1er juin 2016. Kousk Eol est à l’ancre, tout seul dans la petite anse de Leava où se trouve le ponton de débarquement des cargos qui avitaillent l’île toutes les trois à quatre semaines.

Les formalités sont vite pliées : la douane nous demande simplement de repasser avant notre départ ; la gendarmerie aussi, car elle nous a mis un beau tampon d’entrée sur le territoire de Futuna sur nos passeports…

Nous sommes le premier voilier de l’année à venir à Futuna. Il en passe environ vingt-cinq par an, principalement des Néozélandais et des Australiens qui visitent les Fidji et viennent à Futuna lorsque leur permis de séjour aux Fidji a expiré, ce qui leur permet de faire une remise à zéro et d’y retourner. Au grand désespoir des îliens, ces bateaux ne restent que quelques heures, le temps des formalités, donc aucun business avec eux.
Leava, la capitale, est toute petite, coincée entre la montagne et la mer. Il n’y a que deux mille six cents habitants sur l’île (et un sur Alofi !) qui fait une quinzaine de kilomètres sur cinq. La plupart des villages se trouvent sur la côte sud. L’île a un petit air de Marquises, en moins haut et moins abrupte, et avec un platier déjà conséquent.






En visitant la « ville », nous passons devant le Manuia1 Bar, où une pancarte indique « ouvert » : chic, une petite bière pour se remettre de la mauvaise nuit et de la chaleur ambiante ! Que dalle : tout est fermé. Encore un coup de quelqu’un qui nous veut du bien, ça c’est sûr ! Tant pis : il devrait rester quelque chose sur le bateau.

L’imposante église de Leava n’a pas que pour mission de guider les âmes à la recherche d’un refuge spirituel : la statue de la Vierge au sommet de son clocher est le premier repère d’alignement pour entrer en bateau dans l’anse étroite. Le deuxième repère, gros triangle blanc, se trouve sur le flanc de la montagne.


En fin d’après-midi, le bar est réellement ouvert, et sert la seule pression de l’île, avec une terrasse donnant sur la mer. Le propriétaire, Victor, est un ex-député qui ne s’est pas remis, électoralement parlant, du schisme royal de Wallis : l’arrivée des Rénovateurs et de la Gauche a été fatale à sa réélection. Du coup il a transformé sa permanence en bar, autre façon de rester en contact avec la population. C’est même le chef du village qui vient lui donner un coup de main pour faire la toiture de sa paillote.

Nous essayons de trouver des cartes postales : c’est notre côté sadique, envoyer de belles photos des endroits paradisiaques que nous visitons pour faire pleurer dans les chaumières. Vous nous connaissez. Sur toute l’île, une seule carte postale disponible, représentant une improbable vahiné langoureusement languide sous son cocotier… Notre perversion n’ira pas tout de même pas jusqu’à vous faire subir cette géhenne. Soit dit en passant, encore un signe qu’il n’y a pas de tourisme ici.
2 juin. Hélène, la douanière qui doit préparer notre autorisation de sortie (c’est son mari, Stéphane, que nous avions vu à Wallis), nous suggère d’essayer de faire le tour de l’île en vélo. Bonne idée, surtout qu’il y a une autre motivation, de taille celle-là : y en a marre de se faire ridiculiser sur la taille de nos mollets par ces gabarits hors norme de piliers de rugby. Donc on va faire ce qu’on peut pour les regonfler un peu. Et Victor se charge de nous dénicher deux bécanes. Bon d’accord, ils ont dû ressembler à des VTT un jour. Il y a même une inscription indiquant qu’ils sont équipés de Shimano : ça devait être du temps où Shimano ne faisait que des moulinets de pêche… Mais nous n’allons pas faire la fine bouche : nous avons eu nos VTT en moins d’une demi-heure, et ils roulent. Le bouche à oreille et la gentillesse des Futuniens ont suffit. Et on ne vient pas à Futuna pour essayer les derniers clous à la mode.
Nous voilà donc partis vers l’est pour profiter des vents dominants, même à terre. Pas vraiment de villages le long de la route qui suit la côte, un habitat assez dispersé, mais des églises partout, de nouveau.

Nous entendons souvent des bruits de percussion devant beaucoup de maison : en fait, des femmes préparant le tapa, sorte de parchemin fait d’écorce de mûrier sauvage aplati avec des maillets sur un tronc en bois dur, avant d’être lavé, puis blanchi à la javel, et finalement enduit d’amidon (pour empêcher l’encre de diffuser). Un dernier séchage et les artistes reproduisent les dessins géométriques traditionnels avec une teinture naturelle proche de l’encre de Chine.


Les Marquisiens eux aussi font vivre cette tradition, avec un support un peu différent2.
Nous arrivons jusqu’à l’aérodrome à l’extrémité est, en face d’Alofi, et terminus de la route : il fallait prendre un embranchement un ou deux kilomètres avant pour rejoindre la côte nord.

Et surtout, il faut trouver une pompe pour regonfler un pneu qui visiblement n’a pas servi depuis longtemps. Une route qui grimpe bien nous fait basculer sur la côte nord : un col de PC3 est même franchi vaillamment. La côte nord est beaucoup moins habitée que le sud.

La route se change en piste, puis en rien du tout : un cyclone s’est chargé de la faire disparaître sur un bon kilomètre qui se transforme vite en parcours du combattant.



Puis la piste reprend.






La chaleur aussi : notre bouteille d’un litre et demi ne terminera pas la virée, et nous nous prenons à espérer trouver une épicerie pour acheter du liquide frais. C’est en fait un petit hôtel qui nous servira des Cocas salvateurs (pub gratuite), quasiment la seule boisson disponible. Puis la boucle est bouclée, et nous retournons au bateau nous laver un peu avant notre dernière soirée en ville…
Nous nous retrouvons avec Victor dans son Manuia Bar, pour discuter des derniers potins de Calédonie et de Wallis et Futuna, de la difficulté d’être député d’un territoire où le droit coutumier est encore très fort, et où les décisions se prennent trop souvent en faveur de la famille ou des amis par les chefferies, quels que soient les torts.

Demain matin, nous partons de bonne heure vers Savusavu, port d’entrée aux Fidji, à environ deux cent trente milles : là aussi il faut essayer d’arriver de jour, car la navigation dans les îles fidjiennes n’est pas toujours simple. On vous racontera ça un jour où Internet offrira un débit décent, et si vous n’en avez pas marre d’ingurgiter toutes ces fadaises : franchement, vous ne seriez pas mieux devant TF1 ou la 8 ?
1– Dans toute la Polynésie, « Manuia » veut dire bonjour, bonne santé.
2– Uniquement pour être exhaustif : plus près de chez nous, les Ibères, qui ont failli habiter sur une île, ont eux aussi une tradition de tapas, avec lesquels ils se sèchent à coup de rioja.
3– PC : Polynesian Class, et non pas Première Catégorie, béotien de mes deux !