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Gibraltar

Donc, disais-je, nous arrivons sous le rocher de la discorde britannico-espagnole lundi 14 novembre 2022.

L’objectif principal de la journée, je vous le rappelle, est de satisfaire le désir d’Eric d’un fish’n’chips. Il aurait soit-disant dégotté un resto à côté de Main Street qui devrait nous convertir à la cuisine traditionnelle britannique… Nous demandons à voir. Parce que Kousk Eol a ses habitudes dans un pub un peu plus loin…

Vers 16h30, douché de frais, l’équipage s’élance d’un pas conquérant vers Gibraltar, à un petit quart d’heure de la marina. La frontière est franchie sans problème. Rappelez-vous : juste après celle-ci, il faut franchir la piste de l’aéroport. Mais quand il y a un avion prêt au décollage, ben il faut attendre… C’est évidemment ce qu’il nous arrive.

L’attente n’est pas trop longue, et nous pouvons entamer la soirée par un apéro (léger) sur le waterfront local. Où Eric continue à nous vanter1 les vertus du fish’n’chips du Vinopolis Gastrobar : il faut dire qu ‘avec un nom pareil…

La terrasse est plutôt sympa, tout comme le service. Ainsi que le vin espagnol. Enfin arrive le mets tant attendu. Bon, il faut bien le dire, c’est plutôt pas mal pour des Anglais… Même les frites sont bien cuites. Il va me falloir beaucoup de mauvaise foi pour les convaincre d’essayer l’Angry Friar, car, évidemment entre mâles prétendus dominants, il est hors de question de dire que ce fish’n’chips est le meilleur. On verra ça demain !

The top of the Rock

Le lendemain donc, mardi 15, le programme est de monter sur la crête du Rocher. Et ça commence mal : la rue, raide, que nous prenons est fermée. Il faut donc faire demi-tour et aller prendre une autre route raide un peu plus loin.

Nous arrivons finalement à la Ohara’s Battery, dont le canon domine le détroit. Les côtes d’Afrique paraissent toute proches, malgré le ciel couvert.

Vue sur l’Afrique depuis la batterie O’Hara qui surveille le détroit.

Puis nous remontons vers le nord et l’arrivée du téléphérique. La vue sur la baie d’Algésiras est magnifique. Quelques singes ne daignent même pas nous regarder passer.

La baie d’Algésiras vue du haut.
Des fois, il y en a qui coulent…
Sur la crête.
La DRH de Kousk Eol interviewant des candidats équipiers sachant monter au mât…

Nous redescendons vers Main Street par les escaliers du Charle’s V Wall, qu’il faut partager avec les macaques qui se prélassent sur les marches étroites. Il faut savoir que ces animaux ont d’impressionnantes canines qui nous incitent à la prudence en les croisant !

Parfois, il faut négocier le passage…
660 marches à descendre…

Il est plus de 13 heures lorsque nous sommes en bas : juste à temps pour la deuxième phase de l’essai comparatif. Direction The Angry Friar, lui aussi crédité du meilleur fish’n’chips du coin. On va voir ce qu’on va voir. La bière, une pinte chacun, est bonne et fraîche : désaltérante à souhait après nos presque 4 heures de marche. Puis arrive LE plat. Et là, déception : très peu à voir avec le plat d’hier… Frites mal cuites et poisson plutôt graisseux… Mais il ressemble plus aux fish’n’chips que l’on trouve dans un papier journal sur les quais des ports anglais. Plus authentique, koâ. Mais malgré toute la mauvaise foi dont je peux être capable2, le verdict est sans appel : Eric a gagné. Il faut le retenir avant qu’il ne monte sur une table pour danser et exprimer sa joie de compétiteur dans l’âme3.

Puis repus et fatigués, nous rentrons au bateau pour une petite sieste avant quelques courses pour le soir, et commencer à se faire peur avec la météo. Au fait, Eric a eu des crampes d’estomac tout l’après-midi… Petite nature ! Mais le ti punch a effacé tout ça, et on a eu droit a une dernière salve d’autosatisfaction sur le choix des restos.

  1. Il faut bien mériter notre surnom de radoteurs…

2. Cathy vous le confirmera.

3. Non, vous n’êtes pas obligés de croire tout ce que je raconte. Non.

Alicante by night

Alicante

J’avais dit qu’on vous raconterait, alors on vous raconte. Rien de très extraordinaire… Soirée cool pour se reposer un peu des conditions pas toujours très faciles de jours précédents.

Eric nous emmène prendre l’apéro au bar du Club Royal des Régates : un verre de vin local fort agréable recommandé par le barman, lui-même fort sympathique.

Puis sur le coup des 20 heures, départ vers le vieux centre d’Alicante pour dégotter un restaurant. 20 heures, c’est quasiment le milieu de l’après-midi pour les Espagnols… Mais il en faut plus pour nous décourager. Après avoir un peu tourné en rond, nous nous décidons pour une table en bord de rue, où nous partageons une paella très copieuse.

C’est repus, avec le répit de ce repas, que nous retournons à bord passer une nuit au calme, et sans quarts…

Vers Gibraltar

Le lendemain, samedi 12, le petit-déjeuner avalé, reposés, nous quittons notre place pour rejoindre Gibraltar, à environ 300 milles. La météo est favorable (vent d’est) jusqu’à la nuit de dimanche à lundi, puis le vent devrait passer doucement à l’ouest : nous finirons probablement au moteur pour éviter un renforcement du flux d’ouest.

En attendant, c’est une brise d’est soutenue qui nous pousse au largue, entre 7 et 8 nœuds. Pô pire… Plein est, nous sommes vent arrière : le génois est tangonné pour le garder bien gonflé. Et le pilote automatique fait son boulot en nous gardant sur la route à plus de 7 nœuds.

Puis arrive la nuit, les copains. Et alors ? Ben le souffle qui bombait nos voiles décide de montrer ses muscles une nouvelle fois les copains. Grand-voile plus génois tangonné, dans 30, à 35 nœuds, ça devient sportif , surtout que la mer s’y est mise elle aussi. Eric se bat à la barre tandis que les deux autres se font rouler bord sur bord sur leur couchette, avec des pointes jusqu ‘à 12 nœuds. Mais à un moment, il faut bien se décider d’arrêter de jouer : le génois est roulé. Sous grand-voile seule, la situation fait semblant de s’améliorer un court instant. La décision est vite prise de prendre un ris : la méthode est peu orthodoxe, mais le ris est pris assez rapidement, soulageant le pilote et le barreur. Le Cabo de Gata, au sud-est de l’Espagne, nous a fait le coup des vents tuerie, phénomène bien connu des météorologues à l’approche d’un cap.

Décidément, la Méditerranée n’aura pas failli à sa réputation de mer pouvant être dure en novembre. Mais au moins, cette fois, le vent soufflait dans la bonne direction. Tout le monde à bord rêve de l’alizée, des shorts et des t-shirts…

Une fois passé le cap, la situation s’améliore. Et c’est même la pétole qui s’installe vers 9 heures 30, la risée s’appelant désormais Volvo. On a tout de même encore un peu plus de 120 milles avant Gibraltar, mais ça devrait être bon pour le fish’n’chips de lundi soir… Si le flux d’ouest n’est pas trop fort ensuite.

Ben non, la brise d’ouest arrive plus tôt que prévu : il va falloir faire au mieux avec du vent contraire, supportable pour l’instant. Après une tentative de soulager le moteur avec les voiles, et une savante estimation de compromis cap-vitesse, le génois est à nouveau roulé en fin de journée, et le cap remis droit sur le Rocher.

La journée est magnifique. Pas un nuage. Un groupe de dauphins vient même nous narguer à l’étrave.

La nuit se passe tranquillement, au moteur. Anne-Sophie aura droit à un ballet nocturne de dauphins qui lui tiennent compagnie un bon moment pendant son quart, sous un ciel étoilé magnifique.

Au petit matin du 14 novembre, le Rocher apparaît. On aperçoit même les côtes d’Afrique. La Méditerranée sera bientôt derrière nous… En attendant, dans environ deux heures, nous devrions être dans la marina Alcaidesa, à La Linea, juste au nord de Gibraltar. Après avoir contourné la Victoria Tower, qui marque le sud de l’enclave.

A 11 heures, nous sommes amarrés sur un ponton de la marina : six jours pour venir de Toulon, avec une pause : Kousk Eol a encore une fois bien marché !

La bouteille de jurançon de Nicole, excellent, est bue sous prétexte de l’anniversaire du croulant du bord. Petit repas léger puis sieste suivie d’une douche, et nous sommes prêts à rendre visite aux Anglais : ça fait un bon moment qu’Eric nous parle de fish’n’chips…

Et hop! on y retourne…

Ça faisait bien trop longtemps que Kousk Eol se morfondait autour de Toulon. La dernière traversée remonte à mai-juin 2021 tout de même, pour rentrer de Guadeloupe.

Le projet de retraverser prend corps petit à petit : il faut dire que cette dernière tentative de navigation aux Antilles s’était colletée avec la covid 19. Et avait évidemment perdu : gendarmes au bout du quai pour empêcher toute velléité de vadrouille… D’où frustration profonde, même si le blocage était évidemment pour la bonne cause. Et à l’été 2022, une date provisoire est arrêtée pour une nouvelle tentative, un équipage formé, et une date de départ fixée : ce sera le 8 novembre.

8 novembre 2022

Les jours précédents ont été consacrés au toilettage et au rangement de Kousk Eol (Merci Cathy !), à quelques réparations (coutures de la capote, pompe de cale, pompe de refroidissement du moteur, changement de la ligne de vie, etc.) et bien sûr à l’avitaillement.

Le 8 au matin, le dernier café-croissants avalé avec les proches, et les dernières courses de frais faites, les amarres sont larguées à 11 heures 20 précisément. Le vent de sud-est nous pousse au largue, à plus de 8 nœuds, vers les Baléares à un peu plus de 200 milles.

Nous ? Mais d’abord, c’est qui, nous ?

Ben il y a tout d’abord Anne-Sophie, notre copine de Trégastel que Cathy a embringué dans cette aventure. Ce sera sa première traversée océanique.

Puis Eric, vieux copain des bancs de prépa à Nice, grand voileux devant l’éternel : Fastnet, Tour de France à la voile (1er), et 5 transatlantiques à son actif.

Le grand absent sera Aurélien, jeune impertinent depuis plus de douze ans, bloqué au dernier moment par des impératifs professionnels (c’est le seul non-retraité de la bande).

Pour compléter l’équipage, « ils » ont donc dégotté un troisième, Claude, toujours présent pour les mauvais coups, surtout à bord de Kousk Eol.

Je disais que le vent nous poussait au largue : c’était trop beau pour durer. Le bougre refuse, nous obligeant à faire du près. Et en plus il est froid et humide : la première nuit sera un vrai amarizutage1. La météo nous laisse espérer un vent de nord un peu plus fort en fin de journée. Journée que se déroule plutôt tranquillement, Eric et Claude cassant les oreilles d’Anne-Sophie avec leurs souvenirs d’anciens combattants. Les surnoms sont d’ailleurs vite trouvés : le petit oiseau du bord (qui mange ses graines) et les tontons gâteux et radoteurs…

La deuxième nuit tombe sans que le vent ne se soit levé, et c’est au moteur que se fera le premier quart. Vers 23 heures, appel d’Anne-Sophie : « Claude, tu devrais venir, je crois que le vent se lève ! ». Effectivement, avec un peu de retard, un zéphyr un peu costaud commence à souffler de l’arrière. Et pas qu’un peu… Il monte progressivement jusqu’à quarante nœuds, un peu au-dessus de ce qu’avait prévu la météo, et sous trois ris avec un tiers de génois, Kousk Eol dépassera régulièrement les onze nœuds en mode casserole avec essoreuse dans une mer devenant dure et humide. Les vagues ne se privent pas de se mêler vicieusement à la pluie, en passant sur les côtés de la capote, arrosant copieusement l’équipier de quart. Qui évidemment, très prévenant, n’avait pas mis son pantalon de ciré… Bref, une nuit dantesque2.

Mais le moral est bon, et ce n’est pas cette nouvelle journée grise qui va l’entamer.

  1. Amarizutage : néologisme typiquement kouskéolien, combinaison d’amarinage et de bizutage. Il faut bien que l’expérience entre.

2. On attribue nombre de situations scabreuses au sieur Dante, pauvre homme. Mais avait-il au moins déjà fait de la voile ? Je pose la question.

Jeudi 10 novembre

La journée sera beaucoup plus tranquille. L’objectif est de se poser à Carthagène demain soir, histoire de faire une pose réparatrice, avant Gibraltar.

Le vent passant plein nord, les voiles sont mises en ciseau et Kousk Eol avance bon train entre les Baléares et la côte espagnole. En début d’après-midi, le vent forcit, sous un ciel couvert : deux ris dans la grand-voile et un demi génois nous poussent vers le Cabo San Martin, à l’ouest d’Ibiza.

Dans la nuit, le moteur est mis vers 2 heures le vendredi, à la fois par manque de vent, et parce que les panneaux solaires n’ont pas pu faire leur boulot, les rayons du soleil ayant eu du mal à se frayer un passage à travers les nuages. Et sans batteries, plus de pilote automatique…

Vers 5 heures, un bruit de moteurs puissants se fait entendre : un bateau très rapide, à coque sombre et sans lumière double Kousk Eol à une cinquantaine de mètres, dans la nuit noire… Curieux…

Puis le vent revient vers 9 heures. Et avec lui de gros nuages gris foncé, sous lesquels d’impressionnants éclairs jouent à nous faire peur. La décision est prise de passer la nuit à Alicante, à environ 45 milles, plutôt qu’à Carthagène comme prévu, où nous ne pourrions pas arriver avant le coucher su soleil. Un énorme nuage noir barre l’horizon vers la côte : il va falloir le traverser. Le vent devient très erratique, avec des pointes à plus de 35 nœuds, et nous jonglons entre les voiles et le moteur, sous la pluie. Si forte qu’un petit oiseau vient même se mettre à l’abri. Avec toujours de beaux éclairs devant nous.

Après avoir avalé quelques morceaux de saucisson et d’un excellent fromage de chèvre (celui de Nicole et Baptiste : ils se reconnaîtront !), avant l’arrivée, c’est de la grêle qui nous tombe dessus. Mais comme on n’a pas le droit de boire à bord (décision prise en haut lieu et non discutable1), les glaçons seront perdus pour l’apéro…

Appel à la marina d’Alicante : « Ah ben non, monsieur, on n’a pas de place pour vous ce soir. Allez voir dans une autre marina… ». Eric a la bonne idée d’appeler le club royal de régates d’Alicante (carrément), juste à côté de la marina : ô surprise, eux ont une place pour nous… Nous nous amarrons au ponton, dans le club. Ça fait toujours drôle de mettre pied à terre après quelques jours à se faire secouer : même le sol semble bouger ! Petite douche avant l’apéro dans le club royal (il faut ce qu’il faut). Puis resto en ville.

Mais ceci est une autre histoire. On vous la racontera peut-être. Un jour…

  1. Bon d’accord, il y a quelques dérogations possibles. Mais sous contrôle !