Jeudi 13 juin
La nuit est courte : Marta et Pierre nous quittent à six heures pour rentrer sur Antibes, boulot oblige… On va donc se retrouver entre trois mecs plus trop frais pour rentrer sur Toulon : Jacques, Bernard et Claude.
Nous profitons du gasoil hors-taxe de Gibraltar avant de partir. Et c’est vers dix heures trente que nous prenons la direction de Toulon, à un peu plus de 700 milles : cinq jours si tout va bien.
La météo n’est pas très encourageante pour le début, avec un léger vent de face : c’est donc au moteur que nous sortons du Détroit. En fait, nous ferons une journée complète de moteur. Ensuite, la météo nous promet un peu de vent favorable.
En attendant, nous profitons du spectacle des dauphins qui nous font plusieurs visites. Ce n’est pas la première fois que nous admirons ces animaux, mais nous ne nous lassons jamais de leurs jeux autour du bateau.
Samedi 15
Promesses de vent non tenues : la météo aurait elle été influencée par nos brillants politiciens ? Nous chargeons les GRIBs de quatre modèles de prédiction différents : GFS, Arôme, Arpège et Arpège EU. Aucun impact sur la météo : le calme s’installe… Nous continuons au moteur toute la journée, puis la nuit, de vendredi.
Enfin, vers sept heures, le vent tant attendu semble se décider : le génois est vite déroulé et Perkins envoyé faire la sieste. C’est au grand largue que nous remontons les côtes d’Espagne, entre cinq et six nœuds.
Vous vous en doutiez, non ? Le vent retombe, donc re-moteur. Puis sur le coup des 12h30, le vent revient : arrêt moteur voiles déployées, juste au moment, ça tombe bien, de manger le succulent repas préparé par Bernard : coquillettes et restes de rôti de porc d’hier, agrémentés de champignons et de crème fraîches… Vous aussi, vous salivez ? Mais là, au moment de servir, des coups sourds se font entendre sous la coque, au niveau de la quille. On a dû accrocher un OFNI1. Pas grave, on va mettre le bateau bout au vent pour l’arrêter, et l’intrus se décrochera tout seul. Ça, c’est la théorie. La réalité est très légèrement différente : il faut plonger pour aller dégager de l’hélice un bout attaché à une bouée de filet de pêche qui était partie à la dérive. C’est elle qui tapait sur la coque. Le bout s’est évidemment pris autour de l’hélice, et il faudra les efforts de Bernard et Claude pour le dégager et pouvoir ainsi utiliser à nouveau le moteur. Bref, presqu’une heure et demie de retard pour le déjeuner…
Heureusement qu’on a pu dégager l’hélice : faute de vent, nous brûlons du gasoil jusqu’au lendemain matin.
Porte manivelle de winch de merde
Cette rubrique se veut un coup de gueule contre les merdes (vous me connaissez : je pèse mes mots) vendues souvent à prix d’or, avec l’assurance pour l’acheteur d’avoir choisi ce qui se fait le mieux sur le marché. Rien n’est trop beau pour les plaisanciers réputés plein aux as.
Aujourd’hui, l’objet de l’ire du captain sera un étui porte manivelle de winch. Le cockpit de Kousk Eol est équipé de deux de ces réceptacles, bien pratiques pour mettre les manivelles à l’abri une fois les écoutes bien étarquées.
Un équipier un peu sanglier, lourd et maladroit, avait confondu un de ces étuis avec une marche pour sortir du cockpit. Et avait arraché ledit étui qui jusque là remplissait à merveille son rôle de récipient à manivelle, le rendant ainsi inutilisable.
Qu’à cela ne tienne : visite chez le shipchandler le plus proche, où trône sur un présentoir un magnifique étui, bicolore s’il vous plaît : nous n’en demandions pas tant, mais c’est le seul modèle disponible. Il doit être vachement bien, vu le montant de la facture. Pas une minute n’est perdue pour l’installer.
Et, comment dire ? Je vous laisse juger sur photo de l’état de ce porte manivelle moins de quarante-huit heures après son installation… Et comme nous étions partis, impossible d’aller demander des comptes au vendeur pour oser proposer des merdes pareilles… Cheapchandler, oui !
Dimanche 16
Ah, ça va mieux après cette minute de défoulement !
Donc disais-je, moteur toute la nuit. Vers dix heures, au large d’Ibiza, le vent promis par la météo pointe enfin son nez : il nous oblige à faire du près, mais tout est mieux que le moteur ! Et il devrait adonner au nord de l’île. Depuis le temps que nous attendions de pouvoir utiliser les voiles, nous n’allons pas faire les difficiles ! Surtout que nous avançons entre six et sept nœuds.
Mais évidemment ça ne dure pas, et Volvo s’y recolle dans l’après-midi. Décidément, cette dernière traversée n’aura pas beaucoup mis à l’épreuve notre maîtrise vélique. Nous vidons même les trois jerrycans de vingt litres dans le réservoir principal : ça risque d’être juste si nous n’avançons pas un peu à la voile.
Lundi 17
10h : les dernières estimations donnent un ETA2 pour demain mardi en début de soirée. Pour l’instant nous sommes toujours au moteur. Côté fun, on repassera ! La surface de la mer est un vrai miroir, et une petite brume s’est installée sur 360º : plutôt un signe de marée barométrique… Le moral d’acier de l’équipage commence à exhiber des traces d’oxydation. On entend même quelques suppliques : « Allez, Poséidon, sois sympa ! » « Oh, Éole3, tu fais quoi, là ? » « Neptune, tu le sais qu’on t’aime ! »…
Et voici que juste après les tripoux de Laguiole, un vent de sud-est d’une douzaine de nœuds s’établit : d’après les GRIBs il devrait nous pousser par vent de travers jusqu’à Toulon. On va y croire ! Pour l’instant Kousk Eol file à six nœuds sur une mer plate.
Puis le vent monte, les copains, autour de vingt nœuds: les alertes et appels à l’aide sur le canal 16 de la VHF augmentent. C’est d’abord un bateau de pêcheurs avec trois personnes à bord qui disparaît dans les eaux espagnoles (et qui est retrouvé plus tard), puis un coup de vent en Corse où la SNSM ne doit pas chômer.
Nous profitons d’une mer relativement clémente pour accumuler les milles. Bien sûr, vous nous connaissez, ça ne va pas durer : le vent continue à monter, dépassant souvent les trente nœuds, cette fois avec la mer. Bientôt, Kousk Eol est sous deux ris et une demi trinquette au près : notre vitesse est ralentie à chaque passage d’une grosse vague, et elles sont nombreuses !
Et ce sera notre lot jusqu’aux Embiez. Pourquoi les Embiez ? Tout simplement parce que le vent refuse régulièrement, nous obligeant à tirer plus à l’ouest, à un près le plus serré possible.
A 20 h, nous sommes légèrement à l’ouest des iles des Embiez : la proximité de la côte fait que la mer s’est bien assagie, et nous la longeons au plus près au moteur jusqu’au Cap Sicié, le Cap Horn local. Ensuite, c’est l’arrivée dans le port de Toulon, puis l’amarrage à notre place dans la Vieille Darse le 18 juin, où Maryse nous attend avec une frontale : minuit, Kousk Eol est à quai ! Fin de notre périple de pratiquement 4000 milles depuis Pointe à Pitre, et fin d’une belle aventure.
C’est tout : vous pouvez enfin vaquer à des activités plus profitables à la Nation, qui en a bien besoin en ce moment !
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1 Objet Flottant Non Identifié.
2 Estimated Time of Arrival.
3 Rien à voir avec le Eol de Kousk Eol, bien entendu.