Jeudi 17 novembre, 8 heures : l’équipage prend un dernier petit déjeuner au calme avant de faire les ultimes formalités avant le départ vers les Canaries :
- Prendre les dernières prévisions météo : on devrait se faire un peu secouer, mais le vent pousse dans le bon sens.
- Revoir la stratégie pour traverser le détroit, en fonction du courant, du vent, etc.
- Faire un stop à la capitainerie pour payer notre séjour.
- Puis aller vers l’aéroport de Gibraltar faire le plein de gasoil, bien moins cher que côté espagnol.
Le vent d’ouest commence à bien s’établir, et évidemment, côté marée, on ne peut pas dire que nous ayons eu tout juste… Bref, premier bord de près et nous voilà de retour devant la baie d’Algesiras : bord carré d’anthologie !
La solution sera de raser la côte espagnole jusqu’à Tarifa, sous grand-voile appuyée par le moteur : cette fois la tactique est bonne ! Œil sur le sondeur, Eric arrive à attraper un semblant de contre-courant, et nous virons finalement vers le Maroc devant le phare de Tarifa.
C’est Anne-Sophie, à la barre, qui a l’honneur et le privilège extrême d’à la fois traverser le détroit, passer de Méditerranée en Atlantique et quitter l’Europe pour l’Afrique…
Le vent fraîchit comme prévu, montant jusqu’à 30 nœuds, et nous pensons arriver rapidement, en moins de cinq jours, aux Canaries. Mais nous sommes en voilier, et rien ne se passe exactement comme prévu. D’abord, Éole est loin d’être constant, puis la mer très désordonnée, et les quarts un peu compliqués, ce qui n’est jamais une garantie de bonnes moyennes… Cependant, il en faut plus pour entamer le moral de l’équipage !
Dans la nuit de vendredi à samedi, il a même fallu mettre le moteur : le manque de vent et les vagues faisaient que le bateau tournait sur lui-même… Situation qui ne dure pas.
Samedi 19. La petite brise du nord-est semble se stabiliser, permettant de mettre les voiles en ciseau. Stabiliser, oui. Mais autour de 20 nœuds tout de même. Et la mer ne se calme pas. La nuit sera fatigante : personne n’arrivera à dormir… Le roulis incessant et fort est comme un massage carrément tonique, du genre à vous laisser plus courbatu après qu’avant…
Quant à manger ou boire sans en renverser, je préfère éviter le sujet.
Et la journée suivante sera du même acabit. Point positif : nous avançons relativement vite, rattrapant un peu le retard pris au début. Mais évidemment pas assez vite pour empêcher un groupe de petits dauphins de venir nous narguer à l’étrave.
Sinon, l’équipage est bien amariné, et les manœuvres sur Kousk Eol n’ont plus de secret pour Anne-Sophie et Eric. Quand, sortant le nez de mon bouquin, je clame : « Sans vouloir vous commander, il faudrait larguer… », la réponse est immédiate, n’attendant même pas la fin de la question : « C’est fait depuis un moment, retourne admirer les photos d’Aliocha ! ». Avec une petite lueur bizarre dans un regard brillant qui en dit long. Sans tomber dans la paranoïa, je me demande si ces deux-là n’ont pas subrepticement pris le contrôle de Kousk Eol, et n’envisagent pas de me débarquer à Tenerife… Je me demande… Bon, bien sûr, je dis ça, je dis rien…
Le soir, petite inspection de routine, pour s’apercevoir que la bosse de ris numéro 2 (écoute) a cassé au niveau de l’œillet de la grand-voile… Bosse que nous venions de changer par une nouvelle achetée à Gibraltar. Ça alors ! Le troisième ris est rapidement pris pour ne pas abîmer la voile, et c’est un peu sous-toilé que nous continuons, dans quinze nœuds de vent, voiles toujours en ciseau : nous jouerons avec le génois pour donner un peu plus de puissance quand il le faudra.
À part ça, Kousk Eol roule toujours autant dans une mer qui met du temps à s’ordonner. Et l’équipage a un peu de mal à trouver un sommeil un tant soit peu réparateur. Mais Tenerife est à 180 milles : on commence à voir le bout de cette traversée.
Lundi 21. Le vent faiblit, et par voie de conséquence, la mer se calme un peu dans la journée. Pour ne pas perdre la main, nous empannons dans l’après-midi afin de suivre une route plus directe : manœuvre effectuée sans coup férir, de main de maître, comme il se doit, avec une synchronisation entre les trois membres de l’équipage exemplaire1. D’ailleurs un groupe de dauphins vient batifoler à l’étrave, sûrement pour nous féliciter. Je ne vois que ça…
Mardi 22, 10 heures : Tenerife n’est plus qu’à 60 milles. Le nord-est continue à nous pousser autour de 6 nœuds : on devrait être dans le port vers 20 heures…
May Day à la VHF : quelqu’un serait tombé à la mer du côté de la Grande Canarie… Un peu plus tôt, c’est apparemment un bateau de migrants en panne qui s’est fait remorquer.
Re-May Day : cette fois, on parle de deux personnes à la mer…
13 heures 35 : « Terre en vue ! ». Il reste une quarantaine de milles, mais Éole semble insensible à notre impatience d’arriver. On se demande s’il n’est pas en train de faire une petite sieste. À l’Espagnole…
18h40 : encore 15 milles, et toujours peu de vent. Il est unanimement décidé que Perkins s’y colle…
En attendant, petit bilan des réparations qui nous attendent :
- Bosse de ris 2 à changer (à nouveau).
- Prise d’eau réservoir avant à revoir : l’attache du réservoir a bougé, probablement à cause de la mer.
- Réa de drisse ou balancine cassé : il faudra monter au mât pour vérifier.
- Pompe WC cabine avant ne pompe plus… Embêtant pour une pompe.
- Étanchéité capot de pont avant à revoir.
- Remplacer tirette du piston de tangon, cassée.
Nouveau May Day : les deux personnes à la mer au sud de la Grande Canarie sont toujours dans l’eau, et le jour tombe… Pas cool…
Nous finissons au moteur, le vent refusant de nous accompagner jusqu’au bout. Et nous nous amarrons dans la marina Santa Cruz de Tenerife à 20 heures 15, où Julio nous attendait avec une lampe torche pour nous guider dans la nuit noire, sans trop d’éclairage…
Demain, il devrait faire jour selon les dernières prévisions : on vous racontera la suite. Éventuellement. Peut-être…
- Moi je dis ça, je dis rien, mais il me semble, je dis bien il me semble, que si nous ne nous passons pas nous-mêmes un petit coup de brosse à reluire, personne ne le fera à notre place. Me trompé-je ?’