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Un peu plus au sud de Barcelone

Vendredi 8 novembre 2019 – La météo est décidément hostile en cette période en Méditerranée : jusqu’à quarante nœuds de vent en fin d’après-midi autour du Cabo Tortosa, au sud de Tarragone. La décision est prise d’avancer par étapes relativement courtes jusqu’à une fenêtre météo plus clémente. Nous nous arrêterons donc à Vila Nova/La Geltru, une grosse vingtaine de milles au nord de Tarragone.

La journée sera une suite de manœuvres diverses : prises de ris, qu’on relâche peu de temps après, jusqu’à mettre le moteur. Puis on recommence : prise de ris, etc.

Kousk Eol trace sa route.

Pour nous faire rire, la météo espagnole lance plusieurs bulletins un peu alarmistes dans l’après-midi : force 7 à 8, avec bien sûr des rafales et la mer qui va avec… Et toujours ce vent froid qui transperce.

Entends-tu le vent qui souffle?

La marina de Vila Nova est un havre. Bon d’accord, on se retrouve au milieu de supers yachts, mais Kousk Eol en a vu d’autres. La première place que nous prenons est un peu juste côté profondeur, malgré l’assurance de la capitainerie : il faudra bouger avant d’aller se coucher.

Le lendemain, la météo n’est guère plus engageante vers le sud, surtout avec le passage du petit cap Tortosa… Les GRIBs montrent 40 nœuds : on va peut-être attendre une accalmie, non ? Ce sera donc Tarragone, jugée un peu plus vivante que le petit port de l’Ampolla si nous devons y passer le dimanche.

Départ tranquille: tout le monde a encore le sourire!

Et pour ne pas changer, re-manœuvres : l’équipage est maintenant rodé aux enchaînements de prises de ris : la vingtaine de milles depuis Vila Nova sera sportive ! Et nous arrivons à Tarragone vers midi.

Heureusement, moins de mer aujourd’hui qu’hier.

L’après-midi sera consacrée à une visite rapide de la vieille ville, avec quelques courses pour compléter la cambuse.

Tarragone
On est bien en Catalogne…
La cathédrale.

La nuit sera tranquille, ou presque. Au petit déjeuner, dimanche matin, la discussion s’échauffe autour des ronflements dont la douce musique accompagna les rêves de l’équipage :

— Ben dis donc, qu’est-ce que tu as ronflé cette nuit !

— Mais, et toi ? Tu ne t’es pas entendu !

— Meu non, moi je ronfle pas !

Et c’est ici que la lectrice prendra conscience de l’immense étendue de la mauvaise foi qui caractérise tout bon marin…

Premier exercice de la journée : prendre la météo pour se faire peur… Passer le dimanche à Tarragone est finalement la bonne option pour éviter le coup de vent un peu plus au sud. Partir lundi semble la moins mauvaise option : on reprendra les GRIBs ce soir.

… quam minimum credula postero.

Ainsi parlait Horace, qui ne devait tout de même pas être un marin émérite : « Carpe diem… ».

Une bande de soi-disant voileux décida un jour de mettre cette maxime en pratique, suite à une réflexion du DD : « Pourquoi ne ferais-tu1 pas traverser Kousk Eol vers les Antilles ? Hein ? Dis voir… ».

Très vite, Jacques, équipier récurrent de Kousk Eol, et multi-récidiviste en termes de trans-océaniques, réserve sa place à bord : « Ce sera ma huitième traversée de l’Atlantique, alors tu comprends… ».

Hervé, François et Yan, tous les trois pratiquants inconditionnels de la voile depuis longtemps, ont eux sauté sur l’occasion de faire leur première grande traversée : « Réalise bien, Claude, tu vas avoir besoin de bras, avec ton âge… ». De vrais amis, quoi.

Le Glaude, on n’en parle même pas : normalement acolyte du DD susnommé dès qu’un mauvais coup aquatique autant que venté se profile2, n’a pas eu à être vraiment poussé pour se décider.

Et donc, le toujours vaillant Kousk Eol est bichonné pour cette croisière hivernale vers les cocotiers et les espoirs de ti-punch sous le soleil couchant d’îles paradisiaques (voir les articles précédents)…

La fine équipe presque au complet.

Le départ est prévu pour le 5 novembre en milieu de journée. Bien sûr, la météo a son mot à dire quant au bien fondé de cette décision : le départ se fera en fait le 4 pour éviter un coup de tabac dans le parfois terrible golfe du Lion. La veille, le ponton sur lequel Kousk Eol était amarré dans le port de Toulon s’est même arraché du quai contre lequel il était fixé, sous les coups de boutoir d’un violent vent de sud-ouest. Résultat : interdiction de rester à bord sur décision de la capitainerie, il faut dégager du ponton pour éviter les accidents… Pas grave, l’hospitalité de Marie Jo et André compensera : c’est bien au sec et le ventre plein que nous passons notre dernière nuit à terre.

Très vite, le vent et la mer donnent le rythme de cette étape initiale : le golfe du Lion ne faillit pas trop à sa réputation et la première partie de la nuit sera mouvementée. Mais nous avançons bien et arrivons en fin de journée le lendemain dans un mouillage très tranquille, la Cala Fosca, juste au nord de Los Palamos sur la côte espagnole. Très bien pour récupérer de la première nuit en mer. Le lendemain, c’est une belle journée qui nous accompagnera jusqu’à Barcelone, mi-voile, mi-moteur.

Après la nuit, le petit café…

C’est à Barcelone que nous récupérons Yan, qui n’avait pu prendre le départ de Toulon pour raison professionnelle : en tant que charpentier montrant un minimum de considération pour ses clients, il ne pouvait décemment pas laisser une maison sans toit sous le prétexte qu’il avait envie de faire un tour sur l’eau… La sophistication des menus devrait à bord s’en ressentir : Yan a préparé pour la traversée une douzaine de bocaux de conserve de plats mijotés que la plus élémentaire décence m’interdit de décrire ici afin de ne pas soumettre vos glandes salivaires à un supplice par trop insupportable. Bon allez, juste un coup : ce soir, c’est foie gras arrosé d’un petit jurançon. Pas pire.

Petit déjeuner sur Kousk Eol.

Mais pour l’instant, il faut mettre cette journée d’attente à profit : réparation des bandes anti-UV du génois et de la trinquette, manchon de protection contre le ragage pour cette dernière, rafistolage du lazy-bag, mise à jour des logiciels de navigation de l’ordinateur de bord, etc. Il restera à purger les vérins du pataras et à revoir le filtre à air du moteur (Comme disent les mécanos italiens : « L’arrivée d’air chie… »).

Et évidemment, démarrage un peu plus sérieux de ce blog.

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1 Le « tu » s’adressant ici à Claude.

2 Pour les lecteurs béotiens, les deux frangins qui se la pètent grave dès que l’occasion se présente ont raconté une partie de leurs exploits iodés dans un incontournable de la littérature humide, à savoir « Carrément à l’ouest ».

Scoop de nos envoyés spéciaux : la terre est bien ronde…

Il nous aura fallu quatre années bien trop courtes pour nous en persuader : l’air vivifiant de la Bretagne forge des caractères bien trempés1, pas toujours faciles à convaincre. Mais il faut reconnaître que Magellan n’avait pas raconté de craques sur ce point : en allant toujours plus à l’ouest, on finit bien par revenir à son point de départ. Plus ou moins. Un jour.

« Le » tour.

Mais est-ce aussi le cas si on va vers l’est ? Et si on essayait ?

 

En attendant, la belle affaire ! Tout ça pour ça ? Quelques esprits un peu rabat-joie ne manqueront certainement pas de nous faire sentir qu’en gros nous n’avons fait que tourner en rond… Pas très glorieux comme façon de s’occuper, surtout dans ce monde où aller de l’avant est tant valorisé : il y a un petit côté retour en arrière, voire régressif, à faire une boucle, non ?

 

Oui. Et alors ? Nous on a tourné, en prenant notre temps ainsi qu’un plaisir extrême. Côté souvenirs fabuleux, nous avons glané une provision pour de nombreuses années, tant par les paysages admirables que par la faune extraordinaire et les riches rencontres dans les nombreux mouillages, avec les locaux aussi bien qu’avec les autres marins. Et malgré le fait que dans un tel voyage, les choses à côté desquelles on passe sont en bien plus grand nombre que celles qu’on savoure. Mais n’y a-t-il pas un aspect intellectuellement satisfaisant à réaliser qu’il restera toujours quelques petits trucs à faire ? Nous posons la question.

 

C’est vrai que nous avons un peu mis de côté les préceptes que nos parents ont patiemment tenté de nous inculquer durant notre jeunesse aussi insouciante que lointaine : « Mais arrêtez donc de tourner en rond ! Tâchez de trouver quelque chose d’utile à faire ! ». Il y a tout de même une dimension indubitablement positive dans cette débauche d’énergie : nous pouvons maintenant prétendre très modestement en savoir un petit peu plus sur la conduite d’un voilier par conditions variées. Nos galons durement acquis de WAFI2 n’en deviennent que plus incontestables.

 

Et Kousk Eol dans tout ça ? Eh bien notre valeureux voilier a eu un comportement exemplaire. Il nous a toujours mené à bon port dans de bonnes conditions de vitesse et de sécurité. Il aura très bien résisté à l’usure du temps et des milles, et serait prêt à repartir avec un minimum de maintenance. Nous ne regrettons pas notre choix initial. S’en séparer sera un moment difficile.

 

Pour les deux frangins, qui se la sont pétés plus que de raison durant tout ce périple, comme vous avez de nombreuses fois pu le constater, la prochaine épreuve, cruciale, est de réussir leur stage obligatoire autant que fondamental de réinsertion conjugale, prérequis incontournable avant même de seulement songer à entreprendre d’autres projets, même plus modestes. À part ceux concoctés par Cathy et MarieJo, bien entendu !

 

Mais ceci est une autre histoire, et nous vous la raconterons un jour, peut être. Si vous le méritez3.

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1– Eh oui, le choix des mots n’est pas anodin.

2– Pour ceux qui n’auraient pas bien suivi, je rappelle que WAFI est le surnom hypocoristique donné par les motoristes anglo-saxons aux voileux qui prétendraient leur faire respecter les règles de navigation : Wind-Assisted Fucking Idiots. En général, se référer au glossaire pour tout mot ou expression à l’exotisme un peu trop naval pour le terrien convaincu.

3– Ça laisse de la marge…