Article de culture générale et technique: GRIBs et prédiction météorologique

Toujours dans l’espoir, même infinitésimal, de voir évoluer positivement la compréhension de la chose marine parmi nos fidèles lecteurs, l’équipage de Kousk Eol vous propose son 2e article de culture générale : comment savoir le temps qu’il fera demain et au-delà, alors qu’on n’a même pas la télé ?

Et la réponse est ? Je vous le donne en mille : les fichiers GRIB ! Ces fichiers magiques couvrent une zone géographique choisie et contiennent, sous forme codée, les informations sur le temps pour une période donnée : direction et force du vent, hauteur des vagues, quantité de pluie, température, …

Pour continuer dans la magie, ces fichiers peuvent afficher leurs informations en sur-impression de nos cartes électroniques de navigation, permettant (ça, c’est la théorie) d’adapter sa route pour profiter des conditions les plus favorables (le plus souvent, des moins défavorables).

Mais comment donc récupérer ces fichiers, me direz-vous, alors qu’il y a encore moins de Freebox (ou équivalent) que de télé à bord de Kous Eol ? Eh oui, les frangins DD et le Glaude, qui ont facilement tendance à se la péter quand ils le peuvent, ont ici joué plutôt cheap… Là, on entre dans le domaine de la magie noire : on utilise Iridium, bien sûr !

Iridium, c’est une technologie d’enfer, avec son propre réseau de satellites (un peu comme le GPS), qui permet de communiquer à partir de n’importe quel point du globe vers n’importe quel autre point du globe, en utilisant un bête téléphone portable .

Et c’est là que le bât blesse, que la belle histoire s’abîme… Parce que le téléphone, il n’a rien à voir avec votre smartphone. Il est gros, il a un tout petit écran noir et blanc, un interface utilisateur et une ergonomie à chier propres à pousser à bout l’ange le plus compréhensif, une fonction transfert de données limitée à quelques kilo-octets par seconde (si votre Freebox, ou équivalent, vous offrait 1 giga-octet par seconde, c’est à dire un million de fois plus rapide, vous changeriez de fournisseur illico), et les communications coûtent cher. Mais c’est quasiment le seul lien pratique avec le reste du monde dit civilisé. Donc sur Kousk Eol on a un Iridium.

Si vous avez bien suivi jusque là, vous en aurez aisément déduit que la taille du fichier GRIB à récupérer est un paramètre d’une importance cruciale . Si le fichier est trop gros, il coûtera cher, mettra une éternité à être transféré sur l’ordinateur du bord, et donc la transmission aura très certainement l’opportunité d’être interrompue (par exemple parce qu’un gros nuage à grain cachera le satellite…), nécessitant une retransmission, donc d’autres coûts et une augmentation du niveau d’énervement du skipper.

Donc il vaut mieux un petit fichier. Oui, mais alors, contiendra-t-il suffisamment d’information pour permettre de mettre sur pied la stratégie d’enfer qui garantira une arrivée à Salvador avant la fermeture du dernier bistrot ?

Et c’est là que ça devient intéressant… Que les discussions passionnées s’engagent… Étendue de la zone, point d’observation tous les degrés ? Les demi-degrés ? Prévisions sur 3 jours ? Sur 5 Jours ? Bref, on s’est mis d’accord une fois pour toutes après étude objective de tous les arguments avancés : pour le milieu de l’océan, ce sera une prévision sur 3 jours avec point toutes les 12 heures, maillage au degré, zone plus ou moins carrée de 8 à 10 degrés de côtés. Soit moins de 8 Ko à transférer. Soit environ 2 minutes de transfert tout compris…

L’image ci-dessous montre la formation du cyclone sur le Cap Vert : on comprend mieux pourquoi nous avons dû nous dérouter vers le sud-est avant de rencontrer des vent (et des mers!) plus favorables pour nous pousser vers le sud-ouest.

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Fichier GRIB montrant la formation de Umberto, et pourquoi nous étions poussés vers l’Afrique…

Le vent a forci les 2 jours suivants et la mer n’a pas aidé à avoir une navigation sereine…

Traversée Praia/Salvador-Semaine 1 : 7-13 septembre 2013

Après les dernières courses au marché, la dernière bière et le dernier repas à Praia, nous (Jacques, William, André et Claude) prenons le départ vers 14h45, sans oublier de saluer nos nouveaux amis Sud-Africains qui mouillaient à côté de nous, en route pour rejoindre la Méditerranée. Une grosse dépression en formation au nord entre Cap Vert et Sénégal devrait nous pousser bon train vers le sud, au près avec un bon vent de sud-ouest.

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Praia: son mouillage, son port, son ponton -à éviter!-, son marché…

Petite note en passant sur le mouillage à Praia. Le Cap Vert n’est pas un pays riche, et la priorité n’est certainement pas de bâtir des infrastructures pour les plaisanciers. Donc on va au mouillage. On avait lu pis que pendre sur le mouillage de Praia. Finalement, il n’est pas si mal que ça, même si un peu ouvert à la houle du large. Côté sécurité: rien à dire… Nous avions pris les devants en contactant les 3 ou 4 personnes qui sont venues vers nous en débarquant de l’annexe sur la plage en leur demandant de jeter un coup d’œil au bateau: notre tranquillité nous a coûté 20€ pour deux jours …

Nous avons environ 1950 milles à couvrir : nous prévoyons une 15e de jours si tout va bien.

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Le départ de Praia: la voile, c’est exténuant!

Les premières heures sont plutôt tranquilles et nous en profitons même pour pêcher. Une prise va nous occuper 2h, épuisant le DD puis le Glaude, pour que la ligne finisse par casser (ça devient un peu récurrent sur Kousk Eol!) à 2 mètres du bateau, laissant apercevoir un poisson plutôt gros au ventre blanc et aux grandes nageoires latérales. Un requin ? On se console en se disant que de toutes les façons il aurait été trop gros et on aurait fait du gaspillage…

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Les tentatives de pêche…

Quelques heures plus tard, on découvre qu’André n’avait pas exploré toutes les fonctions lavage/essorage de Kousk Eol : le vent et la mer se lèvent pour nous secouer passablement. Plus question de faire route au sud : creux de 3 à 4m de face et rafales montant à plus de 40 nds… La nuit est noire. Une déferlante nous couche brutalement : heureusement, les équipiers de quart sont harnachés comme il se doit, et tout le monde est à son poste. Une deuxième déferlante s’y met elle aussi, un peu moins violente. Nous décidons sagement de mettre Kousk Eol en « petite » fuite en abattant. Malheureusement, cette route nous éloigne de notre but, Salvador, en nous menant vers le sud-est : 140 milles en 16 heures malgré tout..

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Après la pluie, le beau temps

Les gribs récupérés via l’Iridium nous laissent espérer les alizés autour de 4°N : Jacques et André bâtissent les théories les plus avancées (Ont-ils vraiment envisagé d’appliquer la courbure de l’espace-temps à une pseudo-loxodromique ?) pour décider de la route optimale pour récupérer au plus vite ces vents de sud-est.

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On prend les gribs pour se faire peur…

Malheureusement, la grosse dépression est devenue entre temps le cyclone Umberto, et toute la zone est perturbée… Et les prédictions météo pour la fameuse Zone de Convergence Inter-Tropicale et son acolyte le Pot au Noir ne semblent pas d’une fiabilité infaillible. Il faudra descendre encore plus au sud avant de toucher les alizés, et patienter sous les déluges (ça, c’est la fonction « rinçage », complémentaire des fonctions « lavage/essorage » déjà testées, pas vraiment écologique si on considère les quantités d’eau utilisées!) et un vent alternant calme plat et brèves reprises. Le carré est souvent fermé et manque d’aération : ça sent un peu le chacal humide ! Deux jours sans soleil et un vent anémique nous obligeront même à mettre le moteur pendant un peu moins de 2 heures pour recharger les batteries. William profite de cette météo particulière pour développer de nouvelles techniques pour enrouler le fil de pêche.

Mais l’équipage est fort ! Et garde un moral d’enfer .

Symbiose ?

Un fou brun est venu nous rendre visite, parmi les puffins et autres pétrels tempête. Au contraire de ses congénères, lui reste autour du bateau : longs vols planés sur l’arrière, puis un petit tour de Kousk Eol, tantôt par tribord, tantôt par bâbord, puis il revient sur l’arrière et recommence son manège. Au bout de quelques heures à l’observer, nous nous demandons ce qui l’attire autour de nous. Nous comprenons quand Kousk Eol fait soudain partir un banc de poissons volants : notre fou les repère aussitôt, plonge, et en attrape un au vol ! La scène se répétera encore 3 ou 4 fois avant que notre éphémère compagnon ne nous quitte…

Racisme ordinaire

Moi je voudrais pas paraître raciste, mais le pote aux noirs, c’est pas forcément mon meilleur copain. Trop chiant, inconstant, incapable de se décider entre douche copieuse et moment de pétole.

Parlons en de la pétole : on croit pourtant bien connaître, quand on navigue en Méditerranée. Ben ici ça n’a rien à voir… Le ciel est plombé, sans horizon visible, et ça peut durer des heures à moins de 0,5 nœuds de vent. Puis sans qu’on demande rien de spécial, y en a un qui ouvre les vannes, là-haut. Et il a de grosses vannes et de gros réservoirs ! Un truc à faire pâlir Iguaçu… Sauf qu’Iguaçu on se trouve rarement dessous… On en profite bien pour se laver, mais la fois suivante, au bord de la noyade, on se met à l’abri dans le carré. Et comme tout est fermé et qu’on est tout de même à 4° de l’équateur, on cuit dans son jus … Et donc on recommence le cycle.

Et je ne parle même pas de notre moyenne, qui en prend un sale coup : c’est sûr qu’on va avoir au bas mot un jour de moins à siroter une caïpirinha à Salvador à ce train !

Praia – 6-7 Septembre 2013

L’équipage pour la traversée vers le Brésil est maintenant à pied d’œuvre : André, William, Jacques et Claude.

Le mouillage dans l’avant-port de Praia est relativement pratique, sinon grandiose, proche des « facilités » offertes par la capitale. André avait déjà fait le gros des courses : ne manquent que le frais et quelques bricoles. Le marché local, pittoresque et bien achalandé, nous permet de nous approvisionner en fruits et légume.

Nous essayons de nous connecter pour entre autre mettre à jour le blog : le choix DU cyber-café de Praia dans cette optique nous semblait logique… Ben non. Pas de wifi au cyber-café… Par contre, un wifi gratuit sur une des places de la vieille ville : petite bande passante, mais suffisant pour vous permettre de lire ces pages.

Nous partons demain 7 septembre pour Salvador : prochain épisode dans 2 ou 3 semaines ! Dernière soirée dans la capitale avec petit restau à la clef : on n’a plus Marie-Jo aux fourneaux !

Petit commentaire sur le peu du Cap Vert que nous ayons vu, et sur la réputation de Praia: les gens sont très accueillants, le mouillage est tranquille (notre annexe est gardée par un groupe rencontré sur la plage), les formalités administratives (immigration et police) se passent de manière bon enfant, les conducteurs s’arrêtent spontanément pour laisser passer les piétons, etc. Réalité assez différente de tout ce que l’on peut lire sur divers sites… Bien sûr, ceci est ce que nous avons constaté lors de notre escale. Il se peut que d’autres aient eu des problèmes, mais nous garderons de notre bref séjour un excellent souvenir!