer mon rôle de narrateur de nos voyages en commun, sur nos quelques jours de repos bien mérités à Gibraltar. Intenable sur la qualité et la ponctualité de son blog, imposées selon lui par l’exigence de (centaines de) milliers de lecteurs assidus, il serait impensable de ne pas publier sous moins de 24h le compte rendu détaillé des périples de Kousk Eol et de ses équipages successifs. Ayant la flemme – pardon – ayant pris le temps de réflexion bien mérité de douze jours avant d’aligner nos premières impressions du temps passé à bord, j’espère que vous aurez apprécié ce débriefing vu par un novice de la voile. Il faut dire qu’à bord la motivation pour la retranscription tant iconographique que narrative des événements issus de nos péripéties est à peu près égale à celle démontrée pour faire la vaisselle un jour de grande gîte.

Mais je m’égare. Nous voilà donc arrivés à Gibraltar, ou plutôt à la marina de La Linea, ville espagnole frontalière avec l’enclave britannique qui a le mérite de ne pas vous voler pour accoster. Marina quasi neuve offrant tous les services appropriés sauf l’ambiance (à ce niveau-là, Horta était catégoriquement la plus agréable, vivement recommandée, et sans ironie). Nous aurons même l’honneur de profiter de la « fête du camping-car » qui se déroule le week-end de notre passage sur le parking jouxtant la marina. Les visites au rocher voisin se feront par des chaleurs écrasantes, heureusement arrosées à l’anglaise par la suite. Il faut dire que c’est un phénomène assez particulier que ce rocher : les Anglais se sont construits un aéroport dont il faut traverser la piste (à pied ou à moteur) pour entrer chez eux. Il faut donc attendre les intermèdes entre atterrissages et décollages pour le faire… mais avouez que ce n’est pas commun de se retrouver au milieu d’une piste d’aéroport. Bref, une fois de l’autre côté vous aurez la bonne surprise de vous rendre compte rapidement qu’en tant que fier européen vous serez volé deux fois : la première en étant obligé soit de changer auprès des commerçants vos euros en livres (au taux “préférentiel” de deux euros pour une livre…) soit d’aller retirer des livres au guichet pour un taux peu amical également ; et la deuxième en vous rendant compte que toute livre non dépensée ne vous sera plus jamais d’aucune utilité, puisqu’elle est unique à Gibraltar et ne pourra pas être utilisée en dehors du micro-territoire, pas même en Grande-Bretagne. Une fois cela accepté, la visite du rocher peut se dérouler tranquillement, très tranquillement car les horaires des commerces eux sont encore mieux qu’à l’espagnole : vu sur place, « ouverture : 10 :45 à 14 :00 ». En dehors de ce laps de temps vous pourrez revenir en hiver histoire d’avoir un peu plus de chances de rapporter chez vous vos produits détaxés.

La fine équipe, sur la piste de l’aérodrome qu’il faut traverser pour aller à Gibraltar.

Jolies balades donc sous un cagnard plombant, rencontre avec autant de macaques en haut que de commerçants ouverts en bas, puis retour à la marina en passant avant par la case restaurant. Rien de plus. Ah si, découverte d’un environnement dominé par le pétrole, le gaz et les navires marchands offrant un ballet en mer sur fond de raffinerie et chantiers navals. Autant vous dire qu’on n’y va pas pour la vue. Anecdote au départ : lors du règlement des frais de marina côté espagnol, la capitainerie vérifie les documents du bateau et s’exclame : « Vous étiez déjà venus il y a quatre ans, n’est-ce pas ? » ; “Oui” répond André, « à l’aller ». « Très bien, vous étiez partis sans payer, nous allons pouvoir corriger cette erreur ». Les bons comptes faisant les bons amis, le tour du monde peut se rapprocher de sa fin en se disant fier de ne laisser aucune ardoise nulle part mais une multitude d’amitiés nouvelles !

Vue depuis le haut du Rocher.
Et un des habitants du lieu.

Singe se lamentant sur le manque d’ombre…

Transatlantiquement vôtre,

Antoine

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1- Petite précision du Glaude concernant l’impertinence du jeune Tonio : l’avion est trois fois moins cher et quatre fois plus court vers Malaga (à côté de Benalmadena) qu’à Gibraltar… Sinon, l’enthousiasme pour la marina est complètement partagé : mauvais goût et beauferie sont au rendez-vous.

2 réflexions sur « ACORES – GIBRALTAR – 10-16 juin 2017 »

  1. Envoûtant récit ! Quelle écriture, quel style alerte et quel regard, Tonino! Et je ne le dis pas parce que tu es mon fils…. !
    Maintenant que j’ai eu le bonheur de partager votre arrivée euphorique, j’attends – Comme tes centaines de milliers de fans – le dernier épisode avec impatience . Bisous transbruxellois a tout l’équipage ! Christine

    1. Le gamin n est pas dénué d une certaine qualité de plume, et en plus il y ajoute une verve picturale !
      Les Corné sont excellents mais dans la famille on le savait déjà!
      Merci
      bz

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