Mossel Bay – 2-4 décembre 2016

Comme chacun le sait, c’est ici que Bartolomeu Diaz fit escale en 1488, dans sa quête pour trouver une route vers les épices des Célèbes et la Chine ne passant pas par l’Arabie.

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Au loin, Kousk Eol sur les traces de Bartolomeu Diaz…

Mais ce sont les Hollandais qui l’ont appelée la Baie des Moules : elles ne sont pas rares, ainsi que les huîtres.

La baie sous le soleil est magnifique, et les habitants sont fiers de dire que c’est un des endroits au monde où le climat est le meilleur. Nous ne sommes pas ici pour chipoter sur les critères utilisés. Mossel Bay a tout de la petite ville de villégiature, tranquille, très proprette, qui attire son lot de touristes dès que l’été austral approche. Et le mouillage est excellent, sur fond de sable à moins de six mètres qui retient bien l’ancre.

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Pour nous, c’est la dernière étape avant Simon’s Town, juste en dessous de Cape Town, où nous devrions laisser Kousk Eol pour le mois de décembre. C’est aussi la dernière étape avant de passer le Cap des Aiguilles qui sépare l’océan Indien de l’Atlantique, et qu’il ne faut pas prendre à la légère. Là aussi, la météo est importante : il nous faut deux jours de vent de secteur est pour franchir ces derniers deux cent trente milles dans de bonnes conditions. Dimanche, ça devrait être favorable.

L’étape d’East London nous ayant un peu laissé sur notre faim côté distraction hors bateau, nous nous baladons dans la ville.

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La gare internationale de Mossel Bay.
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Le phare de Cape St Blaize.

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Christian, qui tient à se baigner, se fait confirmer qu’il n’y a jamais eu d’accident avec des requins blancs, avant de réaliser que son interlocuteur de la marina n’a plus de jambe gauche… Nous essaierons aussi un ou deux restaurants pour nous changer un peu de la cuisine du bord, sans lui enlever ses qualités bien sûr.

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À bord de Kousk Eol, j’arrive à peu près à les canaliser. Une fois à terre, impossible de tenir ces deux infernaux…

D’ailleurs, ce soir nous mangeons avec Mike et Devala de Sea Rover, dans un restaurant donnant sur la baie et recommandé par le Routard (le Kaai 4 pour ne pas le nommer). Super recommandation : à peine 20 % de la carte est disponible. Nous nous rabattons sur des hamburgers suggérés par le chef : parfaitement dégueulasses oubliables… Croyant bien faire, nous prenons du vin : erreur fatale, car même ici on sait faire de la piquette. Bref : nous on vous recommande chaudement le Routard, surtout si vous voulez faire plaisir à des amis.
De notre côté, nous continuerons comme d’habitude : nous choisirons à l’instinct et sur la foi des recommandations locales. Ça ne nous avait pas trop mal réussi jusqu’à présent.

Heureusement, entre Anglais et Français, il y a invariablement quelque chose à raconter. Après nous être assurés que nos deux peuples se haïssaient toujours et avec constance depuis la nuit des temps, malgré l’Entente Cordiale, nous avons pu discuter de choses sérieuses. Par exemple des variations du pavillon national britannique à arborer sur un navire : Union Jack sur fond bleu ? Sur fond rouge ? Sur fond blanc ? Nous sommes maintenant incollables sur l’étiquette navale britannique1. Les Écossais vont-ils demander leur indépendance suite au Brexit ? Et la Cornouailles son rattachement à la Bretagne ? Comment se prépare le pudding de Noël ? Si Kousk Eol va plus vite que Sea Rover sous voile, l’affront de Trafalgar sera-t-il lavé ? Quand vont-ils nous rendre les îles Anglo-normandes ? Nous leur rappelons tout de même, perfides2 que nous sommes, que s’ils ont vainement essayé pendant cent ans d’annexer le royaume de France, nous avons réussi, nous, à mettre un Français sur le trône d’Angleterre. Même si cela s’est plutôt mal fini. Mais bon : le Français a malgré tout été un temps la langue officielle d’Albion3. En toute extrémité, grâce à l’élection de Trump, nous trouvons enfin un terrain de compréhension commune. Bref : une soirée sympathique et de haute tenue intellectuelle.

Samedi 3 décembre. Ce serait bien de trouver un peu de gas-oil, juste au cas où il faille en mettre un coup pour le passage du cap. La météo est toujours bonne pour un départ demain en début d’après-midi, mais nous risquons d’avoir du vent d’est fort si nous traînons trop. Il y a environ deux cent vingt milles jusqu’à Simon’s Town : en principe un jour et demi de mer.

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Visite au bureau du yacht club : Antoinette nous commande un taxi qui accepte de prendre nos jerrycans. Olivier, le chauffeur, nous emmène à la station la plus proche où nous remplissons quatre-vingts litres de gas-oil. Vous avez remarqué, comme nous, le nombre de prénoms d’origine française parmi les descendants des Boers ?

L’après-midi sera consacré aux activités cérébrales, une fois n’est pas coutume. Dans notre cas à la visite du musée Bartolomeu Diaz, où une copie conforme de sa caravelle est exposée : construite par les Portugais, elle a refait le voyage original en 1988, cinq cents ans après la première croisière.

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Plus tard dans la soirée, ne voulant pas rester sur un échec, nous donnons une deuxième chance au Guide du Routard : nous irons au Fork and Train, un hôtel-restaurant installé dans d’anciens wagons dominant la baie. Deux heures après, le verdict tombe : le Fork and Train est un bon plan. Le service est très convivial, la nourriture excellente et le vin ressemble à du vin. Et le cadre est original : de vieux wagons-lits servent de chambre pour la partie hôtel.

Dimanche 4 : aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Christian. Même age que les deux autres glandeurs à cheveux blancs du bord. Le cercle très sélect et très fermé des Grands Sages Persuadés d’Avoir Tout Vu Mais Sachant Rester Humbles4 continue à s’agrandir.

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Le repas d’anniversaire est non moins sélect : ersatz de pizzas, gâteau à la carotte (eh oui, les Anglais sont passés par ici, rappelez-vous), arrosé d’un petit chardonnay du Cap. Nous partirons vers Simon’s Town dans la foulée, après ces agapes mémorables.

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Séquence émotion : nous raterons les régates de Fireball du Mossel Bay Yacht Club qui débutent lundi. Le Fireball est un dériveur de notre lointaine jeunesse, série apparemment encore très active ici.

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Un Fireball, un vrai en contreplaqué.

15h : il est temps d’y aller. Saudade, rencontré à Port Louis, est arrivé avant-hier et repart en même temps que nous, avec Catherine et José à bord. Eux ont trouvé une place à Cape Town. Sea Rover, avec Devala et Mike, partira un peu plus tard. Pas de formalité ici : l’accès aux sanitaires du yacht club, très propres, est gratuit pour les bateaux de passage au mouillage, et pas besoin de flight plan pour continuer.

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1– Nous avons à peine effleuré le sujet du droit d’entrée dans les yachts clubs de sa majesté : pour accéder aux salons de certains d’entre eux, très sélects, il faut au moins être vice-commodore d’un autre club. À tel point qu’un club s’est créé en Australie, où n’importe qui peut devenir membre, chaque membre devenant automatiquement vice-commodore du club… Sinon, le rouge est pour le péquin moyen, le bleu pour la marine et certains clubs qui se la pètent grave, le blanc étant exclusivement réservé à la Queen.

2– Albion n’a pas le monopole de la perfidie.

3– Ouai, d’accord : l’Anglais, lui, est en passe de devenir la langue officielle du monde. Mais qui c’est qui fait le meilleur cassoulet ? Je pose la question…

4– C’est juste que ça fait mieux que « Vieux Cons ».

De East London à Mossel Bay – 29 novembre-2 décembre 2016

La météo prévoyait un vent faible, et nous avons effectivement un vent très faible pour ce départ d’East London. C’est au moteur que nous démarrons : nous avons bien fait de remplir le réservoir de gas-oil.

Le ciel est couvert, et la mer calme : tout juste cinquante centimètres de houle. Un souffle d’à peine cinq nœuds nous impose de redescendre la grand-voile pour éviter que le gréement ne claque. Nous essayons d’atteindre le courant des Aiguilles pour accélérer un peu. Et ça marche : la vitesse passe progressivement de moins de cinq nœuds à plus de six nœuds en moins d’une heure, toujours par vent quasi-nul. Nous nous prenons à espérer sauter l’étape Port Elizabeth…

Entre temps, Christian, fort de sa précédente prise, nous promet un steak de mahi-mahi pour ce soir.

Mais les conditions changent petit à petit : le vent se lève, une douzaine de nœuds de sud-est. La grand-voile et le génois sont vite mis à poste. Et cette fois nous sommes bien dans le courant : Kousk Eol file entre neuf et dix nœuds : hors de question de ralentir ! Le mahi-mahi vient d’obtenir un répit sans le savoir…

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Le barreur qui barre plus vite que son ombre : une ombre suffit pour barrer un bateau bien réglé.

Pour la première fois depuis notre départ, nous naviguons avec d’autres voiliers : comme tout le monde est à l’affût du même créneau météo, nous nous retrouvons à une demi-douzaine de bateaux sur une route identique. Des « indépendants » comme nous, mais aussi quelques canots1 de l’ARC.

En fin d’après-midi, le vent tombe et nous devons remettre du moteur, dans une mer qui s’est un peu formée : houle de deux mètres de face, irrégulière. Mais nous continuons à progresser à plus de huit nœuds dans le courant.

Mercredi 30 novembre. Le vent a baissé régulièrement durant la nuit, passant de l’est à l’ouest, et la mer s’est aplatie. Le moteur tourne toujours… Un plancton particulièrement luminescent habite ces eaux : la crête des vagues brille à perte de vue, et le tourbillon de l’hélice se voit sur une bonne vingtaine de mètres à l’arrière. Nous sommes sortis de la zone où le courant des Aiguilles est fort : la vitesse s’en ressent. Les « vagues anormales » sont aussi en principe derrière nous. Ce n’est pas nous qui nous en plaindrons. Port Elizabeth est juste à notre nord, à vingt-cinq milles, et Mossel Bay à cent quatre-vingts à l’ouest : la météo est toujours bonne, donc c’est là que nous irons.

Dans l’eau, devant nous, plusieurs dizaines de dauphins et des milliers de méduses. Des fous du Cap à perte de vue, planant ou se reposant sur la mer.

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Le vent reprend du souffle, mais de face : quasi instantanément, les vagues se lèvent. De face, elles aussi, tant qu’à faire. Ce n’est pas notre VMG2 qui va s’améliorer. Décidément, les côtes de l ‘Afrique du Sud ne sont pas une sinécure pour les voiliers. Jamais un instant de répit, et l’analyse des prévisions météo fait ici l’objet d’une attention qui frise le culte obsessionnel.

Dans la soirée, le vent est retombé et il faut remettre le moteur, cette fois sur le bon cap.

Jeudi 1er décembre. Le moteur fait son boulot jusque vers deux heures trente, moment où le vent décide de remettre ça : dix à quinze nœuds de face. Le génois est renvoyé, et nous recommençons à tirer des bords.

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Et un lever de soleil, un!

Quatre heures : le vent continue à monter et frise les vingt nœuds. Le premier ris est pris.
Quatre heures quarante-cinq : ben le vent continue à monter, les copains. Le deuxième ris est pris et le génois roulé en partie.
Cinq heures quarante-cinq : cette fois, le vent refuse… Ça tombe bien, car nous nous écartions un peu trop de la route : virement de bord, à moins de vingt degrés du cap voulu. Encore un quart de tout repos… Mais on ne va pas se plaindre, par pure décence. Mossel Bay est encore à un peu plus de quatre-vingts milles.

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Mossel Bay devrait être notre dernier mouillage dans l’océan Indien, avant de passer le cap des Aiguilles (Cape Agulhas) qui nous fera basculer à nouveau dans l’océan Atlantique. C’est paraît-il un repaire à grands requins blancs, qui viennent se repaître d’otaries qui ont colonisé un petit ilot non loin de la plage. Nous, courageusement, avons décidé de ne pas prendre masques et tubas cette fois… C’est ici que Bartolomeu Diaz a débarqué pour la première fois en Afrique du Sud après avoir franchi le cap des Aiguilles en 1488, excusez du peu. Sans GPS ni météo. Bon d’accord, mais avait-il rempli un flight plan, lui?

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Quinze heures quarante. Une otarie nous regarde passer, débonnaire… Nous sommes à un peu moins de quarante milles de Mossel Bay, et enfin, le vent pousse dans la bonne direction. La mer s’est calmée et il fait grand beau. Nous devrions arriver en début de nuit.

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Dix-neuf heures. Ah ben non. On est dans l’océan Indien, où rien ne se passe comme prévu : le vent retombe… Encore une petite vingtaine de milles que nous terminerons au moteur : nous devrions être au mouillage vers vingt-trois heures.

Vingt-trois heures trente : l’ancre est mouillée dans six mètres sur fond de sable, dans la petite baie de Munro, à côté du port de Mussel Bay, avec nos éphémères compagnons de route. La nuit est noire, sans lune : on y verra plus clair demain matin.

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1– Que du beau monde, qui restent entre eux pour la plupart. C’est vrai qu’avec moins de quatorze mètres, nous faisons un peu minables…

2– J’ai pas déjà expliqué le compromis cap-vitesse, des fois ? Il fallait suivre. Non mais !

East London – 27-29 novembre 2016

East London, ça commence fort : nous ne sommes pas les seuls à avoir choisi l’option. Du coup, le ponton du yacht club est saturé, et il ne reste que la solution ancre dans la rivière Buffalo. Alternative que nous partageons avec une bonne dizaine de voiliers. Dont, devinez, quelques-uns de l’ARC, semble-t-il des dissidents.

La nuit se passe bien : nous récupérons de la fatigue des derniers jours. Et soudain, à six heures le lendemain matin, une vraie bourrasque de trente-cinq nœuds, du sud-ouest : tous les bateaux tournent brutalement autour de leur ancre (rappelez-vous : swinging at anchor). Jusque-là tout va bien. Mais, pas d’inquiétude pour le suspens du récit, ça ne va pas durer… Trois minutes après, la moitié des voiliers dérapent. Caduceus1, un Super Maramu2 anglais, vient même faire des avances inconsidérées à Kousk Eol. Les câlins des Anglais ne sont pas de mise en ce moment : les pare-battages sont vite sortis, et après un pas de deux un peu serré à notre goût, Caduceus va re-mouiller un peu plus loin. Nous faisons de même en nous rapprochant du yacht club : il va falloir songer à faire à nouveau le parcours administratif.

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Le mouillage au matin.

28 novembre. Le nom du Buffalo River Yacht Club fait bien plus fantasmer que le club lui-même : un peu à l’abandon, ce n’est pas là que nous irons pour nous changer les idées, même si le gardien est très accueillant. Apparemment, le club est proche de la faillite pour défaut de paiement par les usagers…

Nos copains de Sea Rover, Mike et Devala, nous invitent pour l’apéro à bord. Nous décidons de remettre ça à Simon’s Town où nous devrions nous retrouver : il y a encore deux ou trois courses à faire avant de repartir.

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Sea Rover.

Il faut aussi refaire le plein de gas-oil : c’est Jacques qui s’y colle. Petite virée dans la benne d’un pick-up avec les jerrycans vers la station la plus proche et le tour est joué.

East London ne nous laissera pas un souvenir impérissable : petite bourgade un peu endormie. Malgré l’excellent accueil que nous y recevons. Jacques et Christian se font même emmener en ville par deux policiers : « Vous comprenez, il y a des endroits un peu mal famés autour du port… ».

La météo annonce un créneau demain pour Port Elizabeth : nous partirons en milieu de journée, juste après la validation de notre flight plan par la SAP, la police sud-africaine.

Ce soir, petite gâterie : le restaurant trois étoiles de Kousk Eol met à sa carte un confit d’oie du sud-ouest accompagné de ses pommes de terre du Natal finement rissolées dans la graisse de la même oie3. Loin de nous l’idée de déshydrater au-delà du supportable vos glandes salivaires, mais côté régal des papilles, difficile à surpasser. Surtout après quelques jours en mer. Désolés, mais il n’y a pas de raison. Il est de ces petits plaisirs qui permettent d’ignorer allègrement les accusations d’égoïsme égocentriques, voire égotiques. C’est comme ça à bord de Kousk Eol.

Mardi 29 novembre. La nuit a été très calme et réparatrice. Sur le quai à côté de Kousk Eol, deux mille voitures, des Mercedes, livrées dans la nuit, attendent sagement le cargo qui doit les charger ce matin.

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Le jour se lève sur le mouillage.
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Mercedes en attente de chargement.

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8h: petit coup d’annexe au poste de la SAP, et le Flight Plan, succinct, est rempli en dix minutes. La météo est bonne pour Port Elizabeth, à environ cent cinquante milles au sud. Et même peut-être au-delà vers Mossel Bay. On surveillera l’évolution du temps.

9h15: l’ancre, recouverte d’une vase noire et gluante, est relevée et rincée tant bien que mal. Et le cap est mis sur la sortie du port.

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Bye bye East London!

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1– À la VHF, nous entendions « Could you see us, could you see us… », avant de réaliser que c’était Caduceus qui appelait… C’est quand même ambigu l’Anglais, non ?

2– Le Super Maramu est construit par les chantiers Amel à la Rochelle. Ce sont des voiliers de luxe, très prisés des Anglo-saxons. Nous, avec notre Wauquiez, ne sommes pas du même monde, sans même parler de politique.

3– DD, t’inquiète : le résultat est à la hauteur de tes précédentes prestations.