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18 mai – Pago Pago et l’île de Tutuila

Tutuila est la plus grande île des Samoa américaines (dix-sept milles sur quatre), dont Pago Pago est la capitale. C’est un territoire américain, avec son propre gouverneur élu tous les quatre ans. C’était une base de la marine américaine durant la dernière guerre : l’aérodrome, maintenant civil, en est un des vestiges.

L’île est faite sur le même modèle que les Marquises : volcaniques, très vertes et très montagneuses. Ne vous inquiétez pas : je ne vais pas refaire le couplet sur la nature qui ne sait pas se renouveler.

Pago Pago est à peine un village, mais avec tout de même une dizaine d’églises de confessions diverses. Mais c’est avant tout un port assez actif, de pêche principalement : un grand nombre de ratisseurs des mers font la queue devant d’imposantes conserveries qui contribue largement à l ‘économie de l’île.

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Ah mais elle est donc là, la verte qu’on a cherché cette nuit?

C’est à couple d’un remorqueur-pilote que nous devons nous amarrer pour faire les formalités d’entrées, avec des fonctionnaires plutôt débonnaires, avant qu’une place ne nous soit assignée.

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A couple du remorqueur.

La confiance étant de mise, tout se passe sur le quai, presque sous la pluie : personne ne monte à bord.

Il ne faut pas rigoler avec les Samoans : ils font tous au moins un mètre quatre-vingts, et même en jupette, ça impressionne. Quoi ? Moi aussi je fais un mètre quatre-vingts ? Oui, mais en hauteur, moi ! De plus, ils sont censés avoir peuplé toute la Polynésie, jusqu’à l’Île de Pâques et Hawaï. Des bons, quoi.

La capitainerie, une fois les formalités accomplies, nous envoie mouiller au fond de l’estuaire : nous y trouvons une bouée libre qui semble bien convenir. Ça évitera d’avoir à utiliser l’ancre sur des fonds incertains. Et nous ne traînons pas pour mettre l’annexe à l’eau pour faire un tour de ville. Surtout que le mouillage n’est pas terrible : dans une eau de couleur douteuse, et sous le vent des conserveries…

Du bateau, nous apercevons un imposant MacDo, mais on sait bien maintenant que ce n’est plus une preuve que l’on est en territoire américain.

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MacDo samoan.

Vite fait, le tour de ville : il n’y a pas vraiment de centre, et l’habitat est très clairsemé. Comme à Tahiti, les belles maisons sont sur les hauteurs, un peu dans la brume aujourd’hui.

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Vers le centre de Pago Pago.
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Maisons à Pago Pago.

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Art samoan.

Nous mangeons sous une tonnelle locale à midi : poulet et légumes nous changent un peu du poisson-riz/pâtes de ces derniers jours, même si c’est loin d’être de la cuisine fine. La vie semble un peu moins chère qu’à Tahiti si on peut en juger par les quelques courses que nous faisons.

Nous louons une voiture pour visiter Tutuila. La première impression est confirmée : ça ressemble beaucoup aux Marquises, avec les mêmes sommets très verts et escarpés, une forêt dense, et pas de lagon (quoi qu’ici on puisse voir un embryon de platier). Le versant nord reste très arrosé ici, au contraire des Marquises.

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Le platier.
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La forêt des Samoa.

Comme ailleurs en Polynésie, les évangélistes n’ont pas chômé : il y a un nombre incroyable d’églises, toutes plus imposantes les unes que les autres. J’ai un peu de mal à croire que c’était la priorité en termes d’investissement local (opinion tout à fait personnelle), sans vouloir nier l’importance de la nourriture spirituelle.

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Eglises aux Samoa.

Le culte des morts est très présent ici : souvent, les tombes des proches sont placées devant les maisons.

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Maisons et leurs tombes.

Le long de la côte sud, on aperçoit des restes de pitons de lave posés sur des embryons de platier, généralement avec leurs cocotiers au sommet.

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Pitons volcaniques.
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Plage.

La route qui mène sur le versant nord passe devant les conserveries : l’odeur forte de parfum « Nuoc Mam #1 » ne permet aucun doute. Ces conserveries sont essentielles pour l’économie de l’île et un grand nombre de Samoans y travaille. Puis la route continue par un petit col dominant le port de Pago Pago et son joli estuaire.

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Estuaire de Pago Pago.
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La côte nord.

La forêt que nous traversons est magnifique : nous comprenons sans difficulté pourquoi elle est qualifiée de « rain forest », avec ses espèces endémiques d’oiseaux et chauve-souris.

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La côte nord et sa forêt.

Il ne faut pas oublier que les îles, par ici, ont été formées par l’activité volcanique. Et il peut encore se produire des éruptions, sous-marines, elles-mêmes produisant des tsunamis.

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En cas d’alerte…

On ne conclura pas que Pago Pago, c’est Nyvapas Nyvapas1 : il y a certainement de très jolies balades à faire, de la plongée dans le parc au nord, mais ce n’est pas la plus attirante des îles que nous ayons visitées jusque-là.

1– On est tout à fait d’accord : c’est nul…

Vers les Samoa américaines

13 mai. Ce ne serait pas un vendredi, des fois ?

Petite vérification de routine des fonds avant de partir. Horreur ! Plein d’eau… Douce ! Une inspection rapide désigne le coupable : c’est le tuyau de la douchette de cockpit qui s’est défait. Nous venons de perdre un quart de réservoir…

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Bye bye Suwarrow…

À peine quitté le magnifique mouillage d’Anchorage Island sur l’atoll de Suwarrow, vers dix heures, et la passe franchie, que les deux lignes ploient en même temps : un beau fusilier (dont personne à bord ne connaît la dénomination scientifique exacte, mais qui fera très bien dans nos assiettes) accroché à chacune. Dans la précipitation, Maurice, notre cynégéticien des mers du Sud, se saisit mal du premier nourrain océanique, qui lui glisse des mains et lui plante le deuxième hameçon du leurre dans le bas de sa jambe… Et dans l’Océan Pacifique, c’est bien connu, on ne pêche pas avec des hameçons de réré.

À partir d’ici, la rédaction suggère fortement au lectorat sensible que l’évocation du sang et de la souffrance atroce mettrait au bord de la pâmoison de sauter les lignes et images qui suivent.

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Bobo, Maurice.
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Il y a quelques raisons…

Sur un voilier, il faut savoir se débrouiller avec les moyens du bord. Sur Kousk Eol, suréquipé, il n’y a pas moins de quatre trois1 deux possibilités : soit déclencher la balise de secours, soit prendre la boite à outils. Après concertation entre les personnes concernées (C’est-à-dire ce couple de sadiques d’André et Claude), l’opération extraction se fera à la pince multiprise et aux tenailles.

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Opération toute en finesse…

Et Maurice, dans tout ça ? Il restera stoïque jusqu’au bout, faisant preuve d’un courage hors norme, n’hésitant pas à partager avec nous la grande richesse de ses connaissances en matière d’injures variées. Avouez tout de même que notre Momo a une façon bien à lui de prendre son pied. Rassurez-vous : le poisson coupable a fini en carpaccio, huile d’olive, jus de citron et épices. La vengeance est un plat qui se mange froid, comme tout le monde le sait.

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Le coupable.

À part ça, notre prochaine étape est Pago Pago, dans les Samoa américaines, à environ quatre cent cinquante milles, toujours à l’ouest. Cette première journée est un peu compliquée : nous sommes toujours légèrement trop au nord par rapport aux alizés, et nous retrouvons dans une zone de grains, synonyme de vent variable en direction et force. Il faudra donc jongler avec les voiles, (génois, puis Code D, puis re-génois, puis spi, puis re-génois pour la nuit, puis de nouveau le Code D) les écoutes, la barre. La première nuit sera particulièrement éprouvante, très éloignée des quarts plutôt cool que nous commencions à considérer comme la norme à bord : rafales à plus de trente nœuds, trombes d’eau…

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Sous Code D.

14 mai : aujourd’hui il a fait très beau. Mais très chaud ! Qui a dit qu’on n’était jamais content ? Le vent est plein est, et on va vers l’ouest : avec la houle, impossible de rester vent arrière, donc on tire des bords de grand largue, qui rallongent un peu la route, mais permettent d’avancer plus confortablement et en fatiguant moins le bateau. Le temps s’améliore chaque jour : vents plus stables, nuages plus clairsemés et mer plus tranquille.

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Banal lever de soleil sur le Pacifique…

La lune a recommencé à éclairer nos nuits. Et toujours personne à l’horizon depuis notre départ de Bora Bora : il nous semble que l’immensité du Pacifique est à nous seuls…

Nous devrions arriver après-demain soir à Pago Pago, si le temps se maintient. Le Code D ne chôme pas : il est à poste depuis hier sans discontinuer et nous tire gaillardement autour de sept nœuds. Sur la carte, nous notons la présence de plusieurs volcans sous-marins, en activité.

16 mai : l’île de Tau, la plus orientale des Samoa américaines, très montagneuse, est en vue à presque trente milles au nord. Encore soixante-dix milles avant l’île de Tutuila, sur laquelle se trouve Pago Pago, seul port d’entrée. Il fait toujours très beau, et le Code D ne chôme pas.

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Dernier salon où l’on cause.

On ne peut en dire de même d ‘Éole : cette feignasse a décidé, tout à fait unilatéralement, que l’horaire syndical était atteint, et qu’on pouvait plier les gaules. L’anémomètre indique un souffreteux cinq nœuds : tout le gréement se met à claquer dans la petite houle. Pas bon. Il est temps de tout affaler et de prendre son mal en patience : nous en profitons pour faire trempette. En dessous de nous, plus de quatre mille mètres de grand bleu : imaginez le Mont Blanc à l’envers. Ça ne vous donnerait pas le vertige, à vous ?

L’essentiel est que ça sente un peu moins le chacal à bord…

Presque trois heures plus tard, le vent reprend un peu, de sud-est cette fois, et c’est au bon plein que nous repartons, génois et grand-voile. Les prévisions sont que l’on devrait arriver de nuit, dans un endroit qu’on ne connaît pas : on fait confiance aux Américains pour avoir balisé convenablement.

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Vers l’avant c’est pareil.

Effectivement, nous sommes à la première bouée verte du chenal vers le port de Pago Pago vers une heure du matin. Appel à la VHF, mais y a person qui répond. Nous nous mettrons

donc à couple d’un bateau de pêcheur en attendant l’ouverture des bureaux.

17 mai, huit heures : le capitaine du port nous demande de venir devant la capitainerie, à couple d’un remorqueur où nous attendent les autorités. Douane, immigration, inspection sanitaire : tout se fait sur le quai, presque sous la pluie, avec des fonctionnaires samoans en jupe traditionnelle noire.

Pago Pago est un gros bourg, avec, devinez, un MacDo. On attend que la pluie cesse et on vous raconte…

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Amarré au tug boat.
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On est bien à Tutuila…

1– Pour une raison incompréhensible et inconnue de nous, Maurice a catégoriquement refusé que nous prenions la trousse à chirurgie. Et je ne parle même pas de la scie à métaux.

Suwarrow

Suwarrow, c’est un atoll comme les Tuamotu (on vous l’avait déjà dit que la nature ne savait pas se renouveler), sauf qu’ici ils ne parlent même pas français. Donc, circulez, il n’y a rien à voir. En plus il n’y a personne, alors on s’en fout un peu qu’ils ne parlent pas français, entre nous ?

Bon, on me susurre dans l’oreille que ça fait un peu succinct comme article, même pour un blog aussi ringard que celui que vous avez devant vos yeux ébahis. Je veux bien faire un petit effort, pour cette fois.

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Le motu Anchorage Island.

Suwarrow, à sept cents milles des Îles sous le Vent et à quatre cents milles des Samoa est une bonne étape pour faire une coupure dans la traversée. L’atoll fait partie de l’archipel des Îles Cook. Il s’étend sur environ huit milles par sept. C’est une réserve quasi-totale : seule une partie est accessible aux visiteurs, et des rangers sont chargés de faire respecter les règles.

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Règlement du parc.
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Mais on est où?

En principe : en débarquant, nous lisons un panneau indiquant que comme lesdits rangers n’arrivent que le premier juin, le parc est fermé jusque-là… Vérifions rapidement : nous sommes le dix mai. Mais nous venons de passer presque une semaine en mer, et nous ne crachons pas sur un mouillage un peu protégé pour nous reposer. Nous respecterons les règles : pas d’aliments à terre, et nous remporterons nos ordures.

À peine l’ancre posée qu’une escadrille de pointes-noires commence à tourner autour de Kousk Eol !

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Pointes noirs autour de Kousk Eol.

À terre, nous allons voir les locaux des rangers : pas de jugement trop hâtif, cela doit être nettement plus cosy et accueillant lorsque ces derniers se sont installés. Pour l’instant, nous visitons des habitations rudimentaires un peu délabrées et abandonnées. Les cyclones de l’été austral laissent des traces.

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Les locaux des rangers.

A Puerto Williams nous avions fréquenté le yacht club le plus austral, le Micalvi. Celui de Suwarrow mérite probablement le titre du plus isolé…

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Le Yacht Club.

Il y a même un local, sorte de librairie d’échange : quelques livres sont à disposition, pourvu que l’on en laisse au moins un autre pour faire vivre le stock.

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La librairie.

Côté présence humaine, à part un catamaran de Français de Nouvelle-Calédonie, nous avons l’atoll pour nous tous seuls.

Le lagon est magnifique. Le motu Anchorage Island est le plus grand, juste à l’ouest de la passe nord. C’est sur ce dernier que sont établis les rangers, quand ils sont dans le parc, et près duquel nous avons mouillé.

De gros pagures1 rouges s’activent à dépecer les noix de coco tombées au sol : apparemment, la chair est réputée chez ces crustacés.

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Bernard l’ermite.

Plus loin ce sont des crabes de taille respectable qui sortent de leurs tanières creusées dans le sable. Les rangers ont vaguement équipé la plage pour pouvoir passer des journées plus tranquilles : on espère pour eux qu’il y a un minimum de passage pour animer un peu la cocoteraie.

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Cool!
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Kousk Eol au mouillage.
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Elle est pas belle, ma plage?

Un Robinson des temps modernes, Tom Neale, a vécu ici pendant vingt-cinq ans, de 1952 à 1977. Une espèce de légende à son époque. Rappelez-vous : c’est Neale qui a écrit « Robinson des mers du Sud ». Moitessier, autre Robinson sur son atoll d’Ahe, était venu lui rendre visite sur l’îlot, et lui a même sculpté sa stèle.

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La stèle de Tom Neale.

Un peu plus loin nous trouvons deux plaques d’une expédition russe venue lors de la précédente éclipse solaire.

Suwarrow ne serait pas un parc s’il n’y avait pas d’animaux. À commencer par les oiseaux, qui comme les autres, ne sont pas farouches et ont bien compris que l’homme n’est pas ici pour leur chercher des noises, pour une fois. Hier, un joli noddi (brun, pas quattro2, modèle moins courant dans ces parages) est venu se poser sur l’annexe, profitant de ce que ses occupants faisaient trempette. Et est resté après que ces derniers furent remontés à bord, se demandant sans doute ce qu’ils venaient faire sur son nouveau territoire. Le noddi est resté un bon bout de temps avec nous, avant de finir par s’envoler, ayant sans doute compris qu’on ne lui abandonnerait finalement pas notre canot.

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Le beau (?) et la bête…
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Notre copain le noddi.
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Le noddi et Kousk Eol.

Les poissons sont au moins aussi curieux, et viennent nous tourner autour, conscients de l’impunité conférée par le parc : carangues, mérous, chirurgiens, pointes-noires et pointes-blanches, et même des requins gris…

Sur le platier, la vie foisonne aussi : murènes, oursins crayon, orphies, holothuries, langoustes…

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Sur le platier.
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Le platier.
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Un oursin crayon.
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Une murène dans son trou.

12 mai : journée ventée à grains… L’ancre tient bien (de même que le guindeau !). Du coup, nous allons rendre visite à nous voisins sur Thétis, le Lagoon 42 mouillé à côté. D’accord, c’est un catamaran, mais ils sont sympas à bord, et ils font un bon ti-punch, avec les pizzas qui vont bien pour accompagner.

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A bord de Thétis.

Nous nous quittons le 13 au matin : ils descendent vers les Tonga puis les Fidji, où nous nous retrouverons peut-être. Notre route à nous nous mène vers les Samoa…

1– Des bernard-l’ermite, quoi. Mais je n’étais pas sûr pour le « s » du pluriel. En fait, c’est invariable : y sont pas un peu chiants des fois, les académiciens ?

2– Même pas dix balles, on est bien d’accord.