Lundi 18 novembre
2019, 7 heures. Départ vers Gibraltar, que nous espérons
atteindre avant la tombée du jour…
Les contes de GRIBB1 Aujourd’hui est un autre jour, et les météorologues, ces poètes si mal connus qui savent mieux que quiconque narrer le cumulus, l’aquilon autant que l’affusion orageuse, nous ont préparé une belle fable de leur cru, qui commence ainsi : « Vent synoptique 2 à 4 nœuds, rafales de 15 à 20 nœuds. ». Bref, nous sommes en Méditerranée… D’ailleurs, les bulletins météo préviennent : « Les rafales peuvent être supérieures à 40 % au vent. ». 40 %?
Et Benalmadena dans tout ça ? Une marina bien équipée, dont les architectes ont dû s’inspirer de Port Grimaud, en nettement plus kitch. Un assemblage de meringues tarabiscotées envahi l’été par les touristes (un peu plus calme en cette saison).
Les superbes appartements de Benalmadena.
La toile anti-roulis
a été réparée et renforcée : les prochains coups de gîte
sont attendus de pied ferme !
Nos copains de
Kawaine, Dominique, Ghislaine et Julie, sont venus pour l’apéro
hier soir, déguster la quiche préparée par Yan : eux aussi
visent Gibraltar en fin de journée.
Le ciel est comme
les autres jours très dégagé, et permet d’admirer le bétonnage
massif de la côte, qui a dû être belle, il y a longtemps. Malaga,
Marbella… Des noms qui font rêver ? Oubliez ! Passez
votre chemin !
Après un démarrage prometteur sous voile, avec des pointes à 9 nœuds, c’est de nouveau Volvo qui prend le relais, trois heures après le départ. Et vers dix heures, le rocher de Gibraltar se profile au loin. Même les côtes d’Afrique, vers Ceuta.
Quelques fous de
Bassan nous font des démonstrations de plongeon.
Entre temps, le vent
est revenu, et les exercices de prise/lâché de ris s’enchaînent
ainsi que les bords plus ou moins carrés. Et le rocher est
maintenant à moins de vingt milles. Moment magique : nous
tirons un bord sur le bon cap, dix milles à neuf nœuds sur une mer
légèrement assagie.
Gibraltar, droit devant!
Et puis c’est la
Tour Victoria, le phare du sud de Gibraltar : on roule le génois
et la fin se fera au moteur. Le niveau d’excitation du bord atteint
des sommets.
Victoria Tower.
Appel à la Marina
Alcaidesa, juste au nord de Gibraltar : ils ont de la place pour
nous, et nous attendent. 17 heures 15 : amarrés devant la
capitainerie pour la paperasserie, puis 18 heures, à poste sur
catway. L’Atlantique est en vue…
Le trafic dans le détroit…
Deux semaines jour
pour depuis notre départ de Toulon : ce n’est certainement
pas un record de vitesse, mais côté coups de vent, nous avons été
gâtés !
Demain, journée
repos, et visite du rocher.
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1 De François, lui aussi poète au nez bouché dès potron-minet.
Suite à la publication de l’article sur les marins de Kousk Eol, parmi les disciples, un élan de protestation s’est fait sentir… Qui osera défier l’autorité suprême et écrire un tissu de bêtises sur notre cher cap’tain ??? Sans aller jusqu’à la mutinerie du Bounty, c’est une action syndicale menée par un collectif de marins en colère1 qui tentera de dresser un portrait le plus objectif possible de celui qu’on appelle Le Glaude.
Le parler « le
Glaude »…
Afin que tout le
monde se comprenne bien sur Kousk Eol, il est important de parler le
même langage… Comprenez bien, le même langage que le Glaude.
Certes, les bases grammaticales se rapprochent du langage marin
classique… En voici quelques exemples :
Prendre un
ris : consiste à réduire la grand-voile parce que le
liston est dans l’eau…
Liston :
Indicateur visuel de gîte qui, une fois immergé, fait penser qu’il
serait bon de prendre un ris…
Code
D : voile virtuelle dont les couleurs fait rêver les
filles. La légende dit que le Code D ne se déroule que lorsque le
vent est quasi nul…
Il ne s’agit pas
là de réécrire le dictionnaire des Glénans, mais plutôt de le
compléter avec les expressions courantes du bord.
Moi j’dis
ça j’dis rien : Forme d’ouverture au dialogue dont
l’issue est connue, c’est-à-dire que quelle que soit la
proposition opposée à celle du Glaude, elle ne sera pas retenue,
mais il ne vous en sera pas tenu rigueur. Ex : « Vous
voulez rester sous génois ? Moi j’mettrais la trinquette…
Mais… Moi j’dis ça j’dis rien… »
Sans vouloir
te commander : Dans l’action, cette petite expression
sans prétention pour le commun des mortels sera traduite à bord de
KE par « Fais ce que je te dis, et fissa ! ». Il va
de soi qu’il vaut mieux courir alors…
Vate
Fairfoutre : Cette expression, difficile à prononcer, est
à l’opposé de « Moi j’dis ça, j’dis rien ».
Lorsque le Glaude l’utilise, nous autres disciples pouvons alors
nous congratuler d’avoir enfin eu une bonne idée ! « Vate
Fairfoutre !!! » Le Glaude est d’accord ! Par
exemple, on peut renvoyer un ris ou dérouler du génois !
Va Fancùlo :
Forme d’acceptation identique à « Vate fairfoutre » !
Le Glaude jette l’éponge, on peut faire ce qu’on veut. Par
exemple, pêcher à la traîne à 8 nœuds…
Connard :
C’est qu’il a un cœur gros comme ça le Glaude. Il exprime
ainsi sa sympathie à l’égard de son entourage de marins. Il m’a
dit « Connard ! », ça veut dire qu’il m’aime
bien !
La
navigation
Une fois en mer,
notre cap’tain nous autorise à peu près tout. Il veillera
cependant à la préservation de quelques nobles principes : le
confort des passagers, et la performance sans faire souffrir son
valeureux Kousk Eol.
Point de
compétition ! On n’est pas là pour être les premiers !
C’est d’ailleurs en ces termes que le Glaude nous explique sa
philosophie de la voile paisible : « On n’est pas là
pour régater ! La seule chose que je ne supporte pas sur l’eau,
c’est d’avoir un autre bateau devant moi ! ». Il pense
d’ailleurs accrocher sur le tableau arrière un petit mot à
l’égard des bateaux dépassés : « Va Fancùlo ! » !
Pour le côté
marin, tous diront que c’est une encyclopédie à lui tout seul.
Son expérience semble infinie, et la richesse de ses récits de
navigation (dont nous sommes très friands) nous fait nous poser une
question : a-t-il un jour travaillé dans sa vie ???
Qui connaît l’âge du capitaine ?
Malgré son âge
avancé, il voit tout, il entend tout, et il sent tout ! Et
comme il connaît chaque boulon et chaque bout de ficelle de son
bateau, il peut analyser la moindre vibration, sortir la tête du
carré telle une marmotte à l’affût, et dire « Il faudrait
peut-être prendre un ris, sans vouloir te commander ! »
Le néophyte du bord
prendra alors sans tarder les dispositions qui s’imposent…
Un air de ressemblance ? Chercher les 7 erreurs.
Il arrive parfois
que le Glaude aie une petite absence… voire un oubli. Ce n’est
pas une erreur à bord de Kousk Eol… c’est une Glauderie, dont la
gravité est si infime qu’il ne s’en tiendra pas rigueur
lui-même… il évite ainsi les blâmes qu’il infligerait à ses
disciples…
Ses récits
Le soir venu, en
général au moment de la Tisane, des sujets aussi divers que variés
font l’objet de partage d’expérience… et comme on vous l’a
dit (faut suivre un peu !), le Glaude, il n’en manque pas !
Nous nous délectons ainsi d’anecdotes venues des quatre coins du
monde, qu’il semble avoir visité en entier (la légende
prétendrait qu’il en aurait fait le tour…). Le tout raconté
avec poésie et un humour type Breton (après tout, ce sont eux les
inventeurs du menhir ! ! !).
Le Glaude nous autorise à faire tout ce qu’on veut…
Nous voici dons
repus de notre nourriture spirituelle qui suffirait PRESQUE à nous
sustenter… alors que le Glaude, lui, ne se sustente que de petites
choses types cuisses de canard confites, jambon pata negra, ou
encore pommes de terres rissolé dans la graisse du malheureux
palmipède cité précédemment… Il s’abreuve aussi de
spiritualité à l’aide de saint joseph, médoc ou encore rioja…
Nourriture spirituelle…
On pourrait alors
croire que sa position de demi-dieu (half-god pour les anglophones)
le préserve des tâches les plus ingrates, mais c’est avec panache
qu’il souhaite se soustraire à la caste que lui confère son
grade. Aussi lance-t-il parfois « Je vais acheter des
tomates ! ». Nous le voyons alors revenir avec des choses
rouges… en général du vin et de la viande… Et les tomates ?
On verra la prochaine fois…
Je me dois de cesser
là mes agissements mutins, je pourrais être démasqué et débarqué
à la prochaine escale. Pas plus tard qu’il y a 10 minutes, un des
rameurs du bord a suggéré au Glaude de se débarrasser des
emmerdements du bord… Il parlait là de petits bricolages à
effectuer… La réponse du Glaude ne s’est pas fait attendre :
« Vas-y, saute à l’eau alors !!! » !
Voilà chers
lecteurs un portrait quelque peu satirique de notre cap’tain…
mais qu’il convient de ponctuer d’un proverbe qui prend ici tout
son sens : qui aime bien châtie bien !
Droit de réponse
La rédaction
étant très sensible au respect des règles les plus élémentaires
de la démocratie, un droit de réponse est ici accordé
à L – G— (nous ne citerons pas de nom pour respecter l’anonymat
du contestataire).
Tout ce fatras
d’inepties n’a absolument rien à voir avec la réalité, en
toute bonne foi objective, et les gens qui me connaissent vraiment
seront forcément d’accord. Mais moi je dis ça, je dis rien…
Non ? Vous êtes
sûrs ? Ah bon… Disons que c’est juste un peu exagéré
alors.
Non plus ? Très
en dessous de la réalité ? Vraiment ? Connards !
Je connais au moins
une personne à la réputation inattaquable qui dit du bien de le
Glaude. Qui ? Ah zut : j’ai bêtement oublié son nom…
Sans
vouloir vous commander, si vous pouviez éviter de publier ce
ramassis d’approximations douteuses… Vous comprenez, malgré les
apparences, ici extrêmement trompeuses, j’ai tout de même une
réputation à soigner. Quoi ? Il
ne faut pas que j’utilise
des mots qui véhiculeraient un concept qui m’échappe ? Va
Fancùlo !
Vendredi 15
novembre 2019. Si vous avez bien suivi, vous savez que nous
sommes venus nous mettre à l’abri dans le port du Club de Mar
d’Almeria il y a deux jours. Bonne décision : le vent est
monté à plus de 50 nœuds, nous obligeant à doubler nos amarres.
Mais c’était mieux au ponton qu’en mer…
Le vent monte.
La dernière météo
indique une bonne fenêtre pour tenter d’aller au moins jusqu’à
Malaga, voire Marbella, à moins de 40 milles de Gibraltar. Le départ
est prévu vers 17 heures 30.
Les deux jours ont
été bien occupés avec les réparations qu’il y a toujours à
faire sur un voilier qui navigue :
Colmatage des
fuites du capot de pont avant : François supportait de moins
en moins d’être réveillé arrosé chaque fois qu’une vague
passait par-dessus le pont. Et il y en a eu quelques-unes.
Changement de
la drisse de grand voile.
Remplacement de
la bosse d’écoute de ris no 2.
Reprise des
renvois de bosses d’écoute des ris de grand voile.
Élaboration
d’une tarte tatin et des cuisses de canard confites dans le but de
faire avaler au captain qu’une année de plus, ce n’était
finalement pas la mer à boire.
La tarte tatin tant qu’il en reste…
La fin d’une
idylle. Mais l’évènement le plus marquant de cette courte
escale a été la fin d’une idylle qui paraissait prometteuse.
François et Yan, qui partageaient la même cabine, et surtout la
même couchette, depuis Barcelone, décident d’un commun accord que
coucher l’un sur l’autre à chaque virement de bord, quand le
bateau gîte, n’était vraiment pas propice au repos réparateur
nécessaire entre deux quarts. Et qu’il était temps de faire
couchette à part…
Le temps que le vent
tombe, et une toile anti-roulis était installée pour garantir
l’espace de repos individuel souhaité.
Et on arrive aux
fatidiques 17 heures 30 sans avoir eu le temps de visiter Almeria…
On tâchera de se venger sur Gibraltar. En attendant, il est temps
d’y aller.
Et on y va. Au
moteur bien sûr ! Et ça durera jusqu’à 4 heures 30. La
suite de la journée se résumera à un enchaînement de
rouler-dérouler du génois, puis passage à la trinquette, pour
remettre peu de temps après le génois, le rouler puis le dérouler
pour le rouler une fois encore avant de repasser à la trinquette…
Samedi 16, 14 h
30. La proximité de la côte permet de prendre la dernière
mouture des GRIBs. On pourrait continuer sur Gibraltar et arriver le
lendemain matin après s’être probablement fait copieusement
brassés. Ou on pourrait aussi faire une pause à Benalmadena jusqu’à
la prochaine fenêtre. C’est l’option votée : encore une
quinzaine de milles avant d’espérer être un peu au calme.
Au fait : la
toile anti-roulis, vous vous rappelez ? Elle a tenu un virement
de bord, puis a lâché… On reverra ça à la prochaine escale.
En attendant, les
quinze derniers milles se méritent : pas de vent, trop de vent,
pas la bonne direction, et on reboucle. Commentaire le lendemain
matin d’un autre voilier faisant la même route que nous :
« Méditerranée, mer de merde ! Ou il y a trop de vent et
on casse le bateau, ou il n’y en a pas et on fait des heures de
moteur ! C’est la dernière fois que je viens ici ! ».
Vers 17 heures 30,
nous arrivons devant la capitainerie de la marina de Benlmadena, où
nous en profitons pour refaire le plein de gasoil. Nos nouveaux
copains suisses d’Almeria, sur Kawaine, nous ont suivi. Eux aussi
font la route vers les Antilles via les Canaries. Nous devrions nous
revoir demain. Nous passerons une excellente nuit, au calme, et repus
d’un bœuf bourguignon dont je vous passe les détails ;
sachez seulement qu’il a été, encore une fois, concocté par
notre cuistot en chef Yan.
Dimanche 17.
Petit déjeuner en terrasse avec le pain frais qu’a réussi à
dénicher Hervé : beau temps, température agréable. Les
fameux GRIBs du jour montrent une belle fenêtre pour lundi :
nous partirons donc demain matin à l’aurore pour arriver à
Guibraltar, à soixante milles, de jour.,.
Aujourd’hui sera
une autre journée de réparation, en commençant par renforcer la
toile anti-roulis.