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Pointe à Pitre – Açores

Mardi 7 mai 2024

Après quelques retards dus principalement au manque de rigueur d’un des membres de l’équipage qui avait oublié chez lui la carte SIM du téléphone Iridium du bord (le soi-disant capitaine qu’on ne nommera pas ici pour ne pas trop en rajouter à la honte extrême qui s’est abattue sur lui), nous pouvons finalement larguer nos amarres le mardi 7 mai 2024…

Et à midi et quart, plein de gasoil fait, nous filons vers la Pointe des Châteaux, avant de piquer vers le nord et Horta à environ 2300 milles.

Et « nous », me demanderez-vous, c’est qui ?

  • Il y a tout d’abord, expérience oblige, l’Amiral Jacques, Cap Hornier de son état et équipier de longue date sur Kousk Eol, qui entreprend ici sa dixième traversée de l’Atlantique. Excusez du peu.
  • Autre équipier de poids, Bernard, qui a déjà deux traversées de l’Atlantique à son actif : la route des alizées par les Canaries, et la remontée depuis Cape Town vers les Antilles. Accessoirement, il a aussi été champion du monde en quarter tonner au siècle précédent. Et il fait bien la cuisine !
  • Il fallait bien un petit nouveau à cet équipage : c’est George qui s’y colle. C’est sa première « grande » traversée, mais il a déjà navigué sur Kousk Eol. Et il apporte avec lui tout son talent de cuisinier : ça sent déjà la compétition entre lui et Bernard… George a été accepté de justesse à bord : il vient tout juste d’avoir la nationalité française (après l’écossaise – Mac Gregor oblige-, et l’américaine – il vit en Californie-).
  • Puis le dernier, Le Glaude, qu’on aimerait bien éviter de présenter. L’environnement kouskéolien n’ayant jamais prétendu à la démocratie, il a réussi à usurper le titre de Captain. Rôle qui sera difficile à tenir devant l’accumulation de connaissances et de pratiques réunies à bord…
La fine équipe…

Et évidemment, on évitera ici de parler de moyenne d’age : on évoquera plutôt l’expérience accumulée. De même, toute photo d’un membre de l’équipage appuyé sur sa canne, une main dans le dos, sera bannie du blog.

Il a pas fière allure, le George?

Vendredi 10 mai

Troisième jour de navigation. Le départ de la marina du Bas du Fort se fait au moteur jusqu’à la Pointe des Châteaux, extrémité est de la Grande Terre, pour cause de vent faible et dans le nez.

La Pointe des Châteaux.

Première péripétie devant l’ilot du Gosier : nous passons près d’un voilier qui appelle à l’aide. Il semble qu’il ait une voie d’eau, mais réagit bizarrement, avec un fort accent, à notre proposition d’aide… Finalement il se contente de prendre le numéro de téléphone GSM des secours, le 176.

La Pointe des Châteaux est doublée à la tombée du jour : nous pouvons enfin mettre les voiles et nous déhaler entre 5 et 6 nœuds vers le nord-est pour contourner le centre de l’anticyclone dit des Açores.

Après une période de vent faible, nous entrons dans une zone nuageuse très étendue, où les rafales dépassent les 30 nœuds : occasion de se rappeler comment on prend des ris dans la grand-voile, et de tester la nouvelle trinquette sur son nouvel étai. Nous faisons des pointes à plus de 8 nœuds, avec deux ris dans la grand-voile et la trinquette.

Bon d’accord, y a pa toujours du soleil…

Mais tout ceci est évidemment éphémère, et depuis hier nous naviguons au moteur pour rejoindre la zone ventée au nord de l’œil de l’anticyclone.

Dans la soirée, une barre nuageuse bien noire et parfois zébrée d’éclairs nous fait face : hors de question de l’éviter, elle est bien trop large. Nous nous préparons donc à du vent fort : ça fait bientôt deux jours de moteur, ce qui a un côté un peu déprimant sur un voilier. Un ris est pris dans la grand-voile, les capots et hublots sont fermés, les cirés prêts à être enfilés… On décidera le moment venu pour la voile d’avant : génois enroulé ou trinquette.

Le vent monte progressivement, mais le grain s’évapore petit à petit. C’est avec le génois que nous filons à plus de sept nœuds sur une mer relativement plate. Et cette situation durera toute la nuit : pô pire. Ça économisera du gasoil qui risque d’être utile un peu plus loin.

Dimanche 12

La journée d’hier fut plutôt plaisante. Grand-voile et génois le matin, à plus de six nœuds. Nous apercevons une voile dans le lointain, à l’ouest. Mais pas de signature AIS … Deux ou trois heures plus tard, le voilier n’est plus qu’à environ un demi mille, mais pas de volonté d’échanger…

La vie à bord…

Le vent perdant un peu de sa puissance, nous mettons le Code D qui nous déhale à plus de sept nœuds, et nous éloigne du coup de l’autre voilier.

Le Code à DD

La nuit a mis du piquant dans les premiers quarts. Nous ne pouvons éviter une impressionnante barrière nuageuse noire… Tout d’un coup, le vent part dans toutes les directions, affolant le pilote automatique, que du coup nous relayons à la mimine. Le Code D est rentré depuis belle lurette, remplacé par un ris dans la grand voile et les deux tiers du génois. Des éclairs diffus illuminent Kousk Eol. La pluie, ne voulant pas être de reste, arrose copieusement le pont ainsi que Bernard, qui est de quart à ce moment.

Puis tout se calme, et la deuxième partie de nuit est plus civilisée.

Cool, les quarts!

Et aujourd’hui, c’est une belle journée quasiment sans nuages, avec un bon vent, qui nous accueille au réveil.

Mardi 14 mai

Hier matin, nous ressortons le Code à DD, qui nous tire bien dans un vent un peu faible et une mer belle.

En fin de journée, une barrière de nuages noirs nous incite à anticiper : le Code D est rangé, remplacé par le génois, mais la main sur les manœuvres de ris…

Et dans la nuit, nous nous retrouvons sous un gros grain très actif. Dire que la pluie tombe à verses flirterait avec l’euphémisme le plus convenu… C’est avec trois ris dans la grand voile et la trinquette à moitié roulée, une mer qui se lève, que Kousk Eol cavale avec des pointes à plus de neuf nœuds ! Le liston est dans l’eau plus souvent qu’à son tour. Pas de tout repos… Mais bon nous avançons bon train dans la bonne direction.

C’est mont& jusqu’à 10,8 nœuds…

Au matin, changement radical : le ciel se dégage, et le vent tombe en passant au sud. Nous sommes obligés de lofer vers l’est pour remplir les voiles (le génois a remplacé la trinquette) et avancer autour de quatre nœuds dans une mer qui met du temps à se calmer.

Le débat rituel quotidien peut être tenu : mais que va-t-on manger à midi1 ? Depuis le départ, George et Bernard se challengent pour concocter les plats les plus originaux utilisant les produits et ingrédients trouvés à bord. Depuis que le frais a disparu (tomates, courgettes, carottes,…), les recettes tournent autour des conserves, des pâtes, du riz. Heureusement, il y a le fromage, le jambon, les saucissons laissés par Cathy !

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La vie à bord…

Il y a bien les tentatives de pêche, infructueuses pour l’instant. George nous avait bien expliqué que pour les marins anglo-saxons, la présence de bananes à bord (l’équivalent de notre rongeur à grandes oreilles, mais semble-t-il en moins inquiétant) était très néfaste pour attraper des poissons. Nous avons donc fini les bananes. Et maintenant nous remontons des sargasses… Dommage qu’on ne puisse en faire de la salade. En attendant, les promesses de sushis à la dorade ou au thon s’éloignent inexorablement…

Dans l’après-midi, le vent passe brutalement au nord-ouest : empannage et nous nous retrouvons sur la route bâbord amure, au petit largue, dans une mer qui se calme rapidement. Kousk Eol glisse sur l’eau, pour le plus grand plaisir de l’équipage : enfin du repos sur des couchettes qui cessent leurs allers-retours incessants d’un bord sur l’autre !

La situation durera toute la nuit, avec les quarts les plus tranquilles depuis le départ.

Mercredi 15 mai

C’est aujourd’hui que nous franchissons la moitié de notre traversée : 1150 milles sur un total de presque 2300. Pour fêter l’évènement, George nous prépare un brownie… Qui ne durera pas longtemps !

Malheureusement, le vent re-bascule au sud-est, en faiblissant, obligeant à remettre le moteur. Heureusement, la mer est toujours aussi calme, et nous avançons entre 5 et 6 nœuds.

La météo que nous envoie André n’est pas très réjouissante… L’anticyclone semble se balader, et remonter très au nord, installant de vastes zones de calme sur notre route. Contourner ces zones semble irréaliste : nous continuerons à utiliser le moteur, tout en essayant d’économiser le gasoil. En principe, nous devrions affleurer les dépressions dimanche, promesse de vent portant vers Horta. Mais dimanche, c’est dans plusieurs jours, et la situation peut encore bien changer d’ici là.

Supplique pour avoir du vent

Entre temps, l’aileron d’un requin nonchalant passe à l’arrière de Kousk Eol, avant de replonger.

La nuit, nous organisons bien entendu des quarts : deux heures chacun, à partir de 22 heures, jusqu’à 6 heures, heure « normale » de début de journée. Et nous tournons en nous décalant d’un cran chaque nuit. Le quart le plus long est le premier, parce que personne n’attend 22 heures pour aller se coucher. Les plus pénibles sont ceux de minuit et 2 heures du matin, où il faut se lever souvent en plein sommeil. Le plus cool est le dernier, qui voit le lever du jour, et est l’occasion d’un café tranquille en terrasse…

Vendredi 17 mai

De nouveau une nuit tranquille, au moteur. Ça fait dix jours que nous sommes partis de Pointe à Pitre, et nous sommes enfin en dessous de la barre des mille milles de Horta.

Belle surprise : à 7h40, un groupe de gros dauphins nous suit pendant quelques instants. Mais contrairement à ce que nous avions pu remarquer précédemment, ils ne viendront pas nous narguer à l’étrave. Ce sont les premiers dauphins depuis plus d’un an !

Puis, caprice anticyclonique, l’alizé frémit à nouveau, donc re-voile… Devant nous au loin à l’est, de gros nuages semblent annoncer un changement de temps.

Pour marquer le coup, pour ces dix jours, un repas gastronomique est prévu : cassoulet antillais, rien de moins. En vérité, le frais ayant été mangé, nous tapons dans les conserves pour changer un peu du riz-pâtes. Mais si on ne peut plus se raconter des histoires… Et n’oublions pas la noix de jambon et le fromage apportés de Haute Savoie par Catherine et Christian, petites gâteries très gustatives fort appréciées par l’équipage !

La digestion aidant, les délires reprennent : « Finalement, les grandes traversées comme celle-ci, ce ne serait pas comme les séjours dans la station orbitale ? L’apesanteur en moins ? ». Espace confiné sans possibilités de s’échapper un peu, grandes discussions pour réparer le monde, lectures ou autres activités individuelles, sempiternel débat sur la nature du prochain repas (ou comment faire de l’original avec du riz, des pâtes et des boites de conserve), etc : la comparaison n’est pas totalement loufoque.

En attendant, nous jonglons finement avec les traces de zéphyr pour économiser le distillat carboné de fossiles préhistoriques : pas de moteur depuis plus de vingt-quatre heures. Bon d’accord, pas à une vitesse délirante : moins de cinq nœuds de moyenne. Mais nous sommes passés sous la barre psychologique des 900 milles vers Horta. ».

Encore un coucher de soleil…

Soudain, une exclamation : « Y a un machin qui flotte avec un pavillon droit devant ! ». En fait, un objet flottant qui pourrait être une balise, avec un dispositif d’écho radar au sommet d’un mât. Nous décidons de ne pas y toucher…

A propos, pourquoi on a choisi cette route et pas une autre ? Dans des traversées aussi longues, le choix de la route est primordial. Heureusement, sur un voilier, l’algorithme est simple : on prend la route garantissant un maximum de vents favorables. Sauf que la météo n’est jamais réputée figée : elle change tous les jours, la traîtresse, et les prévisionnistes ont fort à faire pour tenter de prédire ses caprices. En gros, dans notre cas, il faut faire le tour du cœur de l’anticyclone dit des Acores, zone sans vent, par l’ouest pour suivre les vents dominants, qui tournent dans le sens des aiguilles d’une montre2 dans l’hémisphère nord. Sauf que cette année, ledit cœur s’étale très à l’ouest, rallongeant de façon significative la route. Nous décidons donc de prendre une route presque directe, légèrement plus au nord, avec des bidons de gasoil en réserve pour les zones sans vent. Une fois le cœur traversé, il ne faut pas monter trop au nord, au risque d’avoir à affronter les dépressions, souvent musclées, qui descendent du Canada. On verra à l’arrivée si ce choix était le bon…

Dimanche 19 mai

Encore une nuit trop tranquille, avec mélange de voile et de moteur. On ne battra pas de record cette fois encore. Mais Horta approche : encore 750 milles dans la matinée.

Un groupe de gros dauphins (le quatrième depuis notre départ) passe à l’arrière, sans velléité de s’approcher, voire jouer à notre étrave. Et toujours rien au bout de nos lignes.

D’après la météo, cette fois relayée par André et Jean-Christophe via Iridium, le vent devrait passer au sud-sud-ouest d’ici demain soir, entre dix et quinze nœuds : plutôt pas mal pour nous pousser en ligne directe vers les Açores. Devrait : comme St Thomas, on demande à voir…

Pour ceux qui se demanderaient : « Mais qu’est ce donc que c’est que ce truc au nom bizarre, Iridium ? », c’est une technologie maintenant un peu dépassée de communication utilisant une constellation de satellites en orbite basse. Qui permet, avec le terminal téléphonique adéquat, de communiquer n’importe où dans le monde. Quand ça marche… Il semblerait que le déploiement de Starlink du sieur Musk soit en train de reléguer Iridium au rang des curiosités à l’avenir un peu sombre. Mais bon, sur Kousk Eol, nous avons un terminal Iridium depuis pas mal de temps, et n’avons donc pas investi dans Starlink. La prochaine fois ?

En attendant, le retard de la dépression salvatrice et ventée promise par la météo est en passe de générer une dépression chez l’équipage…

Lundi 20, 16h30 : « Ça mord ! »… Enfin une touche : un beau thon d’environ 7 kilos s’est fait prendre , vite vidé et transformé en filets. C’est la première prise depuis bien longtemps. Sashimis ce soir !

Pêche au sashimi…

Mais toujours pas de vent… La dépression promise se fait attendre… Pourtant, il ne faudrait pas qu’on brûle trop de gasoil : il faut en garder un peu pour l’arrivée !

En attendant, les sashimis sont excellents ! Et il reste assez de thon pour deux autres repas : steaks mi-cuits (avec sa sauce chien) et ceviche.

Mardi 21 mai

Les nuits se suivent et se ressemblent : moitié voile, moitié moteur… Il faut commencer à économiser sérieusement le gasoil : nos estimations prévoient encore une quinzaine d’heures, et il faut en garder pour les manœuvres à l’arrivée.

Dans la matinée, le vent passe finalement au sud-sud-ouest : le génois est vite tangonné, et les voiles mise en ciseaux. Nous arrivons à nous déhaler entre 4 et 5 nœuds, sur une mer heureusement plate. Et à midi et demi, nous passons sous la barre des 500 milles de Horta. Dernières nouvelles du DD : le vent devrait se renforcer -10/15 nœuds – dans l’après-midi, et 20/25 nœuds demain, avec un ETA3 pour Horta le 24. Ben on va y croire, les copains…

Rn fait, c’est le pilote qui fait tout le boulot.

Jeudi 22 mai

La journée d’hier avait bien démarré ; vent poussant dans le bon sens, à une allure assez soutenue. Mais rapidement on a compris qu’on était sur le bord d’une dépression venant du nord. La game des trois ris y est passée : de un ris le matin à trois ris dans la soirée, deux tiers de trinquette remplaçant le génois. La mer grossit vite, avec des vagues de plus de trois mètres. Le bateau fait des pointes à plus de dix nœuds. Nous sommes tellement secoués que le repas du soir se résumera à quelques biscottes et un verre d’eau. Heureusement le pilote tiendra toute la nuit, malgré les incessantes embardées. Nuit durant laquelle personne n’a vraiment dormi…

La météo d’André promet toujours une bascule du vent au nord-ouest, autour de 15 nœuds, avec lequel nous devrions pouvoir faire une route directe vers Horta, dans de meilleures conditions.

13h15 : nous lâchons le ris trois, après avoir empanné. Nous prenons un peu plus de vitesse, mais à 15 degrés au-dessus de la route, et toujours pas de bascule du vent… Nous sommes maintenant sous les 200 milles avant l’arrivée.

Le vent remonte évidemment, et nous reprenons le ris trois pour la nuit, avec la trinquette, avec vingt nœuds de vent établi, hors rafales, et une mer agitée.

Vendredi 24 mai

Le vent d’ouest tant promis, et attendu, arrive enfin : le génois remplace la trinquette, et les ris deux et trois remontent en haut du mât. Rien de bien violent toutefois…

A 16h15, Horta n’et plus qu’à 25 milles !

Et vers 20h30, nous mettons l’ancre devant la capitainerie, c’est la procédure : il faudra faire les formalités demain matin. 17 jours et demi depuis Pointe à Pitre : même tarif que les fois précédentes, finalement une bonne moyenne.

Et le lendemain, formalités faites, nous nous mettons à couple d’un voilier anglais, jusqu’à notre départ vers Ponta Delgada, le 27 mai.

Traces du premier passage en 2017.

En attendant, Cathy et Marion nous rejoignent après leur tour à Pico, pour visiter l’île de Faial. Et prendre un verre au Peter’s Bar!

Devant Peter’s Café.
Le port de Horta. Les voiliers sont au fond à droite…

Mardi 27

Les escales, c’est cool, mais il faut songer à avancer si nous voulons être à Toulon autour de la mi-juin. Donc, nous larguons les amarres et mettons les voiles vers le port suivant : Ponta Delgada sur l’île de Sao Miguel, à un peu plus de 150 milles à l’est. 150 milles qui seront avalés en 22 heures d’une navigation plutôt tranquille.

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1 Après le repas de midi, c’est dans la foulée que celui du soir est discuté, bien évidemment !

2 Qui se souvient encore des montres à aiguilles ? Bien sûr, pour faire pédant, j’aurais pu dire ; sens trigonométrique inverse… C’est à vous de voir.

3 ETA : Expected Time of Arrival.

Traversée Pointe à Pitre-Toulon Mai-Juin 2021 : vers Gibraltar

Jeudi 10 juin

La traversée vers Gibraltar, un peu moins de 1000 milles, bénéficiera comme d’habitude d’un équipage de choc : Bernard, Jacques et Claude, tous trois fins connaisseurs de Kousk Eol. Quoi que certains trouveraient à redire concernant le dernier… La voiture est rendue et un employé de la société de location nous ramène au port où nous faisons les formalités de sortie du territoire. A 13 h, déjeuner léger absorbé, nous mettons les voiles…

Claude, Jacques, Bernard

Le vent nous pousse bien, avec des pointes à plus de huit nœuds, jusque vers 3h où nous nous traînons à moins de trois nœuds. C’était prévu par la météo. Pas grave : on avait prévu de faire du moteur.

Sauf que lui, Volvo, n’avait apparemment pas les mêmes plans : la commande de l’inverseur se bloque et impossible de passer en marche avant ! Incompréhensible… Le moteur avait fonctionné comme une horloge depuis la Guadeloupe… Un bout ou autre corps étranger coincé dans l’hélice ? Il fait nuit noire : on jettera un coup d’œil quand il fera jour… En attendant, nous jonglons avec les poussives risées.

Vendredi 11 juin

Le temps est bouché : de gros nuages bien noirs nous suivent à la trace, perturbant un peu le maigre zéphyr qui fait semblant de nous pousser. Pas question de se mettre à l’eau dans ces conditions.

Premier déjeuner de cette traversée : steaks, courgettes et salade tomates/concombres. Et le ciel se découvre : grand soleil, vent quasi nul et mer belle. En regardant vers l’arrière, une espèce de serpent de mer semble suivre Kousk Eol ! Vite la gaffe : le serpent est en fait une grosse amarre, certainement la coupable de nos ennuis de moteur…

Le temps est presqu’idéal pour se mettre à l’eau. Claude maugrée : « Bon, j’y vais, mais il faut d’abord que je me rase la barbe pour le masque. Au moins Cathy sera contente… ». Bernard, toujours magnanime : « Donne moi un masque et des palmes : j’y vais moi ! ». C’est lui le vrai Rambo du bord. Une demi-heure plus tard, l’amarre qui bloquait l’hélice, cisaillée pour bien lui faire comprendre qu’il ne faut pas s’en prendre aussi traîtreusement à Kousk Eol, n’est plus qu’un oubliable souvenir.

La coupable… On comprend que ça bloquait l’hélice!

Et le moteur démarre comme si de rien n’était… Nous pouvons mettre aux oubliettes le plan B d’aller mouiller sous le cap St Vincent, au sud du Portugal, pour réparer avant d’entrer à Gibraltar. Ça tombe bien, car comme l’avait prédit la météo, nous entrons dans une zone de pétole qui devrait durer presque deux jours.

Au fait, devinez quoi ? Ben là aussi il y a des sargasses, les copains… Pas de plaques étendues comme plus au sud, mais tout de même. Mais Bernard, décidément inspiré aujourd’hui, décide malgré tout de mettre un petit bout de plastique rouge1 au bout de sa ligne. Résultat, vers 18 h, une bonite suicidaire se laisse prendre et finit en sashimi juste pour l’apéro…

Bon d’accord, ce n’est pas la plus grosse… Mais c’est la première de cette traversée!

La risée Volvo prend le relai durant la nuit, devant la défaillance d’Eole. Quarts tranquilles jusqu’au matin, où une hirondelle apparemment bien fatiguée vient se poser dans le cockpit pendant plus d’une heure avant de repartir.

Puis le vent reprend du tonus ; il semblerait que nous entrions dans les alizés portugais, qui en principe devraient nous accompagner jusqu’au sud du Portugal. Le vent monte autour de 15 nœuds : pour la nuit, nous décidons de prendre un ris de confort, et de réduire un peu le génois. Nous ferons tout de même des pointes à 10 nœuds ! En attendant, un cachalot vient reprendre son souffle à une vingtaine de mètres : magnifique spectacle, mais très éphémère…

Nous rattrapons un voilier de Toulonais qui était parti de Ponta Delgada quelques heures avant nous : un échange à la VHF met un peu d’ambiance. Nous nous verrons peut-être à Gibraltar.

Une petite hirondelle épuisée vient se reposer à bord, avant de repartir plusieurs heures après…

Dimanche 13

Le vent a encore forci, et avant le café du matin, nous prenons un deuxième ris dans la grand-voile. La vitesse se maintient toujours entre 7 et 8 nœuds. Cent soixante-trois milles auront été parcourus ces dernières 24 heures : voici bien longtemps que ceci ne nous était arrivé ! Il nous reste environ 550 milles avant Gibraltar.

Évidemment, toutes ces bonnes choses ont une fin, et il faut tout d’abord relâcher les ris, puis quelque temps après se résoudre à mettre le moteur pour plusieurs heures de pétole le lundi.

Puis le vent reprend, plutôt pas mal : entre 7 et 8 nœuds, sous grand-voile et génois déployés. En début de soirée, nous décidons même de prendre un ris de confort pour passer une nuit tranquille.

Nous décidons ? Ben, c’est-à-dire… Impossible de descendre la grand-voile pour prendre ce ris… Il semble que le chariot de têtière2 soit bloqué en haut du mât. On a beau tirer à trois, rien n’y fait. Il faut se résoudre à grimper là-haut. Comme c’est un exercice très prisé, surtout en mer, le privilège est laissé au captain, avec Bernard au winch et Jacques à la drisse. Claude est monté, la voile est descendue, le chariot démonté et la voile remontée : les rondelles trouvées à Horta n’ont pas fait le poids devant les efforts. Elles se sont pliées et coincées dans la gorge du mât… Du coup, la voile est re-hissée sans chariot, avec deux ris, situation déjà vécue lors de la traversée depuis Pointe à Pitre : on réparera à nouveau à Gibraltar, cette fois un peu plus définitivement si possible.

La nuit se passe tranquillement. Enfin : presque. Si ce n’étaient les Bounty… Bernard : « J’aurai bien mangé un Bounty durant mon quart, mais le sachet était vide… ». Jacques, vestale incontestée de cette friandise : « Mais il y en a d’autres, des sachets ! ». Évidemment enfouis dans les tréfonds d’un équipet. À tel point qu’une légende tenace à bord de Kousk Eol soupçonne le Jacquot de se les planquer sous l’oreiller, les Bounty… En dépit de ses dénégations véhémentes.

Mardi 15

La nuit a été tranquille : mer belle, vent entre dix et douze nœuds, et Kousk Eol entre six et sept nœuds malgré les deux ris dans la grand-voile. Pô pire. Et Gibraltar est à 300 milles. On devrait y arriver jeudi 17 dans la journée en principe.

Nous approchons des routes maritimes : les cibles AIS défilent sur l’ordinateur de bord. Demain, dans la nuit, nous devrions contourner les rails de la côte sud-ouest du Portugal, au cap Sao Vincente. Il faudra être encore plus vigilant…

Avec l’approche du détroit commencent les discussions autour de la stratégie à adopter pour éviter au mieux le courant contraire sortant de Méditerranée, entre 1,5 et 2 nœuds en moyenne selon l’heure par rapport à la marée haute à Gibraltar. À cette discussion s’ajoute celle, récurrente, sur les heures moteur restantes : il ne faudrait pas que le coup de mou d’Éole que nous subissons en ce moment dure trop longtemps !

Heureusement, durant la nuit, le vent se lève venant du sud et permet de remettre les voiles… Du sud ? Mais où sont passés les alizés portugais qui voudraient que nous soyons propulsés par du nord-ouest ? Un changement de temps ? Je pose la question…

Deux pigeons ont tourné autour de Kousk Eol dans la soirée, pour finalement se poser sur les panneaux solaires, visiblement fatigués, et passer la nuit avec nous. Que font-ils aussi loin des côtes ? Une théorie assez récente voudrait que, pour compenser l’envahissement massif de nos décharges même loin au milieu des terres par les goélands, comme mesure de rétorsion, les pigeons prendraient progressivement possession des rivages, et de là, des mers. Et que d’ici quelques années, leurs pattes se palmeraient, leurs plumes se huileraient et leur bec s’allongerait. Et que le phénomène inverse se produirait pour les goélands : certains experts avancent même qu’ils pourraient se mettre à roucouler dans un avenir plus ou moins lointain3.

Revenons à notre traversée. Nous avons maintenant atteint le sud du cap Sao Vincente, et entrons dans le golfe de Cadix4. L’écran du PC de navigation se constelle littéralement de cibles AIS, et la VHF reprend vie. Porte-containers de plus de 200 m, pétroliers, cargos… Ils se retrouvent tous aux abords du détroit. Il faut vraiment rester vigilant, surtout que nous traversons les rails de navigation du sud au nord.

Vers une heure du matin, le 17, nous sommes passés côté nord des rails, après avoir surveillé très attentivement les mouvements des monstres qui nous doublaient ou nous croisaient. La pression retombe.

Le ciel nous fait un petit cadeau : les nuages se dissipent un peu et permettent d’admirer la Voie Lactée, surveillée par la constellation du Scorpion vers le sud. Et au petit jour, nous passons la Punta Marroqui, devant Tarifa : plus qu’une quinzaine de milles avant la marina Alcaidesa, à La Linea, ville espagnole frontière avec Gibraltar.

La côte!
Le rocher…

Évidemment, impossible de terminer sans un petit coup de vent… Et à 11h15, nous sommes amarrés au ponton, à la marina Alcaidesa, juste à côté de Gibraltar, formalités faites : pas de quarantaine cette fois !

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1 Il paraîtrait que ce truc s’appelle un leurre, et que ça s’achète en magasin spécialisé, pourvu qu’on soit équipé d’une gold card.

2 Vous savez, celui qui nous a déjà causé du souci et que nous avions bricolé à Horta …

3 Ne me dites pas que vous venez de lire ces conneries ? Quand même ! Quelle honte ! Vous n’avez vraiment rien de mieux à faire ? Hanouna sur la 8, non ? BHL ? PPDA ? Allons !

4 Vous connaissez la chanson immortalisée par ce grand marin qu’était Luis : « Le golfe de Cadix a des vagues malicieuses, tchik tchik tchik… ».

Traversée Pointe à Pitre-Toulon Mai-Juin 2021 : Les açores

31 mai 2021

18h30 : arrivée dans le port de Horta sur l’île de Faial, la plus à l’ouest des Acores ayant une marina, avec « le » coup de vent de la traversée. 30 nœuds dans les rafales, sous un ciel très humide. Appel sur la VHF à la marina : interdit d’accoster, il faut mouiller l’ancre dans le port en attendant de se faire tester le lendemain : une équipe doit venir nous voir à 9h puis nous conduire sur le lieu des tests à 13h. Apparemment, nous ne sommes pas les seuls dans ce cas : une quinzaine de voiliers sont à l’ancre comme nous.

Horta.

1er juin

L’organisation portugaise est irréprochable : à 9h, un semi-rigide passe au bateau pour prendre l’identité de chacun. Le même semi-rigide repasse à 13h et nous emmène au fond du port de commerce où un centre de test PCR ad-hoc a été installé. Prélèvement effectué, nous sommes ramenés à bord pour attendre les résultats.

Cathy et Béa viennent nous faire des signes depuis le ponton. Curieuse arrivée…

20h40 : les résultats arrivent par email pour Eric, Jacques et Hervé, tous les trois négatifs. Rien pour Claude…

2 juin

Appel à la marina pour demander des explications : « Le test était non conclusif. Donc il doit être fait à nouveau sur le même échantillon… ». Et donc il faut encore attendre à l’ancre… Vive la voile au temps de la covid19 !

11h30, appel de la marina : test OK ! Pas besoin de remuer l’équipage pour aller illico à quai où Cathy et Béa nous attendent. Quai sur lequel on retrouve la « trace » du passage de Kousk Eol en 2017.

Les oeuvres de Nico, Raph et André en 2017…

Dans l’après-midi, avec la voiture louée par Béa, nous allons jusqu’à la pointe ouest de l’île de Faial. Là se trouve un phare rendu inutilisable par une éruption volcanique dans les années soixante : le volcan a surgi devant le phare, le rendant quasi invisible depuis la mer !

Le phare du bout de Faial.
Le volcan devant le phare…

En fin d’après-midi, pour perpétuer la tradition, nous allons prendre une bière chez Peter Café Sport. Ce lieu mythique a dû bien changer ces dernières années : c’est devenu un vrai business, un lieu de passage de tous les touristes passant à Horta, sans beaucoup de charme, avec sa boutique de souvenirs. Plus vraiment le rendez-vous des marins de passage venant échanger et partager leurs expériences, des voyageurs en quête d’un embarquement…

Nous dînerons dans un petit resto à Porto Pim, autre lieu mythique, avec sa petite baie quasi circulaire et son usine à baleines, vestige d’une activité autrefois importante sur l’île.

3 juin : Pico

Un ferry nous emmène en une demi-heure sur l’île voisine de Pico, où nous débarquons à Madalena, à seulement 4 milles. Nous louons deux petites voitures pour visiter l’île qui fait environ 30 km sur 15 km. Le passé volcanique de Pico est très présent. Tout d’abord avec le volcan qui culmine à plus de deux mille mètres, et qu’on ne peut rater, où que l’on soit sur l’île. Et la côte, très inhospitalière, où l’on voit les restes des coulées de lave.

Pico et son volcan.

Particularité de Pico : on y cultive la vigne, et le vin blanc verdelho, bien frais, se laisse boire sans effort, bien frais. Mais ici, point de vastes vignobles : plutôt une multitude de petits enclos de pierres volcaniques abritant chacun un tout petit nombre de pieds de vigne. Le vignoble est classé au patrimoine de l’UNESCO. Le métier de vigneron doit être dur ! Le rouge Terra de Lavas porte bien son nom.

Un vignoble typique à Pico.
Le point culminant de Pico.

Puis nous rentrons vers Horta en fin d’après-midi.

4 juin : vers Ponta Delgada

Nous faisons quelques courses pour cette courte traversée d’un peu plus de 150 milles avec tout le monde à bord : Cathy, Béa, Hervé, Jacques, Eric, Bernard et Claude. Ponta Delgada est la « capitale » de Sao Miguel, la plus orientale des Açores. La météo nous prévoit beau temps et vent d’ouest modéré : nous devrions être au largue, garantie d’une traversée rapide.

Nous empruntons le passage entre les îles de Pico et Sao Jorge dans l’espoir d’apercevoir des cachalots. Ils seront remplacés par quelques dauphins, joueurs comme d’habitude.

Évidemment, comme nous le redoutions, les batteries nous lâchent durant la nuit : il faut mettre le moteur pour les recharger. Nous devons absolument en trouver à Ponta Delgada, avant de partir vers Gibraltar !

En attendant, nous ne traînons pas, et le 5 vers 15h30, nous arrivons devant la capitainerie de la marina de Ponta Delgada. L’administration de la marina est au top : nous sommes attendus, et les papiers sont déjà remplis… Nous allons nous amarrer dans la nouvelle marina. Impensable dans nos régions : il y a plein de places disponibles.

6-9 juin : visite de Sao Miguel

Il nous faut une voiture pour cinq, Béa et Hervé ayant la leur. Nous louons une Polo, mais nous nous voyons finalement attribuer un SUV Mitsubishi, lourd et sous-motorisé… Un challenge se mettra rapidement en place, entre Claude qui fait caler le moteur et Eric qui fait patiner l’embrayage.

La première balade sera vers Sete Cidades, surprenant lac de cratère. Puis Moisteros : plage de sable noir au milieu des rochers. Nous passons visiter Santa Barbara, mignon village un peu isolé sur les hauteurs. Et comme il fait chaud, nous nous arrêtons prendre un pot : 1 € la boisson, bière ou eau gazeuse…

7 juin : virée pour le deuxième lac de cratère, Lagoa Fogo, magnifique. Repas à Ribeira Grande dans un restaurant-cantine, assailli : morcelas (spécialité locale de boudin noir) au menu. Pour digérer, nous marchons vers le Lagoa Congro, lac de cratère encaissé et entouré d’une végétation très dense. « Oui mais on a raté les Lambadas », dixit Cathy.

Partout le long des routes, des hortensias sauvages magnifiques, en grande majorité blancs.

Puis nous rentrons au bateau pour accueillir Bernard qui arrive vers 18h30.

Nous partons faire le tour de la pointe est de l’île de lendemain : Furnas, ses fumerolles et sa cuisine à l’étouffé sous la terre fumante, puis la route sinueuse vers Nordeste, et enfin retour au bateau par le nord.

Le 9 sera une journée récupération : des équipiers et des batteries… Vous vous souvenez des batteries ? Celles sans lesquelles il faut barrer à la mimine la nuit. Eh bien nous avons fini par en trouver : Varta 140 Ah classiques, mais scellées et sans entretien. Ça permettra une traversée vers Gibraltar à trois avec des quarts un peu plus cool sous pilote. Les équipiers, eux, mettent la journée à profit pour visiter Ponta Delgada.

Jeudi 10 juin

C’est le jour du départ pour tout le monde.

Une partie de l’équipage quitte le bord. Cathy, Béa, Hervé et Eric reprennent l’avion pour rentrer en France. Les tests PCR sont faits en catastrophe pour ne pas être bloqués aux aéroports, la communication autour de la protection contre la pandémie étant loin d’être des plus claires.

Tandis que Jacques, Bernard et Claude continuent vers Toulon, par Gibraltar. Mais ceci est une autre histoire…