Petit florilège non exhaustif des noms charmants et poétiques utilisés par les premiers marins découvrant la Patagonie pour baptiser les endroits remarquables: une vraie incitation au voyage !
Golfe des Peines
Baie de l’Espoir Ultime
Baie Désolée
Baie Inutile , Bras Inutile, Port Inutile (superbes, mais orientée W ou SW : cherchez l’erreur.)
Île de la Désolation
Fjord du Dernier Espoir
Port des Anglais
Île Déception
Fjord des Voleurs
Canal Diversion
Fjord Sans Nom
Île Nelson
Calanque du Bout de la Route
Port Désiré
Cap et Baie du Bon Succès (après avoir passé le Détroit de Le Maire !)
Bon, ça fait 8 mois que nous sommes partis, et quasiment aucun article sur la voile elle-même… A quoi on occupe nos journées, comment on navigue, etc. En particulier en Patagonie et en Terre de Feu, où faire de la voile sort un peu de l’ordinaire…
Histoire aussi de rassurer nos copains Julien, Hans, Pierre, Aurélien et de leur faire un clin d’œil : ce qu’on apprend dans une école de voile sérieuse est important pour qui veut naviguer sans trop de soucis, loin ou pas.
La météo
Ça vous le savez, nous avons un téléphone satellite Iridium qui nous permet de prendre la météo, les fameux GRIBs.
C’est vachement bien quand ça marche. Il se trouve que depuis 15 jours, la connexion Internet via Iridium ne fonctionne plus… Et malgré les deux soit-disant informaticiens à bord, dont l’incompétence notoire fait que le problème perdure…
Et donc on sollicite les copains (merci Michel!) pour envoyer les prévisions par SMS. Les autres sources sont les connexions WIFI lorsque nous sommes dans un port (assez rares dans les canaux), ou la VHF : l’Armada chilienne publie un bulletin journalier, mais là aussi, il faut pouvoir le recevoir, la VHF ayant une portée limitée.
Et on observe le ciel… Dans le grand Sud, on a intérêt à reconnaître les nuages rapidement : le temps de vérifier qu’on a des cirrus sur la tête qu’ils sont remplacés par des stratus, puis dans la foulée les cumulus, avec toutes leurs variantes… Et on guette la venue de fronts, froids ou chaud, pour anticiper les changements de vent en force et direction.
En se souvenant bien sûr qu’ici les dépressions tournent comme les anticyclones chez nous…
La navigation
C’est un des aspects les plus critiques (et non : ce n’est pas une Lapalissade!). L’expérience nous a montré que les cartes ne sont pas complètement fiables. Les CM93 sont hors-jeu dès qu’on sort des voies les plus empruntées : contour de côte approximatifs et localisation GPS surprenante (il nous est arrivé plusieurs fois d’être sur la terre, d’après la carte!).
Les cartes Navionics sont un peu meilleures pour les détails, mais erronées elles aussi de temps en temps en ce qui concerne le calage GPS…
Nous avons aussi les cartes papier du Service Hydrographique de la Marine Chilienne : elles aussi ont des zones incertaines.
Et notre dernière source, le Guide de Patagonie et Terre de Feu de Giorgio : c’est finalement le plus précis, même si certaines données ont changé depuis sa parution.
Et quand les canaux se resserrent, par temps très couvert, il arrive que le GPS n’arrive plus qu’à accrocher 3 ou 4 satellites, donnant des points erratiques…
Conclusion : il faut toujours quelqu’un sur le pont et exercer une vigilance continue. Et naviguer à l’ancienne : le pilotage depuis le carré, avec une télécommande et le nez sur l’ordinateur n’est pas pour demain ! Le pilote automatique est mis au repos pour quelque temps.
Et bien sûr on essaie de ne pas naviguer de nuit ou par visibilité réduite.
Les nœuds
Ah ! Pas de voile sans nœuds. Et sans nœuds, comment impressionner les voileux débutants ? Un nœud de chaise fait en regardant ailleurs mine de rien, ça vous pose un marin…
Des nœuds marins, il y en a presque autant que de fromages en France : de quoi alimenter les longues soirées d’hiver au coin du bar du port le plus proche…
Mais en fait, pour naviguer, il suffit d’en maîtriser 3 ou 4 : le nœud de cabestan et ses demi-clefs, le nœud en huit, le nœud de taquet et évidemment le nœud de chaise. Éventuellement un nœud étrangleur pour réparer une drisse…
Et on est paré pour quasiment n’importe quelle navigation ! Les autres, c’est pour se faire plaisir ou pour épater la galerie.
Et bien sûr, à bord de Kousk Eol, point de tête de nœuds !
Les manœuvres
Dans les grandes traversées, on voit les changements arriver de loin, et on a donc un peu de temps pour se préparer. La route des alizés pour aller aux Antilles est particulièrement cool à la bonne saison : le bateau est au largue pendant deux semaines… Le plus gros soucis est le ragage, qui impose de modifier les réglages régulièrement si l’on ne veut pas user ses drisses ou écoutes prématurément.
Dans les canaux de Patagonie, c’est une autre histoire. Deux options :
En allant de l’Est vers l’Ouest, on a pratiquement tout le temps le vent dans le nez. Et les canaux font souvent à peine plus de 2 milles de large . On voit donc beaucoup de voiliers au moteur, avec leur bidons de réserve de gas-oil dans les filières.
On a un bon bateau, et on en profite ! Et on part pour de longues séances de bords de près… Dans des vents très variables, en direction et en force. On jongle entre génois et trinquette, avec toutes les variantes : 1/3 enroulé, moitié enroule, … Les prises de ris occupent bien les journées : il y a intérêt à avoir des manœuvres claires ! Et on enchaîne les virements de bord bien sûr.
On fait un peu plus de route qu’un voilier au moteur qui tire tout droit, mais quel plaisir !
Gros avantage des canaux : même si le vent est inconstant, la mer est en général calme. C’est autre chose quand on sort de l’abri des îles : le vent de SW ou W a eu tout le fetch qu’il voulait pour soulever une belle houle, courte et haute. L’idéal pour faire du près…
Et évidemment avec les yeux ouverts, sur le paysage, le sondeur et la carte… Parfois pour mettre un peu de piquant, la nature parsème l’eau de gros glaçons, les fameux growlers, qu’il faut bien sûr éviter. Autre raison pour éviter de naviguer de nuit.
Les mouillages
Un des problèmes dans les canaux est que la météo est très changeante. Il faut donc toujours se préparer à subir un coup de vent, parfois très fort.
Heureusement, le marnage des marées est largement en dessous de ce que l’on connaît en Bretagne : souvent 1 à 1,5m.
S’il y a de la place pour éviter, un mouillage « standard » sur ancre fait l’affaire, pourvu que le fond soit correct. Il faut se méfier des kelps, longues algues laminaires qui poussent en abondance sous ces latitudes.
Dans les caletas (petites calanques) très protégées, il faut souvent s’approcher du rivage pour à la fois avoir la bonne profondeur et le bon abri : les fonds remontent assez vite dans ces anciennes vallées glacières, et les 12m sont souvent à quelques dizaines de mètre du bord. Il faut donc tirer des amarres à terre pour immobiliser le bateau. Nous avons deux grands sacs sur le balcon arrière où les deux amarres (100 et 60 m) sont rangées, prêtes à être dévidées avec l’annexe et fixées à un tronc d’arbre.
Sac à amarres
Dès que les fonds remontent, on voit les algues laminaires qui ont l’air de bien se plaire… Elles font plusieurs mètres et quand elles s’accrochent à l’ancre, plus qu’une solution : y aller avec la machette !
Les marées et les courants
Marnage relativement faible en général (entre 1m et 2m), mais les courants peuvent être très forts à cause des volumes d’eau déplacés . 4 à 5 nœuds ne sont pas rares, jusqu’à 8 nœuds dans le détroit de Le Maire par exemple : un bon Raz Blanchard ! Il vaut mieux bien calculer son coup…
Petite spécialité locale : le courant dans le canal de Beagle est toujours d’Ouest en Est, à cause des vents dominants dans les 3e et 4e quadrants…
AIS et radar
L’AIS est un outil magique, quand il est utilisé. Au Brésil, peu de bateaux le font, imposant une veille constante.
En Argentine et au Chili, l’utilisation en est plus généralisée, facilitant la navigation.
Nous n’avons pas installé de transpondeur AIS par faute de temps : dommage ! Cela aurait été un plus au niveau de sécurité, surtout au Chili où l’Armada surveille bien ses eaux. Cela aurait aussi facilité les contacts, en identifiant tout de suite les autres voiliers , français ou non.
Pour l’instant nous n’avons pas beaucoup utilisé le radar, juste une fois comme sécurité par plafond très bas.
Et le reste…
La sécurité : harnais durant les quarts de nuit, et quand la mer l’exige ! Penser à fermer les vannes pour éviter les remontées d’eau. Et les hublots.
La mécanique : apprendre à réagir dès que le bruit du moteur change ! Une algue (et il y en a beaucoup dans la région!) qui bouche l’entrée d’eau du moteur. Un paquet de laminaires qui se prend dans l’hélice.
L’électronique : l’Iridium qui fait des siennes, le sondeur qui décide de se mettre en grève, la prise du GPS qui casse, le branchement du bus Seatalk mal fait (les préparateurs ne sont pas tous des électroniciens!) rendant le fonctionnement du pilote aléatoire, …
L’électricité : en 8 mois nous n’avons jamais eu à utiliser le moteur pour recharger les batteries. Les panneaux solaires et l’éolienne ont toujours pu faire leur boulot. Et du coup nous n’avons pas eu à vraiment nous restreindre.
Et aussi la gestion de l’eau et du gaz. De la nourriture.
Wafi débutant essayant de résoudre son problème de latéralisation.
Naviguer dans les canaux de Patagonie, c’est comme naviguer sur un lac de haute montagne. Mais un lac qui n’aurait pas de limite. Une haute montagne avec des arbres et des glaciers.
En arrivant de l’Est, ce qui surprend, ce sont les sommets, très escarpés et enneigés. Puis vers l’Ouest, en continuant le canal de Beagle, les sommets deviennent plus hauts, et les glaciers descendent plus bas.
Les sommets, même si leur hauteur semble modeste (à peine plus de 2000 mètres), ont tout des grands : pentes sommitales enneigées ou rocheuses raides, glaciers suspendus et séracs impressionnants, ambiance d’hivernales. Tout y est… Sauf qu’il y a plein d’arbres !
Par endroit, les glaciers viennent jusqu’aux canaux, lâchant même quelques glaçons. Paysages fabuleux : on ne peut rester indifférent ou jouer les blasés…
Cette proximité entre la mer et la montagne est unique : arriver en voilier au pied d’un glacier, vous y croyez, vous ?
D’ailleurs, il est hautement recommandé aux âmes sensibles d’arrêter de lire ce blog : les photos qui suivent sont susceptibles de déstabiliser certains de ceux qui pensent avoir tout vu, et qui dans leur imprévoyance ont oublié de faire ample provision de mouchoirs, l’IL de ces photos ayant été classé HC (hors catégorie). Pour une définition de l’Indice Lacrymométrique, se reporter aux articles précédents traitant de la faculté de certaines photos à faire pleurer ceux qui pensaient que rien ne pouvait être mieux que la télé (ou bien se référer au glossaire).
25 Février : nous quittons Puerto Williams et notre mouillage au Yate Club Micalvi. Passage devant Ushuaïa, à environ 25 milles à l’Ouest, au pied d’une impressionnante chaîne de montagnes.
Nous snoberons l’arrêt à Ushuaïa pour nous éviter les formalités administratives : Ushuaïa est en Argentine et requiert de faire toute la procédure d’entrée, que nous aurions à refaire à Puerto Williams pour revenir au Chili, soit deux jours de perdus en aller-retour.
Et pi quoi, c’est klââsse non, de passer devant Ushuaïa sans s’y arrêter ?
Nous préférerons le petit havre de Puerto Navarino, juste en face, où nous mouillerons sur ancre dans une petite crique, au pied de trois bâtisses.
Mouillage de Puerto Navarino
26 Février : nous continuons le canal Beagle vers l’Ouest et arrivons en fin de journée à l’embranchement entre les bras Sud et Nord. Nous prenons le bras Nord du canal de Beagle, et mouillage dans la Caleta Olla : superbe mouillage à côté d’un glacier, sous des sommets élancés.
Première manœuvre d’amarres à terre pour empêcher le bateau de bouger. Pour nous apercevoir que l’une de nos amarres, donnée pour 80m, n’en fait que 60 en tirant bien dessus…
La Caleta Olla
27 Février : départ de la Caleta Olla après une nuit tranquille, plein Ouest dans le passage Nord.
Nous passons au pied de glaciers aux belles couleurs bleu. Des growlers (morceau de glace) flottent tout autour ; il faut slalomer pour les éviter…
Lâcher de glaçons…
Les cartes électroniques n’offrent ici qu’une indication à prendre avec circonspection : le calage avec le GPS est douteux, et même la forme de la côte laisse à désirer… On navigue à vue, nez collé sur le sondeur.
L’Iridium ne nous donnant toujours pas d’accès Internet, c’est Michel qui s’y colle pour la météo, via SMS… Nous complétons par nos appels quotidiens aux alcamares, les points de contrôle de la Marine du Chili.
Nous arrivons en début d’après-midi à l’embouchure du Seno Pia (Fjord Pia), que nous remontons par son bras Ouest, de nouveau au milieu des growlers, pour arriver au bout de quelques milles au pied de deux magnifiques glaciers les pieds dans l’eau…
On vous dirait bien que c’est beau, mais ce serait largement en dessous de la réalité… Nous, on s’en est mis plein les yeux pour quelque temps.
Mais quand même, putain que c’est beau !
Le Cap Horn, c’était le Mythe. Les glaciers, c’est la Beauté. A tel point que plus beau ça risquerait d’être moins bien…
Vous la ressentez, la beauté immarcescible, là ?
Même les lagénorhynques de Peale viennent faire la fête autour de nous !
Et un nouvel oiseau à notre palmarès : le canard vapeur, aux ailles atrophiées lui interdisant le vol, et dont il se sert comme des pagaies. 10 nds en pointe tout de même, le bougre !
Canard vapeur et cormorans glacés
Et comme il faut que toute bonne chose ait une fin, nous redescendons pour rejoindre la Caleta Beaulieu, à l’entrée du bras Est, où nous passerons la nuit. Pas pire non plus…
La Caleta Beaulieu
28 Février : la météo doit se gâter en deuxième partie de journée, donc départ 8h pour avancer et se mettre à l’abri à temps.
Surprise : nous nous retrouvons avec un autre voilier, le Finistère, voilier français mais équipage cosmopolite. Et qui a pris la même option que nous pour le mouillage du soir : la Caleta Lagunas sur l’île Obrien.
Temps humide et froid : gros nuages gris avec des grains. Environ 25 milles au près, en jonglant entre trinquette et génois, et avec les ris dans la grand-voile. Et nous arrivons vers 15h à la Caleta Lagunas : petite étape, mais le mouillage suivant était encore à une 12e de milles, et notre trinquette a une couture qui a lâché… Il faut recoudre avant la déchirure !
Une centolla sans doute suicidaire se laisse prendre près du rivage… Et finira sur nos assiettes ce soir.
La Caleta Lagunas
Nuit pluvieuse et ventée : nous sommes bien, au mouillage ! Dehors, le vent souffle, comme la météo l’avait prévu. Finalement une petite pose n’est pas mal venue…
1er Mars : il a plu et il a venté toute la nuit . Donc, grasse matinée ce matin. Le vent tombe dans l’après-midi : nous en profitons pour nous avancer un peu. Étape courte d’une 10e de milles pour le caleton Silva sur l’île Londonderry à la sortie du canal Beagle. Brume humide : fait frête !
Et là, pas de dauphins, mais des otaries qui nous font leur cinéma !
Le cinoche des otaries…
2 Mars : la météo devant se durcir dans l’après-midi, nous partons au point du jour, sous un ciel gris et pluvieux, sans vent.
Lever de soleil sur les canaux.
De nouveau, un groupe d’otaries, qui nous fait la saison 2 du numéro d’hier…
Plus loin, nous passons à côté de deux ou trois baleines, tranquilles, à 10 mètres du bateau. Quoi d’étonnant, dans le canal Ballenero ?
Tranquille baleine
Puis au bout d’environ 30 milles, pratiquement entièrement au moteur, nous arrivons sur l’île Brecknock au mouillage de Puerto Atracadero, où quelques oies observent d’un œil critique notre technique d’amarrage.
Puerto Atracadero
Le vent se lève… et l’ancre dérape ! Il faut réagir vite : remonter l’ancre et la remouiller plus loin, sous la pluie.
3 Mars : nuit un peu ventée et humide…
Au petit matin, deux pêcheurs viennent tailler une bavette : ils plongent pour cueillir des algues pour des produits cosmétiques. Quand on voit la pauvreté et l’état rudimentaire de leur équipement, on a froid pour eux ! Et ce n’est pas le café que nous leur offrons qui va changer grand chose. L’eau doit être autour de 5°C quand il n’y a pas de glaçons…
Visite matinale…
Beaucoup de moteur aujourd’hui, et mouillage dans la Caleta Brecknock, au fond du Sena Ocasión, petit fjord étroit entouré de belles falaises granitiques, où de nombreuses otaries semblent avoir élu domicile.
Surprise : un autre voilier est au mouillage, des Américains. Nous décidons de les laisser tranquilles et de mouiller dans la petite crique juste à côté : ancre, 2 amarres à l’arrière et une à l’avant. Ceinture et bretelles : on ne connaît pas le coin !
La Caleta Brecknock
4 Mars : nuit tranquille… Et vous allez rire : il a plut toute la nuit.
Aujourd’hui, nous quittons le Canal Brecknock, prolongement Ouest du Canal Beagle, pour aller prendre le Canal Cockburn (en Anglais, en un seul mot), qui nous permettra de rejoindre le Canal de Magellan vers le Nord via le Canal Magdalena. Ça va ? Vous suivez ?
Le CanalOcasión était juste une petite déviation avant la sortie de Breaknock, sortie non protégée et ouverte sur la houle et les vents du Pacifique. On a beau se la péter sur Kousk Eol, quand on peut faire tranquille, on essaie de le faire…
Deux orques nous attendaient à la sortie, et viennent tourner tout contre la coque : impressionnant ! A la place des otaries, il me semble que je me méfierai…
Au loin vers le Nord, une boule lumineuse jaune semble essayer de percer la couche de nuages. D’après les anciens du bord, ce pourrait être ce que leurs ancêtres appelaient « Soleil », et qui n’avait plus été vu depuis longtemps…
La courte durée du phénomène laissa à penser qu’il s ‘agissait plutôt d’un gros météorite.
Bref, on aura encore une fois économisé sur les crèmes solaires…
Et nous arrivons à Puerto King, petite caleta au bout du Canal Cockburn : plus tranquille tu meures…
Puerto King
5 Mars : Devinez ? Pluie depuis hier soir. Paysages grandioses, mais temps de mâârde ! Comme si la nature voulait nous faire payer de se rincer l’œil outrageusement…
Du coup, grasse mat’ dans 99 % d’humidité, et départ sur les coups de midi, au moteur sur un vrai miroir liquide. Et toujours les otaries, les pétrels, les cormorans, dominés par les sommets élancés et les glaciers : d’un commun !
Et pendant ce temps, Brel chante « Le plat pays » et sa brume sur la « hi-fi » du bord: il faut au moins le Grand Jacques pour ne pas gâcher l’ambiance… Non Jacques D. : je parle de Jacques B. !
Les choix gastronomiques commencent à montrer des signes flagrants d’essoufflement : on se rabat sur les conserves au grand dam des fines gueules du bord… Bon là je me fais engueuler sévère : hier soir on a quand même eu droit à un vrai couscous québécois typique, avec noix de Grenoble, concombres chiliens et piment brésilien…
Entre temps le vent se lève : solide effet de venturi dans le canal Magdalena. 15-20 nds de face dans un clapot un peu dur. Bof : p’tit ris et trinquette. Pas de quoi fouetter un pétrel. Quand brutalement, longue rafale à 50 nds ! Les voilà donc les fameux williwaws ! Bon test pour les indéfrisables !
Notre mouillage de ce soir sera la Bahia Morris, mouillage assez large, où l’on pourra « swinguer à l’aise sur l’anchor »: Nico maîtrise complètement le vocabulaire marin et la traduction du guide…
Plusieurs grains passent au dessus de nous durant la nuit, provoquant des rafales à plus de 20 nœuds, et nous obligeant à mettre la deuxième ancre, par sécurité.
Arrivée dans la Bahia Morris
6 Mars : départ 8h, car le vent devrait forcir en milieu d’après-midi. Et il fait (presque) beau, avec du soleil et tout et tout !
Ne vous inquiétez pas : ça ne dure pas… Le vent se lève, dans le nez. On est vite à 3 ris dans la GV plus trinquette, au près. Mais les rafales à 35 nds et plus nous calment : les bords sont inconfortables, et il y en a encore quelques uns à faire ! Même sous trinquette seule, nous nous retrouvons le liston dans l’eau. Le Canal de Magellan se fait désirer…
On se rabat donc sur la caleta de Puerto Hope, où nous trouvons Kotick au mouillage, avec Alain Caradec qui emmène des clients.
Puerto Hope: Kotick et machete dans le goëmon!
Ici point de bergère avec ses moutons, mais :
Il pleut, il pleut, bordel !
Rentre ton blanc tangon . Il pleut, il pleut, bordel !
Enroule, enroule, petit Patagon…
Petite accalmie au bout de 3 heures : on repart… Pour s’apercevoir que le gréement semble détendu : arrêt dans la caleta suivante, la Caleta Beaubassin découverte par Bougainville, à 5 milles, pour retendre ! Et on y passe la nuit.
La Caleta Beaubassin
7 Mars : départ 8h après une nuit calme, de nouveau dans une calanque paradisiaque, au pied d’un glacier majestueux.
Cette fois, nous sommes à l’extrémité Nord du Canal Magdalena : en face se trouve Punta Arenas à une petite 60e de milles. Mais il faut d’abord traverser le Canal de Magellan large ici d’une 15e de milles. Évidemment, avec le vent dans le nez, donc en tirant des bords…
Mais la mer s’est clamée depuis hier et les bords avancent plutôt bien. Le vent monte progressivement : 1 ris, puis 2 ris, puis la trinquette. Nous apercevons Kotick au loin.
Et nous arrivons à Bahia Mansa, un petit port de pêche naturel 26 milles au Sud de Punta Arenas, juste derrière Kotick : nous nous mettons à couple, avec les bateaux de pêche. Et préparons les amarres pour le coup de vent prévu pour le lendemain : 40 à 45 nds…
Bahia Mansa
8 Mars : ce sera une journée à l’abri. Le vent souffle comme prévu par la météo : rafales à plus de 40 nds. Deux bateaux de pêcheurs sont venus se mettre à couple : eux aussi plongent cueillir des algues… Brrr !
Nous en profitons pour aller au super-marché de Puerto Hambre, la ville toute proche . En fait, une dizaine de baraques de pêcheurs au bord de l’eau, avec une « cafeteria », sorte de petit restau, qui fait aussi épicerie (pourvu qu’on n’ai pas de gros besoins). Retour progressif à la civilisation !
Puerto Hambre, le Port de la Faim, était une tentative espagnole de coloniser le coin : quelques mois après, toute la colonie était morte de faim…
Mais la cafeteria, au Sud du Monde comme le dit la pancarte, sert de très bonnes empanadas aux crevettes et aux centollas.
Puerto Hambre
9 Mars : belles bourrasques durant la nuit.
Et au matin, il neige sur Kousk Eol ! Le concept d’ »été » ici n’est pas le même que chez nous… Nous avons une pensée plus qu’émue pour les pêcheurs-plongeurs d’algues et d’oursins…
Faut pas confondre « Sous les tropiques » et « En dessous des tropiques » !
Nous partons ensemble avec Kotick : il faut se désengager du pêcheur à côté de nous, qui a son ancre par dessus les nôtres. Manip d’amarres un peu compliquée par le fait que les pêcheurs ne sont pas à bord , mais tout se passe bien.
Et cap sur Punta Arenas, la capitale de la région de Magellan, à 26 milles au Nord. 11° de moyenne en été et réputée pour ses vents forts.
En attendant, conditions presqu’idéales : il fait beau (bon : froid aussi, d’accord!), la mer est plate et un petit vent de 12 nds nous pousse bon plein à 8 nds dans la bonne direction.
Puis le petit vent monte à 20 nds : 9 nds sous trinquette et 2 ris.
18h : derrière un ballet de dauphins en grande forme, nous arrivons au Muelle Arturo Pratt de Punta Arenas, première ville depuis Puerto Williams il y a 2 semaines.
C’est ici que Jacques (non pas Jacques B. : Jacques D. !) nous quitte… Il était venu pour un mois de navigation avec les frangins terribles, qui s’est transformé en plus de deux mois, dont un à terre à Piriapolis à se demander si on en repartirait un jour… Et finalement, le programme initial a été plus ou moins tenu, aux dates près : descente vers le Grand Sud, passage du Détroit de Le Maire, arrivée à Puerto Williams, Cap Horn, Canal Beagle et Canal de Magellan.
C’est pô pire, comme dirait notre dernière recrue…
Et c’est ici aussi que va se préparer la suite du voyage vers le Pacifique : petites réparations, courses de vivres, plein de gas-oil, un ou deux restaurants…