Nous sommes loin d’être les experts des atolls des Tuamotu, mais comme nous allions leur rendre visite, et qu’on entendait toutes sortes d’histoires sur la difficulté d’emprunter les passes permettant d’entrer dans les lagons, il a bien fallu se documenter… Et tester!
Généralités
Petit rappel géographique: l’archipel des Tuamotu fait partie de la Polynésie Française, s’étend sur environ 1800 km par 600 km, et comprend 77 atolls, entre 14° et 24° Sud, à l’Est de Tahiti. C’est la plus grosse concentration d’atolls au monde.
Les atolls sont formés par la barrière de corail qui s’est développé autour d’îles volcaniques, qui elles se sont progressivement enfoncées, ne laissant alors plus que la barrière et une mer intérieure, le lagon, plus ou moins étendue. L’atoll le plus grand, Rangiroa, mesure 80 km sur 32 km (plus grand que le lagon du Léman), et plus de 2000 personnes y habitent. Quatre ou cinq atolls sont habités en permanence, d’autres seulement au moment du ramassage du coprah. La plupart sont déserts.
Les Îles de la Société (dont Tahiti) et les Îles Gambier sont toutes des atolls avec l’île centrale toujours émergée. Au contraire, aucune des Marquises, plus récentes, n’a développé d’atoll.
Les atolls des Tuamotu, comme beaucoup d’autres atolls, ne dépassent pas beaucoup au-dessus du niveau de la mer. Quelques mètres très souvent, ce qui fait qu’on ne les voit qu’au dernier moment en arrivant du large: les Tuamotu étaient d’ailleurs connues comme les Îles Dangereuses avant l’arrivée du GPS. Et de nombreux bateaux en ont fait l’amère expérience en allant se briser sur la côte.
La partie de la barrière de corail donnant sur le large plonge vers le fond, très rapidement à plus de mille mètres, vers le plateau supportant l’archipel. Ce sont les fameux « tombants ». C’est là que se développe le nouveau corail qui forme l’atoll. De ce fait, il est en général impossible de trouver un mouillage à l’extérieur de l’atoll: la côte descend trop vite, et est très exposée.
L’intérieur forme le lagon, une mer peu profonde (quelques dizaines de mètres). La formation de coraux se limite à quelques bancs et pinacles ou « patates » qui parsèment les fonds, et affleurent parfois la surface.
L’accès au lagon se fait par des passes, plus ou moins larges et profondes. A cause du courant dans celles-ci, les coraux ne s’y développent pas.
La partie émergée de l’atoll n’est pas continue, mais formée d’îlots, les motus, où poussent les cocotiers et quelques autres rares plantes.
Les cocotiers ont été introduits par les premiers missionnaires, au 19e siècle.
On ne vous refait pas le coup des motus qui laissent bouche cousue? Non.
Entre les motus, en plus des passes, de nombreux canaux, les hoas, irriguent l’atoll.
Même si le marnage est faible (moins d’un mètre), la surface que représentent ces mers intérieures est telle que les volumes d’eau en mouvement provoquent un courant dans ces passes qui peut être redoutable: huit ou dix nœuds ne sont pas rares! A mi-marée, certaines passes rendraient jaloux les rapides de nos rivières de montagne!
Phénomène intéressant, il n’y a pas symétrie entre marée descendante et marée montante dans les atolls: le courant de jusant est en général beaucoup plus violent que le courant de flot. On peut constater des différences du simple au double, voire au quadruple (par exemple 3-4 nœuds entrant pour 10-12 nœuds sortant). En effet, sous l’effet du vent, l’eau est continuellement poussée vers l’intérieur du lagon, via les hoas, créant le phénomène d’ « ensachage » (« Bagging » en anglais), et s’ajoute au courant de marée descendante dans les passes.
Selon l’orientation des passes, un mascaret peut se former, ainsi que des vagues très dures dès que le courant s’oppose au vent ou à la houle, rendant les passes dangereuses aux bateaux.
Navigation dans les passes
Donc, on est bien d’accord, les passes ne s’empruntent pas n’importe quand, ni n’importe comment…
Pour limiter l’effet des courants, il faut se présenter devant la passe au moment de l’étale, qui est plus ou moins courte selon la configuration de l’atoll, et bénéficier une marée montante pour entrer, descendante pour sortir. Évidemment.
Les marées sont de type semi-diurne: deux cycles par jour, se décalant d’environ 45 minutes d’un jour sur l’autre.
Et rappelez-vous que plus le lagon est étendu et la passe étroite, et plus le courant sera fort! Et toujours plus fort en sortant qu’en entrant.
A bord de Kousk Eol, nous avons trois sources d’information pour les marées:
– les cartes Navionics sur une tablette, qui comprennent une table intégrée;
– le logiciel (gratuit) « Marées dans le monde »;
– une table téléchargeable gratuitement depuis le site du NOAA (le même qui fournit les GRIBs), au format PDF.
Ensuite, il faut observer… Puis y aller, et faire confiance à son moteur!
Il n’y a en général pas d’obstacles dans les passes: le courant est trop fort pour que le corail puisse se développer. Les passes sont généralement bien cartographiées, avec les dangers fixes bien indiqués. Dans les atolls habités, les passes sont même balisées.
La principale difficulté pour la navigation sera de se présenter au bon moment.
Pour sortir du lagon, c’est en général simple: on attend au mouillage le moment propice.
Pour entrer, il aura fallu calculer son heure d’arrivée en fonction de sa navigation, quitte à ralentir pour se présenter dans les meilleures conditions.
Il faudra se rappeler que le courant contre le vent, et la houle qui en résulte, peut lever de redoutables vagues. C’est souvent le cas à marée descendante, dans les passes orientées selon les vents dominants (par exemple au sud ou sud-est pendant la période des alizés), où une barrière infranchissable peut se former à l’entée de la passe.
Et comme toujours, il faudra savoir renoncer et éventuellement choisir un autre objectif si ces conditions paraissent trop risquées.
Navigation dans les lagons
Une fois la passe franchie, et le lagon atteint, la houle a disparu: le mouillage n’est plus très loin!
Pourtant, ce n’est pas encore le moment de relâcher l’attention…
Les lagons ne sont pas très profonds en général, et on navigue souvent dans 15 à 25 mètres, avec un fond de sable… Et les fameuses patates, ces pinacles de corail. Les cayes, aux Antilles.
L’eau des lagons est très pure: les fonds se voient donc très bien. Et les couleurs semblent irréelles, du vert clair -quand le fond n’est pas loin- au bleu intense -quand il y a plus de profondeur-: toutes les nuances sont disponibles. Pourvu qu’il y ait du soleil, et qu’il ne soit pas de face. Conditions importantes pour éviter ces patates, plus ou moins hautes, et indétectables au sondeur classique, car isolées et verticales.
Rien de tel que de bons yeux, et éventuellement des lunettes polarisantes. Et que leur propriétaire se trouve à l’avant, comme vigie! On apprend vite à identifier les différences de couleur. Bleu intense: il y a de l’eau sous la quille. Bleu plus pâle, allant sur le vert: les fonds remontent. Quand ça vire au marron-jaune, danger! Le corail n’est plus loin de la surface…
La recommandation de base est de ne naviguer à l’intérieur des lagons qu’entre 9h et 15h par jour de soleil. Une règle (ou une loi?) veut qu’il soit interdit de naviguer de nuit, même dans les zones bien cartographiées ou balisées. Les cartes préviennent: les sondes indiquées ne sont pas des garanties à 100%, et toutes les patates ne sont pas indiquées.
Autre danger: les fermes à huître perlière: il y en a un peu partout, même dans certains chenaux intérieurs. Elles ne sont pas toutes répertoriées, et pas toujours bien visibles… En général, on ne voit que quelques bouées sphériques noires ou rouges, au ras de l’eau.
Parce que, la spécialité des Tuamotu, c’est la perle noire. Et c’est bien parce que c’est vous, on n’en parlera pas à vos femmes/maîtresses/amies/cousines bretonnes/secrétaires/…
Mouillage dans les lagons
Les fonds de sable garantissent une bonne accroche de l’ancre. Le risque principal est d’enrouler sa chaîne autour des petites patates inévitables qui tapissent souvent le fond, en cas de saute de vent. Un orin sur l’ancre peut aider, mais n’est pas forcément toujours suffisant. Heureusement, l’eau est chaude pour plonger! En général, on s’en sort sans se mouiller en suivant au moteur, doucement, le trajet de la chaîne et en la remontant au fur et à mesure.
Nous avons même vu des bateaux s’amarrer sur une patate en enroulant une aussière autour.
Évidemment, il faut penser à l’évitage et s’assurer qu’il n’y a pas un récif ou des patates affleurant dans le rayon de la chaîne!
Selon la taille du lagon et la direction du vent, le fetch peut être suffisant pour former des vagues plus ou moins dures: il faudra tenir compte de la météo pour trouver un mouillage abrité, par exemple sous le vent d’un motu.
Donc pour résumer: naviguer dans les atolls est un immense plaisir. Quelques règles finalement simples à suivre, et quel bonheur!
Sinon, ce serait trop facile: il paraîtrait que le paradis, ça se mérite. Encore un truc de judéo-chrétien…
Bonjour,
Si vous aviez un trajet à proposer en venant de Huahiné, pour les Tuamotu, lequel proposeriez-vous ? pour 3 semaines environ.
Cordialement
Valérie
Bonjour!
Dans notre navigation, nous sommes allés deux fois aux Tuamotu:
– la première fois en venant des Marquises: cinq jours à Tahanea, inhabité, et une dizaine de jours à Fakarava.
– puis nous sommes revenus depuis Tahiti, cette fois à Tikehau, aussi pour une dizaine de jours.
Ces trois atolls nous ont tous émerveillés… Très peu de monde à Tahanea, inhabité? La faune sous-marine est magnifique près de la passe. Fakarava est le paradis des plongeurs (et des requins) vers la passe sud qui offre de très beaux mouillages. Tikehau est le plus proche de Tahiti (donc de Huahine), qu’on atteint en un jour et demi. Il y a un seul très petit village au sud, et le reste du lagon est quasi désert (hormis quelques cahutes pas toujours habitées vers la passe) et navigable.
Nous ne sommes pas allés à Rangiroa, qui nous semblait un peu trop couru… Mais je pense que tous les atolls ont leur charme.
Difficile de faire une recommandation: en trois semaine, il y a de quoi faire! Nous avions décidé de notre côté de ne pas nous disperser pour bien profiter des mouillages, des plongées et de la navigation dans les atolls, envisageable pourvu de le faire de jour avec un bon soleil au-dessus pour voir les patates (pas si compliqué). Le blog raconte un peu ce que nous avons fait.
N’hésitez pas à me recontacter si besoin.
Excellente navigation!
Claude