Et encore une autre compilation de bouts de vidéo, cette fois pris dans les canaux…
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Petit précis de navigation spécifique aux canaux de Patagonie
Cet article est complémentaire du précédent article abordant le sujet de la navigation sur Kousk Eol dans un contexte plus général (« Spécial MCV »).
Cet article se veut une modeste expression de la minuscule expérience que nous avons pu accumuler lors de notre périple de 1400 milles dans les canaux de Patagonie.
Le contenu de l’article qui suit, forcément incomplet, mais en toute modestie d’un intérêt incontestable et d’un potentiel d’enrichissement culturel indéniable, doublé d’une haute tenue à laquelle ce blog vous a continuellement habitué, risque néanmoins de provoquer des bâillements irrésistibles chez les lecteurs moins attirés par les aspects plus techniques liés à la navigation. La rédaction, consciente de ce fait, s’engage solennellement à publier dans un proche futur un article à portée plus générale. Pour l’instant, si vous estimez faire partie de cette catégorie, on vous demande simplement de la fermer, et d’éventuellement sauter cet article sans faire de bruit pour ne pas déranger d’autres lecteurs moins rebutés.
Rappel géographique
La Patagonie, partagée entre le Sud de l’Argentine et le Sud du Chili, est un assemblage plutôt hétéroclite de montagnes, de lacs, d’îles et de canaux de tailles diverses, comme si l’architecte en chef avait un peu bâclé la construction du monde vers le bout et sur les bords.
Les îles ont en général des côtes abruptes, granitiques, et des sommets plus ou moins hauts et souvent très élancés et enneigés, jusqu’à 2400m pour les plus hauts de la Terre de Feu, et au delà pour la partie continentale. Les canaux, eux sont de largeur variable, allant de 2 à 3 milles de large, jusqu’à seulement 100 ou 200 mètres, avec des profondeurs pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres.
Pour ceux qui ont eu la chance de faire du tourisme dans les fjords norvégiens, c’est presque pareil sauf que c’est très très différent: on passe ici dans une autre dimension. Sans oublier que, dans une tentative louable de faciliter les communications, les Patagons, eux, parlent Espagnol… Sur Kousk Eol, nous avons admis que cela devait certainement être d’une aide appréciable pour ceux qui lisent Cervantès dans le texte. Comme ce n’est le cas ni du DD ni du Glaude, on a Nico et Sarah (qui ont vécu au Chili) à bord, car ni le Français ni l’Anglais ne sont d’une quelconque utilité ici…
Notre périple en Patagonie/Terre de Feu part du Détroit de Le Maire, et de l’embouchure du Canal de Beagle pour remonter vers Punta Arenas, et de là rejoindre Puerto Montt et Chiloe via le Canal de Magellan puis les canaux remontant vers le Nord.
Rappel météorologique
La météo du Sud de l’Amérique du Sud est largement conditionnée par la latitude et l’activité (diamètre et gradient de pression) des anticyclones du Pacifique Sud et de l’Atlantique Sud: ce sont eux qui forcent le train continu de dépressions navigant d’Ouest en Est à rester au Sud. Plus ces anticyclones sont au Sud (en été) et plus ils sont « actifs », et par conséquence moins le chenal disponible pour les dépressions est large, moins les dépressions ont de place, et plus les flux d’air sont violents (Merci M. Venturi!).
Les anticyclones étant plus actifs en été, descendant très au Sud, les coups de vents sont plus nombreux et plus violents à cette époque (et plus cléments en hiver): je ne vous ferai pas l’affront de vous rappeler que ça rugit à partir des 40°S pour hurler en-dessous…
Et donc, l’évolution est assez prévisible: d’abord du vent de NW en avant de la dépression, passant à l’Ouest pour finir SW avec son front froid (voir glacial), remontant de l’Antartique. N’oubliez pas qu’à cause de M. Coriolis, les dépressions s’enroulent dans le sens des aiguilles d’une montre ici, comme les anticyclones cheu nous.
D’ailleurs, entre parenthèses, ça n’a rien à voir, mais même la lune s’en mêle (ou s’emmêle?) dans le coin: le truc du premier ou dernier quartier qu’on apprend quand on est gamin, ben ça marche pas ici! Tout à l’envers que je vous dit!
Pour simplifier encore plus, les Patagons ont décidé de ne mettre en place que deux saisons: l’été, où les vents sont violents et où on se les gèle grave, et l’hiver, où les vents sont seulement forts et où on se les gèle encore plus grave.
Le Golfo de Penas semble être une sorte de barrière climatique, si on peut en juger par le nombre de couches de vêtements nécessaires au Sud et au Nord de cette zone.
Aperçu des moyens/ressources disponibles pour la navigation proprement dite
Heureusement pour lui, le marin moderne du 21e siècle dispose d’une vaste panoplie d’aides à la navigation:
- Les systèmes électroniques d’aide à la navigation
La base en est le GPS, sur lequel s’appuient les divers outils logiciels de navigation.Un des plus répandus et des moins agressifs pour la bourse (au singulier) du navigateur est OpenCPN, remarquable logiciel dit « libre » qui tourne sur un bête PC de base et se branche facilement sur le GPS du bord. OpenCPN est utilisé par une très grande majorité de navigateurs avec les cartes électroniques CM93. L’origine de ces dernières est très mystérieuse. On les trouve souvent sur les pontons bien entretenus, une fois tombées par dessus bord de voiliers compréhensifs1. C’est la solution certainement la moins coûteuse.
Navionics (pub gratuite) offre une alternative payante quoique peu onéreuse pour les versions tournant sur les tablettes type iPad ou Android: le gros avantage est à la fois de bénéficier de mises à jour régulières et d’avoir un système autonome (les tablettes intégrant en général un GPS).Il existe une troisième alternative, pour ceux que les dépenses inutiles ne rebutent pas, qui est de s’équiper d’un système spécialisé et spécifique. Nous éviterons de parler de cette catégorie: les vendeurs et les équipes marketing des fabricants sauront mieux que nous vous convaincre de l’utilité d’une vision 3D en réalité augmentée et du contrôle du pilote avec un joystick bien au chaud dans le carré…Et bien sûr, aucun navigateur ayant un minimum d’expérience ou de bon sens ne partira sans un jeu de cartes papier de la région visitée, avec un compas de relèvement!
Nous avons avec nous l’ensemble des cartes du Servicio Hidrográfico de la Armada de Chile.Nous avons même à bord un sextant, qui est resté bien au chaud dans la boite pour l’instant…
1 Il est à noter que certains pays mettent à disposition gratuitement leurs cartes marines en version électronique. C’est en particulier le cas des USA et du Brésil.
- Les moyens de communication
Actuellement, le système le plus répandu auprès des voileux s’appuie sur la constellation de satellites Iridium. Le système de base est un téléphone portable Iridium: un seul fabricant, Motorola, et le manque de concurrence se fait sentir aussi bien côté portefeuille que côté fonctionnalités/ergonomie. On peut envoyer et recevoir des SMS comme on le faisait à l’aube du GSM, et on peut connecter ce téléphone à un PC pour l’utiliser comme modem d’accès à Internet, à la vitesse moyenne faramineuse d’environ 1000 bits par seconde (une connexion de base avec une « box » Internet dépasse allègrement le milliard de bits par seconde pour un coût désespérément plus bas). Bon, j’arrête de râler: ça permet tout de même de rester en contact avec le reste du monde, et surtout ça permet de récupérer les fameux fichiers « grib » pour les prévisions météo.
L’alternative pour le navigateur est le système Inmarsat utilisé par la marine marchande dans tous les pays du monde. La version « de base » est le Mini-C, équivalent de l’Iridium en coût et fonctionnalités.
Bémol pour notre type de programme: Inmarsat s’appuie sur 4 satellites géostationnaires positionnés en gros au-dessus de l’équateur, et donc bas sur l’horizon aux latitudes un peu extrêmes. Quand en plus votre voilier se trouve dans un canal entre deux hautes falaises, le satellite a de grandes chances de ne pas être visible…
Une fois dans les canaux, un moyen à ne surtout pas négliger (comme ailleurs) est la VHF: l’Armada chilienne a des postes de surveillance en divers endroits, pas toujours à portée de VHF, et en veille permanente sur le canal 16. Ils se font un plaisir de vous communiquer sur demande les informations météo, quand ils ne le font pas régulièrement à heure fixe. Évidemment, une certaine pratique de l’Espagnol n’est pas forcément superflue…
Et compagnon de la VHF, l’AIS qui permet de se préparer lors de rencontre avec les rares cargos prenant les raccourcis pour passer d’un océan à l’autre.
Je ne parle même pas de la BLU, qui est une technologie qui date un peu. La BLU permet de communiquer avec les radio-amateurs de par le vaste monde, et aussi de recevoir des faxes météo, mais l’installation est loin d’être simple pour un non-spécialiste. Les développement en communication ne s’appuient plus sur la BLU.
Le Navtex est aussi une bonne solution pour récupérer les infos météo: nous n’en avions pas à bord, le temps ayant manqué pour l’installation. - Le moteur
Quand on a un voilier, on marche à la voile. C’est sûr! Mais quand on est dans les canaux de Patagonie, il faut pouvoir naviguer en toute circonstance, aussi bien lorsqu’il y a du vent que lorsqu’il n’y en a pas, et que le courant est contraire… Et les distances peuvent être grandes entre points de ravitaillement: non seulement il faut un bon moteur, mais il faut suffisamment de carburant. C’est pourquoi les voiliers dans le coin arborent des bidons peu esthétiques arrimés dans les filières ou les balcons.Notre réservoir fait environ 180l, et nous avons l’équivalent en bidons, ce qui nous assure environ 100-120h heures d’autonomie, à raison de 3 l/h de consommation, pour une vitesse proche de 6 nds. Ce n’est pas énorme, mais nous n’avons jamais été coincés. En partie parce que nous naviguions à la voile dès que les conditions le permettaient.
Un soucis constant vient des laminaires et du goémon: leurs tiges peuvent atteindre plusieurs mètres et s’enroule régulièrement autour du safran et de l’hélice, surtout lors des approches pour les mouillages. En général une ou deux marches arrière, en accélérant pendant 2 ou 3 secondes, permettent de nettoyer les deux.
Nous avons aussi vu la prise d’eau de mer du moteur bouchée par des algues: le bruit du moteur change brutalement (échappement plus sourd) et la pompe n’éjecte plus d’eau. Nous avons réglé le problème en adaptant un bout de tuyau dans l’arrivée du filtre à eau de mer, en défaisant le couvercle de ce dernier et en enfilant le tuyau dans l’arrivée d’eau. En général, il suffit de souffler un bon coup et le problème disparaît.Nous avons pu refaire le plein de gas-oil à Puerto Eden, en négociant avec un pêcheur: il n’y a pas de pompes dans ces coins reculés… Le tarif est évidemment plus élevé qu’à Puerto Williams ou Punta Arenas, d’environ 40%. Il faut faire un peu attention aux saletés: le gas-oil est de bonne qualité, mais gardé dans des bidons pas toujours très propres, avec de l’eau et des dépôts. En général, une bonne décantation et un filtrage suffisent. - L’énergie
Comme vous le savez déjà, Kousk Eol est équipé de panneaux solaires et d’une éolienne, capables de délivrer chacun jusqu’à 20A de courant de charge.
L’expérience que nous avons accumulée jusqu’à ce jour nous conforte dans le fait que nous avons fait un bon choix: quand les panneaux se mettent en grève (ça arrive souvent en Patagonie), l’éolienne prend le relais. Le vent n’est pas une ressource rare dans le coin! Et depuis notre départ, nous n’avons eu à utiliser l’alternateur du moteur que de très rares heures, avec deux PCs et une tablette connectés en permanence, et une chasse au gaspi très « light ». Et nous avons un moniteur de batteries BM-1 de chez Nasa (re-pub gratuite!): essentiel pour suivre sa consommation et l’état de ses batteries en temps réel, et éviter toute surprise. - Le gaz
On nous avait prédit des problèmes en partant avec les bouteilles Camping Gaz. En fait, nous avons toujours pu les faire recharger et n’avons jamais eu à nous restreindre.
Nous avons 5 bouteilles de 3Kg à bord. - Le sondeur
Incontournable! Essentiel pour les approches des mouillages. Nous en avons même un 2e à bord qui « voit » devant le bateau.Notre sondeur principal, d’origine, a montré des faiblesses, apparemment quand les eaux étaient au plus froid, affichant « Lost echo » même par moins de 20m de fond!
Et pas question de voir les fonds: les eaux dans les fjords sont très sombres et opaques.
Petit phénomène intéressant: avec les courants dans les canaux, à différentes profondeurs, entre eau douce très froide et eau salée un peu moins froide, il se crée des couches de densités différentes engendrant des réflexion perturbant le bon fonctionnement du sondeur, qui peut arriver à indiquer moins de 10m dans des zones de plusieurs 100e de mètres de profondeur… Surprenant la première fois! - Les voiles
Il les faut solides, bien sûr. Et il faut s’assurer qu’on peut les réduire ou les affaler rapidement en toute circonstances!
On a quand même réussi à utiliser notre Code D sur les canaux: monté sur emmagasineur, il se roule facilement et rapidement.Nos voiles viennent de chez Delta Voile à Hyères (encore une pub gratuite!) où Jacques di Russo a été de très bon conseil. - Le radar
Bien que nous ne nous en soyons servi que très peu de fois, il est rassurant de savoir qu’on a un « œil » qui voit par brouillard (ou par nuit noire, mais en général on ne navigue pas de nuit dans les canaux secondaires). Voire par brouillard et nuit noire, comme nous l’avons fait en traversant le Golfo Corcovado: nous n’avons jamais vu les feux sur la côte ou les îles, ni les bateaux même passant à moins de 1/2 mille! - Les compléments des cartes: les guides de navigation/mouillages
Pour la Patagonie, il n’y en a pas pléthore… Le plus connu et de loin le plus complet et documenté est le guide « Patagonia & Tierra de Fuego », de Mariolina et Giorgio Ardrizzi. C’est la bible du coin. Elle est décriée par certains navigateurs comme tuant l’esprit d’aventure.Les plus critiques à son égard semblent être les charters, qui passent plusieurs mois par an sur place et connaissent parfaitement le coin: c’est vrai que quand ils emmènent des clients dans ces coins magnifiques pour quelques jours, depuis Puerto Williams ou Ushuaïa, ça fait plus « aventure » qu’un voilier ayant mis plusieurs mois pour venir par exemple depuis la France mais équipé du fameux guide pour décider du meilleur mouillage…
Comme déjà dit plus avant, les mêmes discussions stériles existent en montagne: dans certaines régions, en Himalaya en particulier (mais pas seulement), point de salut hors expédition commerciale « tout compris » qui donnent l’impression de vouloir être les seules à gérer l’ Aventure. Va-t’on définir un « degré d’aventure » selon que celui qui est arrivé en haut de l’Everest l’aura fait tout seul sans oxygène, ou avec un sherpa lui portant son barda et ses bonbonnes? C’est une question d’éthique personnelle. Il faut un sacré souffle dans les deux cas!Ceci dit, ces « aventures » commerciales posent une autre question, que ce soit sur mer ou en montagne, deux domaines où existe (existait?) une vraie tradition de solidarité. L’argent modifie les comportements: « J’ai payé pour un but: vous devez me le faire atteindre. Peu importent les conditions, voire les autres… ». Mais ça, c’est un autre débat. Lisez le bouquin de Jon Krakauer: « Into thin air ». Il est édifiant.Un très petit nombre de voiliers passe le Cap Horn chaque année. Parmi eux, une majorité de charters basés sur place, et un encore plus petit nombre de voiliers ayant fait LE grand voyage.
Un grand nombre de personnes passe ce même cap mythique sur de gros bateaux de croisière. Y a-t-il pour autant de vrais ou de faux cap-horniers? Tous auront pourtant le sentiment d’avoir accompli quelque chose d’inoubliable. Même si certains prendront plus de risque que d’autres pour pouvoir pisser au vent…Doit-on aussi se passer de cartes marines, de radio, de météo pour faire encore plus « aventure »?
Et quand on voit des émissions comme « Ushuaïa » ou « Koh Lanta » parler d’aventure, ne peut-on pas prendre un peu de recul?Certains « aventuriers » ne seraient-ils pas plutôt frustrés de moins pouvoir parler d’exploit?
Louis Lachenal, un mec bien, a dit après l’expédition à l’Anapurna où il a gravi le premier 8000m: « La gloire ne devrait jamais être qu’une affaire privée. ».
Guide ou pas guide, en deux mois et 1400 milles dans ces fameux canaux, tous plus étonnants les uns que les autres, nous n’avons rencontré que deux ou trois autres voiliers en dehors des escales comme Puerto Williams ou Punta Arenas…
Et un nombre un peu plus grand de pêcheurs qui naviguent dans le coin depuis bien avant la parution du guide soit-disant maudit!Et pour essayer de remettre certaines pendules à l’heure, est-on entrain de vouloir se comparer à Magellan? A Slocum? A Indiana Jones?Le vrai accomplissement n’est il pas d’arriver à vivre une partie de ses rêves comme on le désire? Comme on le peut? Beaucoup ne passeront le Cap Horn qu’en lisant le récit des autres: et alors?D’ailleurs, une rumeur persistante voudrait qu’il y ait même des frangins qui raconteraient leurs pseudo-exploits dans un blog, soit disant qu’ils seraient partis autour du monde, en passant par le bout de celui-ci, sur un voilier, et tout, et tout… A vérifier! Certainement encore des fanfarons!Vous y croyez, vous?
Ça y est: je m’énerve et je débloque… Non mais qui suis-je à jouer les intellos de salon de thé, à prétendre poser LES questions absolument essentielles et fondamentales, dont tout le monde sait, depuis la parution de l’incontournable « Hitch-hiker’s guide to the galaxy », que la réponse est 42? Alors que je n’arbore même pas de chemise blanche négligemment déboutonnée sur mon poitrail certes avantageux? Je vous le demande: mais où va-t-on!
D’autant que ce n’est vraiment pas le sujet de cet article…
- Le chauffage
Investissement essentiel! Le soir dans le carré, sans lui, il n’y a que l’ambiance qui puisse éventuellement être chaude, et pas très longtemps! C’est le seul recours pour espérer faire sécher (un peu) son ciré avant d’avoir à le renfiler le lendemain matin à la fraîche!
Application à la navigation dans les canaux de PatagonieNotre très petite expérience étant limitée à la navigation en été (en fin d’été en fait), cet exposé sur la navigations dans les canaux de Patagonie n’abordera que les aspects liés à cette saison.
Notre minuscule expérience se limite aussi aux canaux menant de Puerto Williams à Punta Arenas, autour de la Terre de Feu, puis de là vers Puerto Montt, avec quelques escapades latérales.
Cela se limitera à seulement environ 1400 milles dans ces canaux…
Les cartes
Premier constat: il y a deux classes de canaux.
- Ceux qui servent à la marine marchande, qui sont bien balisés et relativement bien décrits sur les cartes, du moins pour les parties à plus gros trafic. C’est le cas en particulier pour le Canal de Magellan, le Canal de Beagle, les environs de Chiloe, et les canaux de liaison (comme Smyth, Wide, …).
- Et les autres: les informations sont alors en général très limitées, voire approximatives. Pas ou peu d’information sur les profondeurs, forme des côtes ne reflétant la réalité que de très loin, et surtout calages GPS surprenants: il nous est arrivé de nombreuses fois de voir notre trace sur la partie terrestre des cartes! De jour, on corrige sans trop de mal: le faire par une nuit noire serait un peu suicidaire! Le passage à WGS-84 ne semble pas avoir été fait pour ces zones moins fréquentées…
Les cartes papier (chiliennes) et Navionics sont les moins pires, les CM93 étant souvent hors-jeu: dans tout les cas, une vigilance sans défaillance est nécessaire! Surtout lors de remontée de petits fjords pour chercher un mouillage: l’approche se fait à vue, et au sondeur.
Et rappelez-vous: on est dans la zone B pour ce qui est du marquage latéral. Donc vert à bâbord et rouge à tribord en venant de la mer, et dans les canaux, au Chili, dans les sens Sud vers Nord (Nord vers Sud en Argentine) et Ouest vers Est (sauf dans Magellan et Cockburn).
Mais les formes sont les mêmes que dans la zone A: cylindre à bâbord et cône à tribord.
Le vent et les marées
Que ce soit côté Atlantique ou côté Pacifique, on subit un régime de marées dites « semi-diurnes à inégalité diurne »: les amplitudes ne sont pas très fortes (moins de 2m en général, sauf en remontant vers Puerto Montt où elles peuvent atteindre 7m), mais varient au cours de la journée.
Rien à voir avec ce qu’on rencontre en Bretagne, où la navigation côtière est plus compliquée!
Les marées induisent évidemment un courant dans les canaux, plus ou moins fort selon la largeur et l’orientation.
Ce courant est fortement lié aussi à la force et la direction du vent. Dans les canaux orientés N-S, bien souvent le courant va vers le Sud à cause des vents dominants de secteur N, quelle que soit l’heure de la marée. Et donc, pour nous qui remontons vers le Nord, c’est avoir à la fois le courant et le vent dans le nez…
Lorsque le vent est fort, et s’oppose au courant, le plus sage est de rester au mouillage: une mer dure se forme très vite, avec des vagues courtes mais très « raides », souvent de plus de 2m (voire beaucoup plus), cassantes pour le bateau aussi bien que l’équipage.
Et il vaut souvent mieux franchir un passage avec le vent et le courant dans le nez, qu’avec le courant mais le vent dans le nez (ou l’inverse)… L’idéal, rarement disponible, étant bien sûr d’aller avec le courant et le vent.
Les vents dominants viennent de l’Ouest, en général NW ou SW. Et le vent s’oriente dans la direction des canaux avec plus ou moins d’accélération en fonction de la largeur, de la forme du canal. C’est pourquoi nous avons eu souvent le vent dans le nez en remontant vers Puerto Montt.
Les vents de secteur Est sont très rares, mais le vent de SE est redouté car violent.
Lors du passage de dépressions, c’est à dire souvent, lorsque le relief est élevé (c’est à dire souvent aussi), le vent peut passer brutalement de 25-30 nds à 50 nds pendant une courte période, couchant littéralement le bateau: ce sont les fameux williwaws, rafales de vent catabatique lié à la topologie (altitude et température, souvent avec inversion).
Les williwaws sont particulièrement à craindre aux mouillages. Et ils arrivent sans prévenir…
Les glaçons
Dans certains passages, on rencontre les growlers de funeste réputation… Ce sont les blocs de glace qui se sont détachés des différents glaciers qui arrivent jusqu’à l’eau au fond de certains fjords. Ils se baladent au gré des marées et des vents: un passage sans growlers un jour peut en être couvert le jour suivant…
Beaucoup sont très petits et représentent peu de risque pour une coque, même en plastique. Mais certains sont beaucoup plus massifs, avec des bords très agressifs, prêts à refaire le coup du Titanic aux voiliers trop confiants…
Les navigations de nuit dans ces coins sont plutôt risquées, et de jour, il est impératif d’y aller doucement, avec une vigie à l’avant!
Les mouillages
L’excellent et controversé guide des mouillages de Giorgio liste un grand nombre de ceux-ci. Pour les « vrais » aventuriers, rassurez-vous: le guide et loin d’être exhaustif, et un grand nombre reste à découvrir. Mais hors de question de rouvrir le débat!
Dans les canaux de Patagonie, deux critères principaux guident le choix d’un mouillage: être abrité des vents dominants, et avoir un fond raisonnable pour les longueurs de chaîne disponibles sur les voiliers. On essaie de mouiller l’ancre entre 6 et 15 m en général, ce qui permet normalement une bonne accroche avec une chaîne de 50-60m (sans câblot), en mouillant 4 à 5 fois la hauteur d’eau en longueur de chaîne, pourvu que la nature du fond soit adéquate.
Les mouillages se font la plupart du temps dans des caletas, petites (voire très petites) criques ou calanques, souvent au fond d’un fjord, lui-même petit ou grand. Ces caletas sont généralement à l’embouchure d’un cours d’eau, tari ou non, mais qui assure un fond plus ou moins vaseux, garantie d’une bonne accroche pour l’ancre.
Pour assurer une bonne protection contre les vents dominants, les caletas ou les fjords dans lesquels elles se trouvent seront orientés vers le Sud-Est, les vents de ce secteur étant rares (mais violents!). Il existe de nombreuses caletas globalement orientées Ouest: elles répondent souvent au doux nom de « Caleta Inutil », qui veut bien dire ce qu’il veut dire…
Les caletas sont souvent très étroites, gage de bonne protection contre les vents, mais interdisant de tourner autour de l’ancre: des lignes à terre sont impératives dans la majorité des cas, au moins 2 lignes à l’arrière, de quelques dizaine de mètres, mais parfois jusqu’à 4 lignes en ajoutant 2 lignes à l’avant. La végétation fait qu’on trouve toujours un tronc pour amarrer les lignes, parfois sans descendre de l’annexe.
La technique que nous utilisions fréquemment était de mettre l’annexe à l’eau avant de mouiller l’ancre, et d’avancer vers la terre avec une première amarre se dévidant du sac à amarre pendant la manœuvre de mouillage de l’ancre en marche arrière. L’avantage étant de sécuriser le bateau très vite: un williwaw ne prévient pas avant de vous tomber dessus!
Nous avions une amarre de 100m et une de 60m, rangées dans des sacs accrochés au balcon AR pour les dévider rapidement, plus nos quatre amarres « standard » de quai, de 20m chacune: nous avons toujours pu nous amarrer sans problème.
Et évidemment, il faut une annexe prête à être utilisée! La notre était à poste sur le pont, à l’avant du bateau.
Et au moment de sortir l’ancre, il est bon d’avoir sous la main une machette pour couper les goémons (kelp) qui n’auront pas manqué de s’accrocher à la chaîne et à l’ancre!
Les communications
Comme dit plus haut, certains canaux ou fjords sont très étroits, avec des falaises assez hautes. Du coup, pour peu que le temps soit bouché, ce qui est loin d’être rare, des « ratés » sont à attendre avec l’Iridium, mais aussi avec le GPS à de plus rares occasions.
Pour l’Iridium, il faut vérifier que la réception est bonne et limiter la taille des gribs avant de lancer la connexion: il nous est arrivé plusieurs fois de nous y reprendre à 2 ou 3 fois avant d’arriver au bout du téléchargement, la connexion se perdant. Et Iridium ne fait pas de cadeau quant aux unités consommées pour rien…
Sinon, l’Iridium peut être utilisé comme un téléphone GSM (en nettement moins bien): les SMS sont bien pratiques, soit pour communiquer avec les proches (donner sa position), soit pour recevoir un bulletin météo lorsque la connexion « données » est déficiente.
La VHF est utilisée très régulièrement: les canaux sont sous le contrôle de l’Armada Chilienne, qui a des postes de présence assez régulièrement répartis, au moins le long des canaux principaux. Il y a tout de même de nombreuses zones où la VHF est muette… L’Armada, ou les Alcamar (Alcadilla Maritima), demande que la position du bateau soit communiquée tous les jours sur le canal 16: ce suivi n’est pas très coûteux en temps ni en énergie, et permet d’être bien accueilli par les autorités. Certains postes diffusent à heure fixe un bulletin météo (souvent lu à toute vitesse!), mais acceptent de bon cœur de le répéter.
Le GSM ne fonctionne qu’en de rares endroits: Puerto Williams, Ushuaïa, Puerto Eden, Caleta Tortel, …
L’Internet est accessible en général aux mêmes endroits, public et gratuit, mais la bande passante n’est jamais garantie…
Le froid et l’humidité
Il fait froid: on ne vous l’avait pas dit? Rappelez-vous, nous ne sommes pas sous les tropiques, mais largement en-dessous… Les vents du Nord sont froids. Mais les vents du Sud vous transpercent!
Et il pleut régulièrement, quand il ne neige pas. Eh oui, même en été, Madame. Et je ne parle même pas des glaçons qui flottent sur l’eau.
Du coup au bout de deux jours, tout est mouillé à l’intérieur: les cirés et autre vêtements ne sèchent pas. Et la buée condense sur tous les hublots, sous les matelas, etc. Bref: ça dégouline.
Nous avons un petit Webasto (de nouveau: pub gratuite!): il ne prend pas de place sous le coffre AR, consomme très peu (autour de 1/2l par heure) et augmente le confort à bord de façon appréciable! Et la consommation électrique due à la ventilation forcée est largement compensée par la bonne marche des panneaux et de l’éolienne.
La nourriture
Eh oui, il faut bien en parler!
Il est difficile de trouver du frais, légumes et fruits, même à Puerto Williams, et encore moins à Puerto Eden ou Caleta Tortel. Tout arrive par bateau, au mieux une fois par semaine, en petites quantités. Patates, œufs et oignons échappent un peu aux restrictions.
On consomme donc beaucoup de riz et de pâtes. Comme il ne fait pas très chaud, c’est bon d’avoir des soupes. Sinon, pour avoir notre ration de protéines, nous avons des œufs, des saucisses à cuire qu’on trouve assez facilement et qui se conservent bien.
On trouve en général du pain, assez compact mais tenant très bien dans le temps: rien à voir avec la baguette croustillante, mais passés au four ça passe très bien!
Il ne faut pas trop compter sur la pêche. Dans les canaux, les hameçons ramassent surtout du goémon… Et si les moules vous tentent (il y en a plein sur les rochers au bord de l’eau, énormes!), et bien retenez-vous: il y a de fortes chances qu’elles soient contaminées par la « marée rouge », micro-organismes dangereux pour l’homme…
Il vaut mieux, quand on le peut, négocier avec les pêcheurs des centollas ou des noix de pétoncles: ça améliore bien l’ordinaire.
Plus au Nord, il y a bien les fermes à saumons, mais apparemment des consignes ont été données pour ne pas vendre de poisson aux navigateurs de passage…
Côté eau, nous avons deux réservoirs de 250l, complétés par des bidons de 6 à 8l d’eau minérale utilisée uniquement pour boire: nous avions compté 1,5 l par jour et par personne, ce que nous n’avons jamais bu. Mais c’est important de se rincer les rognons! Avec un minimum de discipline, les 500 l d’eau durent facilement trois semaines, avec quatre personnes à bord. Evidemment, pas de douches tous les jours!
E le dessalinisateur n’a jamais été mis à contribution.
Navigation dans les canaux de Patagonie
Naviguer dans les canaux de Patagonie, c’est comme naviguer sur un lac de haute montagne. Mais un lac qui n’aurait pas de limite. Une haute montagne avec des arbres et des glaciers.
En arrivant de l’Est, ce qui surprend, ce sont les sommets, très escarpés et enneigés. Puis vers l’Ouest, en continuant le canal de Beagle, les sommets deviennent plus hauts, et les glaciers descendent plus bas.
Les sommets, même si leur hauteur semble modeste (à peine plus de 2000 mètres), ont tout des grands : pentes sommitales enneigées ou rocheuses raides, glaciers suspendus et séracs impressionnants, ambiance d’hivernales. Tout y est… Sauf qu’il y a plein d’arbres !
Par endroit, les glaciers viennent jusqu’aux canaux, lâchant même quelques glaçons. Paysages fabuleux : on ne peut rester indifférent ou jouer les blasés…
Cette proximité entre la mer et la montagne est unique : arriver en voilier au pied d’un glacier, vous y croyez, vous ?
D’ailleurs, il est hautement recommandé aux âmes sensibles d’arrêter de lire ce blog : les photos qui suivent sont susceptibles de déstabiliser certains de ceux qui pensent avoir tout vu, et qui dans leur imprévoyance ont oublié de faire ample provision de mouchoirs, l’IL de ces photos ayant été classé HC (hors catégorie). Pour une définition de l’Indice Lacrymométrique, se reporter aux articles précédents traitant de la faculté de certaines photos à faire pleurer ceux qui pensaient que rien ne pouvait être mieux que la télé (ou bien se référer au glossaire).
25 Février : nous quittons Puerto Williams et notre mouillage au Yate Club Micalvi. Passage devant Ushuaïa, à environ 25 milles à l’Ouest, au pied d’une impressionnante chaîne de montagnes.
Nous snoberons l’arrêt à Ushuaïa pour nous éviter les formalités administratives : Ushuaïa est en Argentine et requiert de faire toute la procédure d’entrée, que nous aurions à refaire à Puerto Williams pour revenir au Chili, soit deux jours de perdus en aller-retour.
Et pi quoi, c’est klââsse non, de passer devant Ushuaïa sans s’y arrêter ?
Nous préférerons le petit havre de Puerto Navarino, juste en face, où nous mouillerons sur ancre dans une petite crique, au pied de trois bâtisses.
26 Février : nous continuons le canal Beagle vers l’Ouest et arrivons en fin de journée à l’embranchement entre les bras Sud et Nord. Nous prenons le bras Nord du canal de Beagle, et mouillage dans la Caleta Olla : superbe mouillage à côté d’un glacier, sous des sommets élancés.
Première manœuvre d’amarres à terre pour empêcher le bateau de bouger. Pour nous apercevoir que l’une de nos amarres, donnée pour 80m, n’en fait que 60 en tirant bien dessus…
27 Février : départ de la Caleta Olla après une nuit tranquille, plein Ouest dans le passage Nord.
Nous passons au pied de glaciers aux belles couleurs bleu. Des growlers (morceau de glace) flottent tout autour ; il faut slalomer pour les éviter…
Les cartes électroniques n’offrent ici qu’une indication à prendre avec circonspection : le calage avec le GPS est douteux, et même la forme de la côte laisse à désirer… On navigue à vue, nez collé sur le sondeur.
L’Iridium ne nous donnant toujours pas d’accès Internet, c’est Michel qui s’y colle pour la météo, via SMS… Nous complétons par nos appels quotidiens aux alcamares, les points de contrôle de la Marine du Chili.
Nous arrivons en début d’après-midi à l’embouchure du Seno Pia (Fjord Pia), que nous remontons par son bras Ouest, de nouveau au milieu des growlers, pour arriver au bout de quelques milles au pied de deux magnifiques glaciers les pieds dans l’eau…
On vous dirait bien que c’est beau, mais ce serait largement en dessous de la réalité… Nous, on s’en est mis plein les yeux pour quelque temps.
Mais quand même, putain que c’est beau !
Le Cap Horn, c’était le Mythe. Les glaciers, c’est la Beauté. A tel point que plus beau ça risquerait d’être moins bien…
Vous la ressentez, la beauté immarcescible, là ?
Même les lagénorhynques de Peale viennent faire la fête autour de nous !
Et un nouvel oiseau à notre palmarès : le canard vapeur, aux ailles atrophiées lui interdisant le vol, et dont il se sert comme des pagaies. 10 nds en pointe tout de même, le bougre !
Canard vapeur et cormorans glacés
Et comme il faut que toute bonne chose ait une fin, nous redescendons pour rejoindre la Caleta Beaulieu, à l’entrée du bras Est, où nous passerons la nuit. Pas pire non plus…
28 Février : la météo doit se gâter en deuxième partie de journée, donc départ 8h pour avancer et se mettre à l’abri à temps.
Surprise : nous nous retrouvons avec un autre voilier, le Finistère, voilier français mais équipage cosmopolite. Et qui a pris la même option que nous pour le mouillage du soir : la Caleta Lagunas sur l’île Obrien.
Temps humide et froid : gros nuages gris avec des grains. Environ 25 milles au près, en jonglant entre trinquette et génois, et avec les ris dans la grand-voile. Et nous arrivons vers 15h à la Caleta Lagunas : petite étape, mais le mouillage suivant était encore à une 12e de milles, et notre trinquette a une couture qui a lâché… Il faut recoudre avant la déchirure !
Une centolla sans doute suicidaire se laisse prendre près du rivage… Et finira sur nos assiettes ce soir.
Nuit pluvieuse et ventée : nous sommes bien, au mouillage ! Dehors, le vent souffle, comme la météo l’avait prévu. Finalement une petite pose n’est pas mal venue…
1er Mars : il a plu et il a venté toute la nuit . Donc, grasse matinée ce matin. Le vent tombe dans l’après-midi : nous en profitons pour nous avancer un peu. Étape courte d’une 10e de milles pour le caleton Silva sur l’île Londonderry à la sortie du canal Beagle. Brume humide : fait frête !
Et là, pas de dauphins, mais des otaries qui nous font leur cinéma !
Le cinoche des otaries…
2 Mars : la météo devant se durcir dans l’après-midi, nous partons au point du jour, sous un ciel gris et pluvieux, sans vent.
De nouveau, un groupe d’otaries, qui nous fait la saison 2 du numéro d’hier…
Plus loin, nous passons à côté de deux ou trois baleines, tranquilles, à 10 mètres du bateau. Quoi d’étonnant, dans le canal Ballenero ?
Puis au bout d’environ 30 milles, pratiquement entièrement au moteur, nous arrivons sur l’île Brecknock au mouillage de Puerto Atracadero, où quelques oies observent d’un œil critique notre technique d’amarrage.
Puerto Atracadero
Le vent se lève… et l’ancre dérape ! Il faut réagir vite : remonter l’ancre et la remouiller plus loin, sous la pluie.
3 Mars : nuit un peu ventée et humide…
Au petit matin, deux pêcheurs viennent tailler une bavette : ils plongent pour cueillir des algues pour des produits cosmétiques. Quand on voit la pauvreté et l’état rudimentaire de leur équipement, on a froid pour eux ! Et ce n’est pas le café que nous leur offrons qui va changer grand chose. L’eau doit être autour de 5°C quand il n’y a pas de glaçons…
Beaucoup de moteur aujourd’hui, et mouillage dans la Caleta Brecknock, au fond du Sena Ocasión, petit fjord étroit entouré de belles falaises granitiques, où de nombreuses otaries semblent avoir élu domicile.
Surprise : un autre voilier est au mouillage, des Américains. Nous décidons de les laisser tranquilles et de mouiller dans la petite crique juste à côté : ancre, 2 amarres à l’arrière et une à l’avant. Ceinture et bretelles : on ne connaît pas le coin !
La Caleta Brecknock
4 Mars : nuit tranquille… Et vous allez rire : il a plut toute la nuit.
Aujourd’hui, nous quittons le Canal Brecknock, prolongement Ouest du Canal Beagle, pour aller prendre le Canal Cockburn (en Anglais, en un seul mot), qui nous permettra de rejoindre le Canal de Magellan vers le Nord via le Canal Magdalena. Ça va ? Vous suivez ?
Le Canal Ocasión était juste une petite déviation avant la sortie de Breaknock, sortie non protégée et ouverte sur la houle et les vents du Pacifique. On a beau se la péter sur Kousk Eol, quand on peut faire tranquille, on essaie de le faire…
Deux orques nous attendaient à la sortie, et viennent tourner tout contre la coque : impressionnant ! A la place des otaries, il me semble que je me méfierai…
Au loin vers le Nord, une boule lumineuse jaune semble essayer de percer la couche de nuages. D’après les anciens du bord, ce pourrait être ce que leurs ancêtres appelaient « Soleil », et qui n’avait plus été vu depuis longtemps…
La courte durée du phénomène laissa à penser qu’il s ‘agissait plutôt d’un gros météorite.
Bref, on aura encore une fois économisé sur les crèmes solaires…
Et nous arrivons à Puerto King, petite caleta au bout du Canal Cockburn : plus tranquille tu meures…
Puerto King
5 Mars : Devinez ? Pluie depuis hier soir. Paysages grandioses, mais temps de mâârde ! Comme si la nature voulait nous faire payer de se rincer l’œil outrageusement…
Du coup, grasse mat’ dans 99 % d’humidité, et départ sur les coups de midi, au moteur sur un vrai miroir liquide. Et toujours les otaries, les pétrels, les cormorans, dominés par les sommets élancés et les glaciers : d’un commun !
Et pendant ce temps, Brel chante « Le plat pays » et sa brume sur la « hi-fi » du bord: il faut au moins le Grand Jacques pour ne pas gâcher l’ambiance… Non Jacques D. : je parle de Jacques B. !
Les choix gastronomiques commencent à montrer des signes flagrants d’essoufflement : on se rabat sur les conserves au grand dam des fines gueules du bord… Bon là je me fais engueuler sévère : hier soir on a quand même eu droit à un vrai couscous québécois typique, avec noix de Grenoble, concombres chiliens et piment brésilien…
Entre temps le vent se lève : solide effet de venturi dans le canal Magdalena. 15-20 nds de face dans un clapot un peu dur. Bof : p’tit ris et trinquette. Pas de quoi fouetter un pétrel. Quand brutalement, longue rafale à 50 nds ! Les voilà donc les fameux williwaws ! Bon test pour les indéfrisables !
Notre mouillage de ce soir sera la Bahia Morris, mouillage assez large, où l’on pourra « swinguer à l’aise sur l’anchor »: Nico maîtrise complètement le vocabulaire marin et la traduction du guide…
Plusieurs grains passent au dessus de nous durant la nuit, provoquant des rafales à plus de 20 nœuds, et nous obligeant à mettre la deuxième ancre, par sécurité.
6 Mars : départ 8h, car le vent devrait forcir en milieu d’après-midi. Et il fait (presque) beau, avec du soleil et tout et tout !
Ne vous inquiétez pas : ça ne dure pas… Le vent se lève, dans le nez. On est vite à 3 ris dans la GV plus trinquette, au près. Mais les rafales à 35 nds et plus nous calment : les bords sont inconfortables, et il y en a encore quelques uns à faire ! Même sous trinquette seule, nous nous retrouvons le liston dans l’eau. Le Canal de Magellan se fait désirer…
On se rabat donc sur la caleta de Puerto Hope, où nous trouvons Kotick au mouillage, avec Alain Caradec qui emmène des clients.
Puerto Hope: Kotick et machete dans le goëmon!
Ici point de bergère avec ses moutons, mais :
Il pleut, il pleut, bordel !
Rentre ton blanc tangon .
Il pleut, il pleut, bordel !
Enroule, enroule, petit Patagon…
Petite accalmie au bout de 3 heures : on repart… Pour s’apercevoir que le gréement semble détendu : arrêt dans la caleta suivante, la Caleta Beaubassin découverte par Bougainville, à 5 milles, pour retendre ! Et on y passe la nuit.
La Caleta Beaubassin
7 Mars : départ 8h après une nuit calme, de nouveau dans une calanque paradisiaque, au pied d’un glacier majestueux.
Cette fois, nous sommes à l’extrémité Nord du Canal Magdalena : en face se trouve Punta Arenas à une petite 60e de milles. Mais il faut d’abord traverser le Canal de Magellan large ici d’une 15e de milles. Évidemment, avec le vent dans le nez, donc en tirant des bords…
Mais la mer s’est clamée depuis hier et les bords avancent plutôt bien. Le vent monte progressivement : 1 ris, puis 2 ris, puis la trinquette. Nous apercevons Kotick au loin.
Et nous arrivons à Bahia Mansa, un petit port de pêche naturel 26 milles au Sud de Punta Arenas, juste derrière Kotick : nous nous mettons à couple, avec les bateaux de pêche. Et préparons les amarres pour le coup de vent prévu pour le lendemain : 40 à 45 nds…
8 Mars : ce sera une journée à l’abri. Le vent souffle comme prévu par la météo : rafales à plus de 40 nds. Deux bateaux de pêcheurs sont venus se mettre à couple : eux aussi plongent cueillir des algues… Brrr !
Nous en profitons pour aller au super-marché de Puerto Hambre, la ville toute proche . En fait, une dizaine de baraques de pêcheurs au bord de l’eau, avec une « cafeteria », sorte de petit restau, qui fait aussi épicerie (pourvu qu’on n’ai pas de gros besoins). Retour progressif à la civilisation !
Puerto Hambre, le Port de la Faim, était une tentative espagnole de coloniser le coin : quelques mois après, toute la colonie était morte de faim…
Mais la cafeteria, au Sud du Monde comme le dit la pancarte, sert de très bonnes empanadas aux crevettes et aux centollas.
Puerto Hambre
9 Mars : belles bourrasques durant la nuit.
Et au matin, il neige sur Kousk Eol ! Le concept d’ »été » ici n’est pas le même que chez nous… Nous avons une pensée plus qu’émue pour les pêcheurs-plongeurs d’algues et d’oursins…
Faut pas confondre « Sous les tropiques » et « En dessous des tropiques » !
Nous partons ensemble avec Kotick : il faut se désengager du pêcheur à côté de nous, qui a son ancre par dessus les nôtres. Manip d’amarres un peu compliquée par le fait que les pêcheurs ne sont pas à bord , mais tout se passe bien.
Et cap sur Punta Arenas, la capitale de la région de Magellan, à 26 milles au Nord. 11° de moyenne en été et réputée pour ses vents forts.
En attendant, conditions presqu’idéales : il fait beau (bon : froid aussi, d’accord!), la mer est plate et un petit vent de 12 nds nous pousse bon plein à 8 nds dans la bonne direction.
Puis le petit vent monte à 20 nds : 9 nds sous trinquette et 2 ris.
18h : derrière un ballet de dauphins en grande forme, nous arrivons au Muelle Arturo Pratt de Punta Arenas, première ville depuis Puerto Williams il y a 2 semaines.
C’est ici que Jacques (non pas Jacques B. : Jacques D. !) nous quitte… Il était venu pour un mois de navigation avec les frangins terribles, qui s’est transformé en plus de deux mois, dont un à terre à Piriapolis à se demander si on en repartirait un jour… Et finalement, le programme initial a été plus ou moins tenu, aux dates près : descente vers le Grand Sud, passage du Détroit de Le Maire, arrivée à Puerto Williams, Cap Horn, Canal Beagle et Canal de Magellan.
C’est pô pire, comme dirait notre dernière recrue…
Et c’est ici aussi que va se préparer la suite du voyage vers le Pacifique : petites réparations, courses de vivres, plein de gas-oil, un ou deux restaurants…
Arrivée à Punta Arenas