Scoop de nos envoyés spéciaux : la terre est bien ronde…

Il nous aura fallu quatre années bien trop courtes pour nous en persuader : l’air vivifiant de la Bretagne forge des caractères bien trempés1, pas toujours faciles à convaincre. Mais il faut reconnaître que Magellan n’avait pas raconté de craques sur ce point : en allant toujours plus à l’ouest, on finit bien par revenir à son point de départ. Plus ou moins. Un jour.

« Le » tour.

Mais est-ce aussi le cas si on va vers l’est ? Et si on essayait ?

 

En attendant, la belle affaire ! Tout ça pour ça ? Quelques esprits un peu rabat-joie ne manqueront certainement pas de nous faire sentir qu’en gros nous n’avons fait que tourner en rond… Pas très glorieux comme façon de s’occuper, surtout dans ce monde où aller de l’avant est tant valorisé : il y a un petit côté retour en arrière, voire régressif, à faire une boucle, non ?

 

Oui. Et alors ? Nous on a tourné, en prenant notre temps ainsi qu’un plaisir extrême. Côté souvenirs fabuleux, nous avons glané une provision pour de nombreuses années, tant par les paysages admirables que par la faune extraordinaire et les riches rencontres dans les nombreux mouillages, avec les locaux aussi bien qu’avec les autres marins. Et malgré le fait que dans un tel voyage, les choses à côté desquelles on passe sont en bien plus grand nombre que celles qu’on savoure. Mais n’y a-t-il pas un aspect intellectuellement satisfaisant à réaliser qu’il restera toujours quelques petits trucs à faire ? Nous posons la question.

 

C’est vrai que nous avons un peu mis de côté les préceptes que nos parents ont patiemment tenté de nous inculquer durant notre jeunesse aussi insouciante que lointaine : « Mais arrêtez donc de tourner en rond ! Tâchez de trouver quelque chose d’utile à faire ! ». Il y a tout de même une dimension indubitablement positive dans cette débauche d’énergie : nous pouvons maintenant prétendre très modestement en savoir un petit peu plus sur la conduite d’un voilier par conditions variées. Nos galons durement acquis de WAFI2 n’en deviennent que plus incontestables.

 

Et Kousk Eol dans tout ça ? Eh bien notre valeureux voilier a eu un comportement exemplaire. Il nous a toujours mené à bon port dans de bonnes conditions de vitesse et de sécurité. Il aura très bien résisté à l’usure du temps et des milles, et serait prêt à repartir avec un minimum de maintenance. Nous ne regrettons pas notre choix initial. S’en séparer sera un moment difficile.

 

Pour les deux frangins, qui se la sont pétés plus que de raison durant tout ce périple, comme vous avez de nombreuses fois pu le constater, la prochaine épreuve, cruciale, est de réussir leur stage obligatoire autant que fondamental de réinsertion conjugale, prérequis incontournable avant même de seulement songer à entreprendre d’autres projets, même plus modestes. À part ceux concoctés par Cathy et MarieJo, bien entendu !

 

Mais ceci est une autre histoire, et nous vous la raconterons un jour, peut être. Si vous le méritez3.

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1– Eh oui, le choix des mots n’est pas anodin.

2– Pour ceux qui n’auraient pas bien suivi, je rappelle que WAFI est le surnom hypocoristique donné par les motoristes anglo-saxons aux voileux qui prétendraient leur faire respecter les règles de navigation : Wind-Assisted Fucking Idiots. En général, se référer au glossaire pour tout mot ou expression à l’exotisme un peu trop naval pour le terrien convaincu.

3– Ça laisse de la marge…

 

Gibraltar-Toulon – 19 juin-1 juillet 2017

À partir de Gibraltar, où nous nous étions arrêtés il y a quatre ans, nous refaisons maintenant dans l’autre sens la route que nous avions suivie au départ de notre périple, jusqu’à Toulon. Impression curieuse de repasser par toutes ces étapes…

La première sera Benalmadena, qui s’enorgueillit d’être (ou d’avoir été) élue meilleure marina du monde. Nous ne discuterons pas des critères ayant guidé ce choix, ni de la sélection du jury… Un long bord près de la côte, avec un vent adonnant au fur et à mesure de notre avancée, nous permet d’avaler rapidement et confortablement la petite soixantaine de milles pour la marina. Comme la saison sur la Costa del Sol ne bat pas encore son plein, l’ambiance y est relativement calme : c’était nettement plus agité et bruyant lors de notre départ. Nous ne nous en plaindrons pas.

20 juin. La journée est consacrée aux nettoyages en tout genre : bateau, linge, équipage… Et aussi à compléter l’approvisionnement pour la fin du voyage. Claude arrive en début de soirée pour faire le cinquième avec André, Raphaël, Nicolas et Antoine. Quatre Cornet à bord, c’est sûr que le niveau va atteindre des sommets… Et non, bande de mécréants médisants, je ne parle pas ici de celui de la mauvaise foi ! Quoique…

En attendant, la soirée commence bien ; nous sommes invités à bord de Dream Weaver par Dominique et Vincent. Ils ont fait à peu près la même route que nous depuis la Réunion. C’est encore une occasion de raconter nos souvenirs communs, et de prendre des nouvelles des autres voiliers croisés.

21 juin. Lever à neuf heures passées… Un certain relâchement se serait-il sournoisement installé à bord de Kousk Eol ? Un rappel un peu bruyant du DD remet les pendules à l’heure. Le café est vite avalé, les dernières douches et courses faites, les réservoirs d’eau remplis, et Kousk Eol largue les amarres de cet endroit dont le côté proclamé idyllique ne nous a pas complètement convaincu. Nous mettons le cap vers les Baléares où nous prévoyons un ou deux mouillages avant le retour à Toulon prévu le 1er juillet.

Parce qu’il faut vous dire qu’un pot est prévu pour notre arrivée, censé être une surprise. Mais il fallait bien indiquer une date aux copains et aux proches qui veulent nous accueillir, et aux organisateurs dudit pot. Donc, au temps pour la surprise.

En attendant, le temps a décidé de se mettre au très beau depuis quelques jours. La chaleur n’a pas raté le rendez-vous. Le seul qui se fasse un peu prier est Éole, qui saborde allègrement, avec la complicité d’une houle chahuteuse, notre tentative de Code D. Tant pis : c’est encore une fois Volvo qui assure…

Équipier s’entrainant à réparer les voiles.

Un beau rorqual nous croise à moins de cinquante mètres, majestueux. Puis ce sont les appels à la VHF qui demandent des nouvelles de trois bateaux de migrants depuis l’Afrique du Nord toute proche, et qui ont disparu des écrans radar…

Deux heures plus tard : « Pan pan, pan pan, pan pan ! » sur le canal 16. Une opération de sauvetage est en cours et l’alerte terminée. Nous n’en saurons pas plus.

19h : le vent est toujours aux abonnés absents… La houle s’est calmée. Et soudain, des ailerons noirs par le tribord : tout un groupe de globicéphales nous regardent passer, nonchalamment.

Puis quelques minutes plus tard, ce sont des centaines de petits dauphins en pleine chasse : ça bondit tout autour de nous. Pas le temps de venir jouer à l’étrave cette fois ! C’est comme ça à bord de Kousk Eol : spectacle grandiose au moment de l’apéro…

Jeudi 22 juin. La nuit a été tranquille, toujours au moteur sur une mer relativement plate. L’air est très humide : la condensation sur la grand-voile tombe goutte à goutte sur le malheureux de quart. La présence de nombreux bateaux impose une veille active, mais comme nous sommes cinq, les quarts ne sont que de deux heures chacun et passent relativement vite.

Ben ici aussi, il ne faudra pas trop s’endormir pendant les quarts….

Nico est à bord, et ça se remarque : crêpes au petit-déjeuner ! Avec Raph et Tonio en plus, le côté gastronomique revêt une importance dont le reste de l’équipage ne se plaint pas…

En attendant, la Méditerranée peaufine sa réputation de mer changeante et capricieuse. Tous ceux qui ont franchi l’équateur vous raconteront avec force détails et trémolos dans la voix l’expérience parfois angoissante de la traversée du Pot au Noir, avec ses sautes de vent, ses orages, son côté imprévisible. La Méditerranée peut être une bonne école de préparation à cette expérience… Pétole un jour, coup de vent le lendemain, ciel dégagé le soir, nuages noirs et chargés le matin. Avec une météo qui fait de son mieux pour prédire le plus justement possible la suite des événements. Il n’est que de regarder le nombre de BMS1 chaque année, très largement supérieur à celui de l’Atlantique où la météo est plus prévisible, pour s’en convaincre. La trilogie cirrus-stratus-cumulus ne fonctionne pas très bien ici… Après tout, le Mistral est un vent catabatique, tout comme les williwaws patagons, à une autre échelle.

Attendez une seconde : Nico nous interpelle depuis le cockpit, tout excité. Un banc de thons est en chasse, et des individus balèzes exécutent, à l’aise, des bonds impressionnants hors de l’eau. Nous espérons qu’aucun d’entre eux n’aura l’idée de mordre à nos leurres, ou nous pourrons dire adieu à nos lignes et nos cannes ! Dans cette partie de la Méditerranée au moins, la faune semble très riche. Nous admirerons même une petite tortue.

Petit voilier passant au large, dans le calme de la nuit tombante.

Ce n’est pas avec le temps qu’il fait qu’on s’agite beaucoup avec les manœuvres de voile. Du coup, le scrabble est sorti et les neurones pas encore grillés par le soleil sont réactivés. Et évidemment, au moment le plus palpitant de la partie, « Dzzzziiiiiiii ! ! ! » fait le frein du moulinet, qui ne jouait même pas. Nico, Raph et André se précipitent à l’arrière : un magnifique thon de plus de quinze kilos est promptement sorti de l’eau, qui va largement contribuer à agrémenter les menus du bord, déjà très élaborés, pour au moins les trois prochains jours… Sushis, steaks et curry à la mode de Kousk Eol, recettes tenues secrètes pour ne pas en rajouter sur l’aspect déjà fortement lacrymogène auprès des lecteurs de ce blog normalement condamnés à suivre les déboires de TPMP2 sur la 8. Tentez seulement d’imaginer la discussion tendue entre André et Raph sur la taille optimale pour les sushis : trois ou bien trois millimètres et demi d ‘épaisseur ? Quatre ou plutôt cinq centimètres de côté ? Ou bien ? Le ton monte… « Bon sang, mais tu vois bien que ça fait plus d’un centimètre d’épaisseur ! T’en as mangé où, la dernière fois, des sushis ? » « Oh, si ça ne te plaît pas, je retourne finir ma bière ! » « Putain, mais on peut rien te dire ! Tu me demandes, je t’explique. » « Oh, Nico, viens me remplacer ! Je sens que je vais m’énerver ! ». Nous, ceux qui ne sont pas directement impliqués pour l’instant, nous évitons courageusement de nous en mêler en espérant que les conséquences sur les sushis ne seront pas désastreuses…

Ils s’avéreront excellents…

Coucher de soleil à Formentera.

Vendredi 23 juin. Encore une nuit très tranquille, au moteur. Kousk Eol allume le plancton dans son sillage. À l’heure du café, une discussion animée s’engage sur l’opportunité de créer une catégorie supplémentaire pour enrichir la taxinomie des équipiers, liée, aux dires d’André, à la phase qu’on qualifiera de gazeuse3 au moment du réveil de la partie « Jeunes » de l’équipage. Ladite partie contestant l’objectivité de cette analyse, nous en resterons aux sangliers-blaireaux-amis pour l’instant.

Vers neuf heures, le vent décide de se réveiller un peu, créant une agitation soudaine pour hisser le Code D : tout le monde est content d’arrêter le moteur après presque vingt-quatre heures de fonctionnement pratiquement sans discontinuer. Kousk Eol file à plus de six nœuds sur une mer plate. Formentera, la plus au sud des Baléares, approche : encore une cinquantaine de milles. On devrait y être en fin de journée.

Puis vers onze heures, le vent forcit un peu en passant plus au sud : il est temps de passer au spi ! La vitesse monte à huit nœuds, avec des pointes au-delà de neuf nœuds, toujours sur une mer sans vagues. Grand confort !

Et c’est un peu en avance sur la prévision que nous mouillons devant la plage ouest de Formentera. L’ambiance fait penser aux îles de Lérins question fréquentation : quantité et étalage de luxe pas toujours du meilleur goût… Et les échanges sur le canal 16 font peser quelques doutes sur le comportement marin et le respect de l’étiquette de certains occupants de ces yachts clinquants : « (Petite voix flûtée) Fuck you ! Fuck you ! » « Please shut up and leave chanel 16 free for emergency ! » « Fuck you ! Fuck you ! » « Your call is being triangulated and you will be found and fined ! » « Fuck you ! Fuck you ! » et ainsi de suite, virant au carrément graveleux, pendant plus d’une heure… Je ne vais pas en rajouter avec les canots à moteur qui slaloment entre les bateaux à l’ancre à pleine vitesse. Mais bon, nous n’avons pas prévu de rester, et le mouillage est bien protégé et l’eau cristalline.

Quand enfin la majorité des bateaux (les blaireaux ?) s’en va en début de soirée, Formentera retrouve son charme et fait presque penser à un atoll d’une mer un peu plus lointaine. Surtout que nous bénéficions ce soir d’un coucher de soleil somptueux. Finalement, il semble que nous ayons eu beaucoup de chance il y a quatre ans, où le mouillage était presque désert…

Samedi 24 juin. C’est bien parti pour une de ces journées de glande totale qui font le charme des grandes navigations. De toutes les navigations, en fait. Il y a bien quelques contraintes incontournables, comme trouver des oignons, mais nous devrions survivre… Les excellentes rillettes de thon frais pour le ti punch d’hier soir ont été fatales au stock restant !

Petit coup d’annexe vers la Savina, la capitale, cernés de tout côté par les bateaux à moteur faisant la course pour entrer dans le port : on y parle beaucoup plus anglais, français et italien qu’espagnol… Le WIFI ne marche pas, mais il y a des oignons ! Ce n’est pas aujourd’hui que le restaurant de Kousk Eol va perdre une étoile.

Heureusement, l’Iridium, lui, fonctionne. Pas vite, mais il ne nous lâche pas : les GRIBs prévoient un fort mistral à partir de vendredi soir. Il faudra quitter les Baléares jeudi de bonne heure pour les derniers deux cents milles. En attendant, nous changeons de mouillage pour la nuit : il y a décidément trop de monde ici…

Un peu plus au nord, nous jetons l’ancre à côté du sailing yacht A, plus grand yacht privé à voile (cent quarante-trois mètres de long, mâts culminant à cent mètres au-dessus de l’eau.) appartenant à un milliardaire russe et dessiné par Philippe Stark. Drôle d’engin aux hublots à l’épreuve des bombes et poste de vision sous-marine… Jugez par vous-même.

Le « A »: les mâts culminent tout de même à cent mètres…

Nous, plus modestement, on aime bien Kousk Eol.

Dimanche 25 juin, 7h30. Il est temps pour nous de bouger : l’objectif est Minorque, à environ cent cinquante milles au nord. Le temps est toujours au très beau, mais le vent ne se fait pas trop violence pour gonfler comme il se devrait nos voiles. De Minorque, nous serons bien placés pour saisir la meilleur fenêtre météo pour Toulon.

Mais comme nous sommes sur Kousk Eol, les plans sont revus régulièrement, et la décision est prise de s’arrêter sur la côte nord-ouest de Majorque, dans le petit port de Sóller, où nous arrivons vers vingt-trois heures, après une belle navigation au près sur une mer relativement plate. L’avant-port est très encombré, et nous nous y reprenons par trois fois pour trouver le bon endroit où mouiller notre ancre sans risque de toucher un voilier voisin : le vent tournoie dans la petite baie, et les bateaux bougent de façon un peu anarchique.

Lundi 26 juin. La météo confirme un fort mistral à partir de la nuit de vendredi à samedi. Nous devrions traverser jeudi dans la matinée pour arriver avant le coup de vent.

Mouillage devant Sóller.

Mais chaque chose en son temps : le programme d’aujourd’hui est de visiter Sóller, la petite baie et son port ainsi que la ville, à quatre kilomètres. En débarquant avec l’annexe, nous avons le plaisir de rencontrer Méridienne, un autre Centurion 45 s, lui aussi basé à Toulon, et avec l’équipage duquel, Françoise et Elie, nous avons des échanges depuis longtemps : ils sont en route vers les Antilles, puis la côte est des États Unis.

La baie de Sóller est un mélange d’ancien et de plus moderne, mais pour une fois architecturalement un peu respectueux du site.

Rues dans Sóller.

Un antique tram avec des wagons tout en bois verni relie le port à la ville : nous irons à pied tant que le soleil ne tape pas trop, puis nous rentrerons avec.

Le tram.

Et à treize heures (nous sommes en Espagne après tout) nous mangeons dans l’auberge de la famille Nadal, l’enfant du coin.

Mardi 27 juin. Décollage à six heures trente pour ne pas arriver trop tard à Minorque, avec un peu moins de quatre-vingts milles à faire aujourd’hui. La côte nord-ouest de Majorque est magnifique, avec ses falaises majestueuses tombant dans la mer, et s’ouvrant de temps en temps sur des criques qui font penser à la Corse.

Vers la cala de la Calobra.

Eole profite lui aussi du beau temps et du paysage : c’est encore une journée à brûler du combustible fossile… Eh ben non : à peine passé le cap Formentor au nord de Majorque qu’un vent de sud-est prend le relais. Presque vingt nœuds : nous passons vite à un ris dans la grand-voile et à la trinquette, mais Kousk Eol s’entête à filer à presque neuf nœuds sur une mer relativement peu agitée, droit vers la côte nord de Minorque.

« C’est pas à cette vitesse qu’on va attraper quelque chose à la ligne ! » maugrée Raphaël. Et ça ne rate pas : cinq minutes plus tard, « Dzzzziiiiii ! ! ! ! » once again. C’est quoi ce truc qui mord un machin en plastique coloré au bout d’un fil alors qu’on file à neuf nœuds ? Il faudra presque une heure de quasi-combat, voiles affalées, moteur pour anticiper les réactions de l’OPNI4 avant de pouvoir lui donner un nom. Ce ne sera finalement qu’un banal thon de presque quarante kilos, promesse de plat unique pour les quatre ou cinq prochains jours… Trop cons, ces poissons. Et vous croyez qu’on s’amuse, à bord, vous ? Heureusement, l’arrivée à Toulon est prévue dans trois jours !

Bref, il paraît que c’est bon pour la santé, et que plus frais, tu meurs, et autres salades marketing du même acabit. On la fermera et on dira qu’on se régale : rappelez-vous, Toulon c’est dans trois jours.

On se remet finalement en route, pour arriver un peu plus d’une heure plus tard, vers dix-huit heures, dans la Bahia de Fornells, une espèce de fjord au nord de Minorque. Entre vingt et vingt-cinq nœuds de vent : le préposé aux bouées d’amarrage, sur son zodiac, est passablement énervé par un voilier qui rate pour la troisième fois sa prise de mouillage et du coup nous houspille un peu parce qu’on prétendait se débrouiller tout seuls. Il n’en faut pas plus au DD pour remettre les gaz : nous passerons la nuit sur ancre, un peu plus au fond du fjord. Comme il est prévu plus de trente nœuds de vent, les cinquante mètres de chaîne et une vingtaine de mètre de câblot sont dévidés : dans huit mètres de fond, ça devrait coller.

Manœuvre à peine terminée, nous découvrons que notre thon, c’est pas un bête germon, mais un thon rouge authentique… Je retire tout ce que j’ai dit plus haut ! Les morfales du bord salivent à qui mieux mieux. Sashimi à volonté pour le dîner ! Et comme Raph et Tonio sont allés distribuer l’excédent autour de nous, nous avons assuré notre réputation dans le mouillage ! Peut-être un truc à partager avec nos politiques ?

Mercredi 28 juin. Le vent s’est bien calmé durant la nuit, et c’est de nouveau sous un soleil éclatant que nous prenons notre café matinal. Ce matin, l’activité sera centrée sur la maintenance avant l’Arrivé avec un grand A : réparation du lazy-jack qui n’a pas supporté l’affalage rapide de la grand-voile hier pour cause de thon, vérification les niveaux d’huile et d’eau du moteur, petite couture à refaire sur la capote, vis à changer sur le couvercle des w-c, plein de gas-oil pour la traversée vers Toulon, etc.

Comme nous avons bien travaillé, nous partons visiter la bourgade de Fornells, toute blanche et non sans charme.

Fornells depuis les hauteurs, et le mouillage en arrière plan.

Plein de courage, nous allons même jusqu’à la baie suivante où semble se trouver un autre village.

Fornells.
Le cimetière.

Déception : le village est en fait un immense condominium, avec gazon verdoyant au milieu de l’aridité ambiante, où toute entrée est interdite. Nous faisons vite demi-tour vers le bateau…

Jeudi 29 juin 2017. C’est aujourd’hui que nous entamons notre dernière traversée, celle qui va fermer la boucle… Un temps variable nous attend pour les deux cents ultimes milles, avec du mistral prévu pour samedi matin. Un vent d’est-nord-est nous emporte vers le nord à environ huit nœuds.

Sur les coups de quinze heures, oh quelle surprise, un autre thon s’est laissé attraper. Ils ont un coup de déprime, en ce moment, les thons méditerranéens ? Moi, maintenant, personnellement, j’essaierai bien une côte de thon charolais. Juste pour voir si je me souviens encore du goût.

Le gros grain noir qui nous fonçait dessus, impressionné, s’est entre temps dégonflé, et ce n’est plus qu’un vent tout aussi perturbé qui déhale Kousk Eol. Nous devons jongler avec les différentes combinaisons de voiles : un ris dans la grand-voile, puis on roule un peu de génois, pour finalement dérouler la trinquette, et prendre un deuxième ris, rouler un peu de trinquette, puis la re-dérouler, et même relâcher un ris… Les quarts de cette dernière nuit furent sportifs !

Petit problème : la marge que nous avions prise au départ de Minorque est toujours intacte : nous allons arriver un jour trop tôt à Toulon ! Géhenne et excommunication !

Mais comme la météo vient d’annoncer un avis de grand frais (BMS no 284 au trente juin : nous sommes bien revenus en Méditerranée) pour la nuit prochaine, nous n’allons pas faire la fine bouche. Quoique… Il reste du thon à finir… Mais aussi une dernière boite de confit de canard… Déjà hier soir, notre très grande lâcheté nous a fait voter pour des nouilles chinoises.

Et enfin, il fallait bien que ça arrive : Toulon est en vue. Petit moment d’émotion… Les messages sur le canal 16 sont de nouveau en français. Et à quinze heures, nous nous amarrons dans le port de Saint Mandrier : il restera deux milles et demi, la rade à traverser, pour rejoindre le ponton visiteurs de la Darse Vieille demain pour la « surprise ». Pas sûr qu’on mette le code D…

Samedi 1er juillet 2017. C’est aujourd’hui. Ce matin est le début de la fin de notre grand voyage. Pour les « jeunes », Raph, Nico et Tonio, c’est le retour à la maison après leur première grande traversée : un peu plus de quatre mille cinq cents milles, excusez du peu !

Pour les deux antédiluviens, André et Claude, c’est l’aboutissement de la concrétisation5 d’un rêve un peu fou. Il leur faudra peut-être un peu plus de temps pour complètement réaliser.

Mais bon, pour l’instant il n’est que neuf heures : encore un peu plus d’une heure avant de larguer les amarres pour Toulon et la dernière demi-heure de traversée de la rade. Nico s’active pour préparer sushis et sashimis pour le pot d’arrivée. Le reste de l’équipage fait un semblant de rangement pour rendre Kousk Eol présentable pour la foule qui sera forcément à l’arrivée. Un grand pavois est même bricolé en hâte. Surtout que c’est la Saint Pierre, fête des pêcheurs, aujourd’hui : comme à notre départ il y a quatre ans…

10h40 : nous quittons notre place à St Mandrier. Dehors, le vent souffle à vingt-cinq nœuds, avec des rafales à trente-cinq. VHF à la capitainerie : nous nous mettrons au quai d’avitaillement en attendant d’avoir une place sur le quai d’accueil.

11h20 : nous passons la jetée de la Darse Vieille, et c’est un concert de cornes de brume et de cris qui nous accueille. Ils sont au moins cinquante à nous attendre ! Arrivée et retrouvailles émouvantes. Cette fois, le tour est fini… On vous mettra quelques photos dès qu’on en aura récupéré !

Kousk Eol et son grand pavois à l’arrivée.

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1- Bulletin Météorologique Spécial : alibi incontestable pour rester au bistrot du port ce jour.

2– Télévision Poubelle Médiatiquement Pénible : émission qui brandit fièrement le flambeau de la culture francophone.

3– Pour ne pas choquer plus que nécessaire nos lecteurs ou lectrices.

4– Objet Plongeant Non Identifié.

5– Ouais, ça fait redondant. Et alors ?

ACORES – GIBRALTAR – 10-16 juin 2017

Ce n’est pas faute d’exercer une pression certaine sur lui, mais notre envoyé spécial Tonio s’accroche, tel l’arapède à son bout de granit, à un supposé coup de mou subséquent à une traversée prétendument agitée plus que de raison pour retarder la production d’une prose censée relater de la manière la plus objective possible les exploits du vaillant équipage de Kousk Eol lors de l’expédition depuis les Açores jusqu’à Gibraltar. Vous pouvez reprendre votre souffle.

L’équipe de rédaction, butée comme vous avez déjà pu le constater, ne désespère pas arriver à ses fins, quitte à utiliser le chantage le plus mesquin (« Non, pas de ti punch ce soir : c’est pas bon pour la crampe du clavier ! »).

Quelques jours plus tard, tout arrive… Le travail de sape aura finalement porté ses fruits : le jeune Antoine a écrit ! Nous vous livrons ci-dessous sa production littéraire. Bonne lecture !
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L’arrivée au petit matin au port d’Horta (sur l’île de Faial) fut bienvenue pour tout le monde, malgré la pluie, chacun sentant la fatigue d’une longue traversée de 2600 miles d’une traite, somme toute sans encombre aucune. Nous aurons même été accueillis la veille en s’approchant par plusieurs visites de cétacés : rorquals communs, dauphins et même subrepticement un hypérodon boréal (qui n’est pas une licorne arc-en-ciel). Le deuxième rorqual, peut-être tout aussi curieux que nous, après avoir surgit à 50 m à tribord, viendra nous zieuter de plus près encore à vingt mètres à bâbord après avoir nagé sous le bateau. Impressionnant, même si l’on n’aperçoit que le haut du dos, on en devine la taille (celui-là faisait bien ses vingt-deux mètres). En ce qui concerne les dauphins, nous aurons été gâtés ces derniers 3-4 jours et avons été visités plusieurs fois quotidiennement par différents groupes, allant de 5 à 100 individus, des espèces tachetées d’Atlantique d’abord puis des communs. Leur jeu, toujours, est de surfer sur la vague avant du bateau, tout en jetant quelques coups d’œil à son équipage (et vice-versa). Cela restera toujours un grand plaisir de les observer libres et enjoués dans leur élément.

Ah elles ne se prennent pas toutes seules les photos de dauphins!

Rien de tel qu’un poisson-pilote pour trouver sa route!

L’accueil sur Faial est chaleureux, l’ambiance détendue et agréable, tout le monde se parle et se raconte ses péripéties pour arriver jusqu’à cet archipel perdu dans l’océan. On y croise toutes sortes de navigateurs : touristes d’un jour, aventuriers solitaires, équipages professionnels, amateurs passionnés, pêcheurs locaux, le tout distillé au sein d’une population locale des plus sympathiques. Tous, ou presque, se retrouvent le soir chez Peter, dont nos matelots ne manqueront pas de s’assurer quotidiennement que la fermeture est bien aux alentours de 2h du matin, disons histoire d’être sûr… Chacun donc gardera un souvenir impérissable de cette petite île tout ce qu’il y a de plus accueillant.

Les lumières de Faial au loin…

Nous louons une voiture pour faire le tour de l’île (volcanique, comme toutes les autres des 9 îles des Açores), qui ressemble un peu à une petite Irlande pour ses pâturages vallonnés et verts. Tentative de visite du cratère tout en haut, qui ne se dévoilera pas pour nous ce jour-là, car le brouillard y était bien trop dense. Ce sont plutôt les restaurants qui se révéleront à l’équipage les uns après les autres, et plutôt deux fois qu’une. Tombés en plein période de fête nationale, nous aurons même l’honneur de dîner à côté du président portugais De Sousas venu célébrer la Pentecôte sur l’île. Évidemment personne n’avait prévenu les quatre jeunes (DD au lit) et nous étions donc les seuls pouilleux assis dans ce restaurant où en ce dimanche soir tous les locaux s’étaient mis sur leur trente-et-un pour avoir une photo souvenir avec leur représentant. Nous aurons droit à un salut amical de sa part, car il se fit que nous sortions dans la ruelle tous en même temps, entourés des assistants présidentiels et des « services secrets » portugais qui surveillaient d’un coin de l’œil ces quatre chevelus en short et tongs apparemment pas au courant.

Ravitaillements en tous genres fait, il nous restait un « devoir » en tant que navire de passage à Horta : laisser la fameuse trace du bateau en exécutant une peinture au sol ou sur l’un des quelques espaces restants de béton de la marina. C’est une des premières choses qui m’ont frappé en arrivant, car ne connaissant pas cette tradition, la beauté de cet ensemble de motifs colorés que sont toutes créations laissées par les différents équipages au fil des années, certaines encore visibles et indiquant des dates antérieures aux années 80 ! Nous nous mettons donc collectivement à préparer une reproduction aussi fidèle que possible du logo de Kousk Eol, qui ma foi, fut plutôt réussie. André reconnu même plusieurs peintures de bateaux amis rencontrés lors du tour du monde des frangins, espérons que d’autres un jour nous raconterons avoir vu la nôtre.

La signature de Kousk Eol…
Fiers marins-artistes!

En ce qui concerne l’équipage, nous nous retrouvons temporairement à quatre car Tom nous quitte ici-après avoir pris la sage décision (en fait déjà prise depuis une douzaine de jours) de ne pas pousser plus loin ses limites physiques. Pour lui, ça aura été « Veni, Vidi, Vomi » ! Nous le laissons donc au petit matin sur le quai lors de notre départ, 5 jours de fête après notre arrivée sur l’île de Faial. Compagnon d’une si belle traversée, nous te regretterons mais comprenons. Et la suite te donnera raison.

Nous partons donc en route vers Sao Miguel, presque plus fatigués qu’à notre arrivée pour certains (fallait pas se coucher à 3h la veille d’un départ à 5h !), où nous récupérerons notre cinquième compère pour la traversée Açores-Gibraltar, le grand Nicolas. Nous contournons par le sud l’île de Pico, qui tout du long depuis Horta nous avait offert un magnifique panorama depuis la marina : imaginez-vous une grimpette du niveau 0 jusqu’à 2351 m en ligne droite sur ce sommet volcanique ! Sur mer, la navigation sera relativement aisée malgré quelques interventions du moteur pour nous aider à passer la première pointe où les courants nous seront contraires. Le reste se fera à la grand voile et au génois grâce à un vent constant de sud-ouest. À noter que notre départ fut précipité par une dépression du genre inquiétante qui passait au nord de l’archipel des Açores et qui balançait du 50-60 nœuds en son centre. Profitant des contours de celle-ci, Kousk Eol aura de belles accélérations jusqu’à 30 nœuds histoire, pour l’équipage, de se remettre en forme. Nous arriverons vers 2h du matin à la marina de Punta Delgada où par hasard nous croisons Sirius, avec qui nous apéroteront (vous savez, ceux qui avaient failli nous rentrer dedans au milieu de l’Atlantique ?). Pour faire court : nous visitons rapidement les prémices de la vieille ville, exécutons quelques dernières courses de ravitaillement, récupérons l’ami Nicolas, mangeons le repas le plus mauvais de tout ce tour du monde après avoir fait confiance au mauvais resto et son rabatteur, prenons les dernières vraies douches et derniers apéros à terre avant l’Europe continentale, suivis d’une bonne nuit de sommeil, et partons pour la deuxième étape de notre traversée, car, mien de rien, ce n’est pas encore fait !

Départ tranquille vers la fin de matinée, la première après-midi commence sagement, parfait pour Nico qui prend ses marques auprès du bateau. Nous partons en même temps que plusieurs voiliers de l’ARC, nos routes se longeant pendant 150 miles environ avant qu’eux ne prennent une direction plus au nord que nous, probablement Lisbonne d’après nos estimations de cap. Grand spectacle pour Nico à peine arrivé (et les autres) : un gigantesque rorqual remonte de plongée en faisant jaillir son jet d’eau à 20 m tribord du Kousk Eol, en plein moment de torpeur générale ! Peu de temps après, au fur et à mesure que la mer se lève, les aléas commencent : quarante minutes plus tard, alors que le vent a commencé à se gonfler (20-22 nœuds établis), c’est le hale-bas de bôme qui lâche soudainement ! Le bout trop usé n’aura pas résisté plus longtemps. Réparation expresse de DD au milieu d’une bonne houle. Quelques heures plus tard, alors que nous avons retrouvé tout l’inconfort du monde penché mais l’assurance d’un bateau qui avance, c’est tout d’un coup le pilote qui décroche et fait virer le bateau avec moult fracas… Ça commence bien ! Certains trouveront peut-être tout cela excitant, personnellement je suis plutôt du type « please don’t rock my boat », comme le chantait l’ami Bob.

En voilier, il n’y a pas que la voile…

Les jours suivants, rien de particulier à signaler, à part un temps maussade, des grains de temps à autre, une houle constante et assez énervée due à cette maudite dépression au nord et un vent de nord nord-est d’un bon 20-30 nœuds qui nous fera prendre moult ris et alterner génois et trinquette toutes les 50 minutes. Tom, si tous nous lis, sache que c’est là que nous nous sommes tous mis d’accord sur le fait que tu n’aurais pas apprécié cette deuxième traversée, déjà bien plus tumultueuse en trois jours que les dix-sept jours qui avaient été nécessaires pour l’étape depuis la Guadeloupe. Puis, au troisième jour c’est la rotule de fixation d’une latte de grand voile qui lâche – obligés de réduire la GV pour qu’elle ne s’arrache pas… allez un dernier petit effort Kousk Eol on est bientôt de retour au bercail. Après consultations et réflexions à bord, une réparation maison au marteau fera finalement l’affaire (et tiens encore au jour où je rédige ces lignes).

A nouveau des visites régulières de dauphins, nos fidèles compagnons de route ; parties de scrabble endiablées (ce sport qui se joue à 3 ou 4 et où c’est toujours Nico ou DD qui gagnent !) ; apéros, repas et causettes ; RAS la vie à bord continue comme à ses habitudes. Un petit coup de gueule de l’équipage tout de même contre la mer qui ne nous offre que des bonites à manger (cinq pêchées en six jours, trop c’est trop) alors que nous rêvons de daurades, d’espadons ou de thons.

S’ensuit au quatrième et cinquième jours une alternance de moteur et de voile, toujours un temps plutôt couvert, et relativement peu de vent en général même s’il nous faisait la grâce d’être au portant (de dos). Par contre à l’approche du détroit de Gibraltar, véritable goulot de la Méditerranée, tout s’annonçait contre nous : augmentation par 25 nœuds de vent pleine face – par effet de venturi (engouffrement des vents d’un côté et démultiplication de l’autre) – multiplication du trafic de cargos (déjà ressentie depuis 24h) et arrivée de nuit… On passe à des quarts par deux histoire de pouvoir manœuvrer rapidement si besoin pendant l’approche (on la croit rapide, mais non, qu’est-ce qu’elle est longue cette côte descendante espagnole), DD ne dormant finalement pas de la nuit et chacun l’assistant par tours jusqu’au petit matin. Magnifique lever de soleil, sentiment de retour à notre bon vieux continent, mais les éléments sont en furie : 30 nœuds de vent et grosse houle de face qui vient frapper la coque de trois-quarts ce qui nous empêche littéralement d’avancer et fatigue bien le bateau. Je dis bien “littéralement” : malgré des bords tirés autant que possible suivi du moteur, nous faisons du 1,5 nœuds de vitesse… autant dire que nous avons le temps de profiter du paysage. C’est – après avoir tout envisagé, même d’aller se réfugier à Cadix – finalement en se rapprochant de la côte que nous y trouverons un peu de répit, de quoi avancer lentement mais sûrement. Le franchissement du cap de Tarifa sera plus que sportif, sous un ciel dégagé et le retour de la chaleur qui nous avait quittée aux Açores. Mais, pour le plus grand plaisir de tous – ENFIN – de la voile comme en régate avec des bords tirés non-stop, un équipage sur-motivé, une mer défiante et dans le fond un paysage aride mais sublime. Et un DD au top de sa forme, en tenue fringante (ciré jaune canari collector et chemise bleue à motifs provençaux – voir photo) et bonne humeur malgré sa nuit blanche et nos questions redondantes sur ce qu’on allait faire. DD, chapeau bas ! Incapable de dire combien d’heures ce petit bout de traversée nous aura pris, voyant d’autres bateaux luter autant si pas plus que nous (pauvres catamarans), c’est presque avec regret que nous effectuons notre dernier bord qui nous mènera au-delà de la dernière pointe, puis de la dernière anse, et finalement de la dernière crique de l’Atlantique. Méditerranée, nous voilà !

Pourquoi il faut être attentif lors des quarts vers Gibraltar….

GIBRALTAR – BENALMADENA (MALAGA) – 19-20 juin 2017

C’est sous la menace de Claude, qui nous a maintenant rejoint dans ce paradis perdu – pardon que dis-je : cette terre vierge, ce trésor de pureté, cet îlot de l’innocence (j’y reviendrai) – qu’est la marina de Benalmadena, que je vais terminer mon rôle de narrateur de nos voyages en commun, sur nos quelques jours de repos bien mérités à Gibraltar. Intenable sur la qualité et la ponctualité de son blog, imposées selon lui par l’exigence de (centaines de) milliers de lecteurs assidus, il serait impensable de ne pas publier sous moins de 24h le compte rendu détaillé des périples de Kousk Eol et de ses équipages successifs. Ayant la flemme – pardon – ayant pris le temps de réflexion bien mérité de douze jours avant d’aligner nos premières impressions du temps passé à bord, j’espère que vous aurez apprécié ce débriefing vu par un novice de la voile. Il faut dire qu’à bord la motivation pour la retranscription tant iconographique que narrative des événements issus de nos péripéties est à peu près égale à celle démontrée pour faire la vaisselle un jour de grande gîte.

Mais je m’égare. Nous voilà donc arrivés à Gibraltar, ou plutôt à la marina de La Linea, ville espagnole frontalière avec l’enclave britannique qui a le mérite de ne pas vous voler pour accoster. Marina quasi neuve offrant tous les services appropriés sauf l’ambiance (à ce niveau-là, Horta était catégoriquement la plus agréable, vivement recommandée, et sans ironie). Nous aurons même l’honneur de profiter de la « fête du camping-car » qui se déroule le week-end de notre passage sur le parking jouxtant la marina. Les visites au rocher voisin se feront par des chaleurs écrasantes, heureusement arrosées à l’anglaise par la suite. Il faut dire que c’est un phénomène assez particulier que ce rocher : les Anglais se sont construits un aéroport dont il faut traverser la piste (à pied ou à moteur) pour entrer chez eux. Il faut donc attendre les intermèdes entre atterrissages et décollages pour le faire… mais avouez que ce n’est pas commun de se retrouver au milieu d’une piste d’aéroport. Bref, une fois de l’autre côté vous aurez la bonne surprise de vous rendre compte rapidement qu’en tant que fier européen vous serez volé deux fois : la première en étant obligé soit de changer auprès des commerçants vos euros en livres (au taux “préférentiel” de deux euros pour une livre…) soit d’aller retirer des livres au guichet pour un taux peu amical également ; et la deuxième en vous rendant compte que toute livre non dépensée ne vous sera plus jamais d’aucune utilité, puisqu’elle est unique à Gibraltar et ne pourra pas être utilisée en dehors du micro-territoire, pas même en Grande-Bretagne. Une fois cela accepté, la visite du rocher peut se dérouler tranquillement, très tranquillement car les horaires des commerces eux sont encore mieux qu’à l’espagnole : vu sur place, « ouverture : 10 :45 à 14 :00 ». En dehors de ce laps de temps vous pourrez revenir en hiver histoire d’avoir un peu plus de chances de rapporter chez vous vos produits détaxés.

La fine équipe, sur la piste de l’aérodrome qu’il faut traverser pour aller à Gibraltar.

Jolies balades donc sous un cagnard plombant, rencontre avec autant de macaques en haut que de commerçants ouverts en bas, puis retour à la marina en passant avant par la case restaurant. Rien de plus. Ah si, découverte d’un environnement dominé par le pétrole, le gaz et les navires marchands offrant un ballet en mer sur fond de raffinerie et chantiers navals. Autant vous dire qu’on n’y va pas pour la vue. Anecdote au départ : lors du règlement des frais de marina côté espagnol, la capitainerie vérifie les documents du bateau et s’exclame : « Vous étiez déjà venus il y a quatre ans, n’est-ce pas ? » ; “Oui” répond André, « à l’aller ». « Très bien, vous étiez partis sans payer, nous allons pouvoir corriger cette erreur ». Les bons comptes faisant les bons amis, le tour du monde peut se rapprocher de sa fin en se disant fier de ne laisser aucune ardoise nulle part mais une multitude d’amitiés nouvelles !

Vue depuis le haut du Rocher.
Et un des habitants du lieu.

Singe se lamentant sur le manque d’ombre…

Transatlantiquement vôtre,

Antoine

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1- Petite précision du Glaude concernant l’impertinence du jeune Tonio : l’avion est trois fois moins cher et quatre fois plus court vers Malaga (à côté de Benalmadena) qu’à Gibraltar… Sinon, l’enthousiasme pour la marina est complètement partagé : mauvais goût et beauferie sont au rendez-vous.